Conseil Conc., 9 mai 2007, n° 07-D-15
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Pratiques mises en œuvre dans les marchés publics relatifs aux lycées d'Ile-de-France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré, sur le rapport oral de M. Gallaire, par Mme Aubert, vice-présidente, présidant la séance, Mmes Behar-Touchais, Mader-Saussaye ainsi que M. Piot, membres.
Le Conseil de la concurrence (Section IV),
Vu les lettres, enregistrées les 18 juin, 22 juillet et 19 septembre 1996 sous le numéro F. 883, par lesquelles le président du conseil régional d'Ile-de-France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre lors des appels d'offres relatifs à plusieurs lycées en Ile-de-France ; Vu la saisine d'office du 11 juillet 1996, enregistrée sous le numéro F. 889, relative à la situation de la concurrence sur les marchés de conception-réalisation, d'entreprises de travaux publics et d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, relatifs aux établissements d'enseignement, lancés par la région Ile-de-France ; Vu la lettre enregistrée le 2 mars 1999, sous le numéro F. 1127, par laquelle le président du conseil régional d'Ile-de-France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre lors des appels d'offres relatifs aux marchés de travaux de reconstruction et réhabilitation d'un établissement régional d'enseignement adapté (EREA), dénommé "La Tour du Mail" situé à Sannois ; Vu la lettre, enregistrée le 21 août 2000 sous le numéro F. 1261, par laquelle le président du conseil régional d'Île-de-France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre lors de l'appel d'offres pour la réfection de l'étanchéité des toitures-terrasses du lycée polyvalent Fustel de Coulanges à Massy ; Vu la lettre, enregistrée le 26 février 2001 sous le numéro F. 1293, par laquelle le président du conseil régional d'Ile-de-France a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre lors de l'appel d'offres pour le marché de travaux de réparation au lycée polyvalent Jules Vernes à Cergy le Haut ; Vu la décision de jonction des affaires en date du 14 septembre 2004 ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu les observations présentées par le conseil régional d'Ile-de-France ; Vu les observations présentées par les sociétés Bouygues Bâtiment International SA ; Bouygues SA ; Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon SA ; Olin SA of Équipements ; Bouygues Bâtiment Ile-de-France venant aux droits d'Olin ; Gespace France SA ; Compagnie Générale de Bâtiment SA (CBC) ; Nord France Boutonnat SA venant aux droits de Nord France SA ; SPGI venant aux droits de Patrimoine Ingénierie SA ; Rabot-Dutilleul Construction SAS venant aux droits de Rabot Dutilleul Entreprise SA ; Fougerolle SAS ; SAEP Equipements SNC ; SAEP SNC ; Spie SCGPM SA venant aux droits de SCGPM SA ; Sicra SNC ; Spie SA venant aux droits de Spie Construction ; Spie SA venant aux droits Spie Citra ; Effiparc Ile-de-France venant aux droits de Sobea Ile-de-France SNC ; Vinci SA venant aux droits de Sobea Ile-de-France SNC ; Campenon Bernard Construction SA venant aux droits de Campenon Bernard Bâtiment SNC ; Vinci Construction SAS venant aux droits de Campenon Bernard SNC ; Vinci Construction SAS venant aux droits de Campenon Bernard Bâtiment SNC ; Vinci Construction venant aux droits de Dumez-GTM ; Vinci Construction venant aux droits de GTM Bâtiment et Travaux Publics (GTM BTP) ; Vinci Construction venant aux droits de Campenon Bernard SGE SNC ; Eiffage Construction venant aux droits de Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) ; Eiffage Construction venant aux droits de Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) ; Eiffage Construction venant aux droits d'Entreprises Quillery et Cie ; Dumez Construction SNC venant aux droits de Dumez Ile-de-France SNC ; Dumez Ile-de-France SNC ; Amec SA venant aux droits de Spie-Citra ; Amec SA venant aux droits de Spie-Construction ; Eiffage TP SAS venant aux droits d'Entreprises Quillery et Cie et d'Entreprise Quillery et Cie ; SPGI venant aux droits du Patrimoine Ingénierie SA ; Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, le conseil régional d'Ile-de-France et les sociétés Bouygues Bâtiment International SA ; Bouygues SA ; Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon SA ; Bouygues Bâtiment Ile-de-France venant aux droits d'Olin ;Gespace France SA ; Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction SA (CBC) ; Nord France Boutonnat SA venant aux droits de Nord France SA ; SPGI venant aux droits de Patrimoine Ingénierie SA ; Rabot-Dutilleul Construction SAS venant aux droits de Rabot Dutilleul Entreprise SA ; Contract Middle East SA ; Fougerolle SAS ; SAEP Équipements SNC ; Spie SA ; SAEP SNC ; Sicra SNC ; Spie SA venant aux droits de Spie Construction ; Spie SA venant aux droits de Spie Citra ; Effiparc venant aux droits de Sobea Ile-de-France SNC ; Vinci SA venant aux droits Sobea Ile-de-France SNC ; Campenon Bernard Construction SA venant aux droits de Campenon Bernard Bâtiment SNC ; Vinci Construction SAS venant aux droits de Campenon Bernard SNC ; Vinci Construction SAS venant aux droits de Campenon Bernard Bâtiment SNC ; Vinci Construction venant aux droits de Dumez-GTM ; Vinci Construction venant aux droits de GTM Bâtiment et Travaux Publics (GTM BTP) ; Vinci Construction venant aux droits de Campenon Bernard SGE Snc ; Vinci Construction venant aux droits de Campenon Bernard Construction ; Eiffage Construction venant aux droits de Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) ; Eiffage Construction venant aux droits de Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) ; Eiffage Construction venant aux droits d'Entreprises Quillery et Cie ; Dumez Construction SNC venant aux droits de Dumez Ile-de-France SNC ; Dumez Ile-de-France SNC ; Amec SA venant aux droits de Spie-Citra ; Amec SA venant aux droits de Spie-Construction ; Eiffage TP SAS venant aux droits d'Entreprises Quillery et Cie et d'Entreprise Quillery et Cie ; SPGI venant aux droits du Patrimoine Ingénierie SA entendus lors des séances des 19 et 20 décembre 2006 ;
Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LES ENTREPRISES
1. La plupart des entreprises concernées appartiennent aux six grands groupes du secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) opérant en France au cours de la période considérée :
- le groupe Bouygues dont font partie les sociétés Bouygues, A & M. Brezillon et Olin (absorbée par la SA Bouygues Bâtiment Ile-de-France) ;
- le pôle BTP de la Cie Générale des Eaux (CGE) constitué par le groupe Société Générale d'Entreprise (SGE) repris par Vinci dont font partie les sociétés Campenon Bernard, GTM Bâtiment et travaux publics (GTM) (absorbées par la SA Vinci Construction), Gespace, la Compagnie générale de Bâtiment (CBC), la Société Industrielle de Constructions Rapides (Sicra) ;
- le groupe Eiffage dont font partie les sociétés Fougerolle, Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE), Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP), Entreprises Quillery et Cie (les trois dernières absorbées par la SA Eiffage Construction) ;
- le groupe Schneider dont font partie les sociétés Spie-Construction (absorbée par Citra), Spie-Citra, Amec et Spie-SCGPM ;
- le groupe Suez-Lyonnaise dont font parite la SNC Dumez Ile-de-France (absorbée par la SNC Dumez-Construction) ;
- le groupe allemand Philip Holzmann, aujourd'hui disparu, ayant agi en France par sa filiale Nord France Entreprise (absorbée par la SARL Nord France Boutonnat).
B. L'HISTORIQUE DU DOSSIER
2. La loi du 23 juillet 1983, modifiée par la loi du 25 janvier 1985, a transféré aux régions les compétences de l'État concernant "la construction, la reconstruction, l'extension, les grosses réparations, l'équipement et le fonctionnement des lycées et autres établissements d'enseignement de niveau équivalent". Ce transfert était effectif le 1er janvier 1986. A cette date, la région Ile-de-France accueillait dans son patrimoine 471 établissements scolaires.
3. Par délibération n° CR 26. 90 du 26 juin 1990, le conseil régional de la région Ile-de-France (ci-après "CRIF") a lancé un vaste programme de rénovation de son patrimoine immobilier scolaire. Ce programme comportait le détail, site par site, des opérations à réaliser pour 302 établissements scolaires. L'état médiocre des bâtiments a conduit la collectivité à attribuer 241 marchés publics de travaux, pour un coût global de 23,3 milliards de francs. 6
4. Le CRIF a développé une stratégie originale fondée notamment sur le recours systématique à l'assistance à la maîtrise d'ouvrage (AMO), et l'adoption de procédures dérogatoires au Code des marchés publics : les marchés d'entreprise de travaux publics (dits METP) et les marchés de "conception-réalisation-maintenance". Le CRIF a également procédé à des appels à la concurrence groupés sous la forme dite de "vagues". Il a par ailleurs opté, en ce qui concerne la quasi-totalité des marchés, pour la procédure d'appel d'offres restreint qui comporte deux phases successives, une phase de sélection des candidats admis à déposer une offre et une phase de sélection des offres et d'attribution des marchés.
C. LES DIFFÉRENTS MARCHÉS
1. Les marchés d'assistance à la maîtrise d'ouvrage
5. Au 15 juillet 1996, le CRIF avait attribué 214 marchés d'assistance à la maîtrise d'ouvrage (AMO), dont 127 attribués à la société Patrimoine Ingénierie. Selon le rapport de la Chambre régionale des comptes d'Ile-de-France, cette société était, en 1989, un bureau d'études au chiffre d'affaires de 7 MF ; elle est devenue à l'occasion du programme des lycées franciliens, le premier partenaire de la région, en obtenant 170 des 214 marchés d'AMO.
6. Le rapport de la Chambre régionale des comptes d'Ile-de-France, annexé à la procédure pénale, donne la répartition suivante pour les seules années 1990 à 1995 :
<emplacement tableau>
2. Les marchés de maîtrise d'œuvre
7. A compter de décembre 1988, le CRIF a recruté plusieurs centaines d'architectes pour les études des travaux de maintenance et d'aménagement des lycées, la définition de ces travaux et la maîtrise d'œuvre des travaux décidés. La région a décidé de désigner un architecte par lycée et pour une durée de quatre années.
8. Le CRIF procédait au cours de la période 1988-1997 à deux sélections : après un appel à candidatures ouvert à tout architecte inscrit à l'ordre lancé le 16 décembre 1988, le CRIF choisissait le 18 avril 1989, 108 architectes pour 325 lycées pour une période de quatre ans. Le 17 mai 1993, de la même manière, 227 lycées se voyaient dotés d'un architecte par la région. Dans son rapport du 21 juillet 1988, l'enquêteur de la Direction nationale des enquêtes de concurrence (DNEC) indiquait que, pour une centaine d'établissements, la région désignait un bureau d'études techniques (BET).
3. Les marchés de travaux
9. Pour réaliser les travaux décidés, la région a eu recours aux trois procédures suivantes : les marchés dits de "grosses opérations", les marchés de "conception réalisation maintenance" et les marchés d'entreprise de travaux publics.
<emplacement tableau>
10. Les marchés dits de "grosses opérations" sont des marchés d'un montant unitaire supérieur à 12 millions de francs passés sous la forme d'un marché de travaux conclu après un appel d'offres restreint.
11. 59 marchés ont été passés suivant la procédure de "conception réalisation maintenance" (CRM) qui associait un marché de maintenance immobilière d'une durée de dix à quinze ans à un marché conclu à l'issue de la procédure de "conception-réalisation" prévoyant le choix par un jury de concours d'une équipe réunissant des maîtres d'œuvre, des bureaux d'études et des architectes (cf. art 304 du Code des marchés publics en vigueur).
12. Les marchés d'entreprise de travaux publics (METP) sont au nombre de 101 dont il convient d'exclure 11 METP Réalisations qui combinent un marché de réalisation de constructions passé selon la procédure de conception - réalisation qui ne recourt pas à la procédure d'appel d'offres, avec un contrat de maintenance et un financement sur dix ans. Le METP, choisi par le CRIF pour réaliser cette vaste opération de reconstruction des lycées d'Ile-de-France consiste à confier à l'entreprise ou au groupement attributaire, à la suite de l'appel d'offres portant sur un établissement déterminé, les travaux de réhabilitation dont le titulaire du marché assurait le financement, selon un projet et un échéancier convenus, et l'exécution des travaux de gros entretien programmés pendant une période de dix ans. En outre, le titulaire du marché devait garantir pendant la durée du contrat le bon état et la sécurité des immeubles. En contrepartie, il recevait une rémunération annuelle forfaitaire couvrant les coûts des travaux de réhabilitation exécutés à l'origine du contrat, et les coûts des travaux de gros entretien échelonnés sur la durée dudit contrat ainsi que les frais résultant du portage financier de la totalité des travaux.
13. La pratique de l'achat "par vague" a consisté à grouper plusieurs appels d'offres restreints concernant plusieurs METP. Sept vagues ont ainsi été conçues, les trois premières étant les plus importantes :
<emplacement tableau>
14. Le METP, qui était un mode de conclusion des marchés de travaux publics tombé en désuétude, a été utilisé de façon massive pour cette opération de rénovation d'envergure.
D. LA PROCÉDURE
1. Les saisines
15. Les appels d'offres lancés par la région Ile-de-France pour la construction ou la réhabilitation de son patrimoine immobilier scolaire ont donné lieu à cinq saisines différentes du Conseil de la concurrence. Les deux premières saisines concernent des marchés attribués au cours des années 1989 à 1996 tandis que les trois autres concernent des opérations ponctuelles ayant eu lieu au cours des années 1998 à 2001 (saisines F. 1127, F. 1261, F. 1293).
16. La première saisine (F. 883) a été adressée au Conseil par le président du conseil régional d'Ile-de-France, le 17 juin 1996. Elle concerne les appels d'offres pour la reconstruction ou la réhabilitation des lycées : Gustave Eiffel (Rueil-Malmaison) ; National (La Garenne-Colombes), Professionnel (Jouy-Le-Moutier) ; Charles Baudelaire et Bâtiment (Evry) ; Jean Isoard (Montgeron) ; d'Alembert (Paris) et Gustave Monod (Enghien).
17. La seconde (F. 889) résulte d'une décision prise le 11 juillet 1996 par le Conseil de la concurrence, qui s'est saisi d'office de "la situation de la concurrence sur les marchés de conception-réalisation, d'entreprises de travaux publics et d'assistance à la maîtrise d'ouvrage relatifs aux établissements d'enseignement lancés par la région Ile-de-France".
18. La troisième (F. 1127) a été adressée au Conseil par le président du conseil régional d'Ile-de-France, le 2 mars 1999. Elle vise le marché de travaux de reconstruction et réhabilitation d'un établissement régional d'enseignement adapté (EREA), dénommé "La Tour du Mail" situé à Sannois (95).
19. La quatrième (F. 1261) a été adressée au Conseil par le président du conseil régional d'Ile-de-France, le 21 août 2000. Elle concerne l'appel d'offres lancé pour la réfection de l'étanchéité des toitures-terrasses du lycée polyvalent Fustel de Coulanges à Massy.
20. La cinquième (F. 1293) a été adressée au Conseil par le président du conseil régional d'Ile-de-France, le 26 février 2001, à propos de l'appel d'offres lancé pour le marché de travaux de "réparations suite à sinistre déclaré" du lycée polyvalent Jules Vernes à Cergy-Le-Haut.
2. L'INSTRUCTION DES SAISINES
a) Les saisines F. 883 et F. 889
21. La saisine d'office F. 889 a suivi l'audition, le 9 juillet 1996, de la présidente de la commission des marchés et de l'administration générale du conseil régional d'Ile-de-France, à laquelle le rapporteur a procédé pour l'instruction de la première saisine (F. 883).
22. Les 14 novembre 1996 et 10 janvier 1997, une enquête avec des visites et saisies a été demandée à la DGCCRF sur les faits visés par ces deux saisines.
23. Les appels d'offres lancés par la région Ile-de-France ont également fait l'objet d'une information pénale ouverte le 3 juin 1997 par le réquisitoire introductif du procureur de la République de Paris concernant des présomptions graves de faux et usage de faux, favoritisme, recel, ententes, faits prévus et punis par les articles 441-1, 432-14, 321-1 à 321-5 du Code pénal et les articles 7, 17, et 26 de l'ordonnance du 1er décembre 1986. Ce réquisitoire a été suivi de réquisitoires supplétifs.
24. A la suite de la demande du président du Conseil, en date du 30 juin 1997, de transmission des résultats de l'enquête et des demandes de poursuite des investigations et de transmission des éléments recueillis, renouvelées les 14 octobre et 29 novembre 1999, la DGCCRF a dans un premier temps expliqué que, sur commission rogatoire du juge d'instruction, tous les documents avaient été communiqués par procès-verbal et en original au juge qui en était le détenteur, que l'enquête de concurrence relative à ces marchés était suspendue pour ne pas provoquer d'interférence avec l'enquête pénale en cours puis, dans un second temps, le 1er février 2000, que tous les éléments de preuve se trouvant entre les mains du juge d'instruction, il appartenait au rapporteur d'obtenir auprès de ce dernier toute information utile à l'instruction des saisines.
25. Le 31 mai 2000, la commission permanente du Conseil (décision n° 00-01), conformément à l'article 26 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, a demandé au juge d'instruction de "communiquer les procès-verbaux ou rapports d'enquête ou les parties de ceux-ci ayant un lien direct avec les faits".
26. Par soit-transmis du 3 juillet 2000, le juge d'instruction informait le rapporteur de sa possibilité de prendre connaissance du dossier d'instruction et d'en prendre copie. Les pièces demandées ont été transmises le 7 février 2002 au rapporteur.
b) Les saisines F. 1127, F. 1261 et F. 1293
La saisine F. 1127
27. Le 4 novembre 1999, la commission permanente du Conseil a demandé à la DGCCRF de procéder à une enquête sur la situation de la concurrence lors de l'appel d'offres pour les travaux de reconstruction et réhabilitation d'un établissement régional d'enseignement adapté (EREA) à Sannois (95) visés par la plainte du 2 mars 1999.
28. Le 1er février 2000, la DGCCRF a informé la présidente du Conseil qu'elle ne pouvait réaliser les investigations demandées car les pratiques anticoncurrentielles suspectées faisaient l'objet de l'information pénale. La demande d'enquête a été renouvelée le 22 août 2001, au motif que les faits anticoncurrentiels relatifs au marché de travaux pour la réhabilitation de l'établissement de Sannois n'entraient pas dans la saisine du juge d'instruction.
Les saisines F. 1261 et F 1293
29. Le 22 mars 2001, la commission permanente du Conseil a demandé à la DGCCRF une enquête sur l'appel d'offres lancé pour la réfection de l'étanchéité des toitures-terrasses du lycée polyvalent Fustel de Coulanges à Massy, objet de la plainte du 13 juillet 2000, ainsi que sur le marché de travaux de réparation du lycée polyvalent Jules Vernes à Cergy-Le-Haut concerné par la plainte du 22 février 2001.
30. En définitive, ces deux marchés ainsi que le marché visé par la précédente saisine (F. 1127) ont été examinés dans un seul et même rapport d'enquête de la DNEC daté du 20 décembre 2002 et transmis au Conseil le 27 janvier 2003.
c) La décision de jonction et l'instruction
31. Le rapporteur général a ordonné la jonction des cinq saisines par décision du 14 septembre 2004 prise en application de l'article 31 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 devenu l'article R 463-3 du Code de commerce. A la suite d'une demande adressée par le rapporteur général au juge d'instruction le 26 octobre 2004, le procureur de la République de Paris, sous couvert d'un soit-transmis du 12 novembre 2004 du juge d'instruction, a fait parvenir au Conseil le 16 novembre 2004 les copies des cotes pénales D 5857/1 à D 5900 tirées de "la procédure des marchés des lycées d'Ile-de-France".
32. Le rapporteur a établi une notification de griefs le 19 septembre 2005, adressée aux entreprises et au commissaire du Gouvernement le 13 octobre 2005.
33. Le 10 novembre 2005, à la demande du rapporteur, le procureur de la République de Paris a transmis au Conseil une copie de la décision du Tribunal correctionnel de Paris, en date du 26 octobre 2005, "Ministère Public contre Giraud, Nicol, Donzel et autres", communément connue comme l'affaire dite des "marchés d'Ile-de-France".
34. Le 20 décembre 2005, le rapporteur s'est rendu dans les locaux du conseil régional d'Ile-de-France où il a dressé un procès-verbal rendant compte de la remise des pièces relatives aux 90 METP passés par la collectivité qu'il avait demandées le 30 novembre 2005.
35. Une seconde notification de griefs, dite complémentaire, a été adressée le 29 mars 2006 aux entreprises et au commissaire du Gouvernement.
36. Le 25 septembre 2006, le rapport daté du 31 août 2006 a été adressé à l'ensemble des parties attraites à la procédure ainsi qu'au commissaire du Gouvernement.
E. MARCHÉS DE TRAVAUX CONCERNÉS PAR LA PROCÉDURE
37. En dehors des trois marchés de travaux spécifiques visés par les saisines F. 1127, F. 1261, et F. 1293 ainsi que des septs marchés visés par la saisine F. 883, la procédure porte sur les METP du programme de rénovation des lycées d'Ile-de-France adopté par la collectivité en 1990, dont la liste suit :
<emplacement tableau>
38. Cette liste tirée du rapport de la DNEC établi sur commission rogatoire du juge d'instruction indique, pour chaque établissement objet d'un METP, le fonctionnement de l'appel d'offres, les entreprises sélectionnées, l'entreprise dont l'offre a été retenue et la valeur d'attribution du marché. Il convient de remarquer que la présélection des candidatures pour chaque METP d'une même vague a lieu le même jour, alors que les appels d'offres se déroulent à une date différente et qu'un intervalle de temps important sépare la présélection des entreprises de la réunion de la commission d'appel d'offres (CAO).
F. LES PRATIQUES RELEVÉES
1. LES ÉLÉMENTS DE PREUVE D'UNE RÉPARTITION ENTRE LES ENTREPRISES DES GRANDS GROUPES DU BTP DES 90 MARCHÉS D'ENTREPRISES DE TRAVAUX PUBLICS (METP) PASSÉS PAR LE CRIF
39. L'information pénale a révélé d'une part, le rôle anormal joué par l'assistant à la maîtrise d'ouvrage Patrimoine Ingénierie dans la mise en œuvre du système d'appel d'offres et la commission de présélection officieuse "Chevance" d'autre part, l'existence d'une répartition de l'ensemble des METP passés par le CRIF entre 1989 et 1996, organisée entre les "majors de la profession", à la fois à l'occasion de réunions de partage des marchés, et d' échanges d'informations préalables au dépôt des offres.
a) Les anomalies dans la mise en œuvre du système d'appel d'offres
40. La société Patrimoine Ingénierie SA a obtenu la quasi-totalité des marchés (127 sur 161) d'assistance à la maîtrise d'ouvrage conclus par le CRIF et est devenue le mandataire exclusif de l'exécutif régional pour les METP. Cette position privilégiée lui a permis, comme l'a montré l'information pénale, de jouer un rôle essentiel dans la mise en œuvre du système d'appel d'offres par vagues successives, de provoquer puis de participer à des réunions entre les entreprises qui ayant d'abord pour but de renseigner les entreprises sur les spécificités du marché choisi par le CRIF ont rapidement été orientées vers la répartition des marchés. Son rôle a alors été d'intervenir dans la présélection des entreprises admises à concourir puis d'aider l'entreprise pressentie à obtenir le METP choisi.
La réunion inaugurale
41. Patrimoine Ingénierie informait les entreprises du programme de rénovation des lycées lors d'une première réunion, en 1989, au cours de laquelle une entente de répartition de marchés était évoquée.
42. M. Jean-Pierre X, directeur de Sogea et directeur général adjoint de Sicra : "(...) une réunion regroupant les grandes sociétés du secteur a eu lieu dans un hôtel situé près du rond point des Champs-Élysées. Lors de cette réunion, Gilbert Y a voulu s'assurer de ce que suffisamment de sociétés s'intéresseraient à la démarche METP et aussi que les candidats aux marchés provisionneraient 2 % pour les partis politiques (...) lors de la réunion que j'évoquais plus haut dans le PV il ressortait des propos de M. Y que le versement de 2 % était une condition d'accès aux marchés. Il avait été également suggéré qu'il y avait pour les entreprises une possibilité de répartition amiable des METP. Nous avions en effet connaissance de la programmation. Certaines entreprises ont alors fait part de leurs préférences et des discussions se sont engagées1. Pour ma part, je n'avais aucune préférence à émettre compte tenu de ce que nous avons pratiquement été exclus de la première vague de METP : j'ai considéré que ce qui ressemblait à une promesse d'entente était en réalité un leurre (...)" [annexe n° 114 PV confrontation MM. X et Z du 6 novembre 1998, cote D 2985].
1 Des passages sont mis en caractères gras par le Conseil.
La commission de présélection dite "Chevance" et la règle "de Krieg"
43. La société Patrimoine Ingénierie a ensuite contribué à l'exécution de l'entente en présélectionnant, dans le cadre de la commission "Chevance", les entreprises pressenties pour obtenir les marchés, pour chaque vague de METP. Cette présélection était opérée de façon à respecter la "règle de Krieg".
44. Cette "règle" portant le nom de M. Pierre-Charles A..., président du conseil régional d'Ile-de-France de 1988 à 1993, veillait à préserver un équilibre économique entre grands groupes et PME, un tiers des marchés étant réservé aux petites et moyennes entreprises du bâtiment, les deux tiers aux grands groupes. Une pré-commission occulte, au sein de laquelle siégeait M. G. Y dirigeant de Patrimoine Ingénierie SA, appelée commission "Chevance" du nom du directeur général des services de la région, établissait, hors de tout contrôle de la commission d'appel d'offres, une liste de présélection des candidatures préparée par Patrimoine Ingénierie et entérinée ensuite par la commission d'appel d'offres. Le dirigeant de Patrimoine Ingénierie veillait, en élaborant cette liste, à ce que soient désignées les quatre ou cinq entreprises qui devaient s'entendre pour chaque appel d'offres et à ce que l'application de la "règle de Krieg" soit garantie par ces présélections.
45. M. Y, responsable de Patrimoine Ingénierie, décrit, dans son interrogatoire devant le juge d'instruction du 5 décembre 2000, l'interdépendance existant entre l'entente entre les entreprises et certains élus qui mettaient en place une organisation permettant de contourner les règles de concurrence lors de l'attribution des marchés : (...) "je peux dire que les ententes ont été ascendantes et descendantes, c'est-à-dire initiées par des entreprises et acceptées par la région (...)" (cote D 4282).
46. M. Y poursuivait ainsi : "(...). Concernant la répartition, elle n'a pu être possible que grâce à la phase de présélection.
La pression des entreprises sur la région a donc été grande. Les arguments auxquels Pierre Charles A... a adhéré étaient l'impact de ces opérations sur l'économie régionale ainsi que la puissance financière des entreprises grâce à leurs banques respectives. La nécessité des grands équilibres entre les groupes d'entreprises a été admise à la fois par Pierre-Charles A..., Jean B..., Christine C..., Yves D..., Henri E... et moi même.
Question (du juge) : Quelle a été la traduction pratique de cette décision ?
Réponse : C'est au niveau de la présélection que tout se jouait pour chaque vague de METP ; en effet, nous recevions plus de 1000 candidatures. Le groupe de travail composé de Jean B..., Christine C..., Yves D..., Henri E... et moi même devait sélectionner cinq entreprises par lycée. Nous faisions en sorte qu'un équilibre soit respecté entre les groupes d'entreprises. Cela faisait l'objet de grands tableaux que nous communiquions ensuite à la commission d'appel d'offres qui entérinait. Puis, les entreprises présélectionnées s'organisaient spontanément entre elles pour que les attributions finales s'inscrivent dans le même équilibre.
J'indique qu'il pouvait arriver que des marchés extérieurs à la région servent de compensation. Notre objectif, je parle là du groupe de travail, était de respecter la parole de Pierre-Charles A.... Toutefois, le système était relativement compliqué et a dû être amélioré. Pour que l'équilibre entre les grands groupes puisse être vérifié nous procédions par nombre de présélections par groupe ; mon rôle tenait à ce que je connaissais bien les entreprises.
Ce rôle, je l'ai tenu à la demande de Pierre-Charles A.... Il m'avait dit qu'il voulait être l'homme des 100 000 places de lycées et qu'il s'était mis d'accord avec les entreprises pour la recherche d'un équilibre. Concernant le financement des partis politiques, il m'a dit que c'était une chose naturelle et que je ne devais pas m'y opposer. Je voudrais ici insister sur le fait qu'à mon sens les deniers de la région ont été préservés. En effet, c'est la région qui imposait ses prix.
La Dases (Direction des affaires scolaires) avait fait pour cela appel à un BET (bureau d'études techniques) de Montrouge, je crois, présidé par Monsieur F..., qui avait mis au point un logiciel de prix. A mon sens, les ententes s'inscrivaient dans ce prix. Monsieur Yves D... faisait déclarer infructueux tous les appels d'offres qui dépassaient et renégociait avec les entreprises pour que cela entre dans le cadre.
Lorsque les entreprises sélectionnées s'avéraient incapables de s'entendre sur des sites, elles venaient nous voir à la région et Christine C... ou le directeur de cabinet Jean B... puis G... voyaient les membres du jury (...)" [cote D 4383].
47. Mme Christine C..., conseiller du président du CRIF pour les affaires scolaires, confirmait, lors de son audition, l'origine et les conditions de mise en place de cette répartition des marchés et la création d'une commission occulte qui se substituait à la commission d'appel d'offres régulière : "(...) Pour ce qui est de l'entente, j'ai compris peu à peu qu'elle existait, mais je n'ai assisté à aucune réunion d'entente entre les entreprises. Je reconnais n'avoir alerté personne à ce sujet faisant d'ailleurs initialement l'amalgame entre les réunions prévues et organisées annuellement par l'administration régionale et celles organisées par les entreprises entre elles pour l'entente.
Par mon attitude, j'ai cautionné ce système en laissant penser que j'étais parfaitement informée de la tenue de ces réunions d'entente. Je ne voulais pas donner l'impression que je n'étais pas au courant de tout.
C'est courant 92/93, que j'ai véritablement pris conscience de ce problème d'entente (...)" [annexe n°182 PV du 23 novembre 2000 D 4277].
48. Mme C... apportait dans une audition ultérieure des précisions qui confirmaient les déclarations de M. Y (voir également son interrogatoire du 24 novembre 2000 ; D 4283 annexe n° 168) : "(...) A la fin de l'année 1990, la première vague portait sur une cinquantaine de lycées. Patrimoine Ingénierie avait été désigné comme AMO ; il y avait des dizaines d'entreprises candidates pour chaque lycée. C'est lors du tri des entreprises avec Patrimoine Ingénierie qu'il est apparu qu'il fallait adopter une méthode de travail pour pouvoir présenter les dossiers à la commission d'appel d'offres. Il a été créé une commission officieuse de présélection. Y participaient M. B... directeur général des services, M. D... directeur des affaires scolaires, le directeur des affaires financières, le conseiller de M. H..., M. I..., moi-même et M. Y.
Pour éviter que les mêmes entreprises récupèrent tous les marchés, la commission donnait des objectifs à M. Y. Il fallait présélectionner des PME pour 1/3 des lycées en choisissant les opérations les moins importantes car elles étaient adaptées à leurs capacités financières et techniques pour ces marchés. Il ne fallait sélectionner que des PME qui concouraient entre elles. Nous avions le souci d'assurer un équilibre global.
Il fallait par ailleurs éviter que soient présélectionnées sur une même opération des entreprises appartenant à un même groupe.
Par la suite, Y revenait devant la même commission pour faire des propositions de présélection en vue de leur transmission à la CAO (commission d'appels d'offres). Ce processus a été adopté pour les vagues successives et le système a fonctionné de la même manière sous M. A... et sous M. J....
J'ai compris au bout d'un moment que dans ce système si les entreprises voulaient s'entendre, elles pouvaient le faire. Je n'ai participé à aucune autre réunion (...).
A un moment donné, j'ai eu le sentiment que cette procédure pouvait faciliter l'entente entre les entreprises. J'ai eu des intuitions mais j'ai décidé de ne pas voir en pensant que ce n'était ni de ma responsabilité ni de mon niveau (...)" [annexe n° 181 PV du 21 février 2001 D 4574].
49. M. Jacques K... (directeur général de GTM) déclarait : "M. Y et Mme C... nous ont fait comprendre à l'occasion d'une rencontre qu'il y avait un système d'ententes qui permettait d'obtenir les marchés à tour de rôle. C'était la réduction des candidats autorisés sur les affaires des lycées par le maître d'ouvrage qui permettait ce climat d'ententes (...). Mme C... et M. Y de Patrimoine Ingénierie étaient impliqués dans le système d'entente (...)" [annexe n°63 PV du 22 octobre 1998 cote D 2980].
50. Cette "règle de Krieg" était connue des entreprises candidates comme le soulignent les déclarations reprises ci-après :
- M. L... (CBC) : "(...) il m'a été précisé que la volonté de la région était de faire en sorte que les grandes moyennes et petites entreprises de la profession tous métiers confondus participent à la réalisation (...)" [annexe n° 125 PV du 20 octobre 1999 D 3412] ;
- M. K... (GTM) : "(...) je crois me souvenir qu'il y avait une part plus petite des lycées qui était réservée aux entreprises de moindre importance dans le BTP (...)" [annexe n° 60 PV 21octobre 1998 D 2933] ;
- M. M... (Fougerolle) : "(...) A mon sens le choix de la région dans l'attribution de son agrément n'était pas le fait du hasard. Il y avait certainement une volonté des décideurs de permettre aux entreprises de taille importante d'accéder aux opérations les plus importantes. La répartition des sociétés devant être de plus proportionnelle à leur chiffres d'affaires (...)" [annexe n° 100 PV du 19 octobre 1999 D 3507] ;
- M. N... (Bouygues) : "(...) C'est Y qui m'a indiqué que les petites et moyennes entreprises ne voulaient pas être écartées de l'accès à ces marchés. Y a décidé que les majors par la suite seraient exclues des marchés de plus petite taille ; par ailleurs cela constituait des marchés de risque et de complexité plus faible (...)".
51. Cette "règle de Krieg" était évoquée également lors de protestations émises par le syndicat professionnel FNBTP de Seine et Marne auprès de la direction des affaires scolaires d'Ile-de-France (Dases) (Mme C...) [annexe n° 180 PV audition de M. O... Claude du 8 décembre 1999 D 3678].
52. Par ailleurs, le versement d'une contribution de 2 % à la région pour le financement des partis politiques s'avérait être une condition nécessaire pour être sélectionné dans les vagues de METP. L'enquête judiciaire révélait en effet que certains des élus ou fonctionnaires de la région avaient acquiescé à l'entente organisée entre les entreprises, pour des motifs autres que ceux visant à assurer un équilibre économique entre les petites et les grandes entreprises. La collusion entre le maître d'ouvrage et les entreprises de l'entente renforçait l'influence de l'exécutif régional et des partis politiques sur les entreprises qui s'acquittaient de contributions financières en contrepartie de cette complicité. Les déclarations suivantes apportent sur ce point un éclairage complémentaire.
- Mme P... (trésorière du parti politique RPR) : "(...) par la suite alors que Robert Q... était trésorier, j'ai compris qu'il existait un accord pour les marchés des lycées de la région Île-de-France ; les entreprises s'entendaient entre elles et devaient pour obtenir les marchés s'engager à verser un pourcentage pour le RPR et le PR (...). Christine C... : je savais que c'était elle qui surveillait les attributions dans le cadre de l'entente (...)" [annexe n° 196 interrogatoire du 30 novembre 2000, D 4334] ;
- M. Jacques K... (directeur général de GTM Construction) : "(...) pour avoir le droit de concourir sur les lycées d'Île-de-France "il fallait montrer patte blanche" c'est-à-dire participer aux financements légaux des partis politiques (...)" [annexe n° 62 PV du 13 février 2001 D 4507] ;
- M. Frédéric R... (responsable de Sicra puis de GTM) : "Il faut effectivement mettre le paiement des 2 % à la région et le retour d'information sur les marchés où nous étions présélectionnés ; les 2 % était en un point de passage obligé et faisait partie de la donne (...)" [annexe n° 118 PV 25 mars 1998 cote D 1731].
53. Le versement de la contribution de 2 % et l'application de la règle de Krieg ont été les facteurs favorisant l'entente de répartition des marchés afin d'organiser cette dévolution sans faire jouer la concurrence. Sur commission rogatoire du magistrat instructeur, la DNEC a mené une étude exhaustive des marchés passés par la région dans le cadre de son programme de rénovation des établissements d'enseignement [tableau n° 4 annexe n° 166 cote D 2576].
54. Cette étude a révélé que pour l'ensemble des travaux réalisés entre 1988 et 1997, soit 241 marchés, quels qu'aient été leurs modes de dévolution, conception-réalisation, METP ou marchés de travaux, 159 marchés, soit précisément les 2/3 ont été attribués aux entreprises appartenant aux six majors du bâtiment de l'époque : Bouygues, SGE, Schneider, Suez-Lyonnaise, Eiffage et Holzmann.
