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Décisions

Cass. crim., 10 octobre 2006, n° 06-80.170

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Cotte

Rapporteur :

Mme Ract-Madoux

Avocat général :

M. Davenas

Avocats :

SCP Parmentier, Didier

Dijon, du 17 nov. 2005

17 novembre 2005

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : l'Institut national des appellations d'origine (INAO), partie civile, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 17 novembre 2005, qui, dans la procédure suivie contre Dominique X des chefs, notamment, de falsifications et tenue irrégulière de registre, André Y du chef de complicité de la première de ces infractions, et Gilbert Z des chefs de faux et usage de faux, a prononcé sur les intérêts civils ; - Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 641-19 et L. 671-4 du Code rural, 388, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué n'a pas statué sur le délit de tenue irrégulière et incomplète du registre comportant les entrées et les sorties de vins d'appellation contrôlée de l'EURL Manoir de la Bressandière reproché à Dominique X par l'ordonnance de renvoi du 10 septembre 2004 et, en conséquence, n'a pas statué sur les demandes formées par l'INAO de ce chef ;

"alors que le juge répressif doit statuer sur tous les faits visés dans l'ordonnance de renvoi qui l'a saisi ; qu'aux termes de l'ordonnance de renvoi du 10 septembre 2004, Dominique X était prévenu, notamment, du chef de tenue irrégulière et incomplète du registre comportant les entrées et les sorties de vins d'appellation contrôlée de l'EURL Manoir de la Bressandière, délit prévu et réprimé par les articles L. 641-19 et L. 671-4 du Code rural ; qu'en ne statuant pas sur cette infraction expressément visée dans l'ordonnance de renvoi et en ne statuant pas ainsi sur les demandes formées par l'INAO de ce chef, la cour d'appel a méconnu l'étendue de sa saisine et violé les textes susvisés" ;

Vu l'article 388 du Code de procédure pénale ;

Attendu que les juridictions correctionnelles doivent statuer sur l'ensemble des faits dont elles sont saisies par l'ordonnance de renvoi ;

Attendu que Dominique X, gérant de la société Manoir de la Bressandière, qui met en bouteilles et commercialise des vins de Bourgogne, a notamment été poursuivi pour ne pas avoir tenu, de façon régulière et complète, le registre comportant les entrées et les sorties de vins d'appellation contrôlée, délit prévu et réprimé par les articles L. 641-19 et L. 671-4 du Code rural ;

Attendu qu'après avoir annulé les dispositions pénales du jugement relatives à Dominique X, lesquelles l'avaient condamné de ce chef, la cour d'appel a omis de se prononcer sur cette infraction ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans statuer sur les faits reprochés au prévenu et visés dans l'ordonnance de renvoi, la cour d'appel a méconnu l'étendue de sa saisine ; d'où il suit que la cassation est encourue ;

Et sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-3, L. 214-2, L. 214-3 du Code de la consommation, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé Dominique X et André Y du chef de falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme et de complicité de ce délit ;

"aux motifs que le délit de falsification de denrées servant à l'alimentation de l'homme, prévu et réprimé par l'article L. 213-3 du Code de la consommation codifiant l'article 3 de la loi du 1er août 1905, implique le recours à une manipulation ou à un traitement, illicite ou non conforme à la réglementation en vigueur, de nature à altérer la composition physique ou la substance de la denrée ; que la prévention de falsification vise Dominique X, en tant qu'auteur principal, et André Y, comme complice, de ventes de vins, résultant d'assemblages de vins d'appellation contrôlée, commercialisées sous une appellation inappropriée ; qu'au temps des poursuites, les assemblages autorisés de vins étaient définis par le règlement communautaire n° 2202-89 du 20 juillet 1989, norme supérieure à la loi, d'application directe en droit interne ; qu'aucun décret en Conseil d'Etat, nécessaire à l'incrimination des manquements audit règlement, n'a été publié ; qu'au temps des poursuites, l'assemblage des vins n'était pas ainsi pénalement punissable en France, au titre de la falsification ; qu'il ne le devint que le 15 juin 2001, le décret en Conseil d'Etat du 12 juin 2001, dans son article 1er, permettant l'incrimination, en droit interne, du règlement n° 1493-1999 du 17 mai 1999 substitué au règlement du 20 juillet 1989 ; qu'il s'ensuit que Dominique X et André Y doivent être relaxés de ce chef de prévention ;

