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Décisions

CA Rennes, 3e ch. corr., 21 décembre 2006, n° 06-00227

RENNES

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thierry

Conseillers :

Mmes Letourneur-Baffert, Lesvignes

Avocats :

Mes Rolland, Cavaillon

CA Rennes n° 06-00227

21 décembre 2006

Rappel de la procédure :

Le jugement :

Le Tribunal correctionnel de Vannes, par jugement contradictoire en date du 28 juillet 2005,

pour :

Faux : altération frauduleuse de la vérité dans un écrit, NATINF 000069

a condamné la société X à 15 000 euro d'amende avec sursis,

pour :

Faux : altération frauduleuse de la vérité dans un écrit, NATINF 000069

a condamné la SNC Z à 75 000 euro d'amende.

Pour :

Complicité de faux : altération frauduleuse de la vérité dans un écrit, NATINF 000069

a condamné la SNC Y à 35 000 euro d'amende,

Les appels :

Appel a été interjeté par:

La X, le 29 juillet 2005, à titre principal, sur les dispositions pénales,

La société en nom collectif Y, le 1er août 2005, à titre principal, sur les dispositions pénales,

La société en nom collectif Z, le 1er août 2005, à titre principal, sur les dispositions pénales,

M. le Procureur de la République, le 1er août 2005, à titre incident, sur les dispositions pénales, contre la société en nom collectif Z, la société X et la société en nom collectif Y.

La prévention:

Considérant qu'il est fait grief à la société X :

- d'avoir à Theix et sur le territoire national, courant 2002 et 2003, altéré frauduleusement la vérité, dans des écrits ayant pour objet ou pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques, en l'espèce en établissant des factures relatives à la [vente], de légumes verts, maïs et légumes secs faisant apparaître un prix unitaire majoré ne reflétant pas l'accord des parties et le prix d'achat réel des produits,

infraction prévue et réprimée par les articles 441-1, 441-12, 121-2 du Code pénal;

Considérant qu'il est fait grief à la SNC Y prise en la personne de son représentant légal :

- de s'être à Paris (75) et Theix (56), en tout cas sur le territoire national courant 2002 et notamment entre le 24 décembre 2001, les 20 et 31 janvier 2002 et le 26 septembre 2002, rendu complice des délits de faux en écriture émis courant 2002 et 2003 par la société X et ce par fourniture d'instruction en l'espèce en fournissant à la société X les prix unitaires majorés devant apparaitre dans les factures établies par celle-ci et relatives à l'achat de légumes verts et maïs et légumes secs;

infraction prévue et réprimée par les articles 121-2, 121-6, 121-7, 441-1, 441-12 du Code pénal;

Considérant qu'il est fait grief à la SNC Z, prise en la personne de son représentant légal :

- d'avoir à Paris (75) et sur le territoire national, courant 2002 et 2003 altéré frauduleusement la vérité dans des écrits ayant pour objet ou pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques en l'espèce en établissant postérieurement aux contrats signés "prix nets (HT), départ ou franco", y compris sur les volumes, des factures non causées et contenant des mentions contraires à la vérité, car relatives à la rémunération de prestations de services spécifiques inexistantes, et ayant pour unique objet le reversement de la majoration des prix facturés par la société X à la SNC Y;

infraction prévue et réprimée par les articles 441-1, 441-12, 121-2 du Code pénal.

Motifs :

Les appels sont réguliers et recevables en la forme.

La cour se réfère pour l'exposé des faits et de la procédure aux motifs du jugement qui en font une analyse exacte.

La société X, appelante, conclut à la réformation du jugement et sollicite sa relaxe.

La société Z et la société Y, concluent pareillement à la réformation du jugement et soutiennent que les infractions poursuivies au visa des articles L. 441-1, L. 441-12 et L. 121-2 du Code pénal, ne sont pas constituées.

Elles soutiennent que la spécificité de la sanction des fausses prestations de service de coopération commerciale, dérogatoire au droit commun, relève de la seule compétence du juge civil de sorte que seul le tribunal de commerce est compétent pour se prononcer sur le fait de savoir si les prestations de service sont ou non conformes à l'article 442-6 du Code de commerce, que les prestations de service rendues par la société Y à la société X sont réelles et s'inscrivent normalement dans la négociation commerciale, et enfin que le choix du mode de prise en charge et de facturation des coûts de fonctionnement de la centrale d'achat (coopération commerciale ou augmentation du prix de revente aux points de vente) n'a aucune incidence sur le prix de vente aux consommateurs et n'a donc aucun effet inflationniste.

