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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 23 février 2007, n° 06-13555

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine, Interprofession des vins du Val de Loire-Interloire, Alternative (SA)

Défendeur :

Association national de prévention en alcoologie et addictologie, Excelsior Publications (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Feydeau

Conseillers :

Mmes Provost-Lopin, Darbois

Avoués :

SCP Grappotte-Benetreau, SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Ribaut, Me Melun

Avocats :

Mes Calvet, Billard, Desprez, Giafferi, Hue de la Colombe, Iweins

TGI Paris, ord., du 10 juill. 2006

10 juillet 2006

Vu les appels formés par l'Interprofession des vins du Val de Loire (Interloire), la société Alternative SA et le Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine (CNIV) de l'ordonnance de référé rendue le 10 juillet 2006 par le président du Tribunal de grande instance de Paris qui a:

- reçu le Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine (CNIV) en son intervention;

- dit que la société Excelsior Publications sera garantie par la société Interprofession des vins du Val de Loire (Interloire) des condamnations prononcées contre elle;

- constaté l'illicéité du visuel publié dans le mensuel Science et Vie pour la promotion du Cabernet d'Anjou et le trouble manifestement illicite qui en résulte;

- fait interdiction à la société Interprofession des viens du Val de Loire (Interloire) de poursuivre son utilisation pour la promotion de ces vins, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée dont il s'est réservé la liquidation;

- dit n'y avoir lieu à référé sur la licéité de l'affiche assurant la promotion des vins rouges du Val de Loire;

- condamné la société Interprofession des vins du Val de Loire (Interloire), la société Alternative SA et la société Excelsior Publications à payer à l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières conclusions du 11 janvier 2007 par lesquelles l'Interprofession des vins du Val de Loire (Interloire) et la société Alternative SA demandent à la cour de:

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé, s'agissant de la publicité portant sur le slogan "Enfin les jeunes qui ont du goût ";

- infirmer la décision sur le surplus et,

* constater que la publicité réalisée par la société Alternative en faveur du Cabernet d'Anjou "Qui ose dire que jeunesse ne rime pas avec délicatesse? "Ne constitue pas un trouble manifestement illicite;

* à titre subsidiaire, dire et juger que la publicité portant le slogan "Enfin les jeunes qui ont du goût" ne constitue pas un trouble manifestement illicite

* dire en conséquence n'y avoir lieu à référé;

- condamner l'ANPAA à supporter les dépens de première instance et d'appel et à payer à Interloire et à la société Alternative chacune la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières conclusions du Comité national des interprofessions des vins d'appellation d'origine (CNIV), en date du 19 décembre 2006 tendant à voir:

- réformer l'ordonnance uniquement en ce qu'elle constaté l'illicéité du visuel publié dans le mensuel Science et Vie pour la promotion du Cabernet d'Anjou;

- dire et juger que la référence à la "jeunesse" des vins est parfaitement licite et l'usage de ce terme dans l'action de communication et de promotions des vins du Val de Loire initiée par Interloire ne sauraient être interdits;

- confirmer l'ordonnance pour le surplus;

- débouter l'ANPAA de ses demandes et la condamner aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Vu les dernières conclusions du 6 décembre 2006 par lesquelles l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) poursuit:

- la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a constaté l'illicéité du visuel publié dans le mensuel Science et Vie pour la promotion du Cabernet d'Anjou et le trouble manifestement illicite qui en résulte ;

- l'infirmation de la décision en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la licéité de l'affiche assurant la promotion des vins rouges du Val de Loire;

et demande à la cour de:

* faire interdiction à l'Interprofession des vins du Val de Loire (Interloire), la société Alternative et à la société Excelsior Publications de diffuser la publicité portant le slogan "Enfin des jeunes qui ont du goût";

* interdire aux parties la diffusion de toute nouvelle publicité identique dans tout support publicitaire ou sur tout site internet;

* interdire aux parties l'utilisation, la diffusion par tout moyen quel qu'il soit des publicités litigieuses, dans tout support à compter du prononcé de l'ordonnance, sous, astreinte de 5 000 euro par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir;

* condamner solidairement la société Interprofession des vins du Val de Loire (Interloire), la société Alternative SA et la société Excelsior Publications à lui payer 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter tous les dépens comprenant le coût du constat d'huissier à hauteur de 319,28 euro;