55. Il était également relevé que les entreprises ne faisant pas partie des six groupes précités avaient obtenu 82 marchés, soit 34 % ou le tiers des marchés restants.
56. Pour ce qui concerne les seuls marchés METP, cette répartition en valeur absolue du nombre de marchés résultait directement du système de sélection mis en place, de sorte que pour certains marchés, seules des PME ou des grandes entreprises étaient admises à concourir.
57. Par exemple, lors de la première vague METP pour les marchés des lycées Racine à Paris et La Fayette à Champagne sur Marne, seules quatre PME étaient admises à concourir.
58. Toutefois, l'équilibre un tiers - deux tiers, souhaité et obtenu en nombre d'attributions de marchés, n'était pas réalisé en terme de chiffres d'affaires, comme le faisait apparaître le rapport de la DNEC. En effet, les grands groupes ont obtenu des commandes pour un montant de 15 milliards de francs environ, soit 75,5 % des 20,73 milliards de francs de travaux réalisés tandis que les PME se sont partagé 5,28 milliards de francs.
Intervention de Patrimoine Ingénierie sur le choix par la commission d'appel d'offres de l'entreprise pressentie en accord avec les entreprises "présélectionnées"
59. Après avoir assumé son rôle officieux de présélection, Patrimoine Ingénierie assistait aux commissions d'appel d'offres où elle jouait un rôle important en tant qu'assistant de la maîtrise d'ouvrage. La société diffusait des informations privilégiées aux entreprises pour faciliter leurs soumissions aux appels d'offres.
60. M. S... (directeur commercial de SAEP groupe Eiffage) déclarait : "(...) Patrimoine Ingénierie représenté par M. Y et ses collaborateurs était incontournable pour nous les grands groupes du bâtiment, pour ma part je téléphonais assez régulièrement à Monsieur Y pour lui poser des questions sur les METP : quels sont les marchés des lycées qui vont démarrer ? Quel type de marché ? Le montant des estimations ? Ces contacts se passaient avant durant et après la procédure d'appel d'offres (...)" [annexe n° 95 PV du 20 octobre 1999 cote D 3459].
61. M. T..., inspecteur du trésor détaché au contrôle financier de la région de 1984 à 1992, décrivait la place prise par Patrimoine Ingénierie dans le processus décisionnel : "(...) Mes fonctions me conduisaient également à assister aux réunions des commissions de marchés. J'ai souvent été frappé de la rapidité avec laquelle se tenaient ces commissions. Il m'est difficile de tirer quelque conclusion que ce soit de cette constatation. Mme C... assistait régulièrement à ces commissions et y tenait une place importante. Il est exact que Y de Patrimoine Ingénierie assistait le plus souvent à ces commissions qui traitaient des METP. C'est lui qui détenait les dossiers et qui les exposait devant la commission (...)" [annexe n° 313 PV du 19 septembre 1997 cote D 313].
62. M. U..., magistrat à la Cour des comptes, détaché comme directeur financier du CRIF, émettait de très vives critiques sur le rôle des mandataires AMO et principalement Patrimoine Ingénierie SA : "(...) Cette entreprise était considérée comme une partie intégrante des services constructeurs et disposait de liens privilégiés avec des membres de la région et notamment Mme Christine C.... Une confusion importante régnait sur les attributions effectives de PI et de la direction des affaires scolaires notamment pour ce qui concerne l'estimation prévisionnelle des prix ou la rédaction des rapports d'analyse (...)" [annexe n° 173 PV du 28 janvier 1997 cote D 129].
63. M. Y, responsable de la société Patrimoine Ingénierie, évoquait lui même son rôle d'arbitre dans l'entente, même s'il se défaussait immédiatement sur M. M... de Fougerolle : "(...) il n'y a pas eu de chef d'orchestre qui organisait tout cela. En revanche, si j'ai pour ma part pu être l'arbitre de quelques difficultés survenues dans la mise en œuvre d'ententes, le véritable arbitre a été M. François M..., directeur commercial de l'entreprise Fougerolle. A de nombreuses reprises les représentants des entreprises ont signalé que les difficultés avaient été tranchées par lui (...)".
64. A la différence de M. Y, aucune des entreprises candidates aux opérations de construction des lycées entendues par les enquêteurs n'évoquait le rôle d'arbitre qu'aurait joué M. M... dans la concertation. Mais elles relevaient la participation active de Patrimoine Ingénierie, qui a assuré la pérennité de cette concertation entre les entreprises, en permettant de satisfaire aussi bien les intérêts particuliers des entreprises que ceux de certains décideurs publics.
65. M. Jacques V... résumait ainsi le rôle de Patrimoine Ingénierie : "(...) je peux vous dire que Gilbert Y a assisté à la réunion de répartition de la première vague METP et pas aux suivantes. Il était convenu qu'il était l'arbitre accepté de toutes les entreprises (...). C'est ensuite l'entreprise pressentie par l'accord qui informait Gilbert Y de ce choix. Cette information était en général délivrée de vive voix dans les locaux de Patrimoine Ingénierie. Il revenait ensuite à Gilbert Y à faire en sorte que l'entreprise désignée par l'entente soit effectivement présélectionnée dans le cadre de l'appel d'offres restreint (...)" [annexe n° 58 PV du 22 octobre 1998 cote D 2981].
66. M. N... (Bouygues) : "Y et Christine C... cautionnaient le système de répartition mis en place en ce qui concerne les METP affirmations confirmées notamment par Z Pierre je confirme ce point de vue. J'ai indiqué hier que la première réunion avait été à l'initiative de Monsieur Y et qu'il avait participé à d'autres ensuite, avant de laisser faire les choses. Il devait être au courant des prises de position des uns et des autres puisque visiblement tout le monde allait le voir individuellement pour lui faire part de leurs préférences. Dans mon souvenir Christine C... était au courant mais, je n'ai pas de souvenirs de discussions précises avec elle à ce sujet et ne puis étayer ce souvenir. A ma connaissance la liste des entreprises invitées a été établie par Y, il s'agissait des grandes entreprises. Il voulait que les Majors sécurisent cette nouvelle forme de marché : le METP. C'est Y qui m'a indiqué que les petites et moyennes entreprises ne voulaient pas être écartées de l'accès à ces marchés. Y a décidé que les Majors par la suite seraient exclus des marchés de plus petite taille" (...) il n'empêche que l'AMO savait avant la remise des offres qui serait l'attributaire puisque cette information lui avait été communiquée lors des réunions évoquées plus haut" (...) Y se contentait de faire des rappels à l'ordre en cas de dérapage sur les prix (...)"[annexes n° 133 PV du 20 octobre 1999 cote D 3428 et n°°137 PV du 21 octobre 1999 cote D 3522].
67. M. W..., adjoint de M. N... chez Bouygues donnait des exemples très concrets de l'intervention de Patrimoine Ingénierie qui, selon lui, n'hésitait pas à enfreindre son devoir de conseil consubstantiel à son mandat d'assistant à la maîtrise d'ouvrage, pour effectuer une sorte de police de l'entente mise en place entre les entreprises, et tacitement admise par l'exécutif du CRIF : "(...) Il y a eu des incidents de parcours dans la répartition. Je vais vous expliquer dans quelles circonstances. Il y a deux marchés de lycées sur lesquels nous n'avons pas respecté les engagements prévus, il s'agit du lycée de Mantes-La-Jolie qui devait s'élever à 80-100 MF HT et celui de Louis Le Grand qui devait atteindre 200 MF. Le premier a été attribué en définitive à EI. Lorsqu'ils nous ont communiqué leur prix de soumission nous avons estimé Patrick N... et moi que le niveau des prix était vraiment trop important, il y avait un abus manifeste. En guise de rétorsion, nous avons remis une offre qui était inférieure à la leur. Lors de la commission, notre offre a cependant été rejetée. Nous n'avons eu aucune explication officielle à ce rejet. Cependant, j'ai eu avec Gilbert Y une explication orageuse puisqu'il s'est arrangé pour rejeter notre offre. Le rapport d'analyse nous a desservi en définitive. EI a été l'attributaire et considérant que nous étions insuffisamment servi, nous avions décidé de rompre les accords une nouvelle fois sur Louis Le Grand. 40
Notre prix était probablement le moins disant, là également, l'AMO s'est arrangé pour que notre offre soit rejetée M. Y m'a expliqué que nous n'avions pas respecté les accords, que ce n'étais pas bien et qu'il ne pouvait pas laisser faire ça. L'explication a été orageuse. Incontestablement, M. Y avait un rôle pivot dans les accords entre sociétés (...)" [annexe n° 134 PV du 23 février 2000 cote D 3746].
68. Patrimoine Ingéniérie a donc relayé auprès des décideurs régionaux le choix des futurs attributaires des marchés par les parties à la concertation, sans hésiter à guider ce choix lorsque cela lui paraissait nécessaire, et donné ainsi son plein effet au système mis en place, réduisant la commission d'appel d'offres à une fonction d'entérinement des choix préalablement décidés, en contravention avec les règles de concurrence.
b) Les éléments de preuve relatifs à la concertation entre les entreprises
69. Les responsables des entreprises dont les déclarations sont reproduites ci-dessous ont révélé qu'en 1989, préalablement au lancement, en 1990, de la première vague des METP, ont eu lieu plusieurs réunions sous l'égide de Patrimoine Ingénierie ayant pour thème l'organisation et le fonctionnement de ces marchés et qu'elles ont été suivies d'autres réunions lors du lancement de nouvelles vagues de METP. Ils ont précisé les modalités de sélection des entreprises, les informations échangées au cours de ces réunions et l'existence d'offres de couverture.
1. Les premières réunions
70. M. Y, dirigeant de Patrimoine Ingénierie, s'exprimait ainsi sur le comportement des entreprises : "(...) les entreprises m'avaient informé des graves difficultés qu'elles avaient à répondre aux appels d'offres du fait de l'importance des vagues de marchés, du coût d'élaboration des offres qui disaient-elles se situaient entre 500 et 1,5 MF par lycées. Elles m'ont informé qu'elles se réunissaient pour décider de se répartir les sites. Là encore, j'ai voulu l'ignorer, ceci pour des questions de confort vis-à-vis des entreprises (...) (...) ce jour là, ont été évoquées simplement toutes les stratégies possibles d'ententes (...) (...) Les entreprises m'ont demandé d'organiser une première réunion ; celle-ci a eu lieu dans un hôtel avenue Matignon, pas loin de mes bureaux à l'époque. Il s'agissait pour les entreprises et moi de savoir comment les entreprises pourraient s'entendre entre elles pour éviter les difficultés inhérentes à la masse des marchés annoncés. Toutes les solutions possibles ont été imaginées et il en est ressorti que pour la répartition, le choix des sites seul conviendrait car les entreprises ne connaissant pas les projets à venir, elles ne pouvaient pas se garantir d'avoir chacune un des marchés à tour de rôle. Par la suite, je n'ai plus participé à aucune réunion de ce genre, les entreprises faisant leur affaire de l'organisation de l'entente. Je sais que par la suite toutes les entreprises concernées ne participant pas aux réunions certaines d'entre elles étaient chargées de porter les intérêts des absents. Je sais aussi que les difficultés à s'entendre étaient aggravées par le nombre important de lycées par vague de METP. (...) Il est par ailleurs exact que la région voulait que tout se déroule bien. Je précise que mon rôle dans l'entente ne m'a pas été dicté par la région mais qu'il s'est plutôt fabriqué de lui-même. Il y avait en effet une difficulté majeure qui était que les rapports d'analyse des offres devaient être sans défaut.
Cela m'a amené à accorder mon aide aux entreprises en leur donnant des informations sur les opérations à venir, la nature des projets ceci pour qu'elles puissent se répartir les lycées et se préparer à les réaliser (...)" [Ci n° 9816](1).
71. M. N..., de Bouygues, lors de son audition du 21 octobre 1999, donnait les mêmes indications : "(...) J'ai rencontré Gilbert Y. Il était alors assailli par mes homologues des autres entreprises du BTP. C'est la raison pour laquelle il a pris l'initiative d'organiser une réunion dans un hôtel du quartier des Champs-Élysées, réunion qui a réuni toutes les grandes entreprises du BTP. Si au cours de cette réunion les questions juridiques ont bien été abordées, les discussions sont allées au delà. Je me souviens, que Gilbert Y a fait circuler une liste des lycées à rénover dans un proche avenir que je pense correspondre à la première vague de METP. Très vite cette liste a donné lieu à des discussions au cours desquelles les entreprises toujours au cours de cette réunion annonçaient leurs ambitions sur tel ou tel marché. Une sorte de consensus sur le principe d'une répartition amiable semblait se dégager dans la mesure où la procédure même du METP, très innovante, pouvait paraître risquée à tout le monde. Concernant Gilbert Y, sa position était manifestement de laisser les entreprises s'arranger entre elles. C'était pour lui la garantie de ce que les METP fonctionneraient bien. J'ai omis de préciser qu'avant même cette première réunion des noms de lycées avaient été dévoilés par Y ou le Conseil Régional et que j'avais envoyé certains de mes collaborateurs essayer de se faire une idée de l'ampleur de la tâche. Cela explique, les autres ayant dû faire de même, que lors de la réunion dont j'ai parlé plus haut, mes homologues et moi même ayons été en mesure de procéder à un projet de répartition. Cependant une seconde réunion a été nécessaire (...) dans le mois qui a suivi (...) c'est là que les ambitions des uns et des autres sur tel ou tel marché ont été précisées. Gilbert Y en a pris note. (...) La méthode que je viens de vous exposer a été la même pour l'ensemble des vagues. Je précise toutefois qu'il y a eu des vagues pour lesquelles les réunions n'ont pas eu lieu en présence de Gilbert Y (...)" [Ci n° 7734].
72. Les propos de M. N... étaient confirmés par M. W..., son collaborateur. Ce dernier expliquait qu'il était associé dans un premier temps au lancement des METP et participait alors à des réunions techniques, juridiques et financières, animées par des spécialistes. Ces réunions étaient complétées par d'autres, auxquelles seul M. N... participait afin que les grands groupes coordonnent leurs réponses aux appels d'offres [Ci n° 8237& 8243]
73. M. V..., directeur commercial de GTM, confirmait : "(...) Il y a eu dès le lancement des METP l'organisation d'une entente entre les entreprises appartenant aux grands groupes du BTP.. L'organisation de cette entente a très rapidement suivi les réunions qui ont eu lieu à l'instigation du conseil régional et du SNBATI. C'est dans un hôtel proche du rond point des Champs-Élysées que les directeurs commerciaux se sont réunis et ont décidé une répartition amiable des METP. (...) Au cours de ces réunions qui précédaient le lancement de chaque vague de METP, les directeurs commerciaux s'attachaient surtout à choisir les lycées en fonction du lieu d'implantation de l'ouvrage et du lieu d'implantation de l'agence de l'entreprise et aussi en fonction de la nature des travaux et des spécialités auxquelles ils auraient fait appel. Nous prenions en compte le montant des travaux. Dans notre jargon nous désignons cette entente par les vocables d'accord ou de table (...)" [cote D 2981 Ci n° 6033].
74. Il précisait dans une autre déclaration : "Lorsque nous nous rencontrions, mes collègues des autres entreprises et moi même, à l'occasion des vagues de METP qui étaient lancées nous nous répartissions les opérations entre nous. Après avoir fait une étude, nous faisions des offres à des montants supérieurs à celui du collègue qui devait avoir le lycée pour ceux qui ne nous étaient pas attribués dans le cadre des accords interentreprises" [Ci n° 10458 & Ci n° 5968].
75. M. K... (GTM) corroborait les déclarations de son supérieur M. V..., notamment sur le fait que les grands groupes se réunissaient pour se mettre d'accord sur la clé de répartition, en fonction de la vague de lycées prévue [Ci n° 5954 & 5952].
76. M. 1..., directeur du développement de GTM, confirmait l'existence des échanges d'informations entre concurrents qui lui permettaient de concevoir les offres de couverture. "(...) Si je n'ai pas participé, je me doute bien que de telles réunions avaient lieu car sinon il était impossible que l'on me donnât de telles informations (...)" [Ci n° 6024].
77. M. S... (directeur commercial de SAEP) précisait : "(...) Il y a eu des réunions au siège du conseil régional au cours desquelles les représentants de la région ont expliqué le système des METP aux représentants de la profession. Il y a eu également plusieurs réunions au SNBATI. Je me souviens qu'il y avait M. D... et à une reprise M. 2.... Christine C... a dû venir une fois. Il y avait surtout M. 3... (...) Gilbert Y était là. Au cours de ces réunions, nous évoquions les préférences que telle ou telle entreprise pouvait avoir pour telle ou telle opération. (...) il y a eu des réunions dans un hôtel près du Rond-Point des Champs-Élysées auxquelles était présent M. Y. Je pense d'ailleurs que l'endroit avait été choisi car c'était tout près de ses bureaux (...)" [Ci n° 7761].
78. M. 4..., de Nord France, déclarait : "(...) Je reconnais avoir assisté à des réunions avec (...) je vous précise que des réunions officielles ont été tenues concernant les METP (...) le but des autres réunions étaient en fait d'analyser les listes de METP (...) effectivement, il y avait une répartition des marchés entre les entreprises présentes à ces réunions et ce en fonction des préférences énoncées par ces entreprises (...). Cette préférence pouvait être fondée sur la localisation, l'importance du marché, sur le nom du bureau d'études et de l'architecte (...)" [Ci n° 7746].
79. M. L... du groupe CBC rendait compte de la chronologie des réunions relatives aux METP : d'abord en 1989, une première rencontre sur l'initiative du CRIF, puis une seconde au SNBATI et enfin diverses réunions de répartition. "(...) En ce qui concerne les réunions qui se sont déroulées (...) au cours d'une réunion générale de présentation en 1989, il nous a été clairement indiqué à l'ensemble des représentants de la profession qu'il y avait une volonté politique que l'ensemble des entreprises de la région devait travailler sur ce programme. Il a été indiqué qu'il faudrait que les majors comme Bouygues, Spie, GTM, Dumez etc.... devaient s'y impliquer vraiment. A ce moment, les responsables de la région (...) ne nous ont pas dit qu'il fallait répartir les marchés mais cela tombait sous le sens. Il y a eu une autre réunion du même genre mais plus précise et plus technique au SNBATI à laquelle participaient Mme C..., M. Y et M. D.... Par la suite, il y a eu des réunions entre nous dont l'une avec M. Y, la première dans une salle de réunion, près du Rond-point des Champs-Élysées. Il me semble qu'il y avait une dizaine d'entreprises qui étaient représentées (...)" [Ci n° 7739].
80. Mme 5..., de Spie, reconnaissait lors de ses diverses auditions avoir participé aux discussions de répartition, sans donner le détail de ces rencontres : "(...) j'assistais à des réunions où on a parlé de la répartition des marchés (...)" [Ci n° 10436].
81. M. 6..., directeur de Dumez, évoquait lui aussi les réunions au SNBATI et les réunions de répartition : "(...) C'est en réalité à l'initiative de Gilbert Y ou d'un autre entrepreneur, que j'ai été convié à une réunion qui, je crois, s'est tenue à la résidence Maxime. Je n'avais à l'époque jamais eu de contact avec M. Y. Je confirme qu'au cours de cette première réunion les problèmes juridiques relatifs au METP ont été posés. Un ou deux mois plus tard, il y a eu une seconde réunion toujours dirigée par Gilbert Y, je crois au même endroit. Il y a eu des conflits, mais les décisions de répartitions ont été prises. (...) J'ai pour les autres vagues, le souvenir que toutes les questions relatives à la répartition se passaient au téléphone avec les autres entreprises qui, elles, avaient les chiffres estimatifs, que je pense, elles devaient tenir de Gilbert Y. J'indique qu'en tout état de cause Dumez n'a pas eu grand chose sur les autres vagues (...)" [Ci n° 7756].
82. M. X, de Sicra, donnait la même chronologie que ses confrères : "(...) A la suite des réunions d'informations organisées par la région et le SNBATI sur le cadre juridique de la procédure METP, une réunion regroupant les grandes sociétés du secteur a eu lieu dans un hôtel situé près du Rond-Point des Champs-Élysées (...). Lors de cette réunion, Gilbert Y a voulu s'assurer que suffisamment de sociétés s'intéressaient à la démarche METP. (...) Il avait également suggéré une possibilité de répartition amiable des METP. Certaines entreprises ont alors fait part de préférences et des discussions se sont engagées (...)" [Ci n° 6067].
2. Les réunions à l'occasion de chaque nouvelle vague de METP
83. La présélection des entreprises facilitait le fonctionnement de l'entente concernant chaque appel d'offres. M. 4..., de Nord France, exposait : "Des agréments ont été donnés en bloc, par vague, les appels d'offres étaient lancés dans le mois suivant (...)" [Ci n° 7746]. Il a été constaté (paragraphe 37) qu'un délai important s'écoulait entre les présélections et le lancement de chaque METP d'une vague.
84. Dans une déclaration antérieure, M. 4... reconnaissait que des rencontres avaient lieu périodiquement au bar de l'hôtel Méridien à Paris entre concurrents. Il admettait aussi qu'étaient alors évoqués les marchés des lycées entre concurrents présélectionnés et que ces discussions le conduisaient à "être plus ou moins agressif" dans ses réponses aux appels d'offres, selon l'intérêt formulé par les concurrents pour ledit marché [Ci n° 7655].
85. M. V..., de GTM, expliquait l'enchaînement des faits, une fois les entreprises présélectionnées pour chaque marché d'une même vague (la présélection des entreprises pour tous les marchés d'une même vague était en effet effectuée le même jour) : "Il s'agissait pour chaque vague de METP d'une réunion globale au cours de laquelle les entreprises présélectionnées cherchaient un accord de répartition" (procès-verbal du 13 novembre 1998 - D 2986). "Pour chaque METP, quatre ou cinq entreprises étaient agréées. Par conséquent lors de nos réunions auxquelles participaient seulement les grands groupes, nous ciblions pour chacun les marchés qui nous intéressaient". "Dans notre jargon nous désignons cette entente par les vocables d'accords ou de tour de table (...). L'entente fonctionnait sans problème lorsque les quatre ou cinq entreprises présélectionnées appartenaient à l'un des grands groupes et appartenaient à l'entente. Il arrivait sur certains lycées qu'une PME fasse partie de la présélection.
Il s'agissait alors pour l'entreprise choisie par ses collègues pour avoir le marché, de trouver un arrangement avec l'entreprise, afin que ne soit pas remise en question l'attribution prévue. Cet arrangement consistait à proposer à la PME une participation au chantier en l'échange d'une offre de couverture. Cette participation donnait lieu à la création d'une SEP" (procès-verbal de première comparution du 22 octobre 1998 -D 2981/1).
86. Si les premières réunions ont eu pour objectif d'échanger des informations sur le fonctionnement des METP, elles se sont, comme celles qui se sont succédées, rapidement orientées vers des discussions relatives au partage des marchés, ainsi qu'il ressort des déclarations suivantes :
87. M. N..., de Bouygues : "(...) La périodicité des réunions variait en fonction des vagues successives. Chaque vague pouvait donner lieu à une, voire deux réunions, dans l'un ou l'autre des endroits précités. (...) Au départ, les réunions devaient se tenir avant les phases de présélection. Par la suite, le avant ou le après était neutre car on avait déjà un début de lisibilité sur la phase suivante. (...) "(extraits D 3420) (...) "Gilbert Y (...) a pris l'initiative d'organiser une réunion dans un hôtel du quartier des Champs-Élysées, réunion qui a réuni toutes les grandes entreprises du BTP. (...) Cependant une seconde réunion a été nécessaire (...) dans le mois qui a suivi (...) c'est là que les ambitions des uns et des autres sur tel ou tel marché ont été précisées. (...) La méthode que je viens de vous exposer a été la même pour l'ensemble des vagues. Je précise toutefois qu'il y a eu des vagues pour lesquelles les réunions n'ont pas eu lieu en présence de Gilbert Y. (...)" (extraits D 3522) [Ci n° 7562 & 7734].
88. M. 4..., de Nord France, expliquait au juge d'instruction qu'il y avait eu deux sortes de réunions auxquelles les entreprises candidates avaient participé ; certaines d'entre elles étaient techniques et concernaient la procédure nouvelle du METP, les autres plus nombreuses étaient des réunions de répartition des marchés : "(...) Je vous précise que des réunions ont été tenues concernant les METP ; dans la mesure où de nombreux problèmes se posaient, des explications devaient nous être fournies. (...) Le but des autres réunions était en fait d'analyser les listes des METP lancés dans la région Ile-de-France, listes qui comportaient les noms des opérations, le montant et le nom de l'architecte, le bureau d'études ainsi que le nom des entreprises agréées. Effectivement, il y avait une répartition des marchés entre les entreprises présentes à ces réunions et ce en fonction des préférences énoncées par ces entreprises. Cette préférence pouvait être fondée sur la localisation, l'importance du marché, sur le nom du bureau d'études et de l'architecte. La répartition pouvait se faire soit immédiatement, certaines entreprises donnaient leur préférence, d'autres notaient des éléments pour indiquer leur choix lors de réunions ultérieures. J'ai observé que certains avaient obtenu la liste auparavant et l'avaient même en possession dès la première réunion. Il y a eu beaucoup de réunions. (...) Chacun devait respecter sa parole, il arrivait simplement qu'il y ait parfois, des erreurs de dépassement des budgets. (...) Dans le temps, je situerais les faits à compter de 1991 et pour 3 ou 4 ans (...)" [Ci n° 7746].
3. Les informations échangées lors de ces réunions
89. Si certains responsables ont expliqué qu'il ne s'agissait pas de réunions de répartition ou de partage de marchés, ils ont tous reconnu qu'ils discutaient entre eux des METP à venir et du "degré d'intéressement" de leur entreprise à ceux-ci.
90. Ainsi, M. 6..., de Dumez IDF, déclarait-il : "(...) a également été abordée la question d'une certaine répartition des marchés dont le volume était trop important pour ne pas poser de problèmes de charges de travail aux entreprises. Gilbert Y avait le souci de la réussite de cette opération et pensait qu'une charge équilibrée des entreprises serait un gage de qualité. Les entreprises ont alors au cours de cette réunion émis certains souhaits particuliers de marchés. Contrairement à certains de mes collègues, je n'avais pas eu le listing de la première vague, avant la réunion, c'est au cours de cette dernière que l'on m'en a remis une photocopie (...)" [Ci n° 7756].
91. M. M..., de Fougerolle, précisait : "(...) Nous discutions des projets qui nous intéressaient les uns et les autres, mais nous n'avons jamais échangé des informations telles que des études de prix. Cela n'aurait d'ailleurs présenté aucun intérêt dans la mesure où comme je l'ai expliqué je remontais volontairement le niveau des prix de ma société pour réduire mes chances d'être attributaire (je n'excluais cependant pas cette hypothèse) (...)". (extraits D 3507) "(...) Nous essayions de mesurer le degré de concurrence ou d'envie de se battre de telle ou telle entreprise sur les marchés. Chacun évoquait les marchés susceptibles d'intéresser son entreprise respective. Pour ce qui est de Fougerolle, nous ne ciblions pas les marchés d'un montant nettement supérieur à 100 millions de francs et ce, comme je vous l'ai déjà dit pour des questions de trésorerie. Mes confrères étaient cependant au courant de ce souci. Nous ne communiquions cependant pas le montant des offres de chacune de nos sociétés (...)" (extraits D 3512). "(...) essayer de savoir qui va être plus agressif sur telle opération, ne constitue pas une concertation au sens de "cibler" telle opération. (...) C'est vrai qu'au cours de ces réunions, on essayait de sentir qui était actif ou pas actif et quel degré de concurrence existerait sur tel ou tel lycée afin d'orienter notre position au stade de l'étude. 46
C'est une coutume. On ne répond pas à un appel d'offres qu'il soit public ou privé sans connaître les critères d'attribution du maître d'ouvrage et sans mesurer la concurrence qu'on a en face. On n'a pas besoin pour cela de se partager le marché. Il faut bien faire un tri c'est-à-dire cibler des opérations. On a en permanence l'obligation de choisir les opérations que l'on va suivre. On le sait par les discussions directes avec les confrères, les architectes, les bureaux d'études etc ... (...)" (extraits D 4501) [Ci n° 7710 & 7718 & 10426].
92. M. 4..., de Nord-France, déclarait à son tour : "(...) Effectivement, il y avait une répartition des marchés entre les entreprises présentes à ces réunions et ce en fonction des préférences énoncées par ces entreprises". (...) (extraits D 3525) "(...) Il n'a jamais été question de partage de marchés ; effectivement dans le cadre de mes fonctions j'ai rencontré ces messieurs ensemble ou séparément pour discuter d'affaires qui sortaient sur la place de Paris (...) obligatoirement nous évoquions les lycées, je ne me souviens plus précisément des personnes présentes lors de ces réunions (...) il s'agissait pour moi de savoir si des concurrents étaient réellement intéressés sur les marchés ou eux et moi avions été retenus ou susceptibles de l'être (...) (extraits D 3477) [Ci n° 7746 & 7655].
93. M. L..., de CBC, tenait le propos suivant : "(...) J'ai reconnu avoir participé à quelques réunions relatives à la répartition des marchés. Il me semble y être allé deux fois. Je n'ai par contre participé à aucune réunion destinée à mettre au point les offres de couverture. En effet, nous n'avions pas besoin de recourir à une telle pratique. Lorsque j'ai soumissionné, nous connaissions les budgets de référence qui étaient d'ailleurs connus par tout le monde. En effet, la région avait annoncé que pour les travaux le budget serait de 3200F ht le m2. Pour la maintenance, c'était 140 F du m2 ou 2 % du patrimoine. Dans ces conditions, si j'avais indiqué à mes confrères que j'étais intéressé pour telle ou telle opération, il suffisait que je colle le plus possible au budget et les autres faisaient leurs prix. Je voudrais souligner que les marchés METP étaient soumis à une commission d'agrément, que les offres faites par les entreprises étaient remises à la Dases qu'ensuite il y avait l'ouverture des plis, puis l'analyse par la Dases et/ou l'assistant maître d'ouvrage, qu'il y avait un rapport à la commission des marchés et que celle-ci attribuait le marché concerné ou le déclarait infructueux Dans ce cas, la Dases convoquait les entreprises concernées. Je veux dire par là, qu'il y avait une procédure qui était respectée et que les marchés étaient attribués dans le cadre d'un budget déterminé par la région.
Je préfère le redire pour que les choses soient claires et que l'on n'ait pas l'impression que c'est nous qui avons mis la pression sur la région comme certains articles de presse peuvent le laisser entendre. La région avait ses services techniques compétents pour pouvoir juger et faisait son travail sérieusement (...)" [Ci n° 9043].
4. Les offres de couverture : principes et modalités
94. Les différents responsables d'entreprises et leurs collaborateurs interrogés au cours de l'information pénale ont expliqué qu'après s'être réparti les METP sur la base de critères géographiques et de montant, ils avaient mis en œuvre un système d'offres de couverture. Après avoir informé Patrimoine Ingénierie de l'entreprise pressentie par les membres de l'entente, cette société assurant sa présélection par la "commission Chevance", puis par la commission d'appel d'offres, les entreprises échangeaient entre elles des informations pour que cette entreprise pressentie obtienne effectivement le marché lors de la phase d'attribution du marché.
95. M. M..., de Fougerolle, expliquait qu'il avait pratiqué des offres de couverture sans utiliser les études de prix de ses concurrents associés à l'entente avec lesquels, toutefois, il s'était mis d'accord sur l'attributaire. Dans une déclaration ultérieure, il précisait la méthode employée pour surévaluer artificiellement sa soumission : "(...) Nous discutions des projets qui nous intéressaient les uns et les autres mais nous n'avons jamais échangé des informations telles que des études de prix. Cela n'aurait d'ailleurs présenté aucun intérêt dans la mesure ou comme je l'ai expliqué, je remontais volontairement le niveau des prix de ma société pour réduire mes chances d'être attributaire (je n'excluais cependant pas cette hypothèse (...)" [Ci n° 7710].
96. M. M..., de Fougerolle "(...) Question : Sur lequel de ces trois postes, jouiez-vous pour revaloriser vos offres sur les marchés que vous ne souhaitiez pas obtenir ?
Réponse : Sur le poste financier. Cependant la région souhaitant maintenir les taux financiers les plus bas nous ne pouvions pas lui présenter une offre avec des taux surévalués. Nous fondions cette réévaluation financière dans le coût global de l'opération (...)" [Ci n° 7718].
97. M. N..., de Bouygues, donnait quant à lui de plus amples explications sur le principe et les modalités de mise en œuvre des soumissions de couverture. Ses déclarations étaient corroborées par ses collaborateurs et notamment, M. W..., qui avait la charge d'établir les offres pour Bouygues, M. 1..., de GTM, confirmait les déclarations de M. W... : "(...) Des contacts étaient pris entre les directeurs commerciaux des entreprises pré-selectionnées et cela dans la semaine précédant la date limite de remise des offres. L'objectif de Bouygues était de respecter les accords passés (...). Dans l'hypothèse où Bouygues devait être attributaire nous communiquions à nos concurrents le prix plancher qu'ils devaient respecter. Parfois, ce prix donnait lieu à des négociations entre nous ; en effet le prix plancher permet de contrôler la marge et toute discussion sur le respect d'un accord peut donner lieu à des foires d'empoigne (...).
(...) Dans l'hypothèse où c'est nous qui devions remettre une offre de couverture, nous avions des méthodes d'études rapides qui permettaient d'approcher avec une fiabilité satisfaisante, un prix global approchant. Il a pu se faire que nous ne fassions pas d'études du tout , nous contentant de modifier poste par poste tout ou partie des offres que l'attributaire pressenti nous remettait (...)" [Ci n° 7734].
98. M. N..., de Bouygues, précisait : " (...) Dans les marchés METP que j'ai traités, je pense que c'est Jean-Jacques W... qui a contacté les autres candidats afin de leur communiquer notre prix. C'est là que nous nous sommes aperçus que ce système avait ses limites puisque nous avons rencontré plusieurs difficultés pour que l'engagement soit respecté (...)" [Ci n° 7547].
99. M. W..., de Bouygues, expliquait de manière très détaillée comment sa société procédait pour obtenir les offres de couverture de ses confrères et la méthode retenue pour réaliser les "couvertures" que souhaitaient les "concurrents" : "(...) Pour les quatre marchés que j'ai obtenus pour le compte de Bouygues, il y a effectivement eu des offres dites de couverture déposées par les autres sociétés agrées. Je leur communiquais un chiffre supérieur au mien qu'ils s'engageaient à reprendre dans l'offre remise au CRIF, qui serait soumis postérieurement à la commission d'appel d'offres (...). (...) En ce qui concerne les marchés sur lesquels Monsieur N... m'avait demandé de faire des études approfondies, il s'agissait de marchés que nous devions normalement obtenir comme cela était convenu lors des réunions auxquelles je n'étais pas présent. Je confirme, ce que je vous ai dit précédemment sur les METP dans lesquels nous étions agréés, il n'était pas matériellement possible de réaliser des études détaillées sur chaque opération où nous étions agréés. Lorsque nous étions les attributaires pressentis, nous réalisions l'étude approfondie. Lorsque notre étude était terminée, je prenais personnellement attache avec les autres directeurs commerciaux. Je précise que, dans ce genre d'affaires, peu de personnes sont informées. Je m'abstenais de communiquer mon devis par courrier fax ou téléphone. Avec mes confrères, on convenait d'un rendez vous dans un bar pour s'échanger des informations car effectivement, dans la même vague, il y avait des informations entrantes et sortantes. J'entends par sortantes, lorsque nous étions en position d'être attributaire. J'entends par entrantes, les informations que je recevais des confrères attributaires sur d'autres marchés. Vous me demandez les personnes que j'ai le plus régulièrement rencontrées dans le cadre d'offres de couverture réciproques. Je vais vous citer quelques noms il s'agit de Messieurs 1... et V... pour GTM ; pour SAEP, Monsieur Gérard S... ; pour Nord France, c'était M. Léon 4... ; chez SPIE c'était Mme 5... ; pour Dumez il s'agit de 7... ; pour Sicra il s'agissait de M. X ; pour Fougerolle c'était M. M... ; pour CBC ce n'était pas M. L... ? c'était rarement les mêmes, je ne me rappelle plus de leurs noms. En ce qui concerne CBC, vous me citez les noms de 8... Gilles et de 9... Serge, j'ai davantage souvenance du nom de 9.... En ce qui concerne les METP, je me rappelle avoir eu des contacts avec lui en ce qui concerne les METP et les offres de couverture. Comme tous ceux que je vous ai cités précédemment, il a certainement assisté à des rencontres à ce sujet. En tout état de cause, il était à mon avis au courant. La plupart des réunions que j'ai organisées se situait à 8 h au café le Congrès situé à Porte-Maillot. C'est autour d'un café que se déroulait l'échange d'informations. En ce qui me concerne, je ne convoquais jamais plus d'un confrère à la fois. Souvent, ces rencontres se succédaient pendant plusieurs jours. Il est arrivé en dehors de mon initiative que je sois convoqué en même temps que d'autres confrères. Je sais que cela est arrivé quelquefois dans un café de la rue de la Convention. Je pense que c'était Dumez qui m'avait convié à cette réunion. Pour le marché dont je devais être attributaire, je ne communiquais que le montant que je souhaitais que le confrère remette. Je ne détaillais pas poste par poste. Je transmettais le montant oralement lorsque le confrère était attributaire. Il est arrivé effectivement que l'on me propose de me remettre un document détaillé relatif à une étude de prix et cela poste par poste. J'ai toujours refusé. En ce qui nous concerne, et pour répondre aux exigences de N..., nous avons toujours réalisé une étude minimum qui permettait de déposer un dossier selon nos procédures internes. Mes collaborateurs non informés précisément faisaient leur étude. Il semble que tous les confrères n'aient pas fait de même, c'est ce qui a certainement conduit certains d'entre eux à se transmettre des devis pré-établis. Pour ce qui me concerne, je n'ai jamais transmis d'études pré-chiffrées.(...)" [Ci n° 8243].