La société X, filiale du groupe A, fournit et vend (depuis 2001) à la SNC Y, centrale d'achats du groupe B, des produits sous "marque de distributeur" (MDD), à la marque "[marque 1]", "[marque 3]" et "[marque 2]"

La société Y, centrale d'achats ou filière du groupement B, dont le capital est détenu à 90 % par la société Z, exerce au travers de bases régionales, une activité de grossiste à l'égard d'un réseau d'environ 2000 commerçants indépendants exerçant sous les enseignes "B", "C" et "D".

La société Z est chargée de définir la politique commerciale de sa filiale, de fixer les objectifs de parts de marché et de chiffres d'affaires et de facturer pour le compte de sa filiale, la société Y, les prestations de coopération commerciale et de percevoir les ristournes et les rémunérations de ces prestations sous déduction de sa rémunération (soit 1 % de la facturation).

Pour les campagnes légumières 2001/2002 et 2002/2003, la société Y a lancé, par l'intermédiaire de la centrale européenne de référencement du groupement B, la société E, des appels d'offres aux fournisseurs sélectionnés parmi lesquels, la société X.

Après réception des offres et mise en relation des parties par la société E, la société X et la société Y ont négocié directement les prix et les volumes, étant rappelé que la société E n'intervient pas dans ces discussions, qui se déroulent entre le fournisseur et la société Y et que la finalisation des négociations sur le prix des produits et sur les volumes, marque la fin des prestations de "mise en relation" de la société E, qui perçoit pour sa fonction d'intermédiaire, des honoraires équivalents à 2 % du montant des achats hors taxes et hors frais, qui sont facturés au fournisseur X.

Il revient ainsi à chaque centrale d'achat, en l'espèce, à la société Y, de conclure les contrats d'achat directement avec son fournisseur, la société X.

Le cadre conventionnel liant la société X et la société Y, repose sur une "lettre de confirmation de commande" qui est adressée par la société Y à la société X, et dont l'objet est de confirmer, pour chaque référence d'article et par marque, le "prix de facturation départ" et les volumes y afférents.

Dans ces lettres, établies sur le même modèle pour les campagnes 2001/2002 et 2002/2003, la société Y a demandé à la société X de facturer ses produits à un prix tarif/départ/euro/HT supérieur au prix de soumission et expressément subordonné la confirmation de chacune de ses commandes à l'acceptation par la société X "sans aucune modification de sa (votre) part ", des clauses et documents suivants:

- l'Accord de coopération [marque 1], emportant souscription par la société X à un contrat de fourniture de services et paiement par celle-ci de rémunérations à la filière à hauteur de 10 % du chiffre d'affaires réalisé sur les produits à la [marque 1],

- de l'Accord E stipulant à la charge du fournisseur X, le versement à hauteur de 2%, de la rémunération de la société E.

- de l'Accord E stipulant à la charge du fournisseur X, le versement à hauteur de 2 %, de la rémunération de la société E.

Outre ces conditions, les lettres de confirmation de commandes prévoient à la charge du fournisseur X, une ristourne de "diffusion de marque de 5 %", payable le mois suivant, sur la base du chiffre d'affaires réalisé au cours du mois de livraison étant précisé :

- que cette ristourne "différée" est mentionnée sur la facture X pour "mémoire",

- que cette ristourne rémunère la "présence durant toute l'année sur les cadenciers B et C des marques "[marque 1]" et "[marque 2]".