Vu les dernières conclusions de la société Excelsior Publications du 15 janvier 2007 qui demande à la cour de:

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la licéité de l'affiche assurant la promotion des vins rouges du Val de Loire;

- infirmer la décision en ce qu'elle a constaté l'illicéité du visuel publié dans le mensuel Science et Vie pour la promotion du Cabernet d'Anjou et le trouble manifestement illicite en résultant

en conséquence :

* dire n'y avoir lieu à référé

Subsidiairement :

* confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit que la société Interprofession des vins du Val de Loire (Interloire), en sa qualité d'annonceur devra garantir la société Excelsior Publications de toute condamnation prononcée à son encontre;

- en tout état de cause, condamner l'ANPAA à lui payer 2 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens;

LA COUR

Considérant qu'il résulte des écritures des parties et des pièces versées aux débats que la société Interloire, organisme privé d'intérêt public chargé de défendre et développer les appellations d'origine contrôlée d'Anjou, du Saumurois et de la Touraine, a fait réaliser par l'agence de publicité Alternative:

- une affiche comportant la photographie d'une carafe de vin sur fond gris, mentionnant huit appellations Val de Loire et le slogan : "Enfin des jeunes qui ont du goût!", dont la diffusion a été assurée par voie d'affichage au début de l'année 2005

- une publicité pour le cabernet d'Anjou, diffusée par voie de presse et d'affichage à partir de l'année 2004, comportant la photographie de deux verres inclinés emplis de vin rosé sur fond gris avec l'accroche "Cabernet d'Anjou. Qui ose dire que jeunesse ne rime pas avec délicatesse?" et la mention : "Cabernet d'Anjou A.O.C. Voilà des jeunes qui n'ont pas peur d'exprimer leur délicatesse. Grâce à leur terroir ils font apprécier, dès leur plus jeune âge et sans complexe, la finesse de leur bouquet et leur fraîcheur aromatique. www.vins valdeloire.fr";

Que, sur ces deux annonces figurent la mention "Vins du Val de Loire. Le terroir où le talent n'attend pas" et le message "L'ABUS D'ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. A CONSOMMER AVEC MODÉRATION" ;

Qu'estimant que de telles publicités sont illicites au regard de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la publicité pour les boissons alcooliques, l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie, ci-après l'ANPAA, a saisi le juge des référés, suivant assignation du 21 juin 2006, afin de voir prononcer leur interdiction;

Que par l'ordonnance déférée à la cour, le premier juge a dit n'y avoir lieu à référé sur la publicité relative aux vins rouges du Val de Loire dont la campagne d'affichage avait pris fin, au motif que l'actualité du trouble allégué n'était pas démontrée et le risque de son renouvellement non justifié; qu'il a, en revanche, interdit l'utilisation du visuel concernant la cabernet d'Anjou estimant que, par le choix des couleurs et de l'image de deux verres proches de trinquer, il ne se limitait pas à une présentation du vin mais utilisait "le ressort du boire" et que, par l'utilisation du slogan "Cabernet d'Anjou. Qui ose dire que jeunesse ne rime pas avec délicatesse?", volontairement ambigu en ce qu'il décrit un mode de vente et de consommation ainsi que les caractéristiques gustatives des vins d'Anjou en même temps que les qualités d'un consommateur auquel le lecteur est appelé à s'identifier, ce visuel excède manifestement les limites fixées par le législateur pour la publicité de l'alcool ; qu'il a considéré, en revanche, que la formule "L'ABUS D'ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ. A CONSOMMER AVEC MODÉRATION" était d'un usage constant ce qui privait le trouble illicite allégué de son caractère manifeste;

Considérant qu'il n'est pas contesté que l'affiche assurant la promotion des Vins du Val de Loire n'est plus utilisée; que dès lors, le trouble allégué par l'ANPAA n'étant plus d'actualité et aucun élément du dossier ne laissant craindre l'imminence d'une nouvelle diffusion génératrice d'un dommage qu'il faudrait prévenir, il y a lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner le caractère licite ou non d'une telle publicité, de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit que son interdiction pour l'avenir ne relevait pas des pouvoirs du juge des référés et de débouter l'ANPAA des demandes formées à ce titre;