100. M. 1..., de GTM : "(...) c'est V... qui m'indiquait quelles étaient les entreprises que je devais contacter pour qu'elles ajustent leurs offres. Dans la situation inverse, c'est à dire lorsqu'il était prévu que GTM ne serait pas l'attributaire, c'est l'entreprise pressentie qui prenait contact avec moi. (...) Je me souviens davantage des contacts avec les responsables d'études comme M. W... chez Bouygues (...). Il arrivait que les communications de prix entre entreprises donnent lieu à des échanges de documents comme récapitulatifs d'offre (...)" [Ci n° 6093].
101. M. 10..., de GTM : "(...) Il est exact que mon travail était supervisé par M. 1... mon chef d'agence. C'est lui qui en dernier ressort arrêtait le prix, en tout cas il me demandait de corriger des prix. C'est une situation tout à fait fréquente, la plupart du temps ces modifications résultent de discussions techniques entre lui et moi (...)" [Ci n° 6383].
102. M. K..., de GTM : "(...) Concernant l'entente entre les grands groupes pour les marchés des lycées d'Ile-de-France, je savais qu'il existait des réunions préparatoires même si, je n'étais pas présent physiquement. C'était le rôle de Monsieur Jacques V... qui je pense devait se réunir avec les autres directeurs commerciaux des grands groupes. Ils se mettaient d'accord sur la clé de répartition en fonction de la vague de lycées prévus. Je suppose que la société qui voulait le marché faisait une étude la plus juste possible. Quant aux autres sociétés, elles faisaient une offre de couverture pour être sûres de ne pas être retenues. Il est possible qu'il était institué le principe qu'une entreprise fasse aussi l'étude pour contrôler le prix de la première (...)" [Ci n° 5954].
103. M. 11..., de GTM : "(...) Il était plus simple de me communiquer un budget trop haut pour que nous ne puissions pas être retenus. Je me doutais effectivement que le prix que je proposais était trop haut et servait uniquement à réaliser une offre de couverture. "(extraits D 2909) (...) "Dans les cas où V... me faisait comprendre que nous ne serions pas attributaire, il me disait de faire un étude chiffrée plus sommaire. Il m'indiquait par ailleurs le budget, en ajoutant que le confrère dont la société serait attributaire m'appellerait pour me donner un prix auquel on pouvait soumissionner. De fait, j'ai reçu plusieurs coups de téléphone de sociétés concurrentes en METP (...). De toute façon, nous réalisions une étude et j'infléchissais le prix pour arriver au dessus du budget. A mon niveau, je n'étais pas informé des modalités de l'entente sur la répartition de marchés de lycées METP en Ile-de-France. V... ne m'a jamais affranchi sur la répartition (...)" (extraits D 3731) [Ci n° 5918 & 8204].
104. M. L..., de CBC : "(...) Il était impossible d'étudier toutes les opérations car nous n'avions pas les moyens et, c'était d'ailleurs le cas chez beaucoup de confrères et nous nous sommes concertés pour cibler les opérations qui nous intéressaient. En ce qui concerne les opérations ciblées, les études étaient très détaillées. Pour les autres, nous avions un logiciel qui nous permettait de faire une étude rapide. Pour ces dernières, nous savions que nous ne serions pas pris. (...) D'une part, mes collaborateurs n'étaient pas au courant de la répartition et d'autre part, il ne fallait pas remettre n'importe quoi. Je n'avais pas besoin du détail du prix du confrère et en présentant un prix relativement élevé, j'étais sûr de ne pas être pris (...). Si dans un premier temps, après l'avis de consultation, ma société était "présélectionnée" avec trois ou quatre autres pour quatre ou cinq opérations, ce qui arrivait par vague de METP, je ciblais l'unique opération où les deux qui me paraissaient faisables. Dans ce cas là, il y avait un arrangement avec les autres entreprises et je ciblais une opération plus particulièrement. 50
Pour les autres opérations, nous faisions une étude moins détaillée qui permettait de remettre un prix et le montant de ce dernier était tel, que je savais que nous ne serions pas pris. Pour ce faire, je majorais d'environ 5 % certains postes. Les autres entreprises faisaient pareil.
Il faut expliquer que l'ampleur du programme de la région était tel qu'il était impossible d'effectuer plusieurs opérations de front et que différents critères comme par exemple la dimension du chantier, sa date de démarrage, sa localisation par rapport à l'entreprise, son environnement sociologique, nous guidaient dans les critères de choix lorsque nous nous réunissions entre collègues (...)" [Ci n° 7739].
105. M. L... nuançait son propos dans une déclaration postérieure soulignant le contrôle exercé par les services techniques du conseil régional : "(...) J'ai reconnu avoir participé à quelques réunions relatives à la répartition des marchés, il me semble y être allé deux fois. Je n'ai par contre, participé à aucune réunion destinée à mettre au point les offres de couverture. En effet, nous n'avions pas besoin de recourir à une telle pratique. Lorsque j'ai soumissionné, nous connaissions les budgets de référence qui étaient d'ailleurs connus par tout le monde. En effet, la région avait annoncé que pour les travaux le budget serait de 3200 F ht le m2. Pour la maintenance c'était 140 F du m2 ou 2 % du patrimoine. Dans ces conditions, si j'avais indiqué à mes confrères que j'étais intéressé pour telle ou telle opération, il suffisait que je colle le plus possible au budget et les autres faisaient leurs prix. Je voudrais souligner que les marchés METP étaient soumis à une commission d'agrément. Que les offres faites par les entreprises étaient remises à la Dases qu'ensuite il y avait l'ouverture des plis, puis l'analyse par la Dases et/ou l'assistant maître d'ouvrage, qu'il y avait un rapport à la commission des marchés et que celle-ci attribuait le marché concerné ou le déclarait infructueux.
Dans ce cas, la Dases convoquait les entreprises concernées. Je veux dire par là qu'il y avait une procédure qui était respectée et que les marchés étaient attribués dans le cadre d'un budget déterminé par la région. Je préfère le redire pour que les choses soient claires et que l'on ait pas l'impression que c'est nous qui avons mis la pression sur la région comme certains articles de presse peuvent le laisser entendre. La région avait ses services techniques compétents pour pouvoir juger et faisait son travail sérieusement (...)" [Ci n° 9043].
106. M. 4..., de Nord France, déclarait : "(...) Bien sûr, le fait d'avoir été préféré sur certains marchés a impliqué que nous aidions d'autres entreprises à l'être. Il y avait réciprocité. Nous avons été obligés de répondre aux offres et de faire une estimation rapide pour les affaires dont on ne voulait pas. De toute façon, nous ne pouvions pas traiter deux METP en même temps (...)" [Ci n° 7746].
107. M. 6... (Dumez) indiquait : "(...) Concernant les offres de couverture, il revenait à mon directeur commercial, Bertrand 7..., de s'en occuper à ma demande. Je pense cependant que lorsque nous étions pressentis comme attributaire, nous communiquions aux autres pré-sélectionnés notre travail de base (constatations matérielles, études techniques) ainsi que le prix plancher au dessus duquel les autres devaient se positionner. En revanche, lorsque nous étions pré-sélectionnés, tout en sachant que le marché ne nous était pas destiné, nous faisions toutes les études d'un bout à l'autre, même si cela nous coûtait de l'argent. Nous pensions qu'il y allait de la réputation de Dumez au travers de la qualité de ses offres. Nous n'adaptions alors que notre prix, au-dessus de celui de l'attributaire pressenti (...)" [Ci n° 7756].
108. M. Bertrand 7..., directeur commercial de Dumez, confirmait les déclarations de M. 6..., son supérieur hiérarchique : "(...) comme je vous l'ai dit, je connais peu de choses en matière d'études de prix et d'offres. Toutefois, après avoir été à la pêche aux informations auprès de 6... (si nous étions potentiellement attributaire du marché) ou auprès de ses confrères des autres majors du BTP (si simple candidature retenue), je communiquais à M. 12... le prix des travaux et lui s'arrangeait pour faire une offre en augmentant le prix, si Dumez n'avait aucune chance d'être retenue (...)" [Ci n° 8225].
109. Les déclarations suivantes confirment la généralité des offres de couverture au sein de l'entente :
Mme 5..., de Spie :
"(...) Question : Comment se passaient les échanges d'informations de prix entre les différents groupes pour être certains d'être les mieux-disants ?
Réponse : (de Mme 5...) : On se communiquait les prix.
Question : Dans l'hypothèse où vous étiez meilleur que la société qui devait être retenue, comment procédiez-vous pour ne pas être l'attributaire ?
Réponse : Nous faisions une offre de couverture en majorant le prix global, le montant des annuités. (...)" [Ci n° 7600].
110. M. M..., de Fougerolle, donnait une explication personnelle au dépôt d'offres de couverture : "(...) nous essayions de mesurer le degré de concurrence ou d'envie de se battre de telle ou telle entreprise sur les marchés. Chacun évoquait les marchés susceptibles d'intéresser son entreprise respective (...)". Nous ne communiquions cependant pas le montant des offres de chacune de nos sociétés (...) (D 3512)". "(...) concernant les offres de prix faites par Fougerolle sur toutes les candidatures certaines ont eu une marge volontairement augmentée car vu notre structure et notre mode de financement sur fonds propres, nous risquions de ne pas pouvoir exécuter un marché sur lequel nous aurions été retenus. Si cela avait été le cas, nous risquions d'être radiés de l'agrément du conseil régional sur les candidatures suivantes. Nous n'avons jamais fait cela pour rendre service à la concurrence mais effectivement cela risquait d'amoindrir la concurrence (...)" (D 3506) [Ci n° 7718 & 7708].
111. M. S... de SAEP : "(...) Lorsque nous étions agréés, nous présentions une offre chiffrée. Nous espérions lorsque nous avions fait connaître nos préférences aux confrères que ces derniers allaient remettre des prix plus élevés ou plus exactement moins compétitifs. J'ai remis en ce qui me concerne des offres où j'étais moins agressif sur des opérations dont je savais qu'elles intéressaient d'autres entreprises. Comme nous faisions systématiquement une étude sur chaque opération, j'avais une idée de l'ordre de grandeur du prix et je savais qu'en ne cherchant pas à être particulièrement compétitif sur telle ou telle affaire, il y avait de fortes chances pour que je ne sois pas pris (...)" [Ci n° 7761].
112. Il résulte des déclarations tenues par les responsables des entreprises et de M. Y de Patrimoine Ingénierie, que l'entente générale de répartition des marchés a été conclue dès les premières réunions, que lors de chaque lancement d'une nouvelle vague ont eu lieu des réunions pour la mettre en œuvre au cas par cas. Le titulaire désigné était signalé à Patrimoine Ingénierie qui, forte de son rôle d'assistant du maître d'ouvrage, favorisait sa désignation par la commission d'appel d'offres, sur la base du critère du mieux-disant. Par ailleurs, les autres entreprises présélectionnées couvraient l'entreprise désignée qui, selon le cas, communiquait ses prix à ses concurrents.
113. Il apparaît que l'entente fonctionnait au stade de la présélection car les entreprises savaient pertinemment que le rôle officieux et irrégulier joué par Patrimoine Ingénierie et la Commission Chevance n'avait pas pour but de faire respecter des critères de sélection objectifs fixés par la commission d'appel d'offres, mais de faire entériner par celle-ci une sélection destinée à favoriser la désignation convenue ou à convenir du futur attributaire du marché.
114. Des responsables d'entreprises ont décrit le fonctionnement de l'entente générale, à propos de certains METP.
5. Illustration du fonctionnement de l'entente
115. Ainsi, à propos de l'établissement Ferry et Cormier à Coulommiers, M. 1..., directeur de l'agence de Seine et Marne de GTM, donnait-il des précisions importantes concernant le déroulement de l'appel d'offres : "En ce qui concerne le marché de Coulommiers, M. V... m'avait informé que nous avons eu ce marché à la suite d'une entente avec nos concurrents. (...). Je suis allé voir M. W... (de Bouygues) et au cours de la réunion, je lui ai donné notre prix (...). En ce qui concerne les deux autres concurrents, je n'arrive plus à me souvenir de quelles sociétés il s'agissait (Fougerolle et Spie) (...). Mais il y a eu également un échange d'informations pour que nous soyons les mieux placés pour l'obtention du marché" (procès-verbal du 22 octobre 1998 - cote D 2979).
116. S'agissant du marché du lycée d'Etampes, M. 1... exposait : "(...) En ce qui concerne le lycée d'Etampes, je me souviens avoir fait une offre de couverture (...). C'est bien à l'entreprise attributaire que j'ai fait l'offre de couverture, mais je ne me souviens pas qui était mon correspondant" (procès-verbal du 18 octobre 1999 - cote D 3379).
117. S'agissant de l'établissement Galois, à Sartrouville, M. 11..., directeur d'agence de GTM, déclarait : "Sur ce marché, M. V... m'avait donné pour instruction de communiquer aux trois autres concurrents à savoir Bouygues, SAEP et Nord France, le niveau de notre offre (...)" (procès-verbal du 2 février 2000 - cote D 3731).
118. Le mode de discussion, vague par vague, était illustré par M. L.... Chaque membre de l'entente sélectionnait des marchés dans chacune des vagues en exécution de la répartition générale initiale : "(...) Pour moi, les réunions de répartitions n'étaient pas uniquement destinées aux sociétés dépendant des grands groupes (Spie Bouygues Cge Lyonnaise Des Eaux). J'ai discuté plus précisément pour l'obtention de certains METP. Gespace a obtenu :
- pour la vague n° 1 : Fénelon et Sophie Germain à Paris ;
- pour la vague n° 2 : Bolland à Poissy, Cachin à St Ouen, Armand à Nogent Sur Marne ;
- pour la vague n° 4 : Diderot à Paris ;
- pour la vague n° 6 : Louis Le Grand à Paris ;
- pour l'attribution du 30/03/1994 : Lycée Louis Bascan à Rambouillet.
Par contre, nous avons obtenu également différents lycées, mais uniquement pour la partie maintenance, qui sont : Breteuil à Montigny et Condorcet à Limais, Descartes à Champs, Gallois à Noisy-Le-Grand, Marey à Boulogne, Mendès-France à Savigny Le Temple, Monet à La Queue Les Yvelines et Pascal à Brie (...)" [Ci n° 7514].
119. A propos de chaque marché, l'entente fonctionne de la manière suivante, sans que soit toujours nécessaire l'intervention de Patrimoine Ingénierie :
- les entreprises, au cours de réunions préalables à l'agrément des candidats, se réunissaient pour désigner l'attributaire futur du METP ;
- cette désignation était portée à la connaissance de la région et notamment de Patrimoine Ingénierie SA (AMO) ;
- l'attributaire pré-désigné figurait alors parmi les entreprises agréées pour déposer une offre ;
- les entreprises agréées échangeaient des informations qui permettaient la remise d'offres de couverture ;
- ces offres de couverture pouvaient être réalisées à partir de l'étude faite par l'attributaire pressenti par l'entente ;
- Patrimoine Ingénierie lorsqu'il procédait à l'analyse des offres comme assistant du maître d'ouvrage (AMO) intervenait auprès de l'attributaire pressenti, afin que son offre entre dans un budget défini par la maîtrise d'ouvrage (dont il faisait partie comme AMO) ;
- le prix de l'ouvrage comprenait également la commission versée par l'entreprise au titre du financement des partis politiques.
6. Les marchés de conception-réalisation et les marchés dits de grosses opérations n'ont pas donné lieu à l'entente
120. Au cours de l'information pénale, les entreprises ont reconnu s'être concertées pour se répartir les METP, mais ont exclu les marchés de conception-réalisation. Aucun indice n'a par ailleurs été recueilli concernant les marchés dits de grosses opérations.
121. M. R..., directeur commercial de SICRA, expliquait que les négociations avec le maire de la commune d'implantation du lycée, membre déterminant du jury de concours, constituaient une des raisons pour lesquelles la procédure de conception-réalisation était en pratique exclue du champ de l'entente : "(...) Les maires constituaient un facteur déterminant. Ils étaient membres du jury de concours et leur avis était très important puisque c'est le paysage communal qui pouvait être modifié par le parti architectural de l'ouvrage. C'est la raison pour laquelle nous essayions de toujours rencontrer le maire. Nous lui demandions quels étaient ses voeux concernant l'architecture et tentions de lui présenter des esquisses pouvant y correspondre. C'est du moins mon expérience personnelle. Le maire apportait des critiques et nous influençait dans telle ou telle direction. Lui donner satisfaction était le gage de notre réussite (...)" [Ci n° 4522].
122. M. V... (directeur commercial de GTM Construction) : "(...) Je précise que les accords entre entreprises ne concernaient que les METP et pour les conceptions-constructions les procédures se passaient normalement, mais ces opérations étaient quand même concernées par les 2 % (...)" [Ci n° 10458, voir également des déclarations identiques de M V... en Ci n° 5968].
123. M. K..., supérieur hiérarchique de M. V... confirmait ainsi ces déclarations : "(...) il me semble que ces ententes ne concernaient que les METP (...) c'est mon collaborateur, Jacques V..., qui m'en avait informé. Personnellement je ne suis pas Don Quichotte, je ne me suis pas battu contre (...)" [Ci n° 6028 et Ci n° 10451]. 54
c) Les participants à l'entente
124. Lors de leurs diverses auditions par les autorités judicaires, les responsables des entreprises de construction engagées dans les différentes "vagues" de METP énuméraient, chacun de leur côté, les différents interlocuteurs "concurrents" qu'ils avaient l'habitude de rencontrer lorsqu'était discutée la répartition des METP et indiquaient leur niveau hiérarchique au sein des entreprises qu'ils représentaient.
125. M. V..., directeur général de GTM, précisait "(...) Il est exact que tous les participants n'étaient pas de même niveau. Ainsi :
Spie et SGPM étaient représentées par Mme 5..., directeur commercial (5...) ;
SAEP était représentée par M. S..., directeur régional ;
Fougerolle et Quillery étaient représentées par M. M..., directeur commercial ;
Bouygues et Brezillon étaient représentées par M. N..., directeur des ouvrages fonctionnels ;
Sicra et Sogéa par M. X, directeur commercial ;
CBC et peut-être Campenon par M. L..., directeur général ;
Dumez par M. 6..., PDG ;
Nord France par M. 4..., directeur commercial ;
Je vous précise que, pour GTM, c'est normalement M. K... qui aurait dû représenter l'entreprise, mais que compte tenu de sa maladie je l'ai remplacé (...)" [Ci n° 6071].
126. M. N..., directeur de Bouygues, énumérait les participants rencontrés lors des réunions de concertation : "(...) Nous n'avons pas énuméré les noms des participants aux différentes réunions préparatrices. Il y avait 4... pour Nord France, 6... pour Dumez, L... pour CBC, S... pour SAEP, Mme 5... pour Spie, M... pour Fougerolle, V... pour GTM et X pour Sicra. Je n'entretenais aucun lien d'amitié avec l'un ou l'autre des participants. Pour la plupart d'entre eux, il s'agissait de personnes expérimentées et ayant une grande ancienneté dans la profession. Vous me demandez pourquoi c'est moi-même qui ai assisté aux réunions et non mon directeur commercial. En fait, lorsque j'ai rencontré Y au moment où il avait en projet la première réunion, il m'a demandé de m'y rendre. Je ne pouvais décliner l'invitation (...)" [Ci n° 7547].
127. M. François M..., directeur commercial de Fougerolle, donnait les noms des participants aux réunions de l'entente : "(...) Il m'est arrivé d'avoir des contacts avec des sociétés concurrentes durant cette phase. Ces contacts ont eu lieu entre autres dans un hôtel du bas des Champs-Élysées. A cette occasion, je me souviens que Gilbert Y était venu nous préciser ce que la région attendait des METP ; je ne me souviens plus s'il était déjà AMO. Il y avait aussi MM. V... et K... pour GTM, M. 6... de chez Dumez, MM. N... et 13... de chez Bouygues ainsi que d'autres personnes dont je ne me souviens plus précisément. Les discussions portaient sur des points techniques, problèmes de maintenance, de financement (...)" [Ci n° 7705].
128. M. Léon 4..., directeur commercial de l'entreprise Nord France : "(...) Je reconnais avoir assisté à des réunions avec Messieurs L..., N..., M..., S..., Mme 5..., M. 6..., M. V... et X. A certaines de ces réunions assistait M. Y (...)" [Ci n° 7746].
129. M. Gérard S..., directeur d'agence de la SAEP, donnait le nom des participants aux réunions qui, selon lui, n'étaient pas des réunions de répartition, même s'il avait pendant celles-ci "(...) parlé à mes collègues que je m'intéresserai éventuellement à un lycée. (...) ces réunions se sont passées au SNBATI, je représentais la société la SAEP, pour Bouygues il s'agissait de M. 14..., pour Dumez M. 6..., pour Fougerolle, M. M..., pour la Générale des Eaux, M. X ou Z ainsi que M. L..., pour Nord France M. 4.... Il s'agissait de réunions officielles où étaient présents M. D... ou Monsieur Y (...)" [Ci n°7616].
130. M. 6..., directeur général de Dumez-IDF, après avoir nié l'entente dans ses premières déclarations, reconnaissait l'existence d'une répartition des marchés METP entre entreprises concurrentes ; toutefois, il ne nommait pas les participants : "(...) Nous étions une dizaine à ces réunions. Des représentants d'entreprises et M. Y, il n'y avait personne d'autre. Il s'agissait d'une pièce seulement meublée d'une table et de chaises. M. Y était au milieu et répondait aux questions. Je vous répète malgré les déclarations de certains collègues que, lors de ces deux réunions, il n'a jamais été question d'arrangements ou de répartition entre sociétés. (...) A également été abordée au cours de la réunion, la question d'une certaine répartition des marchés dont le volume était trop important (...) les entreprises ont alors émis certains souhaits particuliers de marchés (...)" (extrait annexe 75) [Ci n° 7677, 7669, 7689, 7694, 7756].
131. Les propos de M. 6... étaient confirmés par M. Bertrand 7..., directeur commercial de Dumez-IDF : "(...) Effectivement, il y avait une entente entre les grands majors et les quelques sociétés de moyenne importance mais je n'étais pas au courant de tout. C'est Monsieur 6... qui a participé à ces réunions (...)" [annexe n° 77 PV du 23 février 2000 cote D 3738 Ci n° 8225].
132. M. Patrick L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France, énumérait les participants aux réunions de répartition des marchés : "(...) Nous avons cherché à nous répartir les marchés en fonction de nos capacités de réalisation respectives. Les entreprises intéressées étaient représentées par M. N... pour Bouygues, M. S... pour SAEP, MM. X et Z pour Sicra, M. 4... pour Nord France, M. M... pour la société Fougerolle, M. Dupret et moi-même pour CBC et Gespace, M. 6... pour Dumez, M. V... et K... pour GTM, Mlle 5... pour Spie. Il me semble que M. Sterheim [Sternheim] pour Rabot-Dutilleul, était présent pour la réunion de répartition(...)" [Ci n° 7514].
133. M. L... poursuivait : "(...) Pour moi, les réunions de répartition n'étaient pas uniquement destinées aux sociétés dépendant des grands groupes (Spie Bouygues CGE Lyonnaise Des Eaux). J'ai discuté plus précisément pour l'obtention de certains METP. Gespace a obtenu :
- pour la vague n° 1 : Fénelon et Sophie Germain à Paris ;
- pour la vague n° 2 : Bolland à Poissy, Cachin à St Ouen, Armand à Nogent Sur Marne ;
- pour la vague n° 4 : Diderot à Paris ;
- pour la vague n° 6 : Louis Le Grand à Paris ;
- pour l'attribution du 30/03/1994 : lycée Louis Bascan à Rambouillet.
Par contre, nous avons obtenu également différents lycées, mais uniquement pour la partie maintenance, qui sont : Breteuil à Montigny et Condorcet à Limais, Descartes à Champs, Gallois à Noisy-Le-Grand, Marey à Boulogne, Mendès-France à Savigny Le Temple, Monet à La Queue Les Yvelines et Pascal à Brie (...)"[Ci n° 7514].
134. Mme 5..., directeur commercial de SCGPM, donnait également lors de son audition, la liste des participants aux réunions de répartition : "(...) Pour en revenir au nom des participants aux réunions entre majors en vue de la répartition des marchés, je me souviens de la présence de X pour Sicra, Jacques V... pour GTM, de N... pour Bouygues, de M... pour Fougerolle, de 4... de Nord-France, de S... pour SAE, de 6... pour Dumez. Vous me rappelez la présence de L... pour CBC et de X pour Sogea, c'est exact, je m'en rappelle (...)" [Ci n° 7600].
135. M. X, de Sicra-Sogea, apportait les précisions suivantes quant aux participants à l'entente : "(...) Vous me donnez connaissance de ce que M. V... (cote D 2947) a indiqué que Bouygues était représentée par Monsieur N..., SAEP par Monsieur S..., Spie par Mademoiselle 5..., Nord France par Monsieur 4..., Fougerolle par Monsieur M..., CBC par Monsieur L..., Dumez par Monsieur 6.... Je le confirme. Pour ma part, je représentais Sicra et Sobea. Je relève qu'une partie seulement des personnes présentes étaient des directeurs commerciaux et que certaines entreprises étaient représentées par leurs patrons (...)" [Ci n° 6067].
136. Selon les déclarations concordantes des personnes physiques qui ont pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation et la mise en œuvre de l'entente, les entreprises concernées étaient les suivantes : Bouygues, Brezillon, Campenon Bernard, CBC, Dumez, Fougerolle, Gespace, GTM, Nord France, Quillery, Rabot-Dutilleul, SAE, SAEP, SGPM, Sicra, Sogéa et Spie.
2. LES ÉLÉMENTS DE PREUVE RELATIFS À UNE CONCERTATION ENTRE DEUX ENTREPRISES DU BTP POUR LE MARCHÉ D'ENTREPRISE DE TRAVAUX PUBLICS DU LYCÉE RASPAIL À PARIS
137. Au cours de l'information pénale, les déclarations des responsables des sociétés Rabot-Dutilleul et Sicra, relatives à l'appel d'offres concernant le METP du lycée Raspail à Paris ont révélé que la société Rabot-Dutilleul avait accepté de déposer, contre le versement d'une rémunération occulte de 1 900 000 F, une offre de couverture pour permettre à Sicra d'obtenir ce marché très important. Cette rémunération a été versée sous la forme de l'augmentation d'un dédit prévu par une convention de société en participation conclue par ces deux sociétés et relative à la construction d'un hôtel à Roissy.
138. Les déclarations afférentes à cette pratique figurent aux pages 143 et 144 de la notification des griefs.
3. LES AUTRES MARCHÉS
139. Le Conseil de la concurrence a été également saisi de la situation de la concurrence lors d'autres opérations menées par la région pour la construction ou la rénovation d'établissements scolaires, et plus particulièrement :
a) Les travaux de reconstruction et réhabilitation d'un établissement régional d'enseignement adapté (Erea), dénommé "La Tour du Mail" situé à Sannois (95) (saisine F. 1127)
140. Pour ces travaux, les offres remises le 20 avril 1998 relatives à un premier appel d'offres ouvert ont fait apparaître la société GTM comme moins-disante pour un montant de 77 063 400 F (supérieur à l'estimation du maître de l'ouvrage), suivie par les sociétés Quillery, Bouygues, Hervé et Brezillon. L'appel d'offres a été déclaré infructueux et un deuxième appel d'offres ouvert a été programmé le 25 septembre 1998 dont la société GTM a été à nouveau le candidat moins-disant pour un montant de 78 004 080 F (toujours supérieur à l'estimation du maître de l'ouvrage et supérieur au montant de sa première offre), suivie par les sociétés Delau, Sicra, Quillery, Hervé, Bouygues et Urbaine de Travaux. Le conseil régional a confié alors une expertise sur ces soumissions à un cabinet extérieur qui relevait diverses anomalies dans les propositions remises. Ce deuxième appel d'offres a été également déclaré infructueux et une troisième consultation en corps d'états séparés engagée le 21 mai 1999. Le dépouillement des offres pour le lot principal n° 2 estimé à 30 511 800 FHT faisait apparaître la société Hervé comme moins-disante (1,5 % au-dessus de l'estimation de la maîtrise d'œuvre), suivie de Sicra, Chagnaud, Delau et GTM (avec une offre d'un montant de 40 521 600 F). La commission d'appel d'offres a désigné la société Hervé pour l'attribution du marché.
141. Les quatre sociétés GTM, C. Delau, Quillery et Hervé étaient suspectées de s'être entendues pour désigner l'attributaire en pratiquant des offres de couverture. Selon la plainte du maître d'ouvrage, les études et les prix remis par chacun des compétiteurs (notamment le lot électricité) présentaient des similitudes donnant à penser que des offres de couverture avaient été déposées par les compétiteurs sur la base d'une étude commune [Ci n° 28209 & 28210].
142. Des opérations de visites et de saisies ont été conduites le 11 avril 2002, suivies par diverses investigations relatées dans le rapport d'enquête du 20 décembre 2002 de la DNEC.
143. Les visites et saisies menées dans les locaux des différentes entreprises soumissionnaires n'ont apporté aucun élément permettant de suspecter des échanges d'informations entre les entreprises. Au contraire, en ce qui concerne les sociétés Quillery-Bâtiment et Laine-Delau, des documents saisis ont montré que ces sociétés avaient procédé à des études de prix pour établir leurs offres respectives [rapport DNEC pages 31 et 32. Ci n° 28210].
144. L'enquêteur concluait que : "(...) Les investigations réalisées en application de l'article L. 450-3 et 4 du Code de commerce n'ont pas révélé de faits et de pièces matérielles permettant de conclure à l'existence de concertation illicite au sens de l'article L. 420-1 du Code précité. (...) (...) Dans le cas de l'EREA de Sannois, des éléments ont été produits (Quillery, Lainé-Delau et Hervé) pour accréditer l'effectivité d'études indépendantes. En outre, le recours au même bureau d'études extérieur (Abscys Conseil) par au moins deux entreprises (Quillery et Lainé-Delau) pour les lots techniques pourrait expliquer certaines convergences entre les offres (...)".
b) La réfection de l'étanchéité des toitures-terrasses du lycée polyvalent Fustel de Coulanges à Massy (saisine F. 1261)
145. L'appel d'offres ouvert a été lancé le 15 décembre 1999, pour des travaux répartis en deux lots, étanchéité (estimation 520 485,48 F. TTC) et serrurerie (estimation 121 323,60 F. TTC). Le 24 janvier 2001, à l'ouverture des plis, il apparaissait que deux offres avaient été déposées pour le lot n° 1, l'offre de la société Deschamps (552 361,26 F. TTC) et celle de Bati-Etanche (520 485,48 F. TTC). L'appel d'offres était déclaré infructueux en raison de l'identité des prix entre Bati-Etanche et l'estimation de l'architecte. Un second appel d'offres a été lancé, regroupant au sein d'un lot unique les deux prestations serrurerie et étanchéité, pour lequel trois entreprises ont répondu : Bati-Etanche (822 053,62 F. TTC), Deschamps (447 608,98 F. TTC) et Chapelec (1 018 785,09 F. TTC).
146. La société Bati-Etanche était alors soupçonnée de collusion avec le maître d'œuvre, pour avoir remis le 24 janvier 2001 une offre pour le lot étanchéité d'un montant de 520 485,48 F. TTC, identique au centime près à l'estimation du maître d'œuvre M. 15....
147. Lors des visites et saisies du 11 avril 2002, les enquêteurs ont saisi, au siège de cette société, le dossier du marché du lycée Fustel de Coulanges qui comprenait notamment douze feuilles de croquis et de calculs manuscrits sans aucune mention relative à des contacts avec des professionnels tiers, ainsi que le détail estimatif annoté (Ci n° 28210).
148. M. Michel 16..., président directeur général de la SA Bati-Etanche, entendu par l'enquêteur le 26 avril 2002, a déclaré qu'il avait personnellement procédé aux études pour répondre à cet appel d'offres et que les différents échanges téléphoniques qu'il avait eus avec les personnes en charge du dossier au CRIF avaient concerné la mise au point technique de son offre (Ci n° 28210)
149. L'inspecteur concluait ainsi : "(...) Les investigations réalisées en application de l'article L. 450-3 et 4 du Code de commerce n'ont pas révélé de faits et de pièces matérielles permettant de conclure à l'existence de concertation illicite au sens de l'article L. 420-1 du Code précité. Enfin, les constats faits sur le premier appel d'offres pour les travaux sur les toitures du lycée Fustel de Coulanges à Massy ne permettent pas de rejeter l'argumentation développée par M. 16..., Président Directeur Général de la société Bati Etanche (...)".
c) Le marché de travaux de réparations du lycée polyvalent Jules Vernes à Cergy-Le-Haut (saisine F. 1293)
150. Un appel d'offres a été lancé le 4 août 2000 pour des travaux à la suite d'un sinistre. Pour préparer cette consultation, le maître d'ouvrage s'est assuré la collaboration de différents acteurs : la DDE du Val d'Oise a été désignée comme mandataire et l'équipe de maîtrise d'œuvre était constituée de Setec Bâtiment, de l'architecte J. M. 17..., de la SARL Sodecset et de la société Terrasol.
151. La société SNSH (22 412 620,00 F. HT), avec la société Brezillon (21 384 027,20 F. HT) ont été les seules entreprises à répondre. L'estimation de la maîtrise d'œuvre (Bureau d'études Setec Bâtiment et l'architecte J. M. 17...) s'élevait à 22 553 500 F. HT.
152. Lors de la saisine du Conseil de la concurrence, le conseil régional d'Ile-de-France avait fondé ses soupçons d'entente sur une communauté d'intérêts entre l'architecte J. M. 17... et le groupe Bouygues, dont Brezillon est une filiale.
153. Les investigations des 11 avril (perquisition) et 7 mai 2002 menées par les enquêteurs auprès de SNSH n'ont apporté aucune preuve matérielle d'un échange d'informations illicite entre les sociétés Brezillon, SNSH et M. 17....
154. M. 18..., directeur général adjoint de SNSH, a nié avoir des relations commerciales approfondies avec des collaborateurs de la société Brezillon et avec M. 17.... M. 18... a refusé d'établir un lien entre le marché Jules Verne et celui de Belliard, pour lequel la société Brezillon avait également remis une offre, mais d'un montant supérieur à celle de SNSH (Ci n°28210).
155. La visite des locaux de la société Brezillon, filiale de l'entreprise Bouygues, à Noyon (60) n'a pas davantage permis de saisir des pièces à charge relatives à ce dossier.
156. L'inspecteur concluait ainsi : "(...) En ce qui concerne le lycée Jules Verne, à Cergy le Haut, s'il est apparu que des liens existaient effectivement entre l'architecte M. 17... et le groupe Bouygues (...) il n'a pas pu être acté que ces liens avaient été exploités sur ce marché dans une finalité anticoncurrentielle. Pour le reste, la période estivale de l'appel d'offres et le contexte technique de la reprise de sinistre sur ce lycée pourrait expliquer la désaffection des entreprises pour ce dossier peu engageant (...)".
G. LES GRIEFS NOTIFIÉS
Premier grief
157. Le rapporteur a notifié le 19 septembre 2005, à 23 entreprises, un grief par lequel il était reproché aux entreprises de "s'être librement concertées, avant le dépôt des offres, pour se répartir entre entreprises en situation de se faire concurrence les 90 marchés d'entreprises de travaux publics (METP) lancés par le conseil régional d'Ile-de-France et faire ainsi obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse et ce depuis temps non prescrit et jusqu'au 11 juillet 1996".
158. Le grief a été complété afin de mettre en évidence l'existence d'une entente générale portant sur les 90 METP dans une notification des griefs complémentaire rédigée en ces termes : " s'être librement concertées, avant le dépôt des offres, pour se répartir entre entreprises en situation de se faire concurrence les 90 marchés d'entreprises de travaux publics (METP) lancés par le conseil régional d'Ile-de-France, ce qui constitue une entente générale sur ces 90 marchés METP qui avait pour objet et pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence en favorisant artificiellement leur hausse et ce depuis temps non prescrit et jusqu'au 11 juillet 1996. Ces pratiques qui avaient pour objet ou pour effet d'empêcher le libre jeu de la concurrence constituent des infractions prévues et réprimées par l'article 7-2°) et 4°) de l'ordonnance 86-1243 du 1er décembre 1986, en vigueur au moment de leur commission et devenu depuis l'article L. 420-1 du Code de commerce".