L'enquête et les investigations menées par la DDCCRF visent à démontrer, d'une part, que l'application combinée dans les contrats de commande des deux campagnes 2001/2002 et 2002/2003, de la "ristourne différée" de 5 % et des clauses de l'accord de coopération [marque 1], mettant à la charge du fournisseur X, la rémunération de prestations de coopération commerciales n'a d'autre but que de permettre à la société Y de récupérer auprès de la société X, le montant de la "survaleur" facturée par celle-ci par rapport au prix trois fois net finalisé et négocié et d'assurer ainsi le reversement des sommes générées par cette survaleur à la société Z, chargée de percevoir pour le compte de sa filiale, le montant de ces ristournes et rémunérations, et, d'autre part, que ces rémunérations "additives" notifiées par la société Y, postérieurement à la finalisation des négociations sur les prix et les volumes, ne correspondent à aucun avantage ni prestation réels et ne constituent en réalité, qu'une "opération d'habillage du prix de facturation" permettant à celle-ci de se constituer des marges "arrières", qui sont payées par le fournisseur X sous la forme de ristourne différée et d'achat de prestations, non portés sur les factures.

- pour les produits [marque 1], une majoration de 15 % par rapport à son prix de soumission, qui est compensée à hauteur de 5 %, par l'octroi à la société Y de la ristourne différée de "diffusion de marque" facturée par avoir séparé, et à hauteur de 10 % du chiffre d'affaires réalisé, par le paiement par la société X, des rémunérations additives de prestations de service prévues dans l'accord [marque 1].

- pour les produits "[marque 2]", "Top Budget" ou "[marque 4]", une majoration de 5 % par rapport à son prix de soumission, qui est compensée par la clause de ristourne différée de "diffusion de marque", laquelle est appliquée et calculée sur le chiffre d'affaires facturé sans aucune distinction de marque.

Il importe donc de déterminer si le prix de vente facturé par X, correspond à la réalité du prix d'achat des produits et notamment, si les rémunérations additives notifiées par la société Y à la société X et incluses dans le prix facturé, correspondent à la fourniture réelle d'avantages et de prestations ou si, au contraire, elles ne constituent qu'une opération d'habillage du prix de la facturation.

Sur l'applicabilité des articles 441-1 et suivants du Code pénal

L’institution par la loi 2001-420 du 15 mai 2001, d’un régime spécifique de sanctions civiles pour réprimer la coopération commerciale fictive ou abusive, dérogatoire au droit commun, n’exclut pas que les faits puissent faire l’objet de poursuites pénales conformément aux règles du droit commun, lorsqu’ils tombent sous le coup d’une qualification pénale sanctionnée soit par le Code pénal, soit par les lois pénales annexes.

Le juge pénal, qui a plénitude de juridiction et l’obligation, subséquemment, de statuer sur toutes les questions dont dépend l’application de la loi pénale, a donc compétence pour apprécier dans le cadre de sa saisine, la réalité des prix d’achat facturés et la consistance et conformité des prestations et rémunérations des services de coopération commerciale ayant donné lieu à l’établissement des factures considérées comme litigieuses et servant de fondement à l’articulation des poursuites au visa des articles 441-1 et suivants du Code pénal.

Le moyen tiré de l'inapplicabilité des dispositions de l'article 441-1 du Code pénal est donc radicalement inopérant.

Sur la réalité du prix d'achat négocié et finalisé et la réalité du prix d'achat facturé

Il est constant que la société Y a demandé, par l'intermédiaire de la société E, chargée de lancer auprès des fournisseurs sélectionnés des appels d'offres et de formuler dans le détail, les besoins de chaque centrale d'achat, à la société X de répondre et de s'engager sur un prix "net hors taxes départ ou franco" ainsi qu'en attestent les documents des appels d'offres qu'elle lui a adressés pour les campagnes 2001/2002 et 2002/2003 et sur lesquels celle-ci a formulé ses prix (cotes 3, 4, 5 et 6)

Il est tout autant avéré que le prix de soumission formulé par la société X sur ces mêmes documents (cotes 7, 8, 9 et 10), est un "prix trois fois net" c'est-à-dire, net de ristourne, net de remise et net de coopération commerciale.

Il suffit pour s'en convaincre de lire par comparaison, les lettres de confirmation de commandes (cotes 11, 12, 13 et 14), établies à réception de ces offres par la société Y et adressées à la société X, lesquelles font référence pour chaque catégorie d'article et de marque, à un prix de facturation "tarif/départ/euro/HT" supérieur au prix de soumission et incluant, ainsi que le reconnaît la société Y dans ses écritures, la rémunération des "...conditions de ristournes et des services spécifiques de coopération commerciale..."

