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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 4 mai 2004, n° 03-00471

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Berron (Consorts)

Défendeur :

Harquet (ès qual.), Select Sports (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Hoffbeck

Conseillers :

Mme Vieilledent, M. Die

Avocat :

Me Harnist

TGI Colmar, du 28 nov. 2002

28 novembre 2002

Le 18 juin 1999, Monsieur Frédéric Berron a acquis auprès de la société Select Auto Sports un véhicule BMW d'occasion, modèle 3M coupé 3L, affichant 66 300 km au compteur, moyennant le prix de 142 000 F.

Il devait ultérieurement indiquer:

- qu'il a initialement acquis ce véhicule pour sa soeur, Mademoiselle Tanin Berron, mais a finalement décidé de le conserver pour son usage personnel;

- qu'à l'occasion d'un entretien réalisé en février 2000 par le concessionnaire BMW de Strasbourg, il a été découvert que le relevé de soubassement de la carrosserie avant laissait apparaître une déformation importante des structures du bloc avant et que le renfort intérieur du pare-choc avant avait été bricolé pour lui permettre de tenir en place.

- qu'une expertise privée effectuée par le Cabinet Barth le 2 mars 2000 a mis en exergue la déformation des longerons et a fait ressortir que le véhicule "avait été gravement accidenté et mal réparé pour ne pas dire bricolé délibérément ";

- que par assignation en référé du 26 avril 2000, il a été sollicité l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire, donnant lieu à un rapport déposé le 11 décembre 2000;

- que l'expert judiciaire a conclu curieusement à l'existence d'un vice caché ne rendant pas le véhicule impropre à sa destination.

Selon un acte d'huissier du 24 janvier 2001, Monsieur Berron et Mademoiselle Berron ont fait assigner la société Select Auto Sports devant la Chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Colmar aux fins de la voir condamnée à titre principal sur le fondement de l'erreur substantielle, subsidiairement pour vices cachés.

Le 20 avril 2001, un accident de la circulation a détruit le véhicule, amenant Monsieur Berron à percevoir de sa compagnie d'assurances l'indemnisation en perte totale.

Exposant qu'il y avait lieu de défalquer des montants réclamés dans le cadre de la présente procédure l'indemnité obtenue de 94 500 F, Monsieur Berron a limité ses prétentions à la différence entre le prix d'achat et l'indemnisation perçue, augmentée des frais complémentaires supportés.

Par un jugement du 28 novembre 2002, la juridiction saisie a débouté Monsieur Berron et Mademoiselle Berron de leurs prétentions, et à mis à leur charge le paiement d'une somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Pour statuer dans ce sens, le tribunal a retenu:

- qu'il est de principe que la garantie des vices cachés constitue l'unique fondement possible d'une action, écartant ainsi le principe du recours à l'annulation pour erreur, lorsque la chose vendue est affectée d'un vice caché;

- qu'en l'espèce, le véhicule litigieux acquis depuis le 16 juin 1999 avec un kilométrage de 66 300 km a toujours été utilisé même après le rapport d'expertise judiciaire du 11 décembre 2000 ; qu'à la date de l'accident, le 20 avril 2001, le véhicule présentait un kilométrage de 123 976 km, soit une utilisation de 57 676 km depuis l'acquisition, preuve que les dommages cachés constatés par l'expert judiciaire ne confèrent pas au véhicule un caractère de dangerosité et que celui-ci n'est pas impropre à l'usage auquel il est destiné;

- que le rapport judiciaire révèle que les déformations structurelles constatées étaient sans incidence sur le comportement du véhicule;

- que Monsieur Berron, qui a nécessairement essayé le véhicule avant de l'acheter au prix de 142 000 F, devait bien connaître son état;

- que les qualités substantielles ne sont pas atteintes par l'existence de ces déformations structurelles, le véhicule ayant toujours été utilisé sans inconvénient et ces déformations étant sans incidence sur la sécurité passive ou active du véhicule.

Selon une déclaration enregistrée au greffe le 23 janvier 2003, Monsieur Berron et Mademoiselle Berron ont interjeté appel de ce jugement.

Le 16 septembre 2003, la société Select Auto Sports a été mise en liquidation judiciaire et Me Harquet désignée en qualité de mandataire liquidateur.

Par ses dernières conclusions déposées le 18 novembre 2003, ils ont réitéré leurs prétentions initiales en " demandant à la cour de :

- constater la mise en cause de Me Harquet ès qualités;

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau,

- déclarer la présente demande présentée par Monsieur Berron recevable et bien fondée,

- constater que le véhicule BMW M3 vendu le 18 juin 1999 est affecté d'un vice caché, le rendant impropre à son usage, et à titre subsidiaire constater que ce vice caché constituait à tout le moins une erreur sur les qualités substantielles de la chose;

En conséquence.

- fixer la créance de Monsieur Berron à l'encontre de la société Select Auto Sports sur le fondement de l'action estimatoire à un montant de 7 241,33 euro augmentés des intérêts à compter du jour de la vente;

- à titre subsidiaire, fixer la créance de Monsieur Berron à l'encontre de la société Select Auto Sports à un montant de 7 241,33 euro comme conséquence de l'annulation de la vente du 18 juin 1999;

- en tout état de cause, fixer la créance de Monsieur Berron à l'encontre de la société Select Auto Sports au titre des dommages-intérêts à la somme de 6 097,96 euro;

- condamner la société Select Auto Sports aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au versement d'une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile de première instance et d'un montant de 1 000 euro au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, et dire que ces sommes seront prélevées en frais privilégiés de la procédure.

Au soutien de leur appel, les consorts Berron ont fait valoir:

- que c'est de manière totalement injustifiée que le tribunal a retenu que Monsieur Berron connaissait bien l'état du véhicule avant de l'acheter, dès lors qu'il résulte tant du rapport d'expertise privée que du rapport d'expertise judiciaire que les vices en cause étaient parfaitement cachés et ne pouvaient être décelés par un non-professionnel lors de l'achat;

- que de même, au vu des constatations effectuées tant par l'expert privé que par l'expert judiciaire, c'est à tort que le premier juge a relevé que les vices en cause ne rendaient pas le véhicule impropre à sa destination;

- qu'aucune faute ne peut être imputée à Monsieur Berron, qui ne pouvait pas déceler le vice lors de l'essai du véhicule, alors qu'il incombait au contraire à un professionnel de l'automobile d'examiner en détail le véhicule qu'il vendait et de mener toute investigation utile sur ce point, s'agissant d'une occasion;

- que si un consommateur recourt pour l'achat d'un véhicule haut de gamme à un professionnel, en acceptant de payