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Décisions

CJCE, 6e ch., 9 décembre 2004, n° C-219/03

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission des Communautés européennes

Défendeur :

Royaume d'Espagne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Borg Barthet

Juges :

MM. Puissochet, von Bahr

Avocat général :

Mme Kokott

CJCE n° C-219/03

9 décembre 2004

LA COUR (sixième chambre),

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ce qui concerne la taxation des plus-values obtenues à partir du 1er janvier 1997 à la suite du transfert d'actions achetées avant le 31 décembre 1994, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 56 CE ainsi que des articles 36 et 40 correspondants de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l'"accord EEE"), en instaurant un régime fiscal qui est moins favorable aux actions cotées sur des marchés distincts des marchés réglementés espagnols qu'aux actions cotées sur ces derniers.

La législation nationale

2 Les plus-values réalisées lors de transferts d'actions par une personne résidant en Espagne sont soumises à l'impôt sur le revenu des personnes physiques (ci-après l'"IRPP"), régi par la loi n° 40-1998 du 9 décembre 1998 (BOE n° 295, du 10 décembre 1998, p. 40730).

3 La neuvième disposition transitoire de la loi n° 40-1998 en vigueur, concernant l'IRPP et d'autres dispositions fiscales, porte sur les gains patrimoniaux dérivés d'éléments acquis avant le 31 décembre 1994. Ladite loi prévoit que la base imposable de ces plus-values est réduite conformément aux règles 2 et 4 du paragraphe 2 de la huitième disposition transitoire de la loi n° 18-1991, du 6 juin 1991 (BOE du 7 juin 1991), relative à l'IRPP (ci-après la "huitième disposition transitoire").

4 La loi n° 40-1998 a abrogé la loi n° 18-1991 et la huitième disposition transitoire, à l'exception des règles 2 et 4 du paragraphe 2 de cette dernière disposition.

5 La règle 2 de la huitième disposition transitoire concerne l'estimation des plus-values obtenues sur des actifs transférés à partir du 1er janvier 1997. La règle 2, paragraphe 2, crée un mécanisme par lequel le montant de la plus-value imposable est réduit d'un certain pourcentage qui dépend du temps durant lequel l'assujetti a été en possession de l'actif. Le montant de la réduction est calculé en multipliant le nombre d'années écoulées entre la date d'acquisition de l'actif et le 31 décembre 1996 par un coefficient qui dépend du type d'actif. Lorsque les actifs sont des actions, cette règle fixe deux coefficients différents en fonction du marché sur lequel ces actions sont cotées.

6 La règle 2, paragraphe 2, sous c), régit les actions cotées sur des marchés réglementés espagnols. En vertu de cette règle, lorsque les actions sont cotées sur l'un des marchés secondaires de valeurs réglementés par la loi n° 24-1988 du 28 juillet 1988 sur le marché des valeurs, les plus-values imposables obtenues lors du transfert de ces actions sont réduites de 25 % par année de détention postérieure aux deux premières années. L'article 31 de la loi n° 24-1988 définit "les marchés secondaires de valeurs". Les autorités fiscales espagnoles interprètent cet article en ce sens qu'il ne s'applique qu'aux marchés établis en Espagne.

7 En revanche, dans le cas des actions cotées sur des marchés autres que les marchés réglementés espagnols, la règle 2, paragraphe 2, sous d), prévoit que les plus-values imposables obtenues lors du transfert de ces actions sont réduites de 14,28 % par année de détention postérieure aux deux premières années.

8 En outre, la règle 2, paragraphe 2, sous e), prévoit que les plus-values réalisées sur les actifs visés sous c) et sous d) qui, au 31 décembre 1996, étaient respectivement détenus depuis plus de cinq ou huit ans, ne sont pas taxées. En conséquence, les plus-values générées par des actions cotées sur un des marchés réglementés espagnols sont exonérées si ces actions étaient détenues depuis plus de cinq ans au 31 décembre 1996, c'est-à-dire si elles ont été acquises avant le 31 décembre 1991. Les autres actions doivent avoir été détenues par l'assujetti durant plus de huit ans au 31 décembre 1996, c'est-à-dire qu'elles doivent avoir été acquises avant le 31 décembre 1988, pour que les plus-values soient exonérées.

9 L'article 35, relatif aux "règles d'estimation spécifiques", de la loi n° 40-1998 disposait initialement:

"1. Lorsque la modification de la valeur du patrimoine provient:

a) de la cession à titre onéreux de titres admis à la négociation sur l'un des marchés secondaires officiels de valeurs [espagnols] [...], la plus-value ou moins-value réalisée correspond à la différence entre la valeur d'acquisition des titres et leur valeur de cession, elle-même déterminée par le cours desdits titres sur le marché où ils sont cotés à la date de la cession ou par le prix contractuel de cession, lorsque celui-ci est supérieur au cours".

10 La loi n° 46-2002 du 18 décembre 2002 (BOE n° 303, du 19 décembre 2002, p. 44 622), qui a procédé à une réforme partielle de l'IRPP, est entrée en vigueur le 1er janvier 2003.

11 L'article 17 de ladite loi, modifiant l'article 35 de la loi n° 40-1998, a pour but d'éliminer la distinction entre les marchés boursiers espagnols et ceux des autres États membres.

12 Le paragraphe 1, sous a), dudit article 35 tel que modifié dispose:

"1. Lorsque la modification de la valeur du patrimoine provient:

a) de la cession à titre onéreux de titres admis à la négociation sur l'un des marchés secondaires officiels de valeur définis dans la directive 93-22-CEE [...], la plus-value ou moins-value réalisée correspond à la différence entre la valeur d'acquisition des titres et leur valeur de cession, elle-même déterminée par le cours desdits titres sur le marché où ils sont cotés à la date de la cession ou par le prix contractuel de cession, lorsque celui-ci est supérieur au cours."