La "majoration" du prix de facturation par la société X ressort clairement, ainsi que l'ont relevé la DDCCRF et le tribunal, de la lecture comparée des soumissions de la société X (cotes 7, 8, 9 et 10) et des lettres de confirmation de commandes adressées ultérieurement par la société Y (cotes 11, 12, 13, et 14).

Ce mécanisme a d'ailleurs été clairement explicité par M. Marc W, directeur de la division GMS-MDD de la société X, lequel, s'il n'a pas qualité, au sens de l'article 121-2 du Code pénal, pour engager la responsabilité pénale de la société X, n'en demeure pas moins, du fait de sa fonction et de son rôle dans la négociation et la conclusion des contrats d'achats avec la société Y, un observateur privilégié ; il a expressément confirmé, à cet égard, que le prix de soumission de la société X, était un prix "trois fois net" (incluant cependant les 2 % de rémunération E) conformément au prix de marché de ces produits MDD et que le prix de facturation "prix tarif/départ/euro/HT" demandé par la société Y était majoré par rapport à ce prix "trois fois net finalisé", soit de 5 % (correspondant à 5,26 % du prix finalisé) pour les produits à la [marque 2] et [marque 4], soit de 15 % pour les produits à la [marque 1].

Enfin pour illustrer ces deux cas de figure, la DDCCRF a joint à son rapport, les copies de deux factures

- cote 21 : facturation des achats à un "prix trois fois net" lors d'opérations commerciales,

- cote 21 bis : facturation des achats à un "prix de facturation suivi" c'est-à-dire au prix de facturation habituel, lors d'opérations promotionnelles.

Il est donc amplement démontré que la société Y a subordonné la confirmation de ses commandes à la facturation par la société X d'un "tarif/départ/euro/HT" majoré par rapport au prix trois fois net négocié et finalisé, du montant des ristournes et/ou des rémunérations des services de coopération commerciale stipulées dans ses lettres de confirmation.

La DDCCRF, procédant par sondages, a d'ailleurs confirmé que les prix de facturation majorés à la demande de la société Y, avaient été effectivement mis en œuvre par la société X sur les factures de livraison correspondantes (cote 22) et a reconstitué, d'autre part, pour chaque campagne (cote 23), les tableaux comparatifs pour chaque catégorie d'article, du prix "trois fois net" soumissionné par la société X (tarif/départ/euro/HT) et du prix majoré facturé par la société X "tarif/départ/euro/HT"

Sur la réalité des avantages et prestations facturés :

Le fondement de la ristourne de "diffusion de marque" de 5 %:

La ristourne différée de 5 % calculée sur le chiffre d'affaires, toutes marques confondues, n'est pas portée en déduction du prix facturé et n'est mentionnée que pour mémoire sur la facture établie par X ; elle rémunère durant toute l'année, la présence sur les cadenciers B et C des marques [marque 1] et [marque 2].

Outre le peu d'intérêt que peut constituer pour X, la présence durant toute l'année sur les cadenciers qui ne sont que des listings de références des produits offerts à la vente, mis à la disposition du chef de rayon, de produits sous marque de distributeur, comme [marque 1] et [marque 2], qui appartiennent au groupe B, la mise en avant de ces produits ne procure, en tout état de cause, à X, dont la marque phare est "marque 6 ", aucun avantage particulier, étant observé au demeurant que la société X n'est pas le seul fournisseur de la [marque 1], et qu'elle ne pourrait, en tout état de cause, satisfaire à des commandes supplémentaires alors que les volumes sur lesquels elle s'engage, constituent des maxima.

L'avantage prétendu, stipulé dans la lettre de confirmation de commande et sa rémunération imposée corrélativement au fournisseur X, apparaissent donc dépourvus de fondement réel.

Cette analyse faite par la DDCCRF est d'ailleurs confortée par les modalités même d'application et de calcul de la ristourne.

Comme l'a justement relevé la DDCCRF, la ristourne de 5 %, nonobstant sa finalité annoncée, est calculée sur le chiffre d'affaires global facturé par la société X, sans aucune distinction de marques et s'applique, en conséquence, aussi bien sur le chiffre d'affaires réalisé avec les produits "[marque 4]" qui ne rentrent pas dans les prévisions de la clause de "diffusion de marque" que sur le chiffre d'affaires réalisé avec les produits [marque 1] et [marque 2].