159. Cette notification de griefs complémentaire avait également pour objet de préciser l'identité de certaines entreprises destinataires de la première notification et de mettre en cause de nouvelles entreprises. Elle a été adressée le 29 mars 2006 aux entreprises ci-dessous énumérées qui comprennent les destinataires de la première notification.
160. Les entreprises mises en cause sont les suivantes :
Bouygues Bâtiment International SA ; Bouygues Bâtiment Ile-de-France SA venant aux droits de Olin SA ; Bouygues SA ; Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon ; Gespace France SA ; Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction SA (CBC) ; Nord France Boutonnat SA venant aux droits de Nord France SA ; Patrimoine Ingénierie SA ; Rabot-Dutilleul Construction SAS venant aux droits de Rabot Dutilleul Entreprise SA ; Fougerolle SAS ; SAEP équipements SNC ; SAEP SNC ; Spie-SCGPM ; Sicra SNC ; SGPI venant aux droits de Patrimoine Ingénierie SA ; Vinci SA venant aux droits de Sobéa Ile-de-France SNC ; Effiparc venant aux droits de Sobéa Ile-de-France SNC ; Vinci Construction SAS venant aux droits de Campenon Bernard SNC et de Campenon Bernard Bâtiment SNC ; Campenon Bernard Construction SA venant aux droits de Campenon Bernard Bâtiment SNC ; Vinci Construction venant aux droits de quatre entreprises : Dumez-GTM, Campenon Bernard SGE SNC, GTM Bâtiment et Travaux Publics (GTM) et Campenon Bernard SNC ; Eiffage Construction venant aux droits de trois sociétés : Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE), Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) et Entreprises Quillery et Cie ; Dumez Construction SNC venant aux droits de Dumez Ile-de-France SNC ; Dumez Ile-de-France SNC ; AMEC SA venant aux droits de deux sociétés Spie-Citra et de Spie Construction ; Eiffage TP SAS venant aux droits de Enteprises Quillery et Cie et Entreprise Quillery et Cie.
Second grief
161. Le grief suivant a été notifié à Rabot Dutilleul Construction SAS venant aux droits de Rabot Dutilleul Entreprise SA et Sicra SNC : "s'être librement concertées, avant le dépôt des offres, pour se répartir entre entreprises en situation de se faire concurrence le marché d'entreprise de travaux publics (METP) lancé par le conseil régional d'Ile-de-France pour la réhabilitation et la reconstruction du lycée Raspail à Paris et faire ainsi obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse et ce depuis temps non prescrit jusqu'au 11 juillet 1996".
II. DISCUSSION
H. SUR LA MISE HORS DE CAUSE DE CERTAINES SOCIÉTÉS
162. L'instruction menée par le rapporteur a conduit ce dernier à proposer dans son rapport la mise hors de cause de certaines sociétés. Au vu des éléments du dossier, le Conseil retient :
1. que le premier grief a été notifié à tort à deux sociétés au motif qu'elles venaient aux droits d'entreprises impliquées dans les pratiques :
- à Eiffage TP SAS qui a seulement succédé à Entreprise Quillery et Cie dont les coordonnées ont été indiquées par erreur sur la convention de METP du 6 mars 1992 pour les travaux du lycée Aristide Briand à Le Blanc Mesnil, alors que ce marché a été attribué en réalité à Entreprises Quillery et Cie qui exerçait une activité dans le bâtiment, et qui a été intégrée à Eiffage Construction à laquelle le grief a été notifié ;
- à Vinci Construction SAS, alors qu'elle n'a pas succédé aux SNC Campenon Bernard et Campenon Bernard Bâtiment ;
2. que les deux griefs ont été notifiés à tort à Rabot Dutilleul Construction alors que Rabot Dutilleul Entreprise SAS, à laquelle ils auraient dû être imputés, a conservé sa personnalité juridique et a pris le nom de Contracts-Middle-East.
3. que le premier grief n'a pas été imputé valablement :
- à Dumez-GTM alors que c'est Dumez Ile-de-France qui a été attributaire de plusieurs METP (cf. ci-dessus), de sorte que Vinci Construction SA qui est venue aux droits de Dumez-GTM n'a pas été valablement attraite dans la cause à ce titre ;
- à Sobea Ile-de-France, de sorte que la société Effiparc Ile-de-France SNC, nouvelle dénomination de Sobea et Vinci SA attraite dans la cause comme venant aux droits de Sobea, n'auraient pas dû être destinataire du grief ;
- à SAEP Equipements SNC (RCS Evry n° 389 625 054) et à SAEP SNC (RCS Evry n° 989 625 278) ;
- à Bouygues Bâtiment International SA anciennement dénommé Bouygues Bâtiment.
163. En conclusion, sont mises hors de cause les sociétés suivantes :
- Eiffage TP SAS ; Vinci Construction SAS ; Vinci SA et Effiparc IDF ; SAEP Equipements SNC et SAEP SNC ; Bouygues Bâtiment International SA ; Rabot-Dutilleul Construction.
- Vinci Construction SA en ce qu'elle vient aux droits de Dumez-GTM mais demeure dans la cause pour les autres sociétés auxquelles elle a succédé.
164. Il convient de constater que Rabot-Dutilleul Entreprise SAS n'est pas dans la cause.
I. SUR LES SAISINES DU PRÉSIDENT DU CONSEIL RÉGIONAL
165. Les sociétés Bouygues SA, Bouygues Bâtiment Ile-de-France, venant aux droits de la société Olin et Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon, soutiennent que les saisines F. 883, F. 1261, F. 1127 et F. 1293 sont irrecevables en raison du défaut d'habilitation du président du conseil régional pour agir au nom du conseil régional d'Ile-de-France, contrairement aux dispositions des articles L. 4221-1 et L. 4231-7 du Code général des collectivités territoriales. Enfin, certaines entreprises soutiennent que les saisines du conseil régional référencées F. 883, F. 1261 et F. 1293 seraient irrecevables en l'absence de production d'indices probants. Bouygues SA avance que l'origine des pièces des différents marchés visées dans lesdites plaintes n'est pas déterminée. Ces manquements violeraient les principes du procès équitable et conduiraient à la nullité de ces saisines.
166. Mais à la suite des investigations menées par les enquêteurs de la DNEC sur les marchés dénoncés par les saisines F. 1261, F. 1127 et F. 1293 et l'instruction menée par le rapporteur (§ 140 à 156), aucun grief n'a été notifié aux entreprises qui ont soumissionné à ces marchés. Il n'y a pas lieu, dès lors, d'examiner la question de recevabilité soulevée par les sociétés Bouygues SA et Bouygues Bâtiment Ile-de-France concernant le défaut d'habilitation du président du conseil régional pour agir au nom du conseil régional d'Ile-de-France. Il en va de même de toute autre question concernant ces trois saisines et notamment du moyen tiré de l'absence d'éléments probants fournis à l'appui des saisines.
167. Les marchés dénoncés par la saisine initiale du conseil régional F. 883 ne sont pas les marchés de travaux concernés par la présente procédure notamment en ce qui concerne le lycée de Jouy le Moutier qui est un METP - réalisation et le lycée d'Alembert qui est un marché grosse opération antérieur au METP portant le même nom (cf. paragraphes 16 et 37). Une demande d'enquête a été adressée le 14 novembre 1996 à la DGCCRF portant sur l'ensemble des faits visés par cette saisine et par la saisine d'office. Ces faits ont donné lieu à une information pénale dont le dossier a été transmis au Conseil dans le cadre de la saisine d'office. Ces pièces et documents du dossier pénal constituent les principaux éléments de preuve des pratiques soumises à l'examen du Conseil dans la présente procédure et concernent exclusivement quatre-vingt dix METP. Les marchés dénoncés par la saisine F. 883 n'ont fait l'objet d'aucun grief notifié aux entreprises soumissionnaires. Il n'y a donc pas lieu non plus d'examiner la question de recevabilité soulevée par les sociétés ci-dessus dénommées. Il en va de même de toute autre question concernant la saisine F. 883, et notamment du moyen tiré de l'absence d'éléments probants fournis à l'appui de la saisine.
J. SUR LA RÉGULARITÉ DE LA SAISINE D'OFFICE
168. Les sociétés Bouygues SA, Bouygues Bâtiment Ile-de-France, venant aux droits de la société Olin et Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon, soutiennent que l'irrégularité de la saisine F. 883, en raison du défaut d'habilitation du président du conseil régional, a pour effet de vicier la décision de saisine d'office du Conseil en ce qu'elle est exclusivement fondée sur la saisine F. 883 et sur le procès-verbal d'audition de Mme 19... établi dans le cadre de cette saisine (F. 883) (premier point). Selon les parties, l'annulation des actes se rattachant aux saisines F. 883, F. 1127, F. 1261 et F. 1293 conduit à constater la prescription des faits dans la saisine F. 889, car les actes accomplis dans les trois années suivant la décision d'autosaisine se rattachaient également à la saisine F. 883 (deuxième point).
169. Mais sur le premier point, en ce qui concerne la faculté pour le Conseil de se saisir d'office (F. 889), ni l'article 11 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, ni le décret pris pour son application ne font obligation au Conseil de motiver ses décisions d'autosaisine, ainsi que la Cour d'appel de Paris l'a souligné, dans l'arrêt "Banques" du 27 novembre 2001 : "aucune disposition n'impose au Conseil de la concurrence de rendre compte des circonstances dans lesquelles il a estimé opportun d'exercer le pouvoir de se saisir d'office que la loi lui reconnaît afin, notamment, de le mettre en mesure de donner sa propre orientation à la politique de la concurrence". Le Conseil de la concurrence est souverain dans l'appréciation de l'opportunité de se saisir d'office et n'a pas à rendre compte des circonstances dans lesquelles il décide d'exercer ce pouvoir. Le Conseil n'a donc pas à justifier son auto-saisine, ni à produire les éléments factuels au vu desquels il a pris sa décision. Dès lors, l'éventuel retrait du dossier de la déclaration de Mme 19... ne saurait avoir d'effet sur la régularité de cette saisine d'office.
170. Sur le deuxième point, à supposer même que la saisine F. 883 soit irrecevable, la circonstance que les actes d'instruction accomplis dans le cadre de la saisine d'office F. 889 aient également visé la saisine F. 883 ne saurait entraîner la nullité de ceux-ci. Ces actes ont donc valablement interrompu la prescription des faits visés par la saisine F. 889 qui couvre d'ailleurs un champ d'investigation beaucoup plus étendu que celui couvert par la saisine F. 883.
171. Le moyen doit en conséquence être écarté.
K. SUR LA PRESCRIPTION
172. Les entreprises mises en cause soutiennent, d'une part, que n'ayant pas participé à une entente générale, la prescription ne peut pas obéir aux règles applicables aux infractions continues. Le point de départ du délai serait, selon elles, la date de remise des offres relatives à chaque METP et au plus tard la date de clôture de chaque appel d'offres. La prescription serait acquise pour les faits antérieurs de plus de trois ans aux premiers actes l'ayant interrrompue, c'est-à-dire la saisine du président du conseil régional du 18 juin 1996 ou la saisine d'office du Conseil de la concurrence du 11 juillet 1996.
173. Les entreprises soutiennent, d'autre part, qu'à la suite de ces saisines, aucun acte tendant à la recherche, à la constatation ou à la sanction des faits n'a interrompu la prescription, de sorte que cette dernière serait acquise pour l'ensemble des pratiques notifiées.
174. Pour répondre à ces moyens, il convient de faire une distinction entre le premier grief, qui porte sur l'entente générale de répartition des 90 METP, et le second grief, qui concerne le seul METP de réhabilitation et de construction du lycée Raspail.
a) En ce qui concerne les pratiques d'entente générale portant sur les 90 METP
175. Aux termes de l'article L. 462-7 du Code de commerce : "Le Conseil ne peut être saisi de faits remontant à plus de trois ans s'il n'a été fait aucun acte tendant à leur recherche, leur constatation ou leur sanction". Il convient, en premier lieu, d'examiner quel a été le point de départ de la prescription des pratiques relevées, en rapport avec le délai de prescription de trois ans, et, en deuxième lieu, de rechercher si les différents actes accomplis par le Conseil ont pu valablement interrompre cette prescription une fois qu'elle a commencé à courir.
Sur le point de départ de la prescription des pratiques relevées
176. Seront d'abord rappelées les règles applicables aux pratiques continues en droit national puis en droit communautaire de la concurrence, qui seront rapprochées de celles en vigueur en droit pénal. Sera ensuite discutée leur application.
Règles applicables
En droit national de la concurrence
177. La détermination du point de départ de la prescription de pratiques anticoncurrentielles dépend de la manière dont les faits se sont déroulés dans le temps. La pratique à caractère instantané est réalisée en un trait de temps dès la commission des faits qui la constitue. Le point de départ de la prescription se situe le lendemain du jour où ces faits ont été commis. Tel est le cas d'une consigne de boycott diffusée par une lettre circulaire (décision n° 03-D-52) ou d'un refus de vente par une entreprise en position dominante (décision n° 05-D-75). La prescription commence à courir de façon différente lorsque la pratique est continue, notion dont la définition est donnée dans l'étude qu'a consacrée le Conseil de la concurrence au régime de la prescription en droit national de la concurrence (rapport d'activité pour 2002, p. 91) : "Les pratiques anti-concurrrentielles revêtent le caractère de pratiques continues lorsque l'état délictuel se prolonge dans le temps par la réitération constante ou la persistance de la volonté coupable de l'auteur après l'acte initial. Il s'agit de pratiques caractérisées par la continuité de la volonté anticoncurrentielle sans qu'un acte matériel ait nécessairement à renouveler la manifestation dans le temps, de telle sorte que le calcul du point de départ de la prescription ne commencera qu'à compter de la cessation des pratiques".
178. Plusieurs décisions du Conseil ont fait application de cette règle, qui permet de retenir des faits antérieurs au délai de prescription de trois ans lorsque la pratique est continue, puisque le délai de prescription ne commence alors à courir que lorsque la situation délictuelle a pris fin : par exemple, des courriers faisant état du "maintien de la charte de respect de la 1ère monte" donnent à la pratique de mise en œuvre de la charte définie dans un courrier antérieur un caractère continu (décision n° 03-D-40) ou des pratiques discriminatoires consistant en une interdiction faite à des médecins d'accéder à un scanner privé, adoptée à l'issue d'une réunion organisée sous l'égide de l'ordre des médecins et poursuivie les années suivantes revêtent également un caractère continu (décision n° 06-D-36 ; sur le point de départ de la prescription voir également 02-D-63, 05-D-13). Dans la décision dite "Pont de Normandie" du 29 novembre 1995 (95-D-76), le Conseil a pris la position suivante : "Considérant en second lieu que, contrairement à ce qu'avancent les sociétés Dumez et GTM - Entrepose, l'accord qu'elles ont conclu le 25 juin 1986 peut être examiné par le Conseil puisqu'il est resté en vigueur et a conservé, de façon continue, son objet et ses effets, actuels et potentiels, jusqu'à la conclusion d'un second accord, le 10 mai 1989, intervenue pendant la période non prescrite à la suite d'un accroissement de la participation de la société Dumez dans le capital de la société GTM - Entrepose ...". Cette analyse selon laquelle un accord pouvait être sanctionné bien qu'il soit intervenu plus de trois ans avant le 28 novembre 1989, date du premier acte interrompant la prescription (date de la première ordonnance de visites et saisies) n'a pas été remise en cause par les juridictions de contrôle (Cour d'appel de Paris, 6 mai 1997 et 14 janvier 2003 ; Cour de cassation, 5 octobre 1999 et 13 juillet 2004).
En droit communautaire de la concurrence
179. Le règlement n° 2988/74 du Conseil CEE du 26 novembre 1974, dont les deux premiers articles sont consacrés à la prescription de cinq ans en matière de poursuites, prévoit à son article 2 : "la prescription court à compter du jour où l'infraction est commise. Toutefois, pour les infractions continues ou continuées la prescription ne court qu'à compter du jour où l'infraction a pris fin". Le Tribunal de première instance des communautés européennes, dans l'affaire T-7/89 du 17 décembre 1991 (Hercules Chemicals NV-SA/Commission CEE) où la Commission a engagé une procédure au mois de mai 1984, a jugé que la requérante ne pouvait se prévaloir de la prescription des amendes car elle "a participé à une infraction unique qui a débuté au mois de novembre 1977, moment où elle a souscrit à un accord fixant un objectif de prix pour le 1er décembre 1977, et qui s'est poursuivie jusqu'au mois de novembre 1983...". Dans l'affaire des peroxydes organiques (2005/349/CE du 10 décembre 2003), bien que le premier acte interrompant la prescription ait eu lieu en 2000, l'infraction continue a été sanctionnée pour la période allant de 1971 à 1997 ou de 1975 à 1999, selon les entreprises concernées. Cette décision a été confirmée par l'arrêt du Tribunal de première instance des communautés européennes du 16 novembre 2006 (T-120/04).
180. En droit national comme en droit communautaire de la concurrence, l'effet utile de la qualification des faits comme relevant d'une pratique continue et non d'une pratique instantanée, réside donc dans la possibilité de les examiner et éventuellement de les sanctionner dans toute leur durée.
En droit pénal
181. L'article 8 du Code de procédure pénale prévoit qu'en matière de délit, la prescription de l'action publique est de trois ans. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que la prévention porte sur toute la durée de l'infraction lorsque celle-ci est continue. Ainsi en va-t-il par exemple en matière de corruption active (Cass. Crim. 8 octobre 2003), d'escroquerie (Cass. Crim. 26 septembre 1995) ou encore de prise illégale d'intérêt (Cass. Crim. 4 octobre 2000 et 2 septembre 2005). C'est précisément cette jurisprudence qu'a appliquée, dans son jugement du 26 octobre 2005, le Tribunal correctionnel de Paris, lorsqu'il a statué sur la responsabilité des dirigeants d'entreprise, sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce, à propos des pratiques de répartition anticoncurrentielle des METP qui sont en cause dans la présente affaire : "l'accord de principe de l'entente a été mis en place lors des réunions de lancement des METP, c'est-à-dire courant 1990, les accords particuliers ont donné lieu à l'établissement d'offres de couvertures" (page 206) ; "la prévention doit également s'étendre à l'accord de principe, portant sur la répartition de la commande globale, entre les majors du bâtiment, intervenu avant même le lancement de la première tranche de marchés en 1990, en ce qu'il a continué à produire ses effets à l'occasion du lancement des tranches suivantes et avait en tout cas pour objet d'en assurer la répartition illicite. Les ententes sur les prix entre soumissionnaires, au cas particulier de chaque appel d'offres apparaissent, en définitive, comme l'exécution de l'accord de principe initial" (page 220). Cette analyse de la pratique continue, qui porte sur l'ensemble des faits qui la constitue, a été confirmée par l'arrêt du 27 février 2007 de la Cour d'appel de Paris.
182. La position du Conseil de la concurrence, qui est elle-même cohérente - malgré le principe de l'autonomie procédurale - avec celle du juge communautaire, rejoint donc exactement la jurisprudence dégagée en matière pénale. Aucune raison de texte n'impose en effet, pour les pratiques continues, un traitement différent en matière de concurrence et en matière pénale. Et la mission de protection d'un ordre public économique, dont est investi le Conseil, comme le caractère punitif des sanctions qu'il prononce justifient au contraire que les principes appliqués soient les mêmes, a fortiori dans un cas où, comme en l'espèce, le juge pénal les a précisément mis en œuvre en ce qui concerne les faits soumis à son examen, aujourd'hui en cause devant l'autorité de concurrence.
Application au cas d'espèce
183. L'entente générale, ainsi qu'il sera démontré ci-dessous (paragraphes 275 et suiv.), a été créée par un accord de principe, conclu au cours des premières réunions qui ont eu lieu en 1989 et en 1990 entre les responsables des majors des grands groupes, et mis en œuvre en octobre 1990 lors du lancement de la première vague de 37 METP ; puis elle s'est poursuivie entre les entreprises intéressées qui ont continué à s'entendre pour répartir, entre elles, les différents marchés lors du lancement de chaque nouvelle vague, soit en provoquant d'autres réunions, soit en prenant des contacts et échangeant des informations. Elle a pris fin avec la septième et dernière vague concernant les marchés des lycées Bartholdi à Saint-Denis et Pissarro à Pontoise. Toutefois, il convient d'exclure de l'entente ce dernier marché car le tribunal correctionnel s'est fondé, dans son jugement du 26 octobre 2005, sur les déclarations de M. 6... de Dumez d'après lesquelles ce marché obtenu en 1997 était hors du système de répartition et l'a relaxé pour les faits de participation personnelle et déterminante à l'entente concernant le lycée Pissarro. L'entente a pris fin au cours du premier semestre 1996 car la commission d'appel d'offres pour désigner l'attributaire du marché du lycée Bartholdi s'étant réunie le 16 décembre 1986, la remise des offres a probablement eu lieu au cours du premier semestre 1996. La prescription de trois ans prévue par l'article L. 462-7 du Code de commerce a donc commencé à courir à compter du moment où a cessé l'entente, soit à la fin du premier semestre 1996, date qui correspond à peu de différence près à celle de la saisine d'office du Conseil intervenue le 11 juillet 1996.
Sur l'interruption de la prescription
184. Les requérantes soutiennent que les pratiques qui ont fait l'objet de la notification de griefs sont prescrites, au motif que la prescription n'a pas été interrompue par des actes valables et utiles.
185. Il convient de déterminer les principaux actes effectués par le Conseil depuis sa saisine et d'examiner s'ils ont interrompu la prescription. Peuvent être citées parmi eux :
- les demandes adressées par le président du Conseil de la concurrence le 30 juin 1997 et le 14 octobre 1999 à la DGCCRF pour que celle-ci lui fasse connaître les suites données à la demande d'enquête adressée le 21 novembre 1996 et les réponses de la DGCCRF données respectivement les 8 août 1997 et 1er février 2000, indiquant en dernier lieu qu'en raison de l'information judiciaire ouverte, le rapporteur devait prendre contact avec le juge d'instruction pour obtenir toute information utile à l'instruction des saisines ;
- la délibération prise par la commission permanente du Conseil le 31 mai 2000 demandant au juge pénal la communication des pièces afférentes aux différentes saisines ;
- la transmission par le juge d'instruction au rapporteur, le 7 février 2002, des pièces de la procédure pénale ;
- la demande de communication de pièces adressée le 26 octobre 2004 par le rapporteur général au juge d'instruction, suivie de l'envoi des pièces par le juge d'instruction le 16 novembre 2004.
186. Les demandes concernant le déroulement des enquêtes ainsi que les réponses données par les services d'enquête interrompent la prescription. Les demandes de communication de pièces, qu'elles aient été réalisées par la commission permanente ou par le rapporteur général ont été considérées comme interrompant la prescription par la Cour d'appel de Paris dans l'arrêt du 30 janvier 2007 (SA Le Foll). Le même arrêt a décidé que la transmission des pièces par le juge d'instruction, en réponse aux demandes du Conseil, interrompt la prescription. Les actes ci-dessus énumérés étaient tous utiles à la recherche, la constatation et la sanction des pratiques anticoncurrentielles et aucun d'eux ne peut être considéré comme ayant eu pour seule finalité de prolonger artificiellement le délai de prescription (arrêt de la cour d'appel du 23 mai 2006 société DBS et autres). La validité des demandes de communication des pièces par la commission permanente ou par le rapporteur général sera examinée plus loin.
187. Il résulte de ce qui précède que la procédure n'est pas prescrite pour les pratiques d'entente générale portant sur les 90 METP (premier grief).
b) Sur la prescription des pratiques concernant la passation des marchés de travaux du lycée Raspail
188. Ces faits ont fait l'objet d'un grief spécifique notifié aux entreprises Rabot Dutilleul Construction et Sicra auxquelles est reproché de s'être entendues pour se répartir le METP concernant la réhabilitation et la reconstruction du lycée Raspail.
189. Les faits d'entente relatifs au marché du lycée Raspail ne s'inscrivent pas dans la pratique continue de répartition des 90 METP. Ils constituent une pratique instantanée. Le premier acte interrompant la prescription étant la saisine d'office du Conseil de la concurrence le 11 juillet 1996, la prescription était acquise antérieurement au 11 juillet 1993. L'offre ayant été déposée le 22 mars 1993, les faits relatifs au grief notifié aux deux entreprises sont donc prescrits.
L. SUR LA PROCÉDURE
1. En ce qui concerne le délai raisonnable de la procédure
190. Les entreprises mises en cause soutiennent que la durée de la procédure est excessive au regard de l'exigence du délai raisonnable posée par l'article 6 §1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Elles rappellent que s'est écoulé un délai de 10 ans entre la saisine d'office de juillet 1996 et l'envoi de la notification de griefs en octobre 2005, provoquant une déperdition des moyens de défense des entreprises et leur causant un préjudice.
191. Mais la durée de la procédure s'explique en l'espèce par la complexité du dossier, dont l'ampleur est incontestable, en raison notamment du nombre des marchés concernés et de celui des entreprises en cause. Elle trouve également sa source dans les particularités de l'affaire, qui s'est articulée avec une procédure pénale portant, parmi d'autres incriminations, sur les mêmes pratiques anticoncurrentielles imputées, cette fois-ci, aux personnes physiques, sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code pénal.
192. L'instruction des pratiques anticoncurrentielles qui se sont produites au cours de la période 1989 à 1996 n'a pu devenir effective qu'après la première transmission de pièces, le 7 février 2002, suivie d'une seconde transmission le 16 novembre 2004, par le juge d'instruction dont l'information pénale, qui portait sur un ensemble d'infractions, s'est déroulée de 1997 à 2004. Ces pièces ont concouru de façon décisive à l'instruction menée par le rapporteur et par suite à "l'efficacité et à la crédibilité" de la justice (arrêt de la Cour européenne des Droits de l'Homme, Martins Moreira/Portugal, aff. N° 21/1987/144/198).
193. Au regard de ces éléments, la durée de la procédure n'est pas anormalement longue. Les entreprises dont les responsables ont été poursuivis pour avoir pris une part personnelle et déterminante dans la conception et la mise en œuvre de l'entente à laquelle elles ont elles-mêmes participé n'ont pu ignorer l'existence d'une information pénale qui a donné lieu à des interrogatoires et à des enquêtes : ces entreprises ont par conséquent été en mesure de sauvegarder les preuves qui leur auraient permis de renverser les charges pesant contre elles. En l'absence de démonstration, par les parties, que la durée de l'instruction aurait fait obstacle de manière irrémédiable à l'exercice normal des droits de leur défense, la procédure ne saurait être déclarée irrégulière du seul fait de sa durée.
194. D'ailleurs à supposer les délais de la procédure excessifs au regard de la complexité de l'affaire, la sanction qui s'attache à l'obligation pour le Conseil de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi.
195. Ce moyen doit donc être rejeté.
2. En ce qui concerne la saisine d'office F. 889
196. Les parties exposent que la saisine d'office serait nulle aux motifs qu'elle a été décidée par la commission permanente du Conseil dans laquelle ont siégé deux vice-présidents, au lieu de trois prévus par l'article 4 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (premier point) et que le rapporteur et le rapporteur général auraient participé à son délibéré ainsi que l'attesterait la signature du rapporteur général au pied de la décision (deuxième point).
Sur la composition et le fonctionnement de la commission permanente
197. Sur le premier point, l'article 4 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (codifié à l'article L. 461-3 du Code de commerce) édicte que "la commission permanente est composée du président et de trois vice-présidents". Il n'est pas exigé par ce texte que la formation doive être complète pour siéger valablement. Le quorum prévu de manière générale par l'article 6 du décret du 29 décembre 1986, alors en vigueur, exige seulement, pour cette formation comme pour toutes les autres, la présence de trois membres du Conseil, condition satisfaite en l'espèce. Sur le deuxième point, la décision de saisine d'office du 11 juillet 1996 mentionne "le Conseil de la concurrence (Commission permanente) (...) Le rapporteur et le rapporteur général entendus (...) Délibéré sur le rapport oral de M. Jean-Claude Facchin par M. Barbeau président et MM. Cortesse et Jenny vice-présidents" [Ci n° 12158]. La mention soulignée précitée, portée sur toutes les décisions du Conseil, signifie seulement que le rapporteur a fait un exposé oral devant le Conseil. Cette formule finale se réfère sans ambiguïté au déroulement de la séance, aucun élément ne permettant de supposer que le rapporteur aurait également participé au délibéré de la Commission permanente du Conseil.
198. Néanmoins, il convient de rappeler que s'il résulte de l'arrêt de la Cour de cassation du 5 octobre 1999 que la participation du rapporteur au délibéré, fût ce sans voix délibérative, est contraire aux principes énoncés par l'article 6-1 de la CEDH, dès lors que le rapporteur a procédé aux investigations utiles par l'instruction des faits dont le Conseil est saisi, cette jurisprudence ne s'applique que lorsque le Conseil se prononce sur la sanction de pratiques anticoncurrentielles. Tel n'est pas le cas d'une décision de saisine d'office au sujet de laquelle la Cour d'appel de Paris a précisé, dans son arrêt du 27 novembre 2001, que "le fait que M. Thouvenot ait assisté au délibéré de la commission permanente n'affecte pas davantage la validité de la décision du 30 novembre 1993 dès lors que celle-ci s'est bornée, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à ouvrir la procédure afin qu'il puisse être ultérieurement procédé aux investigations utiles pour l'instruction des faits dont le Conseil estimait devoir se saisir, peu important que M. Thouvenot, qui n'avait alors procédé à aucun acte d'instruction, ait été, une fois le Conseil saisi, régulièrement désigné pour l'examen de l'affaire, conformément aux dispositions de l'article 50 de l'ordonnance du 1er décembre 1986".
199. Quant à la présence de la signature du rapporteur général au bas de la décision de saisine d'office, elle ne démontre pas la participation de celui-ci au délibéré mais atteste que le rapporteur général est informé de la décision de saisine d'office et qu'il prend toute disposition pour assurer son instruction.
Sur l'impartialité du rapporteur
200. Selon plusieurs sociétés attraites à la procédure, le rapporteur, M. Facchin, aurait commencé à instruire les faits objet de la saisine F. 889 avant même d'assister à la séance de saisine d'office, violant ainsi le principe de séparation de l'instruction et de la décision, ce qui entraînerait la nullité de la décision d'auto-saisine.
201. Mais en premier lieu, le rapporteur n'a pas assisté au délibéré relatif à la décision d'auto-saisine, ainsi qu'il est dit plus haut.
202. En deuxième lieu, l'allégation selon laquelle le rapporteur aurait instruit les pratiques faisant l'objet de la saisine d'office avant que le Conseil ait décidé cette dernière est dénuée de tout fondement. En effet, le rapporteur M. Facchin a régulièrement entendu le 9 juillet 1996, la présidente de la commission d'appel d'offres du CRIF dans le cadre de la saisine F. 883 pour laquelle il avait été désigné et qui porte sur la mise en concurrence de certains marchés de réhabilitation de lycées [Ci n°27466].
203. La circonstance que Mme 19... ait spontanément révélé une entente plus vaste couvrant, selon elle, la totalité des marchés et opérations lancés par le CRIF pour rénover le patrimoine immobilier scolaire transféré par l'État, ne permet pas de caractériser un dépassement du champ de la saisine du rapporteur qui s'est borné à recueillir les déclarations de celle-ci et n'a procédé à aucun autre acte d'instruction avant la décision de saisine d'office. Il convient donc de rejeter l'ensemble de ces moyens.
Sur l'impartialité de la commission permanente
204. Selon les parties, en décidant de se saisir d'office, la commission permanente du Conseil aurait violé le principe de séparation de l'instruction et de la décision, en violation de l'article 6 §1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. L'article L. 450-5 du Code de commerce, qui autorise le rapporteur général à proposer au Conseil de se saisir d'office, ne comporterait pas de garanties suffisantes pour assurer aux entreprises les conditions d'un procès impartial.
205. En premier lieu, la capacité de se saisir d'office appartient, au "Conseil de la concurrence" et non au "rapporteur général", selon l'article L. 462-5 du Code de commerce.
206. La Cour d'appel de Paris a jugé, dans un arrêt du 27 novembre 2001 (SA Caisse Nationale du Crédit Agricole), qui a fait l'objet d'un pourvoi rejeté par la Cour de cassation (arrêt du 23 juin 2004) que "le cumul au sein du Conseil de la concurrence des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement n'est pas, en soi, contraire aux exigences inhérentes au droit à un procès équitable ; qu'il y a lieu de rechercher si, compte tenu des modalités concrètes de mise en œuvre de ces attributions, ce droit a été ou non méconnu". Cet arrêt est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme, qui dans un arrêt Padovani c. Italie du 26 février 1993 (Rec., 1993, série A, n° 257/B) a rappelé, qu'"il ne lui incombe pas d'examiner in abstracto la législation et la pratique pertinentes, mais de rechercher si la manière dont elles ont été appliquées au requérant ou l'ont touché a enfreint l'article 6-1" (par. 24) et a jugé conforme à l'article 6 le fait qu'un juge ait procédé, au cours de la phase préalable au procès, à des actes d'instruction sommaires, tels que des auditions, avant de statuer sur la culpabilité du prévenu (par. 28) : "l'impartialité du tribunal n'est pas violée dans des cas où l'un des juges composant la juridiction a effectué des actes, dans la phase préalable au procès, qui ne l'ont pas conduit à préjuger de l'affaire, tels des actes d'instruction sommaires".
207. Selon le même arrêt de la Cour d'appel de Paris, "la décision (de saisine d'office) a eu pour seul objet d'ouvrir la procédure devant le Conseil de la concurrence afin que puissent être conduites les investigations pouvant servir de base à la notification ultérieure de griefs, sans qu'à ce stade aucun fait ne puisse être qualifié ni aucune pratique anticoncurrentielle imputée à quiconque ; (...) une telle décision, qui ne constitue pas une décision administrative individuelle entrant dans les prévisions de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, n'est pas soumise à l'obligation de motivation et de notification et (...) l'absence de motivation ne caractérise, en l'espèce, aucune atteinte à la règle d'impartialité inhérente au droit à un procès équitable".
208. Dès lors, la circonstance que des membres du Conseil aient siégé en commission permanente lors de la saisine d'office, puis lors de la séance décidant sur le fond de l'affaire, n'est pas contraire au principe d'impartialité, la décision de se saisir d'office ne les ayant pas conduits à préjuger de l'affaire.
209. Enfin, aucun des membres de la Commission permanente ayant siégé le 11 juillet 1996 n'a pris part au délibéré de la présente affaire.
210. Le moyen, qui manque donc en droit comme en fait, doit en conséquence être écarté.
3. En ce qui concerne la décision de jonction
211. Les sociétés Vinci-Construction, Effiparc-France SNC (anciennement Sobea Ile-de- France), Sicra, CBC SA, Nord France Boutonnat et Dumez-GTM, soutiennent que la décision de jonction du 14 septembre 2004 ne concerne pas la saisine d'office F. 889. Cette absence de jonction entraînerait, selon elles, la nullité des notifications de griefs subséquentes qui font état des cinq saisines (premier point). Par ailleurs, les sociétés Bouygues SA, Nord France Boutonnat, CBC SA et Vinci-Construction, venant aux droits de Dumez-GTM, prétendent que le rapporteur aurait détourné les moyens d'investigation conférés par chacune des saisines pour alimenter l'instruction d'autres saisines distinctes et ce préalablement à la décision de jonction du 14 septembre 2004. Ce détournement allégué violerait les principes de loyauté dans la recherche des preuves, le principe de confidentialité de chaque saisine et le principe de l'égalité des armes prévus par l'article 6 §2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Selon Bouygues SA, "l'ensemble des actes d'instruction réalisant l'amalgame de plusieurs saisines distinctes avant même la jonction, et tout particulièrement les actes associant la saisine d'office F. 889, doivent être fondamentalement viciés et donc nuls en vertu de l'article 6 §2 de la Convention européenne des Droits de l'Homme" (second point).
212. Mais sur le premier point, selon les dispositions de l'article 31 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence : "Le rapporteur général ou un rapporteur général adjoint peut, à son initiative ou à la demande des parties ou du commissaire du Gouvernement, procéder à la jonction de l'instruction de plusieurs affaires. A l'issue de leur instruction, le Conseil de la concurrence peut se prononcer par une décision commune. Le rapporteur général ou un rapporteur général adjoint peut également procéder à la disjonction de l'instruction d'une saisine en plusieurs affaires". Une décision de jonction est un acte interne au Conseil de la concurrence réalisé "pour une bonne administration de la justice", non motivé et non susceptible de recours.
213. Le 14 septembre 2004, le rapporteur général a pris une décision de jonction en application de l'article 31 du décret précité [ann. Ng. 45 Ci n°12129 ]. Cette décision est intitulée :
"N° Saisine : F. 883 F. 889 F. 1127
F. 1261 F. 1293
N° ordre : 3298".
214. Elle est rédigée de la manière suivante :
"Le conseil régional d'Ile-de-France a saisi le Conseil de la concurrence de plusieurs dossiers relatifs à des pratiques constatées à l'occasion de la passation de marchés de réhabilitation d'établissements d'enseignement.
En application des dispositions de l'article 31 du Décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce, j'ai décidé de procéder à la jonction de l'instruction de ces affaires".