13 La disposition abrogatoire unique de la loi n° 46-2002 prévoit:

"1. À l'entrée en vigueur de la présente loi sont abrogées toutes les dispositions incompatibles avec ses stipulations, en particulier les dispositions suivantes:

[...]"

14 La règle 2 de la huitième disposition transitoire ne figure pas dans la liste des dispositions explicitement abrogées.

La procédure précontentieuse

15 Considérant que certaines dispositions de la législation espagnole concernant la taxation de plus-values liées au transfert d'actions achetées avant le 31 décembre 1994 étaient incompatibles avec la législation communautaire, la Commission a adressé, le 23 avril 2001, une lettre de mise en demeure aux autorités espagnoles.

16 La Commission estimait que, en prévoyant que le montant de la plus-value imposable est réduit de 25 % pour les actions cotées sur un marché espagnol alors que ce montant n'est que de 14,28 % pour les actions cotées sur les autres marchés, la législation espagnole constituait un obstacle à la libre circulation des capitaux et à la libre prestation des services.

17 Une telle législation aurait dissuadé les personnes physiques assujetties à l'impôt sur le revenu espagnol d'investir leur capital en actions cotées sur d'autres marchés que les marchés espagnols. En outre, ladite législation aurait provoqué une scission du marché européen des services fournis par les marchés et les bourses de valeurs, en incitant les entreprises espagnoles, davantage susceptibles d'avoir des actionnaires assujettis à l'impôt sur le revenu espagnol, à inscrire leurs actions à la cote d'un marché espagnol afin que leurs actionnaires puissent se prévaloir du régime fiscal plus favorable.

18 Le Gouvernement espagnol a répondu à la lettre de mise en demeure par lettre du 1er août 2001. Bien que ne niant pas la différence de traitement entre les plus-values des actions vendues sur les marchés espagnols et celles vendues sur les autres marchés, les autorités espagnoles ont soutenu notamment que la législation en cause ne concernait qu'un petit nombre d'actions, celles acquises avant le 31 décembre 1994, et que les dispositions en cause devraient être révisées à l'occasion d'une prochaine réforme fiscale.

19 Estimant insatisfaisantes les explications avancées par les autorités espagnoles, la Commission a, le 22 mars 2002, adressé un avis motivé au Royaume d'Espagne, accordant à celui-ci un délai de deux mois à compter de la notification de cet avis pour s'y conformer.

20 Par lettre du 25 juin 2002, les autorités espagnoles ont répondu à l'avis motivé, en rappelant leur intention de modifier prochainement la législation en cause.

21 Cette modification a été introduite par la loi n° 46-2002.

22 Cependant, la Commission a considéré que ladite loi ne modifiait pas les dispositions contestées de la législation espagnole et a saisi la Cour du présent recours.

23 Le Royaume d'Espagne conclut au rejet du recours et à la condamnation de la Commission aux dépens.

Sur le fond

24 Le Gouvernement espagnol ne conteste pas que, à la date d'expiration du délai fixé dans l'avis motivé, sa législation relative à la taxation des plus-values obtenues à partir du 1er janvier 1997 à la suite des transferts d'actions acquises avant le 31 décembre 1994, était contraire aux principes de libre prestation des services et de libre circulation des capitaux.

25 Ce gouvernement soutient cependant que, à la date de la saisine de la Cour, soit le 19 mai 2003, le manquement avait disparu, la modification législative du 18 décembre 2002 qui y a mis fin étant entrée en vigueur le 1er janvier 2003.

26 Toutefois, il convient de rappeler que l'existence d'un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l'État membre telle qu'elle se présentait au terme du délai fixé dans l'avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêts du 27 novembre 1990, Commission/Grèce, C-200-88, Rec. p. I-4299, point 13; du 2 mai 1996, Commission/Belgique, C-133-94, Rec. p. I-2323, point 17, et du 29 janvier 2004, Commission/Autriche, C-209-02, non encore publié au Recueil, point 16).

27 La circonstance que les parties ont essentiellement débattu devant la Cour de la loi n° 46-2002 et de la question de savoir si, à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, le manquement persiste, est sans incidence dans l'appréciation du bien-fondé du recours de la Commission, qui vise à faire constater le manquement au terme du délai fixé dans l'avis motivé.

28 En l'espèce, au terme de ce délai, il est constant que les autorités espagnoles n'avaient toujours pas procédé à une modification des dispositions contestées par la Commission.

29 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, en ce qui concerne la taxation de plus-values obtenues à partir du 1er janvier 1997 à la suite du transfert d'actions acquises avant le 31 décembre 1994, en maintenant un régime fiscal qui est moins favorable aux actions cotées sur des marchés distincts des marchés réglementés espagnols qu'aux actions cotées sur ces derniers, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 56 CE ainsi que des articles 36 et 40 correspondants de l'accord EEE.

Sur les dépens

30 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume d'Espagne et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il convient de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, LA COUR (sixième chambre) déclare et arrête:

1) En ce qui concerne la taxation des plus-values obtenues à partir du 1er janvier 1997 à la suite du transfert d'actions acquises avant le 31 décembre 1994, en maintenant un régime fiscal qui est moins favorable aux actions cotées sur des marchés distincts des marchés réglementés espagnols qu'aux actions cotées sur ces derniers, le Royaume d'Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 49 CE et 56 CE ainsi que des articles 36 et 40 correspondants de l'accord sur l'Espace économique européen, du 2 mai 1992.

2) Le Royaume d'Espagne est condamné aux dépens.