Cette absence de distinction dans l'application de la clause et cette confusion-même dans l'esprit tant de l'acheteur que du fournisseur, sur le mode de calcul de la ristourne, qui est ainsi appliquée sans aucune distinction de marque sur tous les produits vendus par la société X, démontrent à suffire, que l'avantage prétendu de "diffusion des marques" [marque 1] et [marque 2], que la ristourne de 5 % est censée rémunérer, est inexistant et ne correspond à aucune réalité.

Le fondement et la consistance des prestations de coopération commerciale:

Les rémunérations additives de 10 % mises à la charge de la société X, par la souscription à l'accord de coopération [marque 1] stipulé dans les lettres de confirmation de commandes de la société Y, et facturées au nom et pour le compte de celle-ci par la société Y, ont pour but, selon les accords établis pour la campagne 2001/2002 et 2002/2003 et rédigés dans les mêmes termes, de rémunérer les avantages et services fournis par la filière Y, en matière de productivité (5 %), d'optimisation logistique (3 %) et de service qualité (2 %).

Or il est avéré, conformément à l'analyse faite par la DDCCRF, que les prestations définies sous les titres, optimisation des commandes des produits de la [marque 1], et centralisation des commandes, sont inhérentes au type même de structure et d'organisation du distributeur puisque la société Y, traite seule, en sa qualité de centrale d'achats et de grossiste avec le fournisseur et achète pour revendre à ses clients que sont les magasins indépendants adhérents au réseau.

Il en est de même de la prestation définie sous le titre "unicité de négociation et de décision" dès lors, que cette prestation découle naturellement de sa fonction et de son rôle de centrale d'achats et de grossiste à l'égard des points de vente, qui l'amènent à négocier et acheter seule, auprès des fournisseurs, les produits qui sont fabriqués suivant ses propres cahiers de charges et étiquetés sous les marques du groupement.

La fourniture de "la logistique de la commande à la livraison des points de vente", ne peut davantage constituer un service réel et spécifique, dès lors que les ventes conclues par la société Y sont faites au "prix départ" de sorte qu'il incombe à celle-ci, de prendre en charge les coûts financiers du transport et du stockage de la marchandise dans ses locaux ainsi que ceux induits par la revente et la livraison des produits dans les différents points de vente, qui sont ses propres clients.

Enfin "le service qualité", défini comme consistant à assurer "...un lien avec les points de vente.., et le cas échéant avec les clients pour les problèmes concernant la qualité prise dans sa conception la plus large, c'est-à-dire le bon produit au bon moment ne peut davantage représenter un avantage spécifique accordé au fournisseur, étant relevé au contraire, d'une part, que les frais induits par la mise en œuvre éventuelle d'une politique d'adéquation du produit au marché du groupement, ne peut relever que de la seule responsabilité de celui-ci, s'agissant de produits MDD dont les caractéristiques sont, en vertu de l'article L. 112-6 du Code de la consommation, définies par l'entreprise ou le groupement qui en assure la vente au détail et est propriétaire de la marque sous laquelle il est vendu, d'autre part, que la qualité marchande des produits et les normes auxquelles ils doivent satisfaire, sont fixées par le CTCPA (centre technique de la conservation des produits agricoles) ainsi que par le cahier des charges définissant les obligations et la responsabilité du fournisseur, et enfin, qu'en matière de sécurité des produits, le respect des prescriptions, incombe en vertu de l'article L. 212-1 du Code de la consommation, au seul responsable de la première mise sur le marché autrement dit la société Y.

Il apparaît donc manifeste, contrairement à la clause suivant laquelle "... ces avantages et services ont été retenus et valorisés par la société X..." que les avantages et services tels qu'ils sont énoncés dans les accords de coopération, n'ont été ni demandés par la société X ni rendus à son profit, et que le cadre juridique utilisé pour les définir, ne correspond à aucune réalité et ne constitue qu'un habillage comme le traduisent, d'ailleurs, les termes qui ont été utilisés pour en définir l'objet.