215. Si le libellé de la décision ne fait pas, par erreur, référence à la saisine d'office, l'indication des numéros de saisines en tête de la décision de jonction, notamment celui de la saisine d'office F. 889, atteste que le but assigné à la jonction était de réunir les différentes saisines pour procéder à une instruction commune, étant donné leur connexité.
216. Sur le second point, la décision de jonction a été, en pratique, privée d'effet car les différentes saisines du président du conseil régional ont fait l'objet d'actes d'instruction distincts (le détail des actes réalisés figure au chapitre 1 de la notification de griefs), et n'ont donné lieu à l'établissement d'aucun grief de sorte que le déroulement de la procédure repose exclusivement sur la saisine d'office.
217. Ce moyen doit donc être écarté.
4. En ce qui concerne la composition de la commission permanente statuant sur les demandes de communication de pièces et la régularité de ses décisions de demandes d'enquête
218. Les parties mises en cause soutiennent que la composition de la commission permanente du Conseil qui a demandé la communication des pièces notamment du dossier pénal était irrégulière car siégeaient seulement deux vice-présidents (premier point). Elles soulèvent l'irrégularité des demandes d'enquêtes formulées par la commission permanente au motif que, selon elles, le rapporteur était présent au délibéré (deuxième point). Par ailleurs, la commission permanente aurait violé le principe de séparation des instances d'instruction et de jugement : "En définissant les orientations de l'enquête demandée, la commission permanente du Conseil de la concurrence a dépassé le cadre de simples actes d'instruction sommaires" (troisième point).
219. Mais sur le premier point, il convient de rejeter l'argumentation pour les raisons exposées au paragraphe 197.
220. Sur le deuxième point, la mention "Délibéré sur le rapport oral de" (suivi du nom du rapporteur), portée sur toutes les décisions du Conseil, indique seulement que le rapporteur a fait un exposé oral devant le Conseil. Comme il a déjà été indiqué au paragraphe 197, cette formule finale se réfère sans ambiguïté au déroulement de la séance, aucun élément ne permettant de supposer que le rapporteur aurait également participé au délibéré de la commission permanente du Conseil.
221. Sur le troisième point, avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, la mise en œuvre des visites et saisies pouvait être déclenchée par le ministre de l'économie ou le Conseil de la concurrence (article 48 de l'ordonnance 86-1243 en vigueur à l'époque). Le Conseil prenait la décision de recourir à cette procédure en commission permanente, sur la base des orientations d'enquête fixées par le rapporteur.
222. Dès lors qu'elle se bornait à permettre le déclenchement de la procédure de visite et saisie, à la demande du rapporteur, et à reprendre les orientations de l'enquête définies par celui-ci, la décision par laquelle la commission permanente a décidé de recourir à l'article 48 de l'ordonnance du 1er décembre 1986, alors en vigueur, "ne constitue pas une décision par laquelle il [le Conseil] aurait été conduit, dans des conditions incompatibles avec les exigences inhérentes au droit à un procès équitable, à formuler une accusation ou encore à préjuger de l'affaire au fond" (Cour d'appel de Paris, 30 janvier 2007, SA Le Foll, à propos des décisions de la commission permanente demandant communication de pièces au juge, sur le fondement de l'article L. 463-5 du Code de commerce).
223. A titre infiniment subsidiaire, il faut enfin rappeler qu'aucun des membres du Conseil ayant siégé lors des commissions permanentes incriminées n'a pris part au délibéré de la présente affaire.
224. Ce moyen doit en conséquence être écarté.
5. En ce qui concerne la communication du dossier pénal
a) Sur la compatibilité de l'article L. 463-5 du Code de commerce avec l'article 6 §1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme
225. Des entreprises en cause prétendent que la possibilité donnée à la commission permanente de demander communication de pièces aux juridictions ne respecte pas le principe de séparation des fonctions d'instruction et de décision prévu par l'article 6 §1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme et que cette demande aurait dû être formulée par le rapporteur.
226. L'article L. 463-5 du Code de commerce est ainsi rédigé : "(...) Les juridictions d'instruction et de jugement peuvent communiquer au Conseil de la concurrence, sur sa demande, les procès-verbaux ou rapports d'enquête ayant un lien direct avec des faits dont le Conseil est saisi (...)".
227. Dans un arrêt du 30 janvier 2007 (SA Le Foll TP), la Cour d'appel de Paris a approuvé le Conseil qui "a(vait) exactement relevé que, dès lors qu'il se bornait à transmettre une demande émanant du rapporteur qui sollicitait, au regard du déroulement de l'instruction, des pièces du dossier en cours d'instruction et alors, de surcroît, que le magistrat instructeur avait déjà de son côté obtenu la communication d'éléments détenus par le Conseil, la demande de communication de pièces critiquée, effectuée en application de ces dispositions, ne constitue pas une décision par laquelle il aurait été conduit, dans des conditions incompatibles avec les exigences inhérentes au droit à un procès équitable, à formuler une accusation ou encore à préjuger de l'affaire au fond".
228. Ce moyen doit donc être écarté.
b) Sur la communication de l'entier dossier pénal
229. Les sociétés SAEP Equipements SNC et Vinci Construction, prétendent que le principe de loyauté dans l'administration de la preuve aurait été violé car le rapporteur ne serait pas en droit de recevoir d'une juridiction l'intégralité de son dossier.
230. Les sociétés Nord France Boutonnat et CBC SA soutiennent que les cotes pénales D 1 à D 5900, transmises par le juge 24..., sont sans lien direct avec l'objet de la saisine du Conseil de la concurrence et que les dispositions de l'article 26 de l'ordonnance 1986 (art. L. 463-5 du Code de commerce) auraient été violées.
231. Mais en premier lieu, il est inexact de prétendre que l'entier dossier pénal aurait été communiqué au rapporteur, puisque n'ont été transmises, le 7 février 2002, que les cotes D 1 à D 5856 et le 16 novembre 2004, les cotes D 5857 à D 5900. Ne figurent notamment pas parmi les pièces transmises le réquisitoire définitif du procureur et l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction qui clôt la procédure. Par ailleurs, le jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 26 octobre 2005, qui se fonde sur l'entier dossier d'instruction, se réfère à des cotes d'instruction qui ne figurent pas au dossier du Conseil comme les auditions de MM. 20... (page 405 du jugement), 21... (page 446) ou l'expertise de M. 22... (page 403). De même, dans son mémoire en date du 27 juin 2006, Eiffage Construction (Ci n° 24340) cite des extraits du procès-verbal de M. Henri 23..., président directeur général de la société Quillery, qui est référencé à la cote D 6452 du dossier des juges d'instruction, non transmis au Conseil.
232. En deuxième lieu, il existait un lien direct entre les faits dont le Conseil est saisi et l'information pénale qui portait sur la participation déterminante de personnes physiques à des pratiques anticoncurrentielles dans les procédures d'achat public engagées par le CRIF pour rénover ou construire les établissements d'enseignement de la région Ile-de-France, sur le fondement de l'article 17 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 (devenu L. 420-6 du Code de commerce) [cf. réquisitoire introductif D 155 Ci n° 1025].
233. En troisième lieu, le rapporteur a transmis aux parties l'ensemble des éléments et documents communiqués par le juge lors des deux notifications de griefs et du rapport. En ces trois occasions, il a indiqué les documents extraits de la procédure pénale sur lesquels il appuyait ses griefs.
234. Comme dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt déjà cité du 30 janvier 2007 de la Cour d'appel de Paris (SA Le Foll), "(...) la communication de certaines pièces du dossier d'instruction, obtenues conformément aux dispositions de l'article L. 463-5 du Code de commerce, n'a de toute façon pas fait grief aux (sociétés), qui n'avaient acquis la qualité de partie qu'à compter de la notification des griefs, en observant, notamment, que les griefs retenus par le rapporteur sont fondés sur des pièces dont il a été dressé un inventaire, qui ont été citées, versées au dossier, proposées à la consultation et soumises à la contradiction des (entreprises), qui disposaient alors de la faculté de produire tou(tes) des éléments à décharge".
235. Les moyens sont en conséquence écartés.
c) Sur la soi-disant transmission de pièces pénales faite par le ministère public
236. Les sociétés Bouygues SA et Nord France Boutonnat soutiennent que les cotes D 5857/1 à D 5900 issues de la procédure pénale ont été transmises par le procureur de la République au rapporteur et ce, en violation des dispositions de l'article L. 463-5 du Code de commerce qui réserve cette communication au juge d'instruction.
237. Le 26 octobre 2004, en application de cet article, le rapporteur général a adressé au juge d'instruction du Tribunal de grande instance de Paris, un courrier pour lui demander la communication des pièces rassemblées dans son instruction [Ci n° 12132].
238. Le 16 novembre 2004, le procureur de la République de Paris a transmis au rapporteur "(...) copies des cotes D 5857/1 et suivantes de la procédure des marchés des lycées d'Ile-de-France (...)" [Ci n° 28658].
239. La lettre de transmission du procureur était accompagnée d'un soit-transmis en date du 12 novembre 2004 émanant du juge d'instruction 24... et revêtu de son timbre qui attestait de la transmission des pièces au vice-procureur pour remise au Conseil de la concurrence [Ci n° 28660].
240. C'est donc à la demande du juge d'instruction que le procureur a transmis les pièces du dossier (cotes D 5857 à D 5900), le 16 novembre 2004, conformément aux dispositions de l'article L. 463-5 du Code de commerce.
d) Sur les entretiens prétendument illégaux entre le rapporteur et le juge
241. Nord France Boutonnat et CBC SA soutiennent que le rapporteur a mené son instruction hors du cadre légal de l'ordonnance du 1er décembre 1986 en ayant des entretiens informels avec les juges d'instruction, MM. 24... et 25.... Ces entretiens seraient contraires aux articles L. 462-3, L. 462-6 et L. 463-5 du Code de commerce. D'une manière générale ils violeraient le principe de loyauté de l'instruction découlant de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme.
242. Mais en premier lieu, aucun texte légal, et notamment les articles L. 462-3, L. 462-6 et L. 463-5, n'interdit au rapporteur de s'entretenir avec le juge d'instruction, que cet entretien ait lieu à la demande du juge ou du rapporteur. Le premier entretien a eu lieu comme l'indique la lettre précitée du 30 juin 1997, à la demande du juge.
243. En deuxième lieu, l'objet de ces entretiens est, en l'espèce, clairement identifié : "se tenir mutuellement informés directement des informations qu'ils doivent conduire l'un et l'autre et de régler les problèmes qui pourraient se présenter".
244. Enfin, les parties n'exposent pas en quoi ces entretiens qui ont eu pour but d'organiser la transmission des seuls éléments du dossier pénal nécessaires à la procédure devant le Conseil ont pu leur faire grief, étant rappelé qu'elles ont pu consulter l'ensemble des éléments réunis dans le dossier du Conseil.
e) Sur la prétendue violation du secret de l'instruction
245. Des entreprises en cause soutiennent que l'ensemble des documents du dossier pénal transmis au rapporteur est soumis au secret de l'instruction. Or, des éléments d'un dossier pénal sans rapport avec les pratiques d'entente auraient été illégalement portés à la connaissance de personnes extérieures à la procédure pénale. Ces faits seraient contraires aux dispositions de l'article 11 du Code de procédure pénale.
246. L'article L. 463-5 précise les modalités selon lesquelles le Conseil peut se voir communiquer, par un magistrat instructeur, des éléments détenus par sa juridiction. C'est bien dans ce cadre légal que le Conseil a obtenu les documents d'instruction annexés à la présente procédure.
247. Par ailleurs, les parties n'expliquent pas quelles pièces, non directement liées aux faits dont le Conseil est saisi et transmises par le juge, leur auraient fait grief et sur quel fondement. Les documents et pièces du dossier pénal ont été portés à la connaissance des parties dont la mise en cause devant le Conseil est fondée sur l'existence des pratiques qui ont été retenues par le juge pénal, pour appliquer l'article L. 420-6 du Code de commerce.
248. Ce moyen doit donc être écarté.
f) Sur l'opposabilité des pièces tirées du dossier pénal
249. Selon les entreprises mises en cause, les auditions tirées de la procédure d'instruction pénale ne peuvent leur être opposées, car elles ne seraient pas conformes aux règles procédurales applicables en droit de la concurrence, notamment :
- 1° les personnes auditionnées ont fait l'objet de restrictions à leur liberté de mouvement (garde à vue notamment), alors que les enquêteurs en matière de concurrence ne disposent pas de ce pouvoir de contrainte ;
- 2° les personnes auditionnées ont déposé sous serment, sous peine de sanctions pénales, de sorte qu'elles ne bénéficiaient pas du droit de ne pas déposer contre elles-mêmes ;
- 3° l'objet de ces auditions au pénal diverge de l'objet de la saisine d'office du Conseil et les personnes entendues n'auraient pas reçu d'informations sur les motifs des enquêtes réalisées par la DGCCRF ;
- 4° plus généralement, la notification de griefs ne leur serait pas opposable, du fait que leur entreprise n'était pas partie à la procédure pénale et qu'aucun représentant des personnes morales n'a été entendu dans le procès pénal es qualité ;
- 5° Fougerolle SA expose enfin n'avoir pas été en mesure de vérifier l'exactitude des tableaux réalisés par la DNEC sur lesquels se fonde la notification de griefs.
250. L'article L. 463-5 du Code de commerce prévoit que la juridiction d'instruction peut transmettre au Conseil de la concurrence des procès-verbaux. Ces procès-verbaux sont établis sous l'empire du Code de procédure pénale par le juge d'instruction, par les officiers de police judiciaire ou les agents de la DGCCRF spécialement habilités.
251. Dans une décision 06-D-07 du 21 mars 2006, le Conseil a déjà constaté que l'article L. 463-5 du Code de commerce "(...) ne prévoit aucune restriction dans l'utilisation des pièces pénales communiquées au Conseil". Dans la même décision, il a reconnu une même valeur probatoire à ces pièces qu'aux pièces issues des procédures de concurrence : "Ces pièces peuvent donc fonder les griefs de la même façon que les pièces issues d'une enquête administrative. De même que le rapporteur peut fonder son analyse des griefs sur le rapport d'enquête administrative qui lui est transmis par le ministre chargé de l'économie sans procéder lui-même à des actes d'instruction, de même il peut procéder à cette analyse à partir des documents et pièces de la procédure pénale qui lui ont été communiqués et qui sont de nature à caractériser les griefs, sans procéder à des actes d'investigation complémentaires, s'il estime les poursuites suffisamment fondées par ces documents et pièces. En l'espèce, le dossier de la procédure devant le Conseil est en effet constitué par les seuls documents et pièces transmis par le juge d'instruction et a été ouvert à la consultation des parties qui ont été appelées à en discuter le contenu en présentant leurs propres moyens et pièces. Ces documents et pièces extraites de la procédure pénale sont nécessairement des copies, l'original de ces pièces figurant au dossier de l'information pénale" (voir aussi décisions 95-D-86 du 19 décembre 1995, 99-D-50 du 13 juillet 1999 ; 05-D-59 du 15 décembre 2005 et l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 janvier 1997).
252. Dans la même décision, le Conseil a souligné qu'"une fois versées au dossier du Conseil de la concurrence, les pièces d'origine pénale sont opposables aux parties dans les mêmes conditions que les autres pièces rassemblées lors de l'instruction de l'affaire par le rapporteur. Ce cadre juridique ne remet pas en cause le droit au procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. L'égalité des armes au sens de cet article fait obligation d'offrir aux parties une possibilité raisonnable de présenter leur défense dans des conditions respectueuses des règles du procès équitable. Elle implique, comme c'est le cas en l'espèce, que les pièces produites au dossier du Conseil de la concurrence et l'analyse qu'en fait le rapporteur dans la notification des griefs soient discutées contradictoirement, que les parties disposent d'un délai pour préparer leur défense et qu'elles aient la possibilité de présenter les moyens et les pièces qu'elles estiment utiles. Ce sont les pièces et les analyses présentées par le rapporteur qui circonscrivent le domaine dans lequel va s'exercer la discussion contradictoire, celui-ci ne s'étendant pas, lorsqu'il a été fait application de l'article L. 463-5 du Code de commerce, à l'entier dossier d'instruction". Ainsi se trouvent définies les conditions selon lesquelles les pièces tirées du dossier pénal sont opposables aux parties lors d'une procédure devant le Conseil.
253. Pour répondre aux arguments développés par les parties, premièrement, s'agissant du cadre procédural, les auditions des personnes mises en cause menées par les juges d'instruction comportent des garanties, quant aux droits de la défense, puisqu'elles sont reçues par le juge assisté d'un greffier assermenté, en présence de l'avocat de la personne auditionnée, lequel a eu connaissance et reçu copie de l'entier dossier d'instruction avant l'audition de son client et peut également intervenir au cours de l'audition. Des confrontations et des actes d'instruction complémentaires peuvent également être sollicités par les parties ; leur refus doit être motivé par le juge d'instruction ; des voies de recours en cours d'instruction sont permises (cf. chapitre premier du Code de procédure pénale et notamment ses articles 81, 101, 105, 106, 107, 114, 115, 116, 120, 121).
254. Quant aux auditions réalisées par les officiers de police judiciaire sur commission rogatoire, elles sont effectuées sous le contrôle du juge d'instruction. Enfin, les personnes placées en garde à vue ont bénéficié des droits prévus par le Code de procédure pénale. Les auditions comme toutes les pièces d'instruction peuvent être soumises au contrôle de la chambre de l'instruction.
255. Deuxièmement, la question soulevée par les entreprises mises en cause a déjà été examinée par le juge communautaire. L'utilisation d'une pièce issue d'une procédure pénale dans une procédure de concurrence a en effet été contestée devant le Tribunal de première instance des communautés européennes, au motif que les garanties procédurales prévues par le droit communautaire et surtout le principe de non auto-incrimination, selon lequel une entreprise ne peut être contrainte par la Commission, dans le cadre de l'article 11 du règlement n° 17, d'avouer sa participation à une infraction (arrêt Orkem/Commission), ne seraient pas assurés dans les procédures pénales où la personne entendue ne peut refuser de répondre aux interrogations.
256. Dans un arrêt du 27 septembre 2006 (Archer Daniels Midland Co), le Tribunal de première instance des communautés européennes a jugé que la Commission européenne avait pu utiliser, pour établir le rôle de meneur d'une société dans une entente, les déclarations du responsable de cette société devant le FBI ("Federal Bureau of Investigations", autorité de la police américaine) dans le cadre d'une procédure pénale, qui lui avaient été communiquées par une autre partie. Il souligne que la Commission peut utiliser des pièces provenant d'autres juridictions dans sa propre procédure et constate "qu'aucune disposition n'interdit à la Commission de s'appuyer, en tant qu'élément de preuve pouvant servir à constater une infraction aux articles 81 CE et 82 CE et à fixer une amende, sur un document qui, comme en l'espèce s'agissant du rapport du FBI, a été établi dans le cadre d'une procédure autre que celle menée par la Commission elle-même"(§ 261), sous réserve que la Commission vérifie que la pièce a été recueillie régulièrement et soit soumise au contradictoire dans sa procédure.
257. Dans le présent dossier, les déclarations ont été recueillies régulièrement dans une procédure d'instruction puis soumises au contradictoire des parties dans la procédure suivie par le Conseil.
258. Troisièmement et au surplus, l'article L. 420-6 du Code de commerce punit pénalement les personnes physiques qui prennent "frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre de pratiques visées aux articles L. 420-1 et L. 420-2". Pour caractériser l'incrimination de l'article L. 420-6, il faut donc démontrer la participation à une entente ou un abus de position dominante selon les cas. Les personnes physiques entendues dans la procédure pénale ne pouvaient donc se méprendre sur l'objet de leur audition.
259. Quatrièmement, la procédure pénale a pour objet, en l'espèce, de poursuivre les personnes physiques qui ont commis un délit en prenant une part personnelle et déterminante dans l'entente formée entre les entreprises qu'elles représentaient, tandis que la procédure devant le Conseil a pour objet de poursuivre les entreprises qui, par l'intermédiaire de ces personnes, se sont entendues afin de se répartir les METP. Dans la décision 99-D-50 du 13 juillet 1999 où ont été condamnées des entreprises de déménagement sur la base d'un dossier pénal transmis par un juge d'instruction, le Conseil a écarté les moyens de nullité de la procédure tirés de l'absence d'audition des personnes qualifiées pour répondre aux questions posées, ainsi que de la disparition de certaines personnes dont la déposition aurait été utile, et de certaines archives, en ces termes : "(...) de telles circonstances, à les supposer établies, ne seraient pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure engagée devant le Conseil ; (...) celui-ci, qui est saisi in rem n'est pas tenu par l'exposé des faits qui lui sont soumis ; (...) il lui appartient d'apprécier s'il dispose des éléments suffisants pour statuer ou s'il convient de procéder à de nouvelles investigations pour établir la réalité des pratiques ou leur qualification ; (...) à supposer que certaines personnes ne seraient plus en état de témoigner ou que certaines archives auraient disparu, il appartient au Conseil d'apprécier la situation ainsi créée et son incidence sur le déroulement de l'affaire (...) en tout état de cause, les parties ne démontrent nullement en quoi cette situation a pu leur causer préjudice". En l'espèce, le juge d'instruction a estimé suffisante l'audition des responsables des entreprises qui ont été les rouages de l'entente pour établir leur participation personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation et la mise en œuvre de l'entente, sans estimer devoir procéder à l'audition des représentants légaux de ces mêmes entreprises. Après avoir pris connaissance du dossier pénal qui lui a été transmis, le rapporteur a estimé disposer des éléments suffisants pour caractériser l'entente et notifier des griefs aux entreprises qui sont alors devenues parties à la procédure devant le Conseil et ont été en mesure de contester le grief d'entente retenu contre elles.
260. Cinquièmement et enfin, les constatations effectuées dans le rapport d'enquête, établi sur commission rogatoire par la DNEC, font foi jusqu'à preuve contraire. A défaut de rapporter ces preuves contraires, les tableaux figurant audit rapport font donc foi, les indications y figurant étant d'ailleurs conformes aux éléments recueillis dans d'autres procédures et figurant au dossier (cf. rapport de la Chambre régionale des comptes et documents communiqués par le CRIF au rapporteur le 20/12/2005).
261. L'ensemble de ces moyens doit être écarté.
6. Sur les notifications de griefs
262. Les sociétés mises en cause invoquent, d'une manière générale, l'imprécision des griefs (premier point). Vinci Construction, Eiffage Construction et Campenon Bernard Construction reprochent au rapporteur de ne pas avoir notifié les mêmes griefs lors de la notification initiale puis lors de la notification complémentaire. Selon elles, aucun développement ne permet de savoir s'il s'agit du même grief ou d'un grief différent (deuxième point). Elles soutiennent par ailleurs que les griefs ne leur seraient pas opposables, n'ayant été entendues ni pendant l'instruction pénale alors que les personnes interrogées n'étaient pas habilitées à les représenter, ni par le rapporteur du Conseil (troisième point).
263. Mais sur le premier point, la notification de griefs et celle qui l'a complétée comprennent une analyse détaillée des pratiques concernées et des éléments de preuves retenus. En ce qui concerne notamment le grief d'entente sur les 90 METP, le rapporteur a, dans la notification de griefs datée du 19 septembre 2005, consacré au sein du Chapitre 3, un sous-chapitre 1 intitulé "un système collusif généralisé" (pages 68 à 79) et un sous-chapitre 4 intitulé "l'entente entre les entreprises de bâtiment pour les marchés de travaux" (pages 89 à 141) qui commence par le paragraphe suivant : "Les investigations judiciaires mettaient à jour une coalition constituée entre les plus importantes sociétés soumissionnaires aux marchés d'entreprises de travaux publics pour se répartir lesdits marchés ; Ces accords de répartition se formaient lors de réunions où les entrepreneurs révélaient à leurs concurrentes leurs intentions pour les appels d'offres à venir. Ces réunions étaient suivies par des échanges d'information sur les prix et conditions de soumissions qui ensuite donnaient lieu à la remise d'offres de couverture faussant l'appel d'offres". Les développements ont été synthétisés dans le grief notifié le 19 septembre 2005 qui a fait connaître aux entreprises mises en cause la pratique qui leur était reprochée puisqu'il incriminait la répartition de 90 marchés METP échelonnés dans le temps caractérisant une infraction continue.
264. Sur le deuxième point, la notification de griefs complémentaire (paragraphe 160), par l'incise introduite dans le premier grief "ce qui constitue une entente générale sur ces 90 marchés METP" est venue le préciser sans le modifier, ce que d'ailleurs n'interdisent pas les règles concernant les notifications de griefs, à condition que les entreprises mises en cause en soient informées et puissent répondre.
265. La Cour d'appel de Paris, dans son arrêt ODA et CMS du 18 février 1997 a, en tout état de cause, rappelé que le (s) grief(s) notifié(s) "doivent être interprétés par référence aux développements préalables du rapporteur dans l'acte de notification de griefs". A l'examen, les développements du rapporteur à l'appui des griefs, consistent, pour la majeure partie d'entre eux, à décrire les modalités de répartition des METP entre les entreprises soumissionnaires.
266. Enfin, les entreprises mises en cause ont eu connaissance des deux notifications de griefs successives et elles ont été, à deux reprises, en mesure de formuler toutes observations dans les délais légaux. Le rapport a repris l'ensemble des griefs notifiés aux entreprises qui en ont été destinataires et qui ont été ainsi mises en mesure, une nouvelle fois, de présenter leurs observations.
267. Sur le troisième point, la jurisprudence considère que le rapporteur n'est pas tenu de procéder à des auditions s'il s'estime suffisamment informé pour déterminer les griefs susceptibles d'être notifiés. L'absence d'audition préalable à la notification des griefs des représentants des personnes morales à l'égard desquelles des griefs ont été retenus ne constitue pas une atteinte au principe du contradictoire qui est respecté lorsque les personnes mises en cause répondent à la notification des griefs et est donc sans incidence sur la régularité de la procédure (Cour de cassation, 15 juin 1999, Lilly France).
268. Ces moyens doivent donc être écartés.
M. SUR LE FOND
269. La discussion porte sur la pratique d'entente générale concernant 88 METP indiqués sur la liste reproduite au paragraphe 37. En effet, il résulte en premier lieu des constatations opérées aux paragraphes 140 à 156 qu'il n'y a pas lieu à poursuivre en ce qui concerne les marchés de l'Erea à Sannois, de la réfection des toitures du lycée Fustel de Coulanges à Massy et du lycée Jules Vernes à Cergy-Le-Haut. En deuxième lieu, il n'a pas été établi que les marchés de conception - réalisation et les marchés de grosses opérations ont fait partie de l'entente. En troisième lieu, l'information pénale dans le cadre de laquelle la DGCCRF a mené ses investigations n'a apporté aucun élément concernant les marchés objet de la saisine F. 883 (paragraghes 16 et 167) à propos desquels aucun grief n'a été notifié et a montré que les marchés d'assistance à la maîtrise d'ouvrage mentionnés dans la saisine d'office ont permis à Patrimoine Ingénierie qui a obtenu le plus grand nombre de ceux-ci, de jouer un rôle déterminant dans l'entente de répartition des METP. Enfin, en dernier lieu, parmi les METP figurant sur la liste, il a été constaté que les faits afférents au marché de reconstruction du lycée Raspail à Paris sont prescrits et que la rénovation du lycée Pissarro à Pontoise n'était pas un marché inclus dans le système de répartition (paragraphes 183, 188 et 189).
1. Le marché pertinent
270. Les entreprises mises en cause relèvent que l'instruction, qui n'a pas disposé de documents afférents aux METP, n'a pas déterminé l'objet sur lequel se sont accordées les entreprises incriminées.
271. Le marché des 88 METP du programme de réhabilitation du patrimoine immobilier scolaire du CRIF et détaillé dans la délibération de 1990, pris dans son ensemble, présente une cohérence et une autonomie qui le distinguent des différents marchés METP qui le composent. Il constitue un ensemble circonscrit à une aire géographique délimitée, la région Ile-de-France, limité dans le temps à une période qui s'étend de 1990 à 1996 et correspond à une activité économique précise, la construction ou rénovation d'établissements scolaires, effectuée à la demande d'un client unique, le conseil régional d'Ile-de-France. Il est en outre caractérisé par un "produit" spécifique, les travaux publics (hors METP-Réalisation) pour établissement scolaire, dont la dévolution a fait l'objet d'une standardisation des procédures et d'un regroupement des appels d'offres en sept vagues, selon le détail suivant :
<emplacement tableau>
272. Ainsi que la Cour d'appel de Paris l'a rappelé dans un arrêt du 14 janvier 2003 : "(...) Considérant que chaque marché public passé selon la procédure de l'appel d'offres constitue un marché de référence, résultant de la confrontation concrète, à l'occasion de l'appel d'offres, d'une demande du maître de l'ouvrage et des propositions faites par les candidats qui répondent à l'appel ; considérant que si cette circonstance permet de délimiter et d'identifier le marché de référence, peuvent néanmoins être sanctionnées en application de l'article L. 420-1 du Code de commerce, non seulement les pratiques anticoncurrentielles affectant exclusivement ce marché, mais aussi l'entente organisée à un échelon plus vaste que chacun des marchés considérés et produisant des effets sur lesdits marchés, en ce qu'elle conduit les entreprises qui y sont présentes à s'en répartir illicitement les parts (...)".
273. Il résulte de ce qui précède que l'ensemble des marchés de travaux qui ont eu lieu entre 1990 et 1996, en exécution du programme pluri-annuel de rénovation et d'extension du parc des lycées d'Ile-de-France voté par la région à la fin des années 1980, qui présentent la particularité d'être tous des commandes de la région, de porter sur des immeubles de même finalité et d'intéresser les entreprises du BTP de la région Ile-de-France, constitue un marché pertinent au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
2. L'entente générale
a) Accord de volonté démontré par la participation à des réunions
274. Ainsi que l'a rappelé le Tribunal de première instance dans un arrêt du 5 décembre 2006 (Westfalen Gassen Nederland BV, T 303-02) : "tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun. S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, points 173 et 174 ; arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T-305-94 à T-307-94, T-313-94 à T-316-94, T-318-94, T-325-94, T-328-94, T-329-94 et T-335-94, Rec. p. II-931, point 720)".
275. En droit communautaire, l'accord de volonté d'une entreprise impliquée dans une entente anticoncurrentielle est démontré par sa participation à une ou plusieurs réunions où des entreprises concurrentes ont échangé des informations ou ont décidé d'une action commune anticoncurrentielle, à moins qu'elle ne se soit distanciée publiquement de l'objet de ces réunions.
276. Dans le même arrêt, le Tribunal rappelle au paragraphe 76, la jurisprudence traditionnelle selon laquelle : "Il suffit, dès lors, que la Commission démontre que l'entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s'y être manifestement opposée, pour prouver à suffisance de droit la participation de ladite entreprise à l'entente". Cette présomption est une présomption réfragable, comme le rappelle le Tribunal : "Lorsque la participation à de telles réunions a été établie, il incombe à cette entreprise d'avancer des indices de nature à prouver que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu'elle avait indiqué à ses concurrents qu'elle participait à ces réunions dans une optique différente de la leur (voir, notamment, arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 81, et la jurisprudence citée)".
277. Selon une jurisprudence constante en droit national, les réunions au cours desquelles des entreprises concurrentes se répartissent à l'avance les marchés à venir constituent des réunions à objet anticoncurrentiel, celles-ci étant suivies par la soumission concertée à ces marchés (décisions 03-D-54 ; 05-D-26 ; 05-D-38 confirmée par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 7 février 2006 (Transdev)).
278. Il résulte des constatations opérées aux paragraphes 39 à 136 que les sociétés mises en cause ont pris part à des réunions pour organiser la répartition des METP lancés par le CRIF de 1990 à 1997.
279. Les déclarations concordantes des responsables des entreprises citées aux paragraphes 69 à 82 de la décision, démontrent que les entreprises ayant mis en avant les difficultés de répondre aux appels d'offres en raison de l'importance des "vagues de marchés" et de leur caractère spécifique, M. Y de Patrimoine Ingénierie a organisé une réunion générale avec les grandes entreprises du BTP, en 1989 à l'Hôtel Maxime près du Rond-Point des Champs-Elysées au cours de laquelle, selon lui, "ont été simplement évoquées toutes les stratégies possibles d'ententes" (paragraphe 70). Cette réunion a été suivie d'autres réunions qui, selon M. V... de GTM, "ont eu lieu à l'instigation du conseil régional et du SNBATI" (paragraphe 73) et ont donnné naissance à l'entente de répartition des METP. Les responsables des majors des grands groupes, selon l'expression employée dans les déclarations, c'est-à-dire notamment les directeurs commerciaux de Spie, SCGPM, SAEP, SAE, Dumez, Bouygues, Fougerolle, Sicra, CBC, GTM et Nord-France se sont réunis ainsi, d'abord avec des représentants du maître d'ouvrage, puis entre eux pour organiser l'entente et la faire fonctionner (cf. déclarations de M. W... de Bouygues au paragraphe 99, de M. V... aux paragraphes 73 et 125).
280. Les sept vagues de marchés lancées par la région ont fait l'objet d'autres réunions de répartition ou, pour les deux dernières vagues, de contacts directs entre les entreprises concernées, préalablement au dépôt des offres, le système étant déjà rodé et portant sur un nombre restreint de marchés. M. N... a admis que la méthode suivie a été la même pour l'ensemble des vagues mais que la périodicité des réunions variait en fonction des vagues de METP et que si au départ, les réunions devaient se tenir avant les phases de présélection, ensuite cette programmation est devenue moins nécessaire en raison de l'enchaînement avec la phase suivante (paragraphe 87). M. V... de GTM (paragraphe 85) de même que M. L... de CBC (paragraphe 118) ont indiqué que des réunions précédaient le lancement de chaque vague, tandis que M. 6..., de Dumez, a précisé que pour les dernières vagues des contacts téléphoniques suffisaient pour convenir de la répartition des marchés (paragraphe 81).
b) Le fonctionnement de l'entente
281. Le fonctionnement de l'entente est décrit dans les déclarations concordantes des responsables d'une dizaine d'entreprises (paragraphes 83 à 119) et a été résumé aux paragraphes 112, 113 et 119. Les entreprises admises à concourir ont fait l'objet d'une présélection par la commission officieuse "Chevance" auprès de laquelle Patrimoine Ingénierie jouait un rôle actif afin de faire respecter la "règle de Krieg" de partage des marchés entre les PME et les grands groupes et être le relais des choix préconisés par l'entente. La sélection portait sur cinq entreprises en moyenne parmi de multiples candidatures et était entérinée par la commission d'appel d'offres. Comme l'a indiqué M. Y, la répartition "n'a pu être possible que grâce à la phase de présélection" (paragraphe 46) et comme a précisé M. V... de GTM : "Il revenait ensuite à Gilbert Y à faire en quelque sorte que l'entreprise désignée par l'entente soit effectivement présélectionnée dans le cadre de l'appel d'offres restreint" (paragraphe 65). Puis s'ouvrait une période, qui dans de nombreux cas a duré presque deux ans, et au cours de laquelle le futur attributaire convenu par les participants à l'entente, soit avant, soit après sélection, élaborait l'offre destinée à être retenue par la commission d'appel d'offres tandis que les offres de tous les candidats à un même marché, coordonnées après concertation, apparaissaient faussement concurrentes.
282. M. V... a indiqué que l'entente était désignée par les vocables "d'accords et de tours de tables" et que "l'entente fonctionnait sans problème lorsque les quatre ou cinq entreprises présélectionnées appartenaient à l'un des grands groupes et appartenaient à l'entente" (paragraphe 85). Les déclarations de M. M..., de Fougerolle, (paragraphes 95 et 96), de MM. N..., de Bouygues, (paragraphes 97 et 98), 1..., de GTM, (paragraphe 100), L..., de CBC, (paragraphes 104 et 105), 4..., de Nord France, (paragraphe 106), et 6..., de Dumez, (paragraphe 107), qui ont tous reconnu avoir "couvert" des concurrrents ou "avoir été couverts", dans cette répartition générale des marchés, donnent la pleine mesure de l'entente.
283. La bonne exécution du partage général des marchés était garantie par Patrimoine Ingénierie qui, en amont, donnait des informations aux entreprises sur les opérations à venir, la nature des projets et, en aval, veillait à ce que l'entreprise pressentie obtienne le marché. S'il arrivait qu'une autre entreprise que celle pressentie soit moins-disante et tente d'obtenir le marché en rompant le pacte, Patrimoine Ingénierie faisait en sorte que l'entreprise pressentie obtienne le marché. Cependant, elle n'est pas intervenue à l'occasion de l'attribution de chaque marché, les entreprises ayant intérêt au bon fonctionnement de l'entente. La règle de répartition, dite "règle de Krieg" décidée au début des opérations a été respectée et une répartition équilibrée a été préservée entre groupes du BTP afin que tous soient servis.
284. En résumé, l'entente de répartition des 88 METP a été instituée lors des réunions entre responsables des majors des grands groupes mais a fonctionné pour chaque marché grâce à l'intervention des entreprises présélectionnées qui, pour l'essentiel, appartenaient à ces groupes. Toutes ces entreprises ont accepté le système collusif instauré avec le concours de Patrimoine Ingénierie et toléré par la commission d'appel d'offres. Aucune ne s'est distanciée publiquement de ce système contrevenant aux règles des marchés publics et au droit de la concurrence.