Considérant que, selon l'article L. 3323-4 du Code de la santé publique, la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l'indication du degré volumique d'alcool, de l'origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l'adresse du fabricant, des agents et dépositaires, ainsi que du mode d'élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit; qu'elle peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d'origine (...) ainsi que des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit;

Considérant qu'il n'est pas objectivement manifeste que la publicité litigieuse contrevienne à ces dispositions alors qu'elle ne contient aucune mise en scène extérieure au produit en cause, la représentation du vin ne pouvant se faire autrement qu'au travers d'une bouteille ou de verres remplis et les couleurs choisies en rapport avec celle du vin n impliquant pas, de prime abord, une référence à la convivialité incitant à la boisson;

Que le point de savoir si le positionnement de deux verres à pied qui s'entrechoquent évoque le geste de trinquer et appelle à la consommation suppose de porter une interprétation subjective de l'image à laquelle le juge des référés n'a pas le pouvoir de se livrer, le caractère illicite du trouble allégué devant apparaître à la seule perception de la publicité et non par suite d'appréciations personnelles prêtant à discussion;

Qu'il ne saurait non plus, sans appréhender la publicité litigieuse au delà de son apparence, considérer que le slogan "Cabernet d'Anjou. Qui ose dire que jeunesse ne rime pas avec délicatesse?" est illicite en ce qu'il décrit à la fois les caractéristiques du produit et les qualités d'un consommateur auquel le lecteur est appelé à s'identifier; que l'emploi d'une telle formule pour souligner la spécificité de ce vin de Loire, consommable dès son plus jeune âge par opposition aux vins de garde qui doivent vieillir pour atteindre leur meilleure qualité, et l'utilisation du terme "jeune" conforme à l'originalité du cabernet d'Anjou, n'étant pas a priori inadaptés à la promotion de ce produit, la volonté d'employer cette formule dans le but d'inciter le jeune public à la consommation n'est pas flagrante ; que les mots "jeunesse" et "délicatesse" pouvant s'appliquer objectivement aux qualités gustatives du produit, il n'est pas évident que l'utilisation de ces termes pour promouvoir ce vin excède les limites de la publicité autorisée par la loi;

Que, dès lors, le trouble dont se plaint l'ANPAA ne revêtant pas un caractère manifestement illicite, il y a lieu de réformer l'ordonnance en ce qu'elle a interdit à la société Interprofession des vins du Val de Loire (Interloire) de poursuivre l'utilisation du visuel publié dans le magazine Science et Vie pour la promotion du cabernet Anjou et statuant à nouveau de ce chef, de débouter l'ANPAA de sa demande;

Que s'agissant du message sanitaire dont il est reproché aux appelants d'avoir réduit la portée en ajoutant la mention a consommer avec modération", c'est à juste titre que le premier juge a relevé que le caractère illicite du trouble allégué à cet égard n'était pas manifeste tant que cette formule, couramment employée et recommandée par le Bureau de Vérification de la Publicité, n'aura pas été jugée illicite par la juridiction du fond, seule apte à décider si cet ajout a pour effet de limiter l'impact de l'avertissement sanitaire prévu par le législateur ;

Considérant que l'ANPAA qui échoue en ses prétentions doit être condamnée aux dépens de première instance sur lesquels il n'a pas été statué, ainsi qu'aux dépens d'appel ; que dès lors, l'ordonnance sera réformée en ce qu'elle a condamné la société Interprofession des vins du Val de Loire (Interloire), la société Alternative SA et la société Excelsior Publications à payer à l'ANPAA la somme de 4 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Que pour des motifs tirés de l'équité, il n'y a pas lieu de faire application de ce texte en cause d'appel;

Par ces motifs, Confirme l'ordonnance sauf en ce qu'elle a fait interdiction, sous astreinte, à la société Interprofession des vins du Val de Loire (Interloire) de poursuivre l'utilisation du visuel publié dans le mensuel Science et Vie pour la promotion du Cabernet d'Anjou et a alloué à L'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) une indemnité de procédure; Statuant à nouveau de ces chefs; Déboute L'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) de ses demandes; Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à condamnation en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Condamne L'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.