La discordance entre le contenu même des "accords de collaboration commerciale [marque 1]" devant bénéficier à la société X et la réalité, ressort en effet de la définition-même de leur objet ainsi libellé :

alors qu'en réalité, les achats qui sont effectués par la filière Y ne portent que sur des produits commercialisés sous ses propres marques et non sur celles de la société X.

Enfin, la base servant au calcul des rémunérations additionnelles des prestations de coopération commerciale, ne porte que sur le seul chiffre d'affaires réalisé avec la commercialisation des produits [marque 1] et non sur le chiffre d'affaire réalisé avec les autres produits "[marque 2]" et "[marque 4]", alors que ces produits, achetés dans les mêmes conditions, bénéficient logiquement comme les produits à la [marque 1], des mêmes prestations relatives à l'optimisation des commandes, la centralisation des paiements, l'unicité de négociation et décision, la logistique et le service qualité et qu'en réalité, la société X ne délivre qu'une seule facture par enlèvement de camion et que chaque enlèvement comprend habituellement les produits de trois marques.

La contradiction, inhérente au mécanisme mis en œuvre par la société Y, dans les stipulations de l'accord-cadre diffusé par Z, est donc manifeste et confirme bien qu'il ne s'agit que d'un habillage.

De telles incohérences et contradictions dans la définition tant de l'objet de l'accord-cadre que des prestations et dans les modalités de calcul des rémunérations, ne permettent pas, en conséquence, d'identifier les services spécifiques et avantages effectifs prétendument fournis par la filière, et propres à stimuler, à promouvoir ou à faciliter au bénéfice de la société X, la revente de ses produits par le distributeur, de sorte que les rémunérations qui y sont afférentes, ne sont justifiés par aucune obligation particulière exorbitante des relations commerciales habituelles et sont donc dépourvues de contrepartie réelle.

Il se déduit de ces contradictions et incohérences et ce, nonobstant la référence constante dans les accords, aux notions "d'avantages" et de "services spécifiques" et à l'emploi des formules telles que "....vont bien au delà des simples obligations d'achat/vente..." que les prestations et services définis en termes généraux et censés être fournis à la société X, sont fictifs et sans cause et que les versements de ristournes et les paiements de services correspondants, ne sont qu'un artifice destiné à assurer le reversement par le fournisseur, la société X des montants qu'elle a surfacturés à la demande de la société Y.

Ce mécanisme a été clairement exposé et précisé par M. Duole, qui a déclaré sans aucune ambiguïté, "... les majorations du prix facturé sont rendues sous deux formes à la société Y dans le cadre du contrat de commande et de l'accord de coopération [marque 1]:

- d'une part, sous la forme d'une ristourne, prévue dans le contrat de commande, de 5 % sur le chiffre d'affaire facturé, tous produits confondus;

- d'autre part, sous la forme de rémunérations de prestations de service prévue dans l'accord de coopération commercial [marque 1], à hauteur de 10 % sur le chiffre d'affaire réalisé sur la [marque 1]... payées sur présentation de factures établies par Z..."

Ces montants s'établissent ainsi :

Marché 2001/2002

- Ristourne de 5 % sur CA : 1 010 913 euro

- Rémunération de l'accord [marque 1] : 1 704 224 euro

Total : 2 715 137 euro

- Ristourne de 5 % sur CA : 817 222 euro

- Rémunération de l'accord [marque 1] : 1 374 116 euro

Total : 2 191 338 euro

Il se déduit de l'ensemble de ces éléments, qu'après reversement du montant de la ristourne de 5 % qu'elle facture en avoir à Z et dont elle effectue le règlement à échéance fixe, puis paiement des rémunérations prévues dans l'accord de coopération commerciale, qui lui sont facturées par la société Z, X "retrouve" le prix de vente net qui avait été initialement négocié et finalisé.

Il résulte, par conséquent, que le prix de vente mentionné sur les factures établies par la X, ne correspond pas à la réalité du prix du marché des produits, ni au prix négocié avec la société X, ni au prix payé effectivement par la société Y qui au final, après déduction des rémunérations additives de 5 et 10 % reversées par son fournisseur, acquitte le prix initialement finalisé.