"alors que les règlements communautaires sont directement applicables dans tout Etat membre ; que l'arrêt énonce que les assemblages autorisés de vins sont définis par le règlement communautaire n° 2202-89 du 20 juillet 1989, pris pour l'application du règlement communautaire n° 822-87 du 16 mars 1987 modifié portant organisation commune du marché vitivinicole, alors applicable dans tous les Etats membres ; qu'en retenant que les assemblages poursuivis n'étaient pas pénalement punissables en France au titre de la falsification, cependant que le règlement n° 2202-89, entré en vigueur avant la commission des faits poursuivis et directement applicable sans mesure portant réception en droit interne, caractérisait, dès le temps des poursuites, la fabrication, la mise en vente et la vente de produits non conformes à la réglementation en vigueur au sens de l'article L. 213-3 2 du Code de la consommation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"alors, en tout état de cause, que les arrêtés ou règlements légalement pris par l'autorité compétente revêtent un caractère de permanence qui les fait survivre aux lois dont ils procèdent, tant qu'ils n'ont pas été rapportés ou qu'ils ne sont pas devenus inconciliables avec les règles fixées par une législation nouvelle ; qu'en vertu du décret en Conseil d'Etat n° 72-309 du 21 avril 1972, les règlements communautaires pris pour l'application du règlement communautaire n° 816-70 du 28 avril 1970 portant organisation commune du marché vitivinicole constituent des mesures d'application de la loi du 1er août 1905 ; que le règlement n° 816-70 a été repris successivement par les règlements n° 337-79 du 5 février 1979 et n° 822-87 du 16 mars 1987 portant organisation commune du marché vitivinicole, et a été codifié par les règlements n° 1493-99 du 17 mai 1999 et n° 1622-00 du 24 juillet 2000 instituant un Code communautaire des pratiques et traitements œnologiques ; que l'article 34 du règlement n° 1622-00 définit le coupage dans des termes identiques à ceux de l'article 2 du règlement n° 2202-89 du 20 juillet 1989, pris en application de l'article 16 du règlement n° 822-87, mesure d'application de la loi du 1er août 1905 ; qu'en retenant ainsi que les assemblages poursuivis n'étaient pas pénalement punissables en France au temps des poursuites, cependant que le décret en Conseil d'Etat du 21 avril 1972 demeurait applicable au règlement n° 2202-89 du 20 juillet 1989 et autorisait la poursuite des infractions constatées, la cour d'appel a violé les textes susvisés" ; - Vu les articles L. 213-1, L. 213-3, L. 214-1 et L. 214-3 du Code de la consommation et 593 du Code de procédure pénale ;

Attendu que la falsification d'un produit est constituée par le recours à une manipulation ou à un traitement illicite ou non conforme à la réglementation en vigueur, de nature à en altérer la substance ;

Attendu que le règlement (CEE) n° 2202-89 de la Commission, du 20 juillet 1989, pris pour l'application du règlement (CEE) n° 822-87 du Conseil, du 16 mars 1987, mesure d'application de la loi du 1er août 1905, en vigueur à l'époque des faits, interdisant le coupage des vins d'appellation contrôlée et de vins de table, constitue l'une des mesures d'exécution prévues par les articles L. 214-1 et L. 214-3 du Code de la consommation ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Dominique X a été renvoyé devant le tribunal correctionnel, du chef, notamment, de falsifications de denrées alimentaires, pour avoir, entre le 12 décembre 1997 et le 12 décembre 2000, exposé, mis en vente ou vendu des vins de "bourgogne pinot", "bourgogne grand ordinaire", "bourgogne pinot noir vieux" et enfin "bourgogne" coupés avec du vin de table ; qu'André Y a été poursuivi en qualité de complice de ce délit ;

Attendu que, pour relaxer les prévenus, l'arrêt énonce qu'à l'époque des faits, aucun décret en Conseil d'Etat nécessaire à l'incrimination des manquements au règlement (CEE) n° 2202-89 de la Commission, du 20 juillet 1989, n'ayant été publié, l'assemblage des vins n'était pas punissable en France ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors qu'à la date des faits, les coupages incriminés, qualifiés à tort d'assemblages par les juges, étaient interdits par les règlements communautaires précités, directement applicables sans mesure portant réception en droit interne, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; d'où il suit que la cassation est à nouveau encourue ;

Et sur le moyen de cassation relevé d'office, pris de la violation de l'article 515 du Code de procédure pénale ; - Vu ledit article ;

Attendu que, selon ce texte, la cour ne peut, sur le seul appel de la partie civile, aggraver le sort de celle-ci ;

Attendu que, saisie du seul appel par la partie civile du jugement ayant déclaré Gilbert Z coupable de faux et usage de faux et l'ayant condamné à verser à l'INAO la somme d'un euro à titre de dommages-intérêts, les juges du second degré, après avoir énoncé que la condamnation pénale définitive était sans lien avec le préjudice invoqué par la partie civile, ont débouté celle-ci de ses demandes ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée du texte susvisé ; d'où il suit que la cassation est derechef encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il soit besoin d'examiner le troisième moyen de cassation proposé ; Casse et annule l'arrêt de la Cour d'appel de Dijon, en date du 17 novembre 2005, en ses seules dispositions civiles relatives aux demandes de l'INAO à l'encontre de Dominique X, André Y et Gilbert Z, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans la limite de la cassation ainsi prononcée, Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Reims, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du Code de procédure pénale ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Dijon, sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.