285. Il convient d'examiner les moyens présentés par les entreprises qui contestent en premier lieu, les preuves retenues pour démontrer l'entente générale, en deuxième lieu, le caractère continu de l'infraction et leur participation à toutes les vagues.
c) Administration de la preuve
286. Les entreprises en cause soutiennent que la démonstration de l'entente repose seulement sur des déclarations, sans être étayée d'aucune preuve matérielle, et que dès lors, la preuve de l'entente notifiée n'est pas rapportée (premier point). Pour Eiffage Construction venant aux droits de SAEP et SAE, la saisine F. 889 qui a donné lieu aux griefs, n'a fait l'objet d'aucune enquête, alors que les enquêtes conduites dans le cadre des saisines F. 1127, F. 1261 et F. 1293 ont mis hors de cause les entreprises incriminées, ce qui démontre le défaut de valeur probante des déclarations qui ont fondé ces griefs (deuxième point). Selon les sociétés Campenon Bernard Construction venant aux droits de Campenon Bernard Bâtiment, Effiparc, Sicra et CBC, les documents transmis par le CRIF et le jugement du Tribunal correctionnel de Paris du 26 octobre 2005 ne constituent pas un commencement de preuves d'une quelconque pratique illicite (troisième point). D'après la société CBC, enfin, les documents indispensables à la mise en évidence d'une entente, à savoir les pièces afférentes aux marchés en cause, ne figurent pas au dossier (quatrième point).
287. Mais sur le premier point, le Conseil de la concurrence considère que "la preuve de pratiques anticoncurrentielles peut résulter soit de preuves se suffisant à elles-mêmes, soit d'un faisceau d'indices constitués par le rapprochement de divers éléments recueillis en cours d'instruction qui peuvent être tirés d'un ou plusieurs documents ou déclarations et qui, pris isolément, peuvent ne pas avoir un caractère probant" (décision n° 01-D-13 du 19 avril 2001).
288. Dans un arrêt du 25 janvier 2007 (Sumitomo Metal Industries Ltd - C 403-04 P et C 405-04 P), la Cour de justice des communautés européennes a de même rappelé que "(...). (...), comme (elle) l'a déjà relevé dans d'autres cas, il est usuel que les activités que des pratiques et accords anticoncurrentiels comportent, se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement, et que la documentation y afférente soit réduite au minimum. Il s'ensuit que, même si la Commission découvre des pièces attestant de manière explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu'il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Dès lors, dans la plupart des cas, l'existence d'une pratique ou d'un accord anticoncurrentiel doit être inférée d'un certain nombre de coïncidences et d'indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l'absence d'une autre explication cohérente, la preuve d'une violation des règles de la concurrence (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, précité, (points 55 à 57)" (§ 51).
289. La Cour de cassation, dans un arrêt du 8 décembre 1992, a admis la valeur probatoire d'un faisceau d'indices : "à l'évidence l'existence et l'effectivité d'une entente (...) ne sont normalement pas établies par des documents formalisés, datés et signés, émanant des entreprises auxquelles ils sont opposés (...) la preuve ne peut résulter que d'indices variés dans la mesure où, après recoupement, ils constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes".
290. Les déclarations faites au cours de l'instruction pénale comme toutes les pièces d'origine pénale sont pleinement opposables aux parties dans les procédures de concurrence, ainsi que l'a rappelé le Conseil aux paragraphes 250 et suivants.
291. Ces déclarations émanent des principaux responsables des entreprises mises en cause et révèlent de façon concordante l'organisation et la mise en œuvre de l'entente. Ces personnes ont toutes été témoins directs des faits et nombre d'entre elles ont pris une part personnelle et déterminante dans l'entente qu'elles ont reconnue. Ont ainsi été condamnés par le Tribunal correctionnel de Paris, "pour avoir pris frauduleusement (...) une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre d'une entente (...) :
- en concluant un accord de principe ou en donnant son assentiment à cet accord au nom de la société (...) avec (...) les sociétés concurrentes Bouygues, GTM, Sicra, CBC, Fougerolle, SCGPM, Spie, Nord-France, Dumez , SAEP, en vue d'une répartition illicite de l'ensemble des marchés publics (...) ;
- en concluant des accords particuliers (...) avec les mêmes sociétés (...) ayant pour objet, soit d'en obtenir l'attribution (...) soit d'y renoncer en déposant alors une offre de prix délibérément majorée (offre de couverture) (...)" : MM. N... de Bouygues, L... (CBC), 6... (Dumez), M... (Fougerolle), MM. 1..., V... et K..., de GTM, MM. 4... de Nord-France, S... de SAEP, Mme 5... (SCGPM/Spie) et M. Y (Patrimoine Ingénierie). Ce jugement du 26 octobre 2005 a été confirmé par la Cour d'appel de Paris dans un arrêt du 27 février 2007.
292. La valeur probatoire de la déclaration d'un témoin direct est d'autant plus grande que cette déclaration va à l'encontre de l'intérêt de l'entreprise dont ce témoin est membre. Dans le même arrêt Sumitomo, la Cour de justice a précisé : "(...) [...] les déclarations allant à l'encontre des propres intérêts de son auteur doivent, en principe, être considérées comme probantes et il convient dès lors d'attribuer un poids considérable à la déclaration de M. 26... en l'espèce"(§ 102).
293. Dans le cas présent, le Conseil considère que l'ensemble des déclarations citées aux points 70 et suivants et des autres éléments tirés de la procédure pénale qui révèlent de façon concordante l'existence d'un accord de principe, de réunions et d'échange d'informations, de dépôt d'offres de couverture ayant pour objet une répartition amiable des METP constituent une preuve directe de l'entente de répartition.
294. Sur le deuxième point, l'absence d'indices matériels d'échanges d'informations préalables au dépôt des offres sur les marchés METP de l'entente générale ayant fait l'objet d'une enquête de la DGCCRF, n'est pas surprenante et ne démontre pas l'absence de répartition générale de ces marchés. En effet, le mécanisme de l'entente décrit plus haut visait précisément à assurer une apparence de régularité aux appels d'offres concernés.
295. Sur le troisième point, les éléments de preuve ci-dessus décrits ont été retenus par le Tribunal correctionnel de Paris dans son jugement du 26 octobre 2005, confirmé par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 27 février 2007, comme démontrant les faits qui permettent au Conseil, auquel s'impose la chose jugée au pénal, de relever les mêmes faits comme éléments constitutifs de l'entente à l'égard des entreprises parties à l'instance. Il résulte que ne peut être constestée l'existence "de l'accord de principe concernant la répartition de la commande globale entre les majors du secteur du BTP et (les) accords particuliers conclus en exécution de cet accord initial", dont l'enchaînement est précisément décrit aux paragraphes 220 et suiv. du jugement et aux pages 42 à 45 de l'arrêt. Viennent s'ajouter les documents recueillis par le rapporteur auprès du CRIF le 20 décembre 2005, ainsi que les constatations faites par les magistrats de la Chambre régionale des comptes dans leurs différents rapports.
296. Enfin, s'agissant des pièces afférentes aux marchés, il convient de souligner que les magistrats de la Chambre régionale des comptes et le juge pénal se sont heurtés à la disparition des documents relatifs à la mise en concurrence lors de la passation de chaque marché, (voir sur ce point cote informatique 874 rapport CRC et notamment point d) conservation des offres du présent rapport). Ces pièces ne sont toutefois pas indispensables pour rapporter la preuve de la répartition anticoncurrentielle des 88 METP, les aveux et déclarations des responsables des entreprises suffisant à démontrer la participation des entreprises à des réunions à objet anticoncurrentiel, à des échanges d'informations avant le dépôt des offres, au dépôt d'offres de couverture afin de répartir entre elles les marchés dans le respect d'une règle préétablie.
d) Existence d'une infraction continue
297. Pour Campenon Bernard Construction, venant aux droits de Campenon Bernard Bâtiment, et Bouygues SA, la qualification d'entente générale est "artificielle, non conforme à la réalité et juridiquement erronée" en ce que l'instruction n'a pas déterminé précisément l'objet sur lequel se sont volontairement accordées les entreprises incriminées. Elles soutiennent en effet que le principe d'un accord de répartition générale des 90 METP conclu en 1990 est impossible, car à cette date les entreprises n'avaient pas connaissance de la totalité des 90 METP et ne connaissaient pas les entreprises qui seraient présélectionnées sur chacun des appels d'offres. Elles allèguent en conséquence, que le rapporteur aurait dû démontrer l'entente pour chacun des marchés METP, pour en déduire l'entente générale.
298. Bouygues SA soutient également que la qualification de pratique d'exécution successive retenue est erronée.
299. Plusieurs entreprises soutiennent de manière analogue que la preuve n'est pas rapportée d'une entente sur chacun des METP pris individuellement en l'absence des documents afférents aux marchés.
300. La répartition concertée, entre les entreprises, des marchés d'entreprises de travaux publics afférents à la construction et à la rénovation des lycées d'Ile-de-France a été exécutée de 1989 à 1996, l'accord initial de partage des marchés à venir de la région ayant eu lieu lors de réunions inaugurales de 1989-1990, puis l'exécution de cet accord s'étant déroulée à l'occasion des sept vagues de METP. Il s'agit d'une pratique continue ou "complexe", selon la terminologie utilisée par la jurisprudence communautaire.
301. Ce comportement continu des entreprises peut, au regard du droit communautaire, être qualifié d'"accord complexe", notion que la Commission européenne a ainsi définie : "Le terme "accord" peut être appliqué tant à un projet global ou aux conditions expressément convenues, qu'à l'exécution de ce qui a été convenu sur la base des mêmes mécanismes et dans la poursuite du même objectif commun. Le fait que, en droit, une infraction à l'article 81, § 1, du traité est réalisée dès la conclusion de l'accord illicite ne signifie pas que l'"accord" ne peut être continu ; aussi longtemps qu'il est exécuté, il continue à exister jusqu'à sa résiliation. Un tel accord, qualifié de complexe, peut donc être considéré comme une seule infraction continue pendant la durée de son existence. L'éventualité qu'un ou plusieurs éléments d'une série d'actions ou d'une ligne de conduite continue puissent, individuellement et en eux-mêmes, constituer une violation de l'article 81, paragraphe 1, du traité, ne s'oppose pas à la conclusion que ces éléments puissent constituer un accord complexe. En effet comme la Cour de Justice l'a déclaré, confirmant ainsi l'arrêt du tribunal de première instance, il ressort des termes formels de l'article 81, du traité qu'un accord peut consister non seulement en un comportement isolé mais aussi en une série de comportements ou en une ligne de conduite" (Décision du 27 novembre 2002, plaques de plâtre, COMP/E-1/37.152 ; voir aussi CJCE, Commission contre Anic Participazioni Apa, C-49-92, point 81).
302. La circonstance que les parties à la concertation soient intervenues à des moments différents et n'aient pas joué le même rôle dans l'entente ne fait évidemment pas obstacle à ce que leur responsabilité soit retenue au titre de cette infraction complexe, les particularités de leur participation n'étant prises en compte qu'au titre de la sanction. Dès lors, le fait que certaines entreprises n'aient pas obtenu de marchés ou n'aient été sélectionnées que pour certaines vagues ne suffit pas à les exonérer des conséquences de leur participation à un accord qui visait l'ensemble des vagues et à la réalisation duquel elles ont consenti.
303. Ainsi que la Cour de justice des communautés européennes l'a rappelé dans un arrêt du 8 juillet 1999 (Anic Partecipazioni SpA, C-49-92 P) : "Il convient de relever, (...), que les accords et les pratiques concertées visés à l'article 81, paragraphe 1, CE résultent nécessairement du concours de plusieurs entreprises, qui sont toutes coauteurs de l'infraction, mais dont la participation peut revêtir des formes différentes, en fonction notamment des caractéristiques du marché concerné et de la position de chaque entreprise sur ce marché, des buts poursuivis et des modalités d'exécution choisies ou envisagées" (point 79) ; "Toutefois, la simple circonstance que chaque entreprise participe à l'infraction dans des formes qui lui sont propres ne suffit pas pour exclure sa responsabilité pour l'ensemble de l'infraction, y compris pour les comportements qui sont matériellement mis en œuvre par d'autres entreprises participantes, mais qui partagent le même objet ou le même effet anticoncurrentiel" (point 80).
304. Contrairement aux allégations des parties, l'objet de l'entente était parfaitement connu dès la première réunion, ainsi qu'en attestent les déclarations de M. G. Y, dirigeant de Patrimoine Ingénierie SA, puis l'entente a été exécutée vague par vague (paragraphe 70) : "(...) Les entreprises m'ont alors demandé d'organiser une première réunion. Celle-ci a eu lieu dans un hôtel (...) Il s'agissait pour les entreprises comme pour moi de savoir comment les entreprises pourraient s'entendre entre elles pour éviter les difficultés inhérentes à la masse des marchés annoncée. Toutes les solutions possibles ont été imaginées et il en est ressorti que pour la répartition le choix des sites seul conviendrait car les entreprises ne connaissant pas les projets à venir elles ne pouvaient pas se garantir d'avoir chacune des marchés à tour de rôle. Par la suite, je n'ai plus participé à aucune réunion de ce genre les entreprises faisant leur affaire de l'organisation de l'entente. Je sais que par la suite toutes les entreprises concernées ne participant pas aux réunions certaines d'entre elles étaient chargées de porter les intérêts des absents (...)" (paragraphe 70).
305. M. N... de Bouygues, dans son audition du 21 octobre 1999 retracée au paragraphe 71, donnait des explications en tout point identiques à celles apportées par Patrimoine Ingénierie : lors de la réunion dans un hôtel du quartier des Champs-Élysées, "toutes les grandes entreprises du secteur" étaient rassemblées. L'objet de cette réunion était connu de tous, à savoir le partage des marchés de la région :"Gilbert Y a fait circuler une liste des lycées à rénover dans un proche avenir que je pense correspondre à la première vague de METP". Le projet concret de répartition a été établi dès la première réunion, pour certaines entreprises, lors d'une seconde pour les autres : "Très vite cette liste a donné lieu à des discussions au cours desquelles les entreprises toujours au cours de cette réunion annonçaient leurs ambitions sur tel ou tel marché. Une sorte de consensus sur le principe d'une répartition amiable semblait se dégager dans la mesure où la procédure même du METP, très innovante, pouvait paraître risquée à tout le monde".
306. La continuité du fonctionnement de l'entente était soulignée par la plupart des protagonistes de l'entente : "La méthode que je viens de vous exposer a été la même pour l'ensemble des vagues. Je précise toutefois qu'il y a eu des vagues pour lesquelles les réunions n'ont pas eu lieu en présence de Gilbert Y (...)" (paragraphe 71).
307. De même, M. V..., directeur commercial de GTM Construction, décrit-il dans ses déclarations retracées au paragraphe 73, un système général de répartition qui fonctionne pour l'ensemble des vagues de METP, même si comme il le précise, les modalités de l'accord étaient nécessairement mises en œuvre au cas par cas : "(...) Lorsque nous nous rencontrions mes collègues des autres entreprises et moi-même à l'occasion des vagues de METP qui étaient lancées nous nous répartissions les opérations entre nous".
308. Sur le caractère continu des pratiques, M. L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France, a produit des déclarations très explicites, reproduites au paragraphe 118 de la décision.
309. La volonté de s'entendre des entreprises ressort des fréquentes réunions d'échanges d'informations préalables aux commissions d'appel d'offres, qui leur ont permis de désigner l'attributaire choisi par l'entente et d'organiser, grâce à la remise d'offres de couverture et l'intervention de l'assistant à la maîtrise d'ouvrage, un simulacre de concurrence dans le respect apparent des règles de passation des appels d'offres. Ces échanges d'informations étaient largement facilités par le fait que la présélection réduite à quatre, cinq, ou six entreprises limitait la nécessité des contacts entre entreprises (les METP des quatre dernières vagues comportent davantage d'entreprises présélectionnées, mais ils sont beaucoup moins nombreux que ceux des premières vagues).
310. M. Jacques V..., directeur commercial de GTM, montrait ainsi l'implication constante des entreprises à faire vivre l'entente, la volonté de s'entendre étant réitérée avant le lancement de chaque vague, par des réunions de partage de marchés (voir paragraphes 73 et 85 de la décision) : "(...) Au cours de ces réunions qui précédaient le lancement de chaque vague de METP, les directeurs commerciaux s'attachaient surtout à choisir les lycées en fonction du lieu d'implantation de l'ouvrage et du lieu d'implantation de l'agence de l'entreprise et aussi en fonction de la nature des travaux et des spécialités auxquelles ils auraient fait appel.(...). Dans notre jargon nous désignons cette entente par les vocables d'accord ou de table (...)".
311. M. Jacques K... (GTM), corroborait les déclarations de son supérieur J. V..., notamment sur le fait que les grands groupes se réunissaient pour se répartir les marchés en fonction de la vague d'appel d'offres prévue [Ci n° 5954 & 5952].
312. M. 4... (Nord France), dans ses déclarations retracées au paragraphe 88 décrivait la tenue des réunions avant le lancement de chaque vague, au cours desquelles les listes de METP de chaque vague étaient analysées : "(...) Je reconnais avoir assisté à des réunions avec (...) je vous précise que des réunions officielles ont été tenues concernant les METP (...) le but des autres réunions était en fait d'analyser les listes de METP (...) effectivement, il y avait une répartition des marchés entre les entreprises présentes à ces réunions et ce en fonction des préférences énoncées par ces entreprises. (...)" [Ci n° 7746].
313. M. N... (Bouygues), expliquait dans ses déclarations figurant au paragraphe 87 : "(...) La périodicité des réunions variait en fonction des vagues successives. Chaque vague pouvait donner lieu à une, voire deux réunions, dans l'un ou l'autre des endroits précités. (...) Au départ les réunions devaient se tenir avant les phases de présélection. Par la suite, le avant ou le après était neutre car on avait déjà un début de lisibilité sur la phase suivante (...) " (extraits D 3420) (...)" (extraits D 3522) [Ci n° 7562 & 7734].
314. La nature des informations échangées lors des réunions attestait du caractère anticoncurrentiel des discussions engagées entre concurrents. En effet, si certains responsables prétendaient qu'il ne s'agissait pas de réunions de répartition ou de partage de marchés, ils reconnaissaient unanimement qu'ils discutaient entre eux des METP à venir et du "degré d'intéressement" de leur entreprise à ceux-ci, ce qui revenait au même.
315. M. Y de Patrimoine Ingénierie SA précisait que compte tenu de "la masse des marchés annoncés", la répartition des marchés se faisait en fonction du "choix des sites (...)" (paragraphe 70).
316. M. M... (Fougerolle) : " (...) Nous essayions de mesurer le degré de concurrence ou d'envie de se battre de telle ou telle entreprise sur les marchés. Chacun évoquait les marchés susceptibles d'intéresser son entreprise respective. Pour ce qui est de Fougerolle, nous ne ciblions pas les marchés d'un montant nettement supérieur à 100 millions de francs et ce, comme je vous l'ai déjà dit pour des questions de trésorerie (...)" (paragraphe 93)".
317. M. L... (CBC) : "(...) Dans ces conditions, si j'avais indiqué à mes confrères que j'étais intéressé pour telle ou telle opération, il suffisait que je colle le plus possible au budget et les autres faisaient leurs prix. (...)" [Ci n° 9043].
318. Les différents responsables d'entreprises et leurs collaborateurs interrogés lors des enquêtes (voir paragraphes 94 à 119) expliquaient qu'après s'être réparti les METP sur la base de critères géographiques et de montant, ils avaient mis en œuvre un système d'offres de couverture. Les offres de couverture étaient élaborées dès que les entreprises savaient qu'elles étaient présélectionnées pour chaque vague de METP. Toutes les entreprises présélectionnées réitéraient, à l'occasion de cette concertation, leur volonté de s'entendre, manifestée initialement lors des réunions inaugurales de 1989-1990. Il ressort en effet clairement des déclarations recueillies que toutes échangeaient des informations et couvraient l'attributaire pressenti, selon des modalités variables.
319. M. N..., directeur de Bouygues, donnait des explications précises sur les échanges d'informations et les offres de couverture intervenant entre les entreprises présélectionnées de chaque vague, selon le même mode opératoire : "(...) Des contacts étaient pris entre les directeurs commerciaux des entreprises pré-selectionnées et cela dans la semaine précédent la date limite de remise des offres. L'objectif de Bouygues était de respecter les accords passés (...) Dans l'hypothèse où Bouygues devait être attributaire nous communiquions à nos concurrents le prix plancher (...).(...) Dans l'hypothèse où c'est nous qui devions remettre une offre de couverture, nous avions des méthodes d'études rapides qui permettaient d'approcher avec une fiabilité satisfaisante, un prix global approchant. Il a pu se faire que nous ne fassions pas d'études du tout, nous contentant de modifier poste par poste tout ou partie des offres que l'attributaire pressenti nous remettait (...)" (paragraphe 97).
320. M. W..., (Bouygues), a expliqué de manière très détaillée les lieux et modalités d'établissement des offres de couverture (paragraphe 99) : "(...) Lorsque nous étions les attributaires pressentis, nous réalisions l'étude approfondie. Lorsque notre étude était terminée, je prenais personnellement attache avec les autres directeurs commerciaux. (...). Avec mes confrères, on convenait d'un rendez-vous dans un bar pour s'échanger des informations car effectivement, dans la même vague, il y avait des informations entrantes et sortantes. J'entends par sortantes, lorsque nous étions en position d'être attributaire. J'entends par entrantes, les informations que je recevais des confrères attributaires sur d'autres marchés. (...) La plupart des réunions que j'ai organisées se situait à 8 h au café le Congrès situé à Porte-Maillot. C'est autour d'un café que se déroulait l'échange d'informations. En ce qui me concerne, je ne convoquais jamais plus d'un confrère à la fois. Souvent ces rencontres se succédaient pendant plusieurs jours" [Ci n° 8243].
321. M. K... (GTM), supérieur hiérarchique de M. V..., confirme les échanges d'informations sur les marchés et les offres de couverture entre entreprises présélectionnées : les directeurs commerciaux des grands groupes "se mettaient d'accord sur la clé de répartition en fonction de la vague de lycées prévus" (paragraphe 102) [Ci n° 5954].
322. De même, M. L..., de CBC, expliquait (paragraphe 104) que "(...) Si dans un premier temps, après l'avis de consultation, ma société était "présélectionnée" avec trois ou quatre autres pour quatre ou cinq opérations, ce qui arrivait par vague de METP, je ciblais l'unique opération où les deux qui me paraissaient faisables. Dans ce cas là, il y avait un arrangement avec les autres entreprises et je ciblais une opération plus particulièrement. (...) Les autres entreprises faisaient pareil (...)" [Ci n° 7739].
323. Il résulte de ce qui précède que les entreprises ont décidé de répartir entre elles les marchés METP avant le lancement de la première vague, dès les premières réunions inaugurales de 1989-1990. Bien que le partage de l'ensemble des METP n'ait pas été alors décidé, cette circonstance est indifférente pour caractériser l'accord de volonté des entreprises qui s'est manifesté par un accord de principe sur la répartition des METP présents et à venir, puis a été réitéré lors de chaque vague METP. La responsabilité d'une entreprise dans l'entente générale portant en l'espèce sur 88 marchés différents ne se limite pas au(x) seul(s) marché(s) dont l'entente lui a permis d'être attributaire mais s'applique aussi à l'ensemble des marchés qui ont fait l'objet de la répartition. Il n'a été mis fin à cette entente qu'après le lancement de la septième et dernière vague, lors de la remise des offres concernant le METP du lycée Bartholdi.
3. La participation des entreprises à l'entente
324. En premier lieu, seront indiqués les critères adoptés pour déterminer les entreprises qui ont participé à l'entente, puis en deuxième lieu, leur application à chaque entreprise retenue comme ayant participé à cette pratique illicite.
a) Critères pour déterminer les entreprises ayant participé à l'entente
325. Tout d'abord, les entreprises dont les responsables ont été condamnés pour avoir pris une part personnelle et déterminante à l'entente par le jugement du tribunal correctionnel du 26 octobre 2005 sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce confirmé par l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 27 février 2007, rendu postérieurement à la séance devant le Conseil ne peuvent pas contester leur participation à l'entente par l'intermédiaire des personnes qui ont reconnu avoir agi en leur nom et pour leur compte et qui avaient le rang de directeurs au sein de l'entreprise (paragraphe 291). L'information pénale a révélé en outre l'identité des entreprises représentées par les personnes qui assistaient aux réunions ou avec lesquelles elles étaient en relation grâce aux déclarations de ces responsables. Les entreprises identifiées à ce double titre comme ayant participé à l'entente sont les suivantes : Bouygues, Brezillon, Campenon Bernard, CBC, Dumez, Fougerolle, Gespace, GTM, Nord France, Quillery, SAE, SAEP, SGPM, Sicra, Spie (paragraphe 136).
326. Ensuite, la conception et la mise en œuvre de l'entente ont impliqué les majors des grands groupes et les groupes, en ce sens que les décideurs de l'attribution des marchés recherchaient une répartition harmonieuse entre les grands groupes du BTP. Ainsi, M. Y de Patrimoine Ingénierie soulignait l'impact des opérations relatives aux marchés de rénovation des lycées sur l'économie régionale, l'importance de la puissance financière des entreprises grâce à leurs banques respectives et la nécessité de préserver les grands équilibres en ces termes : "...Pour que l'équilibre entre les grands groupes puisse être vérifié nous procédions par nombre de sélections par groupe" (paragraphe 46) ; de même, Mme C... exposait que la présélection tendait à désigner une seule filiale par groupe : "il fallait par ailleurs éviter que soient présélectionnées sur une même opération des entreprises appartenant à un même groupe" (paragraphe 48).
327. La notion de "grands groupes" était également nécessaire à l'application de "la règle de Krieg" qui réservait 1/3 des marchés aux indépendants et 2/3 aux grands groupes et qui, acceptée par les entreprises présentes sur le marché, conduisait les participants à l'entente à ajuster leurs offres en tenant compte d'un équilibre de répartition des marchés en fonction des groupes auxquels ils appartenaient. Ainsi, les personnes qui ont pris une part déterminante dans l'entente non seulement représentaient les entreprises du groupe comme elles l'ont reconnu au cours de l'instruction pénale mais aussi défendaient les intérêts des autres entreprises du groupe qui ont décidé en connaissance de cause de rejoindre l'entente en posant leur candidature. M. S..., directeur commercial de SAEP déclarait : "Patrimoine Ingénierie représenté par M. Y et ses collaborateurs était incontournable pour nous les grands groupes du bâtiment....". (paragraphe 60), M. N... (Bouygues) indiquait que M. Y "voulait que les majors sécurisent cette nouvelle forme de marché, le METP..." (paragraphe 70), M. L... (CBC) déclarait qu'au cours de la réunion générale de présentation "il a été indiqué qu'il faudrait que les majors comme Bouygues, Spie, GTM, Dumez etc... devaient s'impliquer vraiment". Les caractéristiques du METP, qui impose un financement des travaux de rénovation et de maintenance par les entreprises et donc une négociation avec les banques, impliquaient non seulement l'entreprise mais aussi la direction du groupe avant que cette entreprise participe à l'entente pour être présélectionnée et désignée comme attributaire du marché.
328. Enfin, il ressort des paragraphes 83 à 88 que la désignation du futur attributaire des METP précédait le plus souvent la présélection des candidatures par la commission officieuse "Chevance" qui avait connaissance de cette désignation et dont la sélection était ensuite entérinée par la commission d'appel d'offres. Ainsi, l'entente fonctionnait déjà au stade de la présélection qui réduisait à quatre ou cinq le nombre des entreprises admises à concourir et qui était suivie d'une période au cours de laquelle avaient lieu les négociations avec l'attributaire désigné ou le cas échéant les négociations en vue de cette désignation avec comme corollaire le dépôt d'offres de couverture par les entreprises non désignées. Le faible nombre d'entreprises présélectionnées et le délai important qui s'est écoulé entre cette présélection et la soumission aux marchés, facilitaient le fonctionnement de l'entente pour chaque marché. L'enquête réalisée par la DNEC a permis d'identifier, au sein de la liste des METP, les entreprises présélectionnées et attributaires des différents marchés.
b) Application de ces critères
329. Il convient d'appliquer les critères ci-dessus définis aux entreprises présentées suivant leur appartenance à un groupe afin de déterminer la participation de chacune d'entre elles à l'entente de répartion des METP.
330. La situation de la SA Rabot-Dutilleul Entreprise ne sera pas évoquée puisque cette entreprise n'a pas été mise en cause.
Les sociétés appartenant au groupe Bouygues
Société Bouygues
331. La société Bouygues SA (RCS 572 015 246), communément désignée sous le nom générique de "Bouygues" dans les pièces du dossier a été présélectionnée vingt neuf fois et attributaire à quatre reprises selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
332. M. N..., directeur de Bouygues, dans son audition du 21 octobre 1999, retracée au paragraphe 71, a reconnu avoir participé à l'entente dénoncée et a été condamné sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce (paragraphe 291).
333. MM. N... et W... ont également fait (§ 97 à 99) des déclarations circonstanciées sur le mode de désignation de la société Bouygues comme attributaire, sur les échanges d'informations et sur le dépôt d'offres de couverture réalisés dans le cadre de l'entente. De plus, M. N... a énuméré les participants rencontrés lors des réunions de concertation (paragraphe 126).
334. Enfin, les déclarations concordantes de M. V..., directeur général de GTM [Ci n° 6071], M. M..., directeur commercial de Fougerolle [Ci n° 7705], M. 4..., directeur commercial de l'entreprise Nord France [Ci n° 7746], M. S..., directeur d'agence de la SAEP [Ci n° 7616], M. L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France [Ci n° 7514], Mme 5..., directeur commercial de SCGPM [Ci n° 7600] et M. X, de Sicra-Sogea, [Ci n° 6067], démontrent que la société Bouygues, représentée par M. N..., participait avec eux aux réunions de concertation.
335. Il résulte de ce qui précède que la participation de la société Bouygues SA à l'entente dénoncée est établie.
Société A & M Brezillon
336. La société A & M Brezillon soutient que sa participation à l'entente dénoncée et notamment à des réunions de concertation ou de mise au point d'offres de complaisance n'est pas démontrée. Elle fait valoir que si elle fait partie du groupe Bouygues, elle est une filiale d'une société routière du groupe Colas et que MM. N... et W... ont soutenu ne pas être intervenus pour Brezillon.
337. La société Entreprise de Travaux Publics A & M Brezillon SA (RCS Compiègne 925 520 108), communément désignée sous le nom générique de "Brezillon" dans les pièces de la procédure, a été présélectionnée neuf fois et attributaire à trois reprises, selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
338. La participation de cette entreprise à neuf METP, avec succès pour trois d'entre eux, a impliqué son adhésion au système collusif. Elle s'est insérée dans l'accord de répartition générale des METP décidé entre les majors des grands groupes, parmi lesquels Bouygues a joué un rôle actif, accord mis en œuvre par des filiales lors de la présélection et du choix de l'attributaire.
339. De plus, si M. N... (Bouygues SA) a contesté représenter la société Brezillon appartenant à son groupe, M. Jacques V..., directeur général de GTM, a précisé que, lors des réunions de concertation : "Bouygues et Brezillon étaient représentées par M. N... directeur des ouvrages fonctionnels" [Ci n° 6071].
340. En conséquence, la participation de la société Brezillon à la pratique d'entente générale est établie.
Société Olin
341. La société Olin SA soutient qu'elle n'a jamais été dénoncée par les personnes entendues, qu'il n'est pas démontré qu'elle a participé à des réunions de concertation ou de mise au point d'offres de complaisance et qu'elle doit donc être mise hors de cause.
342. La société Olin SA, filiale du groupe Bouygues, absorbée en 2003 par Bouygues Bâtiment Ile-de-France a été présélectionnée neuf fois et attributaire à quatre reprises, selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
343. M. W..., de Bouygues, a déclaré ne pas être intervenu pour les opérations obtenues par Olin. Toutefois comme pour Brezillon, compte tenu de son statut de filiale, sa présélection et l'attribution de quatre METP lors du lancement des premières vagues n'ont pu être réalisées sans qu'elle prenne part à l'entente dont l'application générale aux METP et plus spécialement aux marchés des premières vagues a été mise en évidence par MM. N... et W... qui défendaient les intérêts des entreprises du groupe dans ce système de répartition des marchés en représentant la SA Bouygues qui jouait le rôle de major dans ce système.
344. En conséquence, la participation de la société Olin SA à la pratique d'entente générale sur les 88 METP est établie.
Les sociétés appartenant au groupe Société générale d'Entreprise repris par Vinci
Les sociétés Campenon Bernard
345. Selon les observations faites par Vinci Construction, les trois entités mises en cause dans la procédure, Campenon Bernard, Campenon Bernard SNC et Campenon Bernard-SGE ne constituent qu'une seule société Campenon Bernard (RCS Nanterre 334 851 664) désignée sous le nom "Campenon-Bernard" renommée Vinci Construction à partir du 13 juin 2001.
346. La société Campenon Bernard a été attributaire des METP pour les lycées Santos-Dumont à Saint-Cloud, Vauquelin (ex Boutroux) à Paris, Martin Nadaud à Paris et Eugène Delacroix à Drancy (cf. tableau ci-dessous).
<emplacement tableau>
347. Campenon Bernard Bâtiment (RCS Nanterre 379 027 915) a été attributaire du marché de réhabilitation Delacroix à Drancy en groupement avec Campenon Bernard. La participation à la répartition générale des METP dans ces circonstances et à l'occasion de cet unique marché faisant partie de la cinquième vague et sur l'attribution duquel la commission d'appel d'offres s'est prononcée le 10 juin 1994, ne permet pas de retenir le grief d'entente générale à l'encontre de Campenon Bernard Construction qui vient aux droits de Campenon Bernard Bâtiment.
348. Aucun responsable de Campenon Bernard n'a été entendu au cours de l'information pénale mais M. Jacques V... a indiqué, s'agissant des réunions de l'entente, qu'étaient représentées, parmi les participants : "CBC et peut-être Campenon Bernard par M. L... directeur général(...)" [Ci n° 6071]. Cet indice doit être retenu, Campenon Bernard comme CBC ayant appartenu au groupe SGE repris par le groupe Vinci.
349. La répartition générale du marché décidée entre grands groupes implique nécessairement les filiales de ces groupes. Campenon Bernard, présélectionnée onze fois et attributaire de METP à quatre reprises démontre par là même avoir pris part à l'entente, soit en se faisant représenter aux réunions, soit en échangeant des informations, en tout cas en se mettant d'accord avec les autres entreprises présélectionnées pour obtenir l'attribution de quatre METP en échange du dépôt d'offres de couverture dans les autres cas.
350. En conséquence, sa participation à l'entente générale est établie.
Gespace et CBC
351. Gespace France SA (RCS Nanterre 354 098 170), filiale de la société Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction (CBC), considère qu'en l'absence d'autonomie par rapport à sa maison mère, elle ne peut se voir imputer une quelconque responsabilité dans les pratiques d'entente. Elle expose n'avoir été que le mandataire d'un groupement constitué avec sa maison mère pour des METP dont les travaux étaient effectués par sa maison mère CBC, qui la chargeait seulement de la maintenance desdits travaux.
352. La Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction (CBC) (RCS 325 348 803) soutient au contraire que CBC n'a eu qu'une participation indirecte à l'entente puisqu'elle faisait partie d'un groupement dont Gespace France était le mandataire commun. Le rapporteur aurait donc fait une erreur en la mettant en cause dans sa notification de griefs complémentaire au motif qu'elle était cosignataire des METP. Elle soutient n'avoir jamais signé de document afférent à ces marchés. Il faut donc, selon CBC, suivre la logique de la notification de griefs initiale qui indiquait que la société CBC avait bien participé à l'exécution des marchés mais qu'elle n'était pas destinataire de griefs. CBC soutient que Gespace était autonome et n'était pas dépendante économiquement de CBC, qu'elle était filiale de CBC (50 %) et de Générale De Chauffe (50 %) et que c'était elle qui signait les marchés METP en toute indépendance. CBC explique que le rapporteur n'a pas précisé si CBC était mise en cause comme actionnaire de Gespace ou en qualité de membre du groupement.
353. En réponse à cette argumentation, il convient de rappeler que CBC est attraite dans la cause en sa qualité de membre du groupement qu'elle a constitué avec Gespace et que la responsabilité encourue pour avoir participé à une pratique anticoncurrentielle est identique pour tous les membres du groupement, qu'ils soient ou non mandataires du groupement. De plus, CBC comme Gespace ont l'une comme l'autre exécuté les marchés attribués au groupement.
354. Il résulte des constatations faites que Gespace, société de maintenance, a été en groupement présélectionnée vingt-neuf fois et attributaire à huit reprises de METP.