- que les factures de livraison émises par la société X comportent une indication inexacte et fausse du prix réel de vente des produits ainsi que la mention fausse de l'octroi d'une ristourne de 5 %,

- que les factures d'avoirs, établies par la société X, pour justifier à postériori, les ristournes de "diffusion de marque" portées en mémoire sur ses factures de livraison et qu'elle est censée avoir accordées à son acheteur, sont tout autant dépourvues de fondement, et fictives, et ne correspondant à aucun avantage réel et effectif consenti à la société Y

- que les factures de rémunérations de services et prestations établies par la société Z au nom et pour le compte de sa filiale, pour justifier a postériori, le reversement par la société X, à hauteur de 10 %, du montant de la majoration des prix d'achat des produits "[marque 1]" sont tout autant dépourvues de fondement et fausses comme procédant d'un montage, destiné à masquer la réalité du prix d'achat des produits payé par la filière.

Il importe peu à cet égard, que le mécanisme ainsi mis en œuvre, ait été librement négocié et accepté de part et d'autre par les parties au cours de leur négociation, dès lors qu'il en résulte un préjudice et un trouble manifeste à l'ordre public économique, qui perturbe les règles du marché et du jeu de la concurrence, et qui crée un réel désavantage pour les adhérents du groupement qui, étant des commerçants indépendants, se trouvent dans l'obligation, s'ils veulent conserver leur marge habituelle de 30 % de vendre au consommateur à un prix supérieur à celui du marché par rapport à leurs concurrents, sinon de réduire leur marge pour s'aligner sur le prix du marché, alors qu'ils n'ont pas d' autre alternative, pour s'approvisionner au prix du marché en produits de la marque du groupement B, que d'acheter par l'intermédiaire de la centrale d'achat, société Y.

La majoration technique du prix de vente aux adhérents du groupement (ristourne de 5 % + rémunérations de 10 % sur les produits [marque 1]) nécessairement induite par le procédé de surfacturation/reversement ainsi mis en œuvre, a représenté pour le marché 2001/2002 un montant de 2 715 137 euro et pour le marché 2002/2003, un montant de 2 191 338 euro; sa répercussion vers tous les échelons situés en aval de la centrale d'achat, pèse nécessairement sur l'évolution générale des prix et donc sur le pouvoir d'achat des consommateurs.

Le moyen tiré du principe de la hiérarchie des normes et de la règle "spécialia generalibus derogant" sera donc déclaré inopérant.

Le mécanisme utilisé sciemment par les parties, pour masquer la réalité du prix d'achat des produits, suffit en lui-même à établir, l'élément intentionnel du délit à l'égard des sociétés Z et la société X ayant émis les factures sus rappelées.

Il en est de même à l'égard de la société Y, qui a adressé sciemment à la société X, les lettres de confirmation de commandes et fourni à celle-ci les documents de coopération commerciale et les instructions nécessaires à l'émission des fausses factures d'avoir et à la majoration des prix de facturation d'achat des produits.

Les faits articulés à la prévention caractérisent en conséquence, les délits de faux à l'égard de la SNC Z et de la société X et de complicité de faux à l'égard de la SNC Y, infractions commises pour leur compte par leurs représentants

Le jugement sera donc confirmé sur la qualification et la culpabilité.

Sur la peine, les éléments soumis à l'appréciation de la cour permettent de statuer autrement sur le montant des amendes, en considération de l'importance des majorations induites par le procédé et du rôle de chacun des acteurs

A l'égard de la société Y, qui a eu un rôle déterminant dans la mise en œuvre du mécanisme, il sera prononcé une amende de 100 000 euro.

Dispositif

Dispositif : LA COUR, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à l'égard de la société X, la société en nom collectif Y et la société en nom collectif Z, Reçoit les appels. Confirme le jugement sur la qualification et la culpabilité, Le reformant sur les peines et statuant à nouveau, Condamne la société X à une amende de 100 000 euro ; Condamne la société en nom collectif Y à une amende de 100 000 euro ; Condamne la société en nom collectif Z à une amende de 35 000 euro ; Le Président donne aux condamnés l'avis prévu à l'article 707-3 du Code de procédure pénale. La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euro dont est redevable le condamné, en vertu de l'article 800-1 du Code de procédure pénale et de l'article 1018 A du Code général des impôts.