<emplacement tableau>
355. Monsieur L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France, a reconnu avoir participé, avec son collègue M. 8..., aux réunions de répartition des marchés, à la fois pour CBC et pour Gespace : "(...) Nous avons cherché à nous répartir les marchés en fonction de nos capacités de réalisation respectives. Les entreprises intéressées étaient représentées par M. N... pour Bouygues, M. S... pour SAEP, M. X et Z pour Sicra, M. 4... pour Nord France, M. M... pour la société Fougerolle, M. Dupret et moi-même pour CBC et Gespace, (...)" [Ci n° 7514]. Dans ce même procès-verbal, M. L... explique que CBC et Gespace menaient des études séparées, l'une pour la maintenance et l'autre pour les travaux et qu'ensuite étaient examinés les aspects financiers avec les banquiers.
356. Les concurrents de la société CBC ont par ailleurs cité M. L... comme participant aux réunions de l'entente, pour la société CBC : M. V..., directeur général de GTM [Ci n° 6071], M. N..., directeur de Bouygues [Ci n° 7547], M. 4..., directeur commercial de l'entreprise Nord France [Ci n° 7746], M. S..., directeur d'agence de la SAEP, [Ci n° 7616], Mme 5..., directeur commercial de SCGPM [Ci n° 7600] et M. X de Sicra-Sogea [Ci n° 6067]. Ces faits ont été confirmés par le juge pénal qui a condamné M. L... sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce (paragraphe 291).
357. La société Gespace qui n'est qu'une filiale à 50 % de la société CBC, ne démontre pas en quoi elle ne disposerait pas d'autonomie par rapport à celle-ci. La circonstance que le groupement dont elle est le mandataire ne soit pas conjoint mais solidaire ne conduit pas chacun des partenaires du groupement à abandonner son indépendance quant à la définition des prestations ou travaux et des prix qu'il fournit dans ce cadre. C'est d'ailleurs le cas dans les METP du CRIF où la part maintenance et la part travaux étaient nettement distinguées ainsi qu'il apparaît dans les dispositions financières annexées à chaque convention METP (communiquées par le CRIF au rapporteur le 20 décembre 2005). Au contraire, les deux entreprises, qui ont établi leurs offres de façon indépendante sur des travaux différents (de maintenance et de travaux), ont en se groupant toutes deux participé à l'entente et en ont tiré profit.
358. La participation des deux entreprises à l'entente est donc établie.
Société Sicra
359. La Société Industrielle de Constructions Rapides (Sicra) SNC (RCS: Créteil 300 939 113), est communément désignée sous le nom générique de "Sicra" dans les pièces de la procédure.
103
360. Cette société s'est beaucoup investie dans les METP et donc dans le système collusif qui en déterminait l'attribution. Le collationnement, par l'enquêteur de la DNEC, des marchés ainsi que des principales phases de leur dévolution révèle que Sicra a effectivement été présélectionnée vingt-cinq fois et attributaire à six reprises, selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
361. La participation de Sicra à l'entente est admise par M. X, de Sicra (voir paragraphe 135).
362. M. 27..., secrétaire général de Sicra, relatait les explications déjà données mais, étant témoin indirect des faits de part ses fonctions, il ne pouvait qu'attester l'existence de la concertation incriminée: "(...)" Il est exact qu'au travers des discussions que j'ai pu avoir avec les membres du comité de direction j'ai obtenu des éléments selon lesquels les premiers METP auraient fait l'objet d'une entente entre les grandes entreprises du BTP, entente respectée par tous. Concernant les derniers METP il y aurait eu des tentatives d'entente Compte tenu de la sévérité de la crise les participants à l'entente auraient manqué de parole. J'indique toutefois que j'ignore les conditions dans lesquelles les ententes ont été réalisées et qui physiquement y a participé" (...)".[annexe n° 116 PV du 6 mars 1998 cote D 1659].
363. M. Pierre-Michel Z (de Sicra) évoquait les engagements pris par Patrimoine Ingénierie pour assurer à leur niveau une répartition des marchés dans le cadre de la règle de Krieg: "(...) Oui, la position du SNBATI était qu'il devait y avoir une répartition équitable entre les entreprises, en fonction de leurs chiffres d'affaires et de leur taille. Cette répartition ne pouvait évidemment résulter ou être garantie par le Code des marchés publics. Tant M. Y, que D..., responsables de la région pour la construction des lycées ont assuré la profession que la répartition statistique donnerait satisfaction à chacun (...)" [cote D 1705].
364. Lors de leurs diverses auditions par les autorités judiciaires, les responsables des entreprises de construction engagées dans les différentes "vagues" de METP précisaient qu'ils rencontraient MM. X et Z parmi les différents interlocuteurs "concurrents" qu'ils avaient l'habitude de rencontrer lors des réunions de répartition.
365. M. Jacques V..., directeur général de GTM, précisait que : "(...) Sicra et Sogea (étaient représentées) par M. X directeur commercial ;(...)" [Ci n° 6071] et M. Patrick L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France confirmait: "(...) M. X et Z pour Sicra, (...)" [Ci n° 7514].
366. Mme 5..., directeur commercial de SCGPM, nommait aussi M. X de Sicra au nombre des participants à l'entente : "(...) Pour en revenir au nom des participants aux réunions entre majors en vue de la répartition des marchés, je me souviens de la présence de X pour Sicra, (...)" [Ci n° 7600] et M. N..., directeur de Bouygues confirmait [Ci n° 7547].
367. La participation de Sicra à l'entente dénoncée est donc établie.
Société GTM Bâtiment et Travaux publics (GTM)
368. La société GTM-Bâtiment et Travaux Publics, communément désignée sous le nom générique de "GTM-BTP" ou "GTM" dans les pièces de la procédure, a été présélectionnée vingt fois et attributaire à quatre reprises selon le détail suivant.
369. Les présélections et attributions qui ont toutes eu lieu lorsqu'ont été lancées les trois premières vagues concernant le plus grand nombre de METP, témoignent d'une participation très active à une entente qui était dans sa période de fonctionnement la plus intense.
<emplacement tableau>
370. Plusieurs responsables de GTM entendus (MM. K..., V..., 1... et 11...) ont reconnu les pratiques mises en œuvre pour la répartition des METP et ont donné d'importantes précisions pratiques sur le fonctionnement de cette collusion généralisée. Ces faits concernant la participation à l'entente de MM. K..., V... et 1... ont été constatés par le juge pénal qui les a condamnés sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce (paragraphe 291).
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371. Leurs déclarations ont été confortées par celles, convergentes, des autres protagonistes de l'entente : M. N..., directeur de Bouygues [Ci n° 7547], M. W... (§ 103), M. S..., directeur d'agence de la SAEP, [Ci n° 7616], M. L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France, [Ci n° 7514], Mme 5..., directeur commercial de SCGPM, [Ci n° 7600] ; M. M..., de Fougerolle [Ci n° 7705] et M. X, de Sicra [Ci n° 6067].
372. Les responsables de cette entreprise ont donné également des exemples ponctuels du fonctionnement de l'entente.
373. M. Jacques V... expliquait comment l'accord sur un marché particulier, le marché de Coulommiers s'inscrivait dans l'entente générale décrite plus haut par le jeu des compensations et offres de couverture : "(...) J'admets que sur certains marchés des lycées il y a eu des ententes. Sur Coulommiers, il y a eu entente avec Fougerolle Bateg et les autres entreprises agréées pour l'appel d'offres restreint. Je ne me souviens plus du nom des autres. (...) Je reconnais que si GTM a bénéficié des ententes pour les marchés obtenus en METP, notamment pour le marché de Coulommiers, elle a, elle-même, réalisé des études de couverture pour favoriser une autre société, à charge de revanche (...)"[annexe n° 56 PV du 20 octobre 1998 cote D 2941].
374. La participation de GTM à l'entente dénoncée est donc établie.
Les sociétés appartenant au groupe Eiffage
375. La société Fougerolle conteste avoir appartenu au groupe Eiffage au moment des faits car selon elle "le groupe Eiffage n'a été constitué en droit que le 30 mars 1993 et ses différentes composantes en matière de bâtiment ont continué à être opérationnellement indépendantes jusqu'en l'an 2000". Elle conclut à "l'ineptie" de la règle des 2/3 - 1/3 et des conclusions qui en ont été tirées dans le rapport. La société Eiffage Construction dans ses observations prises pour les pratiques imputéees à Entreprises Quillery et Cie conteste de la même manière les conclusions tirées par le rapporteur de son appartenance au groupe Eiffage.
376. Le groupe Eiffage s'est constitué progressivement à partir de l'OPA lancée le 28 janvier 1992 par Fougerolle sur 96 % du capital de SAE, et a réuni Borie SAE, Devin Lemarchand Environnement, Quillery. Fougerolle et SAE sont à l'époque considérées comme deux acteurs majeurs du secteur du bâtiment. La référence aux "grands groupes" concerne le groupe Eiffage comme il concerne les autres groupes précédemment cités. Elle montre que, du côté des décideurs pour assurer le respect de la règle de Krieg, comme du côté des entreprises de bâtiment présentes sur le marché francilien a prévalu l'équilibre de répartition des marchés entre les grands groupes en ce qui concerne les marchés qui leur étaient réservés au détriment du jeu de la concurrence. Cet équilibre était assuré par les entreprises elles-mêmes en fonction de leur appartenance au groupe et de leur intérêt propre grâce à la concertation qu'elles ont menée pour chaque METP.
Société Fougerolle
377. La Société Fougerolle SAS (RCS 562 129 833), filiale du groupe Eiffage, et communément désignée sous le nom générique de "Fougerolle" dans les pièces de la procédure, a été présélectionnée vingt-deux fois et attributaire à cinq reprises selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
378. M. M..., directeur commercial de Fougerolle, a contesté sa participation à une entente générale entre concurrents, mais a toutefois reconnu, dans plusieurs déclarations, sa participation personnelle aux réunions entre entreprises, y compris à celles qui avaient lieu après la présélection des candidats. Selon lui, ces réunions étaient d'ordre purement technique, alors que, selon les déclarations des responsables d'autres sociétés, elles n'avaient d'autre but que de s'entendre sur l'attributaire final du marché et d'élaborer des offres de prix coordonnées. Il a toutefois reconnu, dans l'une de ses auditions (paragraphe 90), qu'il discutait avec ses concurrents des projets qui les intéressaient et a admis "remonter volontairement le niveau (de ses) prix (...) pour réduire (ses) chances d'être attributaire" dans certains marchés.
379. Les responsables d'autres entreprises impliquées dans l'entente ont nommé M. M... comme leur interlocuteur principal dans les réunions anticoncurrentielles, pour la société Fougerolle : M. Jacques V..., directeur général de GTM, précisait : "(...)Fougerolle et Quillery étaient représentées par M. M... directeur commercial (...)" (§ 125) [Ci n° 6071]. La représentation de Fougerolle était confirmée par M. N..., directeur de Bouygues (§ 126) [Ci n° 7547], M. 4..., directeur commercial de l'entreprise Nord France [Ci n° 7746], M. S..., directeur d'agence de la SAEP (§ 129) [Ci n° 7616], M. L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France (§ 132) [Ci n° 7514], Mme 5..., directeur commercial de SCGPM (§ 134) [Ci n° 7600] et M. X de Sicra (§ 135) [Ci n° 6067]. Ces faits concernant la participation de M. M... à l'entente ont été constatés par le juge pénal qui l'a condamné sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce (paragraphe 291).
380. M. 1... a par ailleurs reconnu (paragraphe 115) avoir échangé des informations avec ses concurrents, Fougerolle et Spie, pour l'obtention du marché de Coulommiers.
381. Enfin, M. W..., de Bouygues cite la société Fougerolle, représentée par M. M..., au nombre des entreprises faisant des offres de couverture (paragraphe 99).
382. La participation de Fougerolle à l'entente dénoncée est donc établie.
La SNC Entreprises Quillery et Cie
383. La société Entreprises Quillery et Cie SNC (RCS 304 801 384), filiale du groupe Eiffage et communément désignée sous le nom générique de "Quillery" dans les pièces de la procédure, a été présélectionnée onze fois et attributaire à trois reprises selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
384. Lors de son audition et en réponse à la question sur les différents interlocuteurs "concurrents" qu'il avait l'habitude de rencontrer lors des réunions de répartition, M. Jacques V..., directeur général de GTM, précisait que M. M..., du groupe Eiffage, représentait aussi la société Quillery : "(...) Il est exact que tous les participants n'étaient pas de même niveau. Ainsi Fougerolle et Quillery étaient représentées par M. M... directeur commercial (...)" [Ci n° 6071].
385. M. M... n'a pas confirmé un propos de M. Y pourtant conforme à l'habitude qui était prise, selon laquelle "toutes les entreprises concernées ne participent pas aux réunions, certaines d'entre elles étaient chargées de porter les intérêts des absents" (paragraphe 70). Il ne fait pas de doute cependant qu'Entreprises Quillery et Cie, présélectionnée à six reprises pour les marchés de la première vague, attributaire de deux marchés à cette occasion puis encore présélectionnée à cinq reprises et attributaire d'un marché lors de deux vagues suivantes, a participé à l'entente qui était en plein essor sous l'impulsion conjuguée de M. Y et des grandes entreprises du bâtiment d'Ile-de-France et qui fonctionnait de telle sorte qu'aucun marché n'était attribué en respectant le jeu de la concurrence.
SA Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) et Société Auxiliaire d'Entreprise (SAE)
386. La société Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) (RCS Nanterre 303 447 148) a été attributaire des METP pour les lycées Louise Michel à Bobigny, Marie Laurencin à Paris, Voillaume à Aulnay-Sous-Bois, Erea Piaf (Ex-Belleville) à Paris, Erea Jean Monnet à Garches, et la Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) (RCS 712 045 079) du marché pour le lycée Erea Newton (ex-Clichy) à Clichy.
387. Les sociétés sont communément désignées sous le nom générique de "SAEP" dans les pièces de la procédure.
110
388. Elles ont sous ce nom été présélectionnées dix-sept fois et attributaires à six reprises selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
389. Les nombreuses présélections et attributions représentent un élément important de leur participation à l'entente. D'ailleurs M. Gérard S... (directeur commercial de SAEP et de SAE), a reconnu, dès son interrogatoire de première comparution, avoir participé à l'entente de répartition et que la remise de ses offres chiffrées tenaient compte des discussions préalables sur la répartition des marchés : " (...) Lorsque nous étions agréés, nous présentions une offre chiffrée. Nous espérions lorsque nous avions fait connaître nos préférences aux confrères, que ces derniers allaient remettre des prix plus élevés ou plus exactement moins compétitifs. J'ai remis en ce qui me concerne, des offres où j'étais moins agressif sur des opérations dont je savais qu'elles intéressaient d'autres entreprises. Comme nous faisions systématiquement une étude sur chaque opération, j'avais une idée de l'ordre de grandeur du prix et je savais qu'en ne cherchant pas à être particulièrement compétitif sur telle ou telle affaire, il y avait de fortes chances pour que je ne sois pas pris (...)" (paragraphe 111).
"Les entreprises ne souhaitaient pas une concurrence effrénée sur les prix. (...)"[annexe n° 95 PV du 20 octobre 1999 cote D 3459].
390. Les responsables des entreprises parties à l'entente nommaient tous M. S..., parmi les interlocuteurs qu'ils avaient l'habitude de rencontrer, pour la société SAEP, lors des réunions de répartition : M. V..., directeur général de GTM [Ci n° 6071], M. N..., directeur de Bouygues [Ci n° 7547], M. 4..., directeur commercial de l'entreprise Nord France [Ci n° 7746], M. L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France, [Ci n° 7514], Mme 5..., directeur commercial de SCGPM [Ci n° 7600], et M. X, de Sicra-Sogea [Ci n° 6067] et M. W..., de Bouygues (§ 103). Ces faits concernant la participation de M. S... à l'entente ont été constatés par le juge pénal qui l'a condamné sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce (paragraphe 291).
391. La participation de SAEP et SAE à l'entente dénoncée est donc établie.
Les sociétés appartenant au groupe Schneider
Sociétés Spie Construction SA & Spie Citra
392. Spie Construction (RCS 341 398 014) a obtenu le METP concernant le lycée Paul Eluard puis a été absorbée par Citra qui a pris le nom de Spie Citra (RCS 682 032 651). Spie Citra a obtenu le marché concernant le lycée Jean Perrin à St-Ouen l'Aumone.
393. Elles sont communément désignées sous le nom générique de "Spie" dans les pièces de la procédure.
394. Spie a été présélectionnée dix-huit fois et attributaire à deux reprises selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
395. Là encore, l'entreprise a participé dès le début à cette entente et a maintenu celle-ci en acceptant, lorsqu'elle n'était pas attributaire, de déposer des offres de couverture à de nombreuses reprises.
396. Mme 5... a reconnu, lors de ses diverses auditions, avoir participé aux réunions de répartition en qualité de représentante des sociétés Spie et SGPM (procès-verbal du 19 octobre 1999 - D 3437 ; procès-verbal de première comparution D 3524) et avoir "vendu la société Spie" au conseil régional afin que sa candidature puisse être retenue. En outre, elle a été mise en cause par les responsables des entreprises interrogés sur les participants à l'entente. Ceux-ci ont nommé Mme 5... comme la représentante de Spie, lors des réunions de répartition. M. Jacques V..., directeur général de GTM, donnait une double attribution à Mme 5... : "(...) Ainsi Spie et SGPM étaient représentés par Mme 5..., directeur commercial .(...)" [Ci n° 6071]. M. N..., directeur de Bouygues, citait également Mme 5... mais uniquement comme représentante de Spie [Ci n° 7547]. Ces déclarations étaient corroborées par M. Léon 4..., directeur commercial de l'entreprise Nord France [Ci n° 7746], M. Patrick L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France [Ci n° 7514] et Jean-Pierre X, de Sicra-Sogea [Ci n° 6067].
397. La participation de Spie-Construction SA, devenue Spie-Citra, à l'entente dénoncée est donc établie.
Société SCGPM
398. La société SCGPM SA (RCS Paris 582 014 957), filiale du groupe Schneider et parfois désignée sous le sigle "SGPM" dans les pièces de la procédure, a été présélectionnée neuf fois et attributaire à deux reprises selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
399. Si le nombre de présélections est inférieur à celui de Spie Citra elle a cependant remporté deux marchés qui selon ses dires se seraient soldés par des pertes.
400. Mme 5..., qui, selon le conseil de SCGPM, n'aurait assisté qu'à quatre réunions sur les dix-sept qui auraient eu lieu, a reconnu, lors de ses diverses auditions, avoir participé aux discussions de répartition en qualité de représentante des sociétés Spie et SGPM (procès-verbal du 19 octobre 1999 - D 3437 ; procès-verbal de première comparution D 3524) et a été mise en cause par les responsables des entreprises interrogés sur les participants à l'entente. Ceux-ci confirmaient sa présence aux réunions de l'entente : M. Jacques V..., directeur général de GTM, précisait : "(...) Il est exact que tous les participants n'étaient pas de même niveau. Ainsi SPIE et SGPM étaient représentés par Mme 5..., directeur commercial(...)" [Ci n° 6071] et ces déclarations étaient confirmées par M. N..., directeur de Bouygues [Ci n° 7547], M. Leon 4..., directeur commercial de l'entreprise Nord France [Ci n° 7746], M. Patrick L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France [Ci n° 7514] et Jean-Pierre X de Sicra-Sogea, [Ci n° 6067]. Ces faits concernant la participation de Mme 5... à l'entente ont été constatés par le juge pénal qui l'a condamnée sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce (paragraphe 291).
401. La participation de SCGPM à l'entente dénoncée est donc établie.
La société appartenant au groupe Suez-Lyonnaise
SNC Dumez Ile-de-France
402. La notification de griefs a été adressée à deux entités Dumez Ile-de-France qui n'en constituent qu'une seule. La société Dumez Ile-de-France SNC (filiale du groupe Suez-Lyonnaise), a été attributaire des METP pour les lycées Marcelin Berthelot à Saint Maur des Fossés, Jean Mermoz (ex-Marcel Pagnol) à Mont Soult, Henri Matisse (ex-Montfort) à Trappes, Louis Blériot à Trappes, René Cassin à Le Raincy.
403. Dissoute en 1997, elle est devenue SNC Dumez Construction, à la suite de la transmission de son patrimoine à Dumez Construction SNC. 114
404. Les sociétés Dumez Ile-de-France SNC (RCS Nanterre 349 123 299) et SNC Dumez Construction (RCS Nanterre 385 225 602) sont communément désignées sous le nom générique de "Dumez" dans les documents, rapports et déclarations joints à la procédure. [doc. 102, 103 du PV rapporteur du 20 décembre 2005].
405. Dumez a été présélectionnée vingt-quatre fois et attributaire à cinq reprises selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
406. Cette entreprise a rapidement adopté le système collusif mis en place et en a tiré le plus grand profit en obtenant à cinq reprises l'attribution du METP.
407. M. 6..., directeur général de Dumez Ile-de-France, après avoir nié dans ses premières déclarations l'existence de toute répartition des marchés METP entre entreprises concurrentes, reconnaissait l'entente, dont, toutefois, il ne nommait pas les participants :"(...) Nous étions une dizaine à ces réunions. Des représentants d'entreprises et M. Y, il n'y avait personne d'autres. Il s'agissait d'une pièce seulement meublée d'une table et de chaises. M. Y était au milieu et répondait aux questions. Je vous répète malgré les déclarations de certains collègues que, lors de ces deux réunions, il n'a jamais été question d'arrangements ou de répartition entre sociétés (...)".
"(...) A également été abordé au cours de la réunion, la question d'une certaine répartition des marchés dont le volume était trop important (...) les entreprises ont alors émis certains souhaits particuliers de marchés . Contrairement à certains de mes collègues, je n'avais pas eu le listing de la première vague, avant la réunion, c'est au cours de cette dernière que l'on m'en a remis une photocopie (...)" (extrait annexe 75) [annexes n° 72,73,75,74 et 131 PV du 21 octobre 1999 cote D 3527 et PV du 20 octobre 1999 cotes D 3527, 3498 et 3497 ; PV du 19 octobre 1999 cotes D 3485 et 3489].
408. Les propos de M. 6... étaient confirmés par M. Bertrand 7..., directeur commercial de Dumez Ile-de-France : " (...) Effectivement, il y avait une entente entre les grands majors et les quelques sociétés de moyenne importance mais je n'étais pas au courant de tout. C'est Monsieur 6... qui a participé à ces réunions(...)" [annexe n° 77 PV du 23 février 2000 cote D 3738].
409. M. 6... s'expliquait également sur les mécanismes de production des offres de couverture: "(...) Concernant les offres de couverture, il revenait à mon directeur commercial Bertrand 7... de s'en occuper à ma demande. Je pense cependant que lorsque nous étions pressentis comme attributaire, nous communiquions aux autres pré-sélectionnés notre travail de base (constatations matérielles, études techniques) ainsi que le prix plancher au dessus duquel les autres devaient se positionner. En revanche, lorsque nous étions pré-sélectionnés, tout en sachant que le marché ne nous était pas destiné, nous faisions toutes les études d'un bout à l'autre, même si cela nous coûtait de l'argent. Nous pensions qu'il y allait de la réputation de Dumez au travers de la qualité de ses offres. Nous n'adaptions alors que notre prix, au dessus de celui de l'attributaire pressenti (...)" (paragraphe 107).
410. Les autres acteurs de l'entente nommaient M. 6..., comme participant à l'entente pour la société Dumez : M. V..., directeur général de GTM, [Ci n° 6071], M. N..., directeur de Bouygues, [Ci n° 7547], M. M..., directeur commercial de Fougerolle, [Ci n° 7705], M. 4..., directeur commercial de l'entreprise Nord France [Ci n° 7746], M. S..., directeur d'agence de la SAEP [Ci n° 7616], M. L..., directeur général adjoint de CBC Ile-de-France [Ci n° 7514], Mme 5..., directeur commercial de SCGPM [Ci n° 7600] et M. X, de Sicra [Ci n° 6067]. Ces faits concernant la participation de M. 6... à l'entente ont été constatés par le juge pénal qui l'a condamné sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce (paragraphe 291).
411. La participation de Dumez Ile-de-France à l'entente dénoncée est donc établie.
La SA Nord France Entreprise ayant appartenu au groupe Philip Holzmann
412. Cette société est communément désignée sous le nom générique de "Nord France" dans les pièces de la procédure.
413. Nord France a été présélectionnée dix-huit fois et attributaire à cinq reprises selon le détail suivant.
<emplacement tableau>
414. Ce décompte montre que l'entreprise a pris une part active et continue à l'organisation et la mise en œuvre de l'entente.
415. M. 4..., directeur commercial de Nord France, a reconnu la participation de sa société à l'entente (voir paragraphe 128).
416. M. 4... évoquait les accords de réciprocité qui unissaient les membres de l'entente : "(...)Bien sûr, le fait d'avoir été préféré sur certains marchés a impliqué que nous aidions d'autres entreprises à l'être. Il y avait réciprocité . Nous avons été obligés de répondre aux offres et de faire une estimation rapide pour les affaires dont on ne voulait pas. De toute façon, nous ne pouvions pas traiter deux METP en même temps (...)" (paragraphe 106).
417. Enfin, M. 4... nommait ses correspondants et interlocuteurs lors des concertations :"(...) Je reconnais avoir assisté à des réunions avec Messieurs L... N..., M..., S..., Mme 5..., M. 6..., M. V... et X à certaines de ces réunions assistait M. Y (...)" (paragraphe 128).
418. Les autres protagonistes de la concertation ont confirmé ces déclarations : M. V..., directeur général de GTM [Ci n° 6071], M. N..., directeur de Bouygues [Ci n° 7547], M. S..., directeur d'agence de la SAEP [Ci n° 7616], M. Patrick L..., directeur général de CBC [Ci n° 7514], Mme 5..., directeur commercial de SCGPM [Ci n° 7600] et M. X de Sicra [Ci n° 6067]. Ces faits concernant la participation de M. 4... à l'entente ont été constatés par le juge pénal qui l'a condamné sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce (paragraphe 291).
419. La participation de Nord France SA à l'entente dénoncée est donc établie.
Patrimoine Ingénierie SA
420. SGPI, venant aux droits de Patrimoine Ingénierie SA, conteste toute participation active et autonome à la conception et à la mise en place de l'entente sur les METP. Selon elle, seul M. Y a pu, à titre personnel, participer à des pratiques anticoncurrentielles sur lesquelles le tribunal de grande instance de Paris s'est prononcé le 26 octobre 2005. SGPI soutient qu'elle ne peut être sanctionnée pour la répartition des 90 METP, car son activité économique ne se situe pas sur les marchés de travaux comme les METP, mais sur le marché de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage.
421. Mais la Société Patrimoine Ingénierie, qui a obtenu 127 marchés d'assistance à la maîtrise d'ouvrage pour un montant total de 262 597 730 francs, toutes catégories de marchés confondues, dont 73 marchés d'assistance à la maîtrise d'ouvrage sur les METP, a été mise en cause pour avoir participé à l'entente sur les 88 METP.
422. Il résulte des constatations opérées aux paragraphes 39 à 68 que Patrimoine Ingénierie a joué un rôle actif dans la conception des pratiques anticoncurrentielles et leur mise en œuvre.
423. Son rôle pivot dans l'entente a été mis en évidence par tous les responsables des sociétés entendus : M. N..., [Ci n° 7547], M. M... [Ci n° 7705], M. 4... [Ci n° 7746], M. S... [Ci n° 7616], M. L... [Ci n° 7514], Mme 5... [Ci n° 7600] et M. X [Ci n° 6067]. Les fonctionnaires du conseil régional ont insisté sur le rôle que s'est arrogé Patrimoine Ingénierie, en détournant la mission qui lui était assignée. Ces faits concernant la participation de M. Y à l'entente ont été constatés par le juge pénal qui l'a condamné sur le fondement de l'article L. 420-6 du Code de commerce (paragraphe 291).
424. La circonstance que Patrimoine Ingénierie ait été active sur le marché connexe de l'assistance à la maîtrise d'ouvrage ne constitue pas une cause d'exonération des pratiques, l'accord de volonté constitutif d'entente pouvant se nouer entre opérateurs situés sur des marchés différents.
425. La participation de Patrimoine Ingénierie à l'entente dénoncée est donc établie.
426. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Bouygues, Brezillon et Olin appartenant au groupe Bouygues, les sociétés Campenon Bernard, Gespace, CBC, Sicra, et GTM appartenant au groupe SGE repris par Vinci, les sociétés Fougerolle, Entreprises Quillery et Cie, SAEP et SAE appartenant au groupe Eiffage, les sociétés Spie Construction, Spie Citra et SCGPM appartenant au groupe Schneider, la société Dumez Ile-de-France appartenant au groupe Suez - Lyonnaise, la société Nord France Entreprise et la société Patrimoine Ingénierie en participant à des réunions précédant la mise en œuvre du système d'appels d'offres des METP, puis à des réunions précédant le lancement de chaque nouvelle vague de METP, et plus spécifiquement à des réunions ou à des échanges d'information concernant les marchés pour lesquels leur candidature était retenue, se sont entendues pour répartir entre elles au cours d'une période allant de 1989 à 1996 les 88 METP au moyen d'une désignation du futur attributaire du marché avec comme corollaire le dépôt d'offres de couverture en infraction avec l'article L. 420-1 du Code de commerce.
4. Sur la contrainte prétendument irrésistible subie
427. Les sociétés Patrimoine Ingénierie, Nord France Boutonnat, CBC, Sicra, Vinci Construction, Gespace France SA, Spie SCGPM, Dumez Construction venant aux droits de Dumez Ile-de-France soutiennent que le conseil régional d'Ile-de-France a mis en place un système supprimant la concurrence. Ces sociétés estiment avoir été soumises à une contrainte irrésistible qui doit les exonérer de toute accusation d'entente ou au moins les faire bénéficier de circonstances atténuantes. Bouygues SA, Bouygues Bâtiment Ile-de-France et Brezillon avancent que le maître d'ouvrage a eu une action déterminante dans les pratiques d'entente en créant le cadre d'une répartition organisée des marchés, en faisant, avec l'aide de son mandataire, pression sur les entreprises, en recourant sciemment à la procédure du METP génératrice de dysfonctionnements de concurrence, et enfin en établissant une répartition en faveur des PME. Toutes ces circonstances démontreraient la participation active du maître d'ouvrage à la conception et la mise en œuvre de l'entente et exclueraient la participation volontaire des entreprises à celle-ci.
428. S'il est vrai qu'en droit communautaire comme en droit national, les comportements anticoncurrentiels ne sont répréhensibles que s'ils ont été adoptés par les entreprises disposant d'une autonomie de la volonté, il faut rappeler qu'en l'absence de disposition légale contraignante imposant un comportement anticoncurrentiel (règlement communautaire, législation nationale) et ne laissant aucune place aux entreprises pour des comportements indépendants, l'absence de liberté desdites entreprises ne constitue une cause d'exonération de leur responsabilité "que s'il apparaît sur la base d'indices objectifs, pertinents et concordants que ce comportement leur a été unilatéralement imposé par les autorités nationales par l'exercice de pressions irrésistibles, telles que la menace d'adoption de mesures étatiques susceptibles de leur faire subir des pertes importantes" (Cour de justice des communautés européennes, Asia Motor France e. a./Commission, point 65, § 122).
429. Dans l'affaire dite de la "Viande bovine", la Commission européenne a écarté le moyen tiré du rôle incitateur exercé par les pouvoirs publics sur les entreprises afin qu'elles concluent l'accord anticoncurrentiel qui leur était reproché, les entreprises étant dotées d'une marge d'autonomie à l'époque des faits (Commission, 2 avril 2003, affaire COMP/C.38.279/F3 - Viandes bovines françaises, § 152). Le Tribunal de première instance, à la suite de la Commission, a exposé que "s'agissant du rôle joué par le ministre de l'agriculture français dans la conclusion de l'accord, (...), il suffit de constater que, selon une jurisprudence constante, la circonstance que le comportement des entreprises a été connu, autorisé ou même encouragé par des autorités nationales est, en tout état de cause, sans influence sur l'applicabilité de l'article 81 CE" (Tribunal de première instance des communautés européennes, 13 décembre 2006, FNCBV, T-217-03 et T-245-03, § 92).
430. De même, la Cour de cassation a-t-elle jugé que dans une entente sur appel d'offres, "la compromission des maîtres de l'ouvrage avec les entreprises (...) ne fait pas échec à l'application des textes invoqués" (Cour de cassation, 6 octobre 1992, SA Entreprise Jean Lefèbvre et autres ; 12 janvier 1993, Sogéa). Dans l'arrêt Inéo du 7 mars 2006, la Cour d'appel de Paris a confirmé la décision 05-D-19 du Conseil relative aux marchés de construction d'ouvrages d'art sur l'autoroute A 84, dite "route des estuaires", dans le département de la Manche. Le Conseil avait sanctionné vingt et une entreprises qui avaient participé à une concertation générale portant sur la dévolution d'une cinquantaine de marchés. Elle a considéré que le fait que certaines sociétés ayant participé à l'entente aient pu obtenir des informations détenues par la DDE à la suite de fuites, voire d'une collusion, ne pouvait constituer pour elles une cause d'exonération (confirmé par la Cour de cassation dans un arrêt du 6 mars 2007).
431. En l'espèce, les parties, qui trouvaient indubitablement leur intérêt dans l'entente, n'expliquent pas en quoi les choix effectués par le conseil régional de recourir à une assistance à la maîtrise d'ouvrage et à la forme des METP et de soumettre à la procédure d'appels d'offres simultanément plusieurs dizaines de METP constituaient pour elles une contrainte irrésistible à s'entendre.
432. Aucune pièce du dossier ne permet au demeurant de démontrer que les représentants de l'exécutif de la région aient imposé aux entreprises d'adhérer à une répartition générale de marchés, et soient à l'origine de la constitution de l'entente. Les déclarations reproduites plus haut établissent que les entreprises ont envisagé de constituer une entente de répartition dès la première réunion d'information sur le programme des lycées et les METP et l'ont proposée à M. Y de Patrimoine Ingénierie qui a relayé cette proposition auprès de certains membres de l'exécutif régional. L'entente aurait d'ailleurs pu exister sans la participation d'une partie de l'exécutif régional, sa collaboration active n'ayant fait que faciliter la répartition illicite entre les entreprises. Ce rôle de facilitateur était par ailleurs rémunéré par les commissions occultes destinées au financement des partis politiques.
433. Le moyen doit donc être écarté.
5. Sur l'urgence
434. Pour Dumez Construction, Vinci Construction, l'urgence à réaliser les travaux expliquerait et exonèrerait les pratiques litigieuses.
435. Mais en premier lieu, le conseil régional n'a pas invoqué cette notion d'urgence au moment du lancement du programme de construction, alors qu'à l'époque, elle aurait permis à la personne responsable des marchés de s'abstraire de la procédure de l'appel d'offres (cf. Code des marchés publics en vigueur à l'époque et notamment son livre III). En effet, il était inconcevable de recourir à des procédures d'urgence s'agissant de marchés de réhabilitation de lycées qui prévoyaient un vaste programme de travaux de reconstruction et de maintenance étalé sur une période de dix ans, comme cela s'est produit en l'espèce.
436. En second lieu, l'urgence d'un marché de travaux à accomplir ne saurait en aucun cas être une cause exonératoire de la responsabilité encourue par les entreprises du fait d'une entente tendant à la répartition entre elles d'un tel marché, comme tentent de le faire valoir les entreprises en cause.
437. En conséquence, ce moyen doit être écarté.
6. Sur l'absence d'effet de l'entente sur les prix
438. Les sociétés Fougerolle SA, Dumez Construction, Vinci Construction prétendent qu'il n'y a pas eu de hausse des prix : l'exécutif régional aurait fait déclarer infructueux les appels d'offres qui dépassaient le budget établi par la région et il s'assurait lui-même que les prix n'étaient pas trop élevés.
439. Fougerolle SA prétend avoir pratiqué des prix compétitifs, inférieurs à ceux de la concurrence, dans la mesure où elle se finançait sur fonds propres et n'avait pas à supporter de frais financiers. Pour Nord France Boutonnat, CBC, Sicra, Vinci Construction, Gespace France SA et Spie SCGPM, l'impossibilité de déterminer avec certitude une marge prévisionnelle du fait de la complexité, de la fixation du prix des marchés, ne permettrait pas d'évaluer l'impact de l'entente sur le niveau des prix. Dès lors, les pratiques n'auraient pas eu d'effet sensible sur la concurrence.
440. Il est de jurisprudence constante que l'infraction est caractérisée dès lors que l'accord a pour objet de restreindre, d'empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence (06-D-03 paragraphe 681). L'entente en vertu de laquelle les METP sont attribués sans respecter les règles de la concurrence applicables aux appels d'offres qui auraient dû permettre de retenir l'offre la mieux-disante a un objet anticoncurrentiel. Le point de savoir si cette pratique a eu des effets, notamment en ce qui concerne le niveau des prix, ne peut être pris en compte pour qualifier l'infraction : il est seulement utile pour apprécier le dommage à l'économie et donc le montant de la sanction.
441. En conclusion, ont participé à l'entente concernant la répartition des 88 METP du CRIF les entreprises suivantes :
?? Bouygues SA RCS 572 015 246 ;
?? Olin ;
?? Brezillon ;
?? Campenon Bernard ;
?? Gespace France SA, RCS 354 098 170 Nanterre ;
?? Compagnie Générale de Bâtiment (CBC) SA RCS 325 348 803 ;
?? Société Industrielle de Constructions Rapides (Sicra) SNC, RCS : Créteil 300 939 113 ;
?? Fougerolle SAS, RCS 562 129 833 ;
?? Entreprises Quillery et Cie ;
?? Spie-Construction RCS 341 398 014 ;
?? Spie-Citra RCS 341 398 014 ;
?? Dumez Ile-de-France SNC, RCS Nanterre 349 123 299 ;
?? SCGPM SA RCS Paris 582 014 957 ;
?? Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) SA, RCS Nanterre 303 447 148 ;
?? Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE), RCS 712 045 079 ;
?? Nord France Entreprise SA RCS 320 495 781 ;
?? GTM-Bâtiment et Travaux Publics (GTM), RCS 622 021 491 ;
?? Patrimoine Ingénierie France SA.
N. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES ET LES SUITES À DONNER
Les entreprises n'ayant subi aucun changement dans cette procédure
Bouygues SA RCS Paris 572 015 246 ;
A & M Brezillon SA RCS Compiègne 925 520 108 ;
Gespace France SA, RCS Nanterre 354 098 170 ;
Compagnie Générale de Bâtiment (CBC) SA RCS Nanterre 325 348 803 ;
Société industrielle de constructions rapides (Sicra) SNC, RCS : Créteil 300 939 113 ;
Fougerolle SAS, RCS 562 129 833.
Les entreprises ayant changé de dénomination sociale
- la société SCGPM a pris comme dénomination Spie-SCGPM (RCS Pontoise 582 014 957) ;
- la société Campenon Bernard a pris comme dénomination Vinci Construction (RCS Nanterre 334 851 664).
Les entreprises ayant subi une modification juridique
442. Dans le cas de transformations intervenues dans la structure d'exploitation des entreprises ayant pris part à des pratiques anticoncurrentielles, le Conseil de la concurrence, suivant en cela les solutions de la jurisprudence communautaire qui ont été reprises par les juridictions nationales de contrôle, a dégagé les principes applicables en matière d'imputabilité de pratiques anticoncurrentielles :
- tant que la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise qui a mis en œuvre les pratiques subsiste juridiquement, c'est elle qui doit assumer la responsabilité de ces pratiques, même si les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de la pratique sont cédés à une tierce personne ;
- lorsque la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise a juridiquement disparu, les pratiques doivent être imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a juridiquement été transmise c'est-à-dire à la personne morale qui a reçu les droits et obligations de la personne auteur des pratiques ;
- et si aucune autre personne n'a reçu transmission de ses droits et obligations, à l'entreprise qui assure, en fait, sa continuité économique et fonctionnelle.
La personne morale a cessé d'exister à la suite d'une fusion-absorption, d'une transmission universelle de son patrimoine ou d'une confusion des patrimoines
443. Neuf sociétés sont dans ce cas :
1 - Patrimoine Ingénierie SA RCS Nanterre 332 698 893
444. La société Patrimoine Ingénierie SA (RCS Nanterre 332 698 893) a été radiée le 24 août 1995, suite à sa fusion-absorption, le 29 juillet 1995, par la Société de Participations et de Gestions Immobilières SARL (SPGI) (RCS Pontoise 672 019 791).
445. La Société de Participations et de Gestions Immobilières SARL (SPGI) (RCS Pontoise 672 019 791) a été attraite à la procédure pour venir aux droits de la Société Patrimoine Ingénierie SA.
446. Dans ses observations, la Société de Participations et de Gestions Immobilières SARL (SPGI) ne conteste pas cette imputabilité.
2 - GTM Bâtiment et Travaux Publics (GTM-BTP), RCS 622 021 491
447. La société GTM Bâtiment et Travaux Publics (GTM-BTP), RCS 622 021 491) a apporté en 1994 ses actifs à GTM Construction (RCS Nanterre 349 510 909), puis GTM-BTP, devenue GTM-CI, a transmis à Dumez-GTM toutes ses actions qu'elle détenait dans le capital de GTM Construction ; GTM-CI a été ensuite radiée du RCS en 1994. GTM Construction (RCS Nanterre 349 510 909) a été alors absorbée par fusion par Dumez-GTM (RCS Nanterre 352 712 194) qui ensuite a été absorbée par Campenon Bernard, qui a pris le nom de Vinci Construction (RCS Nanterre 334 851 664).
448. La société Vinci Construction RCS (Nanterre 334 851 664) a été attraite à la procédure comme venant aux droits de GTM Bâtiment et Travaux Publics (GTM-BTP), (RCS 622 021 491).
449. Dans ses observations, Vinci Construction ne conteste pas cette imputabilité.
3 - Nord France Entreprise SA RCS Paris 320 495 781
450. Nord France Entreprise (RCS Paris 320 495 781) est devenue Nord France Boutonnat SARL (RCS Evry 320 495 781) à la suite d'une confusion de patrimoines.
451. La société Nord France Boutonnat SARL (RCS Evry 320 495 781) a été attraite à la procédure comme venant aux droits de Nord France Entreprise.
452. Dans ses observations, Nord France Boutonnat SARL ne conteste pas cette imputabilité.
4 - Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) SA, RCS Nanterre 303 447 148
453. La Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) SA (RCS Nanterre 303 447 148) a fait l'objet d'une fusion-absorption par SAE Constructeurs SA qui, par la suite, est devenue SAE SA (RCS Nanterre 712 045 079). Cette société a été radiée en 1993 après avoir été absorbée par SAE qui a pris la dénomination Eiffage Construction.
454. La Société Eiffage Construction (RCS Nanterre 552 000 762) a été attraite à la procédure comme venant aux droits de Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) SA.
455. Dans ses observations, Eiffage Construction ne conteste pas cette imputabilité.
5 - Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE), RCS 712 045 079
456. La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) (RCS 712 045 079) a été absorbée en 1993 par SAE (RCS Nanterre 552 000 762) qui a pris la dénomination Eiffage Construction.
457. Dans ses observations, Eiffage Construction venant aux droits de Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) ne conteste pas cette imputabilité.
6 - Dumez Ile-de-France SNC, RCS Nanterre 349 123 299
458. Dumez Ile-de-France SNC (RCS Nanterre 349 123 299) a procédé à une transmission universelle de son patrimoine à Dumez Construction SNC (RCS Nanterre 385 225 602).
459. Dumez Construction SNC, (RCS Nanterre 385 225 602) a été attraite à la procédure comme venant aux droits de Dumez Ile-de-France SNC.
460. Dans ses observations, la société SNC Dumez Construction, ne conteste pas cette imputabilité.
7 - Spie-Construction RCS 341 398 014 et Spie-Citra RCS 341 398 014
461. La société AMEC SA (RCS 399 258 755), anciennement dénommée Spie SA et redevenue Spie SA après la notification du rapport, estime qu'il est erroné de lui imputer les faits commis par Spie-Construction (RCS 341 398 014) et Spie-Citra RCS 341 398 014) et que c'est la société Spie-Batignolles (RCS 433 690 278) qui vient aux droits de Spie-Construction (RCS 341 398 014), seule société qui, selon elle, a concouru à l'infraction.
462. Selon AMEC SA "dans la mesure où Spie Construction (RCS 341 398 014) a été absorbée par Spie-Citra RCS 682 032 651, filiale dont Amec SA a cédé l'intégralité de l'activité économique à la quatrième société Spie Batignolles RCS 433 690 278, la société Spie-SA n'a conservé aucun des éléments matériels et humains qui ont concouru à l'infraction". Dès lors, il conviendrait d'imputer les pratiques alléguées à l'entreprise devenue "détentrice" de ces éléments matériels et humains, c'est-à-dire Spie-Batignolles (RCS 433 690 278) (anciennement dénommée CSP 18). Toujours selon elle, le 22 décembre 2002, Spie Batignolles (RCS 682 032 651) a fait apport de l'ensemble de ses activités économiques à CSP 18 (RCS 433 690 278) dans le cadre d'un traité d'apport partiel d'actifs dans lequel figure "le droit de se dire successeur dans cette branche d'activité de Spie Batignolles".
463. Il convient de rappeler que la société Spie-Construction (RCS 341 398 014) est l'entreprise signataire de la convention METP du 2 août 1991 pour les travaux du lycée Paul Eluard à St Denis, (annexe n° 4 (dispositions financières) (cotes 25370, 25736 25737 25742)).
464. L'avenant n° 2 conclu entre la région Ile-de-France et "Spie Citra société anonyme au capital de 123 413 000 F inscrite au RCS de Pontoise sous le numéro B 682632651" précise "(...) Préalablement à ce présent avenant il est rappelé que dans le cadre des opérations de restructuration de l'activité construction du groupe Spie Batignolles, la société Spie Construction a été absorbée par Citra dont la dénomination sociale a été changée en Spie Citra en date du 23 décembre 1992.
Cette fusion a été approuvée par les assemblées générales extraordinaires du 23 décembre 1992.
Comme conséquence de la transmission du patrimoine de Spie Construction à Spie Citra la société Spie Citra est venue aux droits et obligations de Spie Construction.
Ceci exposé il a été convenu ce qui suit :
Article I :
Le titulaire du METP n° 91 DAS M 93 16 du 13 août 1991 marché d'entreprise de travaux publics du lycée Paul Eluard à Saint Denis est désormais
Spie Citra
10 avenue de l'Entreprise
95863 Cergy Pontoise (...)".
465. Spie-Citra (RCS 682632651) est aussi signataire de la convention METP du 7 juin 1993 pour les travaux du lycée Paul Eluard à St Denis (et annexe n° 4 (cotes 26601, 26602, 26607, 26609 et 26616)).
466. Comme l'explique "Spie-Amec SA", Spie Citra (RCS 682 632 651) est devenue Spie-Batignolles-Construction SA, puis Spie-Batignolles SA puis CSP 100 toujours sous le même numéro de RCS 682 632 651.
467. CSP 100 (RCS 682 632 651) a été absorbée par Spie SA (RCS 399 258 755) le 22 juin 1998, qui après fusion absorption par Amec SA le 5 septembre 2005, est devenue Amec SA portant le même numéro de RCS 399 258 755.
468. Amec SA a changé de dénomination sociale, le 14 septembre 2006, pour s'appeler à nouveau Spie SA portant le numéro RCS 399 258 755.
469. Il ressort d'une jurisprudence constante, notamment de celle issue de l'arrêt du Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes, Enichem Anic Spa, du 17 décembre 1991, que les griefs doivent être imputés à la personne physique ou morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise sauf si, entre le moment où l'infraction a été commise et le moment où l'entreprise en cause doit en répondre, la personne responsable de l'exploitation de cette entreprise a cessé d'exister juridiquement ; ce n'est que dans ce dernier cas qu'il convient de localiser, dans un premier temps l'ensemble des éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction pour identifier dans un second temps la personne qui est devenue responsable de l'exploitation de cet ensemble ; la responsabilité du comportement infractionnel de l'entreprise suit la personne morale et, tant que la personne morale qui a mis en œuvre les pratiques subsiste juridiquement, c'est elle qui doit assumer la responsabilité de ces pratiques même si les éléments matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction ont été cédés à une tierce personne. Ce sont les principes rappelés ci-dessus au paragraphe 445.
470. Le fait que Spie Batignolles Construction (RCS 682 032 651) ait fait l'apport de l'ensemble de ses activités à CSP 18 qui deviendra Spie Batignolles (RCS 433 690 278) est sans effet car Spie Batignolles Construction (RCS 682 032 651) qui a pris le nom de CSP 100 n'a pas cessé d'exister : car même si elle était une "coquille vide", elle était susceptible de se voir imputer les pratiques alléguées.
471. C'est donc à bon droit que Amec SA (RCS 399 258 755) a été considérée comme venant aux droits de Spie-Construction (RCS 341 398 014) et Spie-Citra (RCS 682 032 651). Le fait que Amec SA ait changé de dénomination entre la rédaction du rapport et la séance est sans effet sur la procédure mais doit être prise en compte dans le dispositif de la décision.
8 - SA Olin (RCS Nanterre 698 202 132)
472. La société Olin a pris successivement le nom de Olin - Lanctuit puis de Olin OF Equipements. Elle a fait l'objet d'une fusion - absorption par la société Bouygues Bâtiment Ile-de-France et a été radiée du RCS le 26 novembre 2003.
473. La société Bouygues Bâtiment Ile-de-France (RCS Versailles 433 900 834) qui a été destinataire de la notification de griefs complémentaire ne conteste pas venir aux droits de la société Olin.
9 - SNC Entreprises Quillery et Cie (RCS 304 801 384)
474. Cette société a été radiée du RCS en 1998 à la suite de la transmission universelle de son patrimoine à SAS Quillery (RCS Bobigny 542 074 794) dont le patrimoine a été lui-même transmis à Eiffage Construction, son associée unique.
475. La société Eiffage Construction (RCS Versailles 552 000 762) qui a été destinataire de la notification de griefs complémentaire ne conteste pas cette analyse de l'imputabilité.
O. SUR LES SANCTIONS
476. Les infractions retenues ci-dessus ont été commises antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques. En vertu du principe de la non rétroactivité des lois à caractère punitif, les dispositions introduites par cette loi à l'article L. 464-2 du Code de commerce, en ce qu'elles sont plus sévères que celles qui étaient en vigueur antérieurement, ne leur sont pas applicables.
477. Aux termes de l'article L. 464-2 du Code de commerce dans sa rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 : "Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement soit en cas de non exécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 1 524 490 17 euro ".
1. La gravité des faits
478. Ainsi que la Cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt du 24 mars 1998 (Sade) : "la tromperie de l'acheteur public érigée en système perturbe le secteur où elle est pratiquée et porte une atteinte grave à l'ordre public économique".
479. La pratique d'entente générale entre les majors de la profession du BTP a eu pour objet la répartition de l'ensemble des METP lancés par la région d'Ile-de-France pour la rénovation de ses lycées. Elle s'inscrivait dans un système complexe et particulièrement élaboré de dévoiement systématique des règles de concurrence.
480. Les sociétés ont participé à l'entente portant sur les 88 marchés METP d'un montant total de 10 milliards de francs environ qui s'est déroulée sur sept années de 1989 à 1996. Elles ont convenu de la répartition préalable des marchés et ont mis en œuvre les moyens d'assurer cette répartition en dépit des procédures de mise en concurrence prévues par le Code des marchés publics ; elles ont alors été présélectionnées dans le cadre d'une commission occulte avec la complicité notamment de la société Patrimoine Ingénierie et de certains décideurs publics, acteurs de la concertation, ce qui leur a permis d'être attributaires, conformément à l'entente, d'un certain nombre de marchés. En contrepartie de ces attributions, elles ont déposé des offres de couverture dont elles ont elles-mêmes fixé le montant surévalué ou après avoir échangé des informations sur leur montant chiffré avec les autres membres de l'entente. Il y a donc lieu de relever l'extrême gravité du comportement de ces entreprises, qui ont participé activement à la répartition occulte des appels d'offres sur les marchés de construction les plus importants de la région Ile-de-France.
481. Il est remarquable que ce système collusif généralisé auquel ont collaboré des membres de l'administration du conseil régional et les entreprises n'a fait l'objet d'aucune dénonciation de la part de ces dernières, malgré le surcoût imposé par le versement de la commission de 2 % pour assurer le financement des partis politiques. Le jugement du tribunal correctionnel du 26 octobre 2005 relève que les risques d'insuffisance de la mise en concurrence entre candidats à la conclusion des marchés et de monopolisation par un petit nombre d'entreprises du BTP ont été soulignés dans le rapport public du Conseil d'Etat pour 1993 (paragraphe 71), que les irrégularités dans le déroulement des procédures de dévolution des marchés de nature à perturber le jeu normal de la concurrence ont été dénoncées par la chambre régionale des comptes dans sa lettre d'observations du 15 février 1995 et par la Cour des comptes dans un rapport public particulier de février 1995 (paragraphes 175 et 177). L'existence d'une crise dans le BTP alléguée par certaines entreprises en cause ne saurait justifier que soient organisées entre les représentants du maître d'ouvrage et les entreprises "des ententes qui ont été ascendantes et descendantes c'est-à-dire initiées par des entreprises et acceptées par la région" (paragraphe 45) au lieu et place du fonctionnement des appels d'offres dans le respect des règles de concurrence.
482. Les entreprises du BTP parmi les plus importantes du secteur ont pris part à cette répartition générale de marchés, donnant à croire, compte tenu de leur envergure nationale, voire internationale, et de la participation simultanée de certaines d'entre elles à une répartition des grands chantiers de marchés publics d'Ile-de-France durant la même période (décision n° 06-D-07 bis du 21 mars 2006), que les pratiques étaient d'un usage courant dans le secteur et par un effet de banalisation, entraînant dans leur sillage des sociétés de taille plus modeste.
483. Elle a porté préjudice aux finances de la région Ile-de-France et aux contribuables de cette région, payeurs en dernier ressort des travaux concernés, et constitue une pratique d'autant plus grave qu'elle concernait le service public de l'enseignement scolaire, susceptible de concerner l'ensemble des usagers en Ile-de-France, et présentant un caractère obligatoire : "la gravité des échanges d'informations et pratiques de soumissions de couverture constatés est d'autant plus importante qu'ils concernent un service public(...)" (décision du Conseil n° 98-D-42).
2. Le dommage à l'économie
484. Dans le domaine des marchés publics, dans lequel il est impératif que les règles de concurrence soient appliquées afin que les marchés soient attribués au meilleur prix pour réduire les coûts des travaux dont les collectivités publiques ont la charge, les entreprises mises en cause se sont entendues pour obtenir l'attribution des marchés et s'arroger des profits indus au détriment du contribuable qui reste le payeur final des travaux.
485. Selon les déclarations concordantes des responsables de certaines entreprises, les membres de l'entente ont bénéficié sur les METP de confortables marges, du fait de la disparition de la concurrence. Selon M. V... (GTM), "la société désignée était libre pour la fixation de son prix et de sa marge, ces ententes garantissant des marges substantielles de l'ordre de 5 à 6 % ; elles auraient été de 15 à 20 % sur le marché de Coulommiers" ; selon MM. M... (Fougerolle) et 28... (Fougerolle), les marges dépassaient le taux courant du secteur (compris entre 3 et 6 %), dépassant les 10 %. Les marges réalisées sur certaines opérations particulières, 16,6 % sur le METP du lycée de La Courneuve, 16,6 % sur le lycée de Chatenay Malabry, 18 % à Sartrouville, témoignent de la profitabilité de l'opération. Selon M. W..., de Bouygues, la marge supplémentaire prévisible s'élevait à 2 % (cf. pages 133 et suivantes de la notification de griefs).
486. Les entreprises ne peuvent pas soutenir pour leur défense que dans de nombreux cas, l'offre retenue correspondait à l'estimation de l'administration, ou était contenue par le maître d'ouvrage. Seul le fonctionnement normal de la concurrence et l'incertitude sur le montant des offres proposées par les concurrents sont de nature à garantir l'obtention du juste prix.
487. L'importance du dommage doit être également mesurée en fonction du montant exceptionnel des marchés en cause dont le montant total s'est élevé à 10 milliards de francs environ, soit l'un des plus importants programmes d'investissements et de constructions lancés par une collectivité locale, et représente une part substantielle du secteur du BTP en Ile-de-France. Le prix moyen des marchés attribués aux grands groupes s'élevait à 116 millions de francs.
488. Le dommage causé à l'économie est "indépendant du préjudice subi par le maître de l'ouvrage, en raison de la collusion entre plusieurs entreprises soumissionnaires" (Cour d'appel de Paris, 15 juin 1999 et 18 février 2000) et résulte en l'espèce de l'affranchissement complet d'un secteur d'activité des règles de concurrence.
489. Le montant des marchés déclarés infructueux (44 sur 90), puis renégociés est important, ce qui prouve la surévaluation de ces marchés par rapport aux estimations administratives (censées pourtant contenir les prix).
490. Les différents éléments donnent la mesure du dommage à l'économie causé par une entente qui a fonctionné pendant sept ans entre des entreprises appartenant aux six grands groupes du BTP.
3. Les éléments relatifs à la détermination des sanctions individualisés par entreprise
491. L'extrême gravité des comportements en cause et le caractère exceptionnel du dommage à l'économie qu'ils ont causé - compte tenu de l'importance des marchés - justifient des sanctions exemplaires qui ne peuvent cependant pas excéder le montant de 5 % du chiffre d'affaires réalisé en France au cours du dernier exercice clos
492. Avant de fixer le montant des sanctions, il convient au préalable de rappeler les pratiques commises par chaque entreprise pour appliquer, au cas par cas, les critères légaux de fixation de la sanction.
a) En ce qui concerne la Société Bouygues Bâtiment Ile-de-France SA venant aux droits de Olin SA
493. La société Olin SA, (RCS Nanterre 698 202 132) a participé à l'entente portant sur les 88 marchés METP et a été attributaire conformément à l'entente de quatre marchés pour un montant total de 564,614 millions de francs TTC : Edmond Rostand à Paris (39 631 862 francs TTC) ; Etienne Dolet à Paris (60 604 600 francs TTC) ; Colbert à Paris (78 928 300 francs TTC) et Jean-Pierre Timbaud à Brétigny-Sur-Orge (385 450 177 francs TTC).
494. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Bouygues Bâtiment Ile-de-France SA au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 830 619 016 euro.
495. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, et en prenant en considération l'accroissement important du chiffre d'affaires de référence en raison de la fusion - absorption d'Olin devenu OF Equipement par Bouygues Bâtiment Ile-de-France, alors que le chiffre d'affaires d'OF Equipement s'élevait au moment de son absorption en 2003 à 106 627 640 euro, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 20 765 000 euro.
b) En ce qui conconcerne la Societé Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon SA
496. La société "Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon" SA (RCS Compiègne 925 520 108) a participé à l'entente portant sur les 88 marchés METP et a été attributaire conformément à l'entente de trois marchés pour un montant total de 191,015 millions de francs TTC : François Rabelais à Digny (56 631 500 francs TTC) ; Evariste Galois (ex-Blum) à Beaumont/Oise (80 991 940 francs TTC) et Erea Dautier à Bonneuil-Sur-Marne (53 391 590 francs TTC).
497. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la Société Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon SA au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 266 778 341 euro.
498. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 13 338 000 euro.
c) En ce qui concerne la Société Bouygues SA
499. La société Bouygues SA (RCS 572 015 246) a participé à l'entente portant sur les 88 marchés METP et a été attributaire, conformément à l'entente, de quatre marchés pour un montant total de (664 359 686 francs TTC) : Langevin-Wallon à Champigny/Marne (122 297 370 francs TTC) ; Fresnel à Paris (159 405 978 francs TTC) ; Erea Dolto (ex-Roussel) à Beaumont/Oise (113 077 720 francs TTC) et Saint-Louis à Paris (269 578 618 francs TTC).
500. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Bouygues SA au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 64 270 115 millions d'euro.
501. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 3 213 000 euro.
d) En ce qui concerne Gespace France SA
502. La société Gespace France SA (RCS 354 098 170 Nanterre) a participé à l'entente portant sur les 88 marchés METP et a été attributaire de huit marchés en groupement avec CBC pour un montant total de 1,651 milliard de francs TTC : Fénelon à Paris (190 696 940 francs TTC) ; Sophie Germain à Paris (74 362 200 francs TTC) ; Adrienne Bolland à Poissy (148 391 390 francs TTC) ; Marcel Cachin à St-Ouen (120 401 390 francs TTC) ; Louis Armand (dont Jean Rostand) à Nogent-Sur-Marne (130 460 000 francs TTC ; Louis Bascan à Rambouillet (271 437 661 francs TTC) ; Diderot à Paris (327 336 000 francs TTC) et Louis le Grand à Paris (538 284 753 francs TTC).
503. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Gespace France SA au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 4 842 566 millions d'euro.
504. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 242 100 euro.
e) En ce qui concerne la société Compagnie Générale de Bâtiment SA (CBC) SA
505. La société Compagnie Générale de Bâtiment (CBC) SA (RCS Nanterre 325 348 803) a participé dans les mêmes conditions à l'entente concernant les 88 marchés METP. Elle a été attributaire conformément à l'entente de huit marchés pour un montant total de 1,651 milliard de francs TTC, en groupement avec Gespace.
506. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Compagnie Générale de Bâtiment (CBC) au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 184 227 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 9 200 euro. 132
f) En ce qui concerne la société Sicra SNC
507. La société Société Industrielle de Constructions Rapides (Sicra) SNC (RCS : Créteil 300 939 113) a participé à l'entente concernant les 88 marchés METP et a obtenu six marchés dans le cadre de cette entente pour un montant total de 940 millions de francs TTC : Du-Bois (Ex-Bourseul) à Paris (96 928 222 francs TTC) ; Paul Bert à Maisons-Alfort (104 126 220 francs TTC) ; Pierre Mendès France à Villiers-Le-Bel (78 229 334 francs TTC) ; ENCPB (Pirandello) à Paris (339 326 043 francs TTC) ; Parc-De-Vilgenis à Massy (213 461 617 francs TTC) ; et Eugène Ronceray à Bezons (109 505 156 francs TTC).
508. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la Société Industrielle de Constructions Rapides (Sicra) au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 10 326 298 euro.
509. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 516 300 euro.
g) En ce qui concerne la société Fougerolle SAS, RCS 562 129 833
510. La société Fougerolle SAS (RCS 562 129 833) a participé à l'entente sur les 88 marchés METP, et attributaire conformément à l'entente de cinq marchés pour un montant total de 721 917 629 francs TTC : Jean Jaurès à Argenteuil (201 620 000 francs TTC) ; Albert Schweitzer Le Raincy (118 576 280 francs TTC) ; Georges Braque [dont Puiseux) à Argenteuil (133 774 240 francs TTC ; Henri Moissan à Meaux (149 436 000 francsTTC) et Blaise Pascal à Orsay (118 511 109 francs TTC).
511. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Fougerolle SAS, au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 152 201 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 7 600 euro.
h) En ce qui concerne la societe Spie SA anciennement dénommée Amec SA venant aux droits de Spie-Construction et Spie-Citra
512. La société Spie SA (RCS Pontoise 399 258 755) anciennement dénommée Amec SA vient aux droits de Spie-Construction (RCS 341 398 014) et Spie-Citra RCS qui ont concouru a l'entente incriminée.
513. Les sociétés Spie-Construction (RCS 341 398 014) et Spie-Citra ont participé à l'entente concernant sur les 88 marchés METP, ont été attributaires deux fois pour un montant total de 435 603 510 francs TTC : Paul Eluard à St Denis (226 639 860 francs TTC) ; Jean Perrin à St-Ouen-l'Aumone (208 963 650 francs TTC).
514. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Spie SA anciennement dénommée Amec SA au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 21 563 195 euro.
515. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 1 078 000 euro. 133
i) En ce qui concerne la société Dumez Construction SNC venant aux droits de Dumez Ile-de-France SNC
516. La société Dumez Construction SNC (RCS Nanterre 385 225 602) vient aux droits de Dumez Ile-de-France SNC (RCS Nanterre 349 123 299) qui a concouru a l'entente incriminée.
517. La société Dumez Ile-de-France SNC, (RCS Nanterre 349 123 299) a participé à l'entente concernant les 88 marchés METP, a été présélectionnée vingt-quatre fois et attributaire conformément à l'entente de six marchés pour un montant total de 466 132 900 francs TTC : Marcelin Berthelot à St-Maur-Des-Fossés (188 849 800 francs TTC) ; Jean Mermoz (ex-Marcel) (567 012 francs TTC) ; Louis Blériot à Trappes (109 847 699 francs TTC) ; et René Cassin Le Raincy (49 574 800 francs TTC).
518. La société Dumez Construction SNC n'a réalisé aucun chiffre d'affaires lors du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005. Aucune sanction ne peut donc être prononcée à son encontre.
j) En ce qui concerne la société SPIE-SCGPM anciennement SCGPM
519. La société SCGPM SA a participé à l'entente sur les 88 marchés METP, a été attributaire conformément à l'entente de deux marchés pour un montant total de 201 013 989 francs TTC : Viollet-Le-Duc Villiers-St-Frédéric (74 123 398 francs TTC) et Edouard Branly à Créteil (126 890 591 francs TTC).
520. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société SPIE - SCGPM au titre du dernier exercice connu, soit le 31 décembre 2005, s'est élevé à 146 834 482 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 7 341 000 euro.
k) En ce qui concerne la Société Eiffage Construction venant aux droits de Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) SA, et de Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et de Entreprises Quillery et Cie SNC (RCS 304 801 384)
521. La Société Eiffage Construction (RCS Nanterre 552 000 762) vient aux droits de Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) SA (RCS Nanterre 303 447 148), de Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) (RCS 712 045 079) et de Entreprises Quillery et Cie qui ont concouru a l'entente incriminée.
522. Les sociétés Société Auxiliaire d'Entreprises de la Région Parisienne (SAEP) SA et Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) ont participé à l'entente concernant les 88 marchés METP, et ont été attributaires de six marchés pour un montant total de 809 034 062 francs TTC : Louise Michel à Bobigny (45 302 830 francs TTC) ; Marie Laurencin à Paris (30 712 650 francs TTC) ; Voillaume à Aulnay-Sous-Bois (220 899 040 francs TTC); Erea Piaf (ex-Belleville) à Paris (121 703 760 francs TTC) ; Erea Jean Monnet à Garches (175 290 800 francs TTC) et Erea Newton (ex-Clichy) à Clichy (215 124 982 francs TTC).
523. La société Entreprises Quillery et Cie SNC (RC 304 801 384) a participé à l'entente concernant les 88 marchés METP et a obtenu trois marchés dans le cadre de cette entente pour un montant total de 300,174 millions de francs TTC (Jean Moulin Le Chesnay 131 651 740 francs TTC) ; Aristide Briand Le Blanc-Mesnil (81 596 800 francs TTC) et Gourdou-Leseurre à St-Maur-La-Varenne (86 926 150 francs TTC).
524. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Eiffage Construction au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 10 550 499 euro.
525. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 527 500 euro.
l) En ce qui concerne la société Nord France Boutonnat SARL venant aux droits de Nord France Entreprise
526. La société Nord France Boutonnat SARL (RCS Evry 320 495 781) vient aux droits de Nord France Entreprise (RCS Paris 320 495 781) qui a concouru à l'entente incriminée.
527. La société Nord France Entreprise a participé à l'entente concernant les 88 marchés METP, et a été attributaire de cinq marchés pour un montant total de 608 617 285 francs TTC : Robert Schumann (ex-Clément Ader) à Athis-Mons (99 647 720 francs TTC) ; Jacquard à Paris (86 972 940 francs TTC) ; Marcel Pagnol à Athis-Mons (114 077 544 francs TTC) ; St-Hilaire à Etampes (219 666 413 francs TTC) et Bartholdi (ex-E.J. Marey) (inclus Georges Sand) à St-Denis (88 252 668 francs TTC).
528. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Nord France Boutonnat SARL au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 126 821 euro. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 6 300 euro.
m) En ce qui concerne la société Vinci Construction anciennement Campenon Bernard et venant aux droits de GTM Bâtiment et Travaux Publics (GTM-BTP)
529. La société Vinci Construction (RCS Nanterre 334 851 664) a participé à l'entente incriminée à ce double titre.
530. La société GTM Bâtiment et Travaux Publics (GTM-BTP) a participé à l'entente concernant les 88 marchés METP, et a été attributaire de quatre marchés pour un montant total de 581 177 622 francs TTC : Paul Langevin à Suresnes (68 313 600 francs TTC) ; Denis Papin à La Courneuve (132 746 920 francs TTC) ; Evariste Galois à Sartrouville (101 960 360 francs TTC) et Ferry & Cormier à Coulommiers (278 156 742 francs TTC).
531. La société Campenon Bernard (RCS Nanterre 334 851 664) a participé à l'entente portant sur les 88 marchés METP et a été attributaire conformément à l'entente de quatre marchés pour un montant total de 345,393 millions de francs TTC : Santos-Dumont à Saint-Cloud (81 934 330 francs TTC) ; Vauquelin (ex-Boutroux) à Paris (64 992 800 francs TTC) ; Martin Nadaud à Paris (61 823 345 francs TTC) et Eugène Delacroix à Drancy (136 643 174 francs TTC).
532. Le chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par la société Vinci Construction au titre du dernier exercice clos, soit au 31 décembre 2005, s'est élevé à 5 404 807 euro.
533. En fonction des éléments généraux et individuels tels qu'ils sont appréciés ci-dessus, le montant de la sanction pécuniaire infligée à cette société est de 270 200 euro. 135
n) En ce qui concerne la société Société de Participations et de Gestions Immobilières SARL (SPGI) (RCS Pontoise 672 019 791) venant aux droits de la société Patrimoine Ingénierie SA (RCS 332 Nanterre 698 893)
534. La Société de Participations et de Gestions Immobilières SARL (SPGI) (RCS Pontoise 672 019 791) vient aux droits de la société Patrimoine Ingénierie SA (RCS 332 Nanterre 698 893) qui a concouru à l'entente incriminée.
535. La Société Patrimoine Ingénierie SA a, dans les conditions décrites plus haut, participé à l'entente sur la répartition des 88 METP lors des sept vagues successives d'appel d'offres pour un montant total de 10 milliards de francs environ.
536. Dans le cadre de ses missions d'assistance à la maîtrise d'ouvrage, Patrimoine Ingénierie SA a contribué activement à la conception et la mise en œuvre de l'entente, en recueillant soit au cours de ces réunions soit par d'autres moyens, les préférences des entreprises quant aux METP mis en concurrence par le CRIF, en siégeant au sein de la commission occulte dite "Chevance" qui procédait à une présélection faussée des entreprises, en assurant le respect des préférences de l'entente tout au long de la procédure d'achat public et au sein des commissions administratives officielles.
537. L'extrême gravité du comportement de cette entreprise qui a eu un rôle incitatif important et est devenue l'intermédiaire obligé dans la répartition occulte des appels d'offres sur les marchés de travaux publics parmi les plus importants de la région Ile-de-France pendant une période de sept ans, en provoquant un dommage à l'économie exceptionnel, appellerait une sanction très sévère.
538. Toutefois la société Société de Participations et de Gestions Immobilières SARL (SPGI) n'ayant réalisé aucun chiffre d'affaires lors du dernier exercice clos, soit au 30 avril 2006, aucune sanction ne peut donc être prononcée à son encontre.
DÉCISION
Article 1er : La pratique relative au grief n° 2 est prescrite.
Article 2 : La pratique d'entente de répartition des marchés n'est pas établie à l'égard de la société Campenon Bernard Construction.
Article 3 : Les sociétés Eiffage TP SAS, Vinci Construction SAS, Vinci SA, Effiparc Ile-de-France, SAEP Equipements SNC et SAEP SNC, Bouygues Bâtiment International SA, Rabot-Dutilleul Construction sont mises hors de cause.
Article 4 : Ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce les sociétés suivantes :
Bouygues SA ;
Bouygues Bâtiment Ile-de-France SA ;
Gespace France SA ;
Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon ;
Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction (CBC) SA ;
Société Industrielle de Constructions Rapides (Sicra) SNC ;
Fougerolle SAS ;
Dumez Construction SNC ;
Spie-SCGPM ;
Vinci Construction ;
Eiffage Construction ;
Spie SA anciennement dénommée Amec SA ;
Nord France Boutonnat SARL ;
SPGI.
Article 5 : Il n'y a pas lieu d'infliger de sanction pécuniaire aux sociétés Dumez Construction SNC et SPGI qui n'ont pas réalisé de chiffre d'affaires au titre du dernier exercice clos.
Article 6 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
à la société Bouygues SA (RCS 572 015 246) une sanction de 3 213 000 euro ;
à la société Bouygues Bâtiment Ile-de-France SA (RCS Versailles 433 900 834) une sanction de 20 765 000 euro ;
à la société Gespace France SA (RCS Nanterre 354 098 170) une sanction de 242 100 euro ;
à la société Entreprise de Travaux Publics André et Max Brezillon (RCS Compiègne 925 520 108) une sanction de 13 338 000 euro ;
à la société Compagnie Générale de Bâtiment et de Construction (CBC) SA (RCS Nanterre 325 348 803), une sanction de 9 200 euro ;
à la société Société Industrielle de Constructions Rapides (Sicra) SNC (RCS Créteil 300 939 113) une sanction de 516 300 euro ;
à la société Fougerolle SAS (RCS 562 129 833) une sanction de 7 600 euro ;
à la société Spie-SCGPM (RCS Pontoise 582 014 957) une sanction de 7 341 000 euro ;
à la société Vinci Construction (RCS Nanterre 334 851 664) une sanction de 270 200 euro ;
à la société Eiffage Construction (RCS Nanterre 552 000 762) une sanction de 527 500 euro ;
à la société Spie SA anciennement dénommée Amec SA (RCS Pontoise 399 258 755) une sanction de 1 078 000 euro ;
à la société Nord France Boutonnat SARL (RCS Evry 320 495 781) une sanction de 6 300 euro.
Note :
1 La référence Ci n° 9816 ainsi que toutes les autres références Ci suivantes correspondent à la cotation électronique des annexes des notifications des griefs et du rapport et permet leur identification sur les CD accompagnant le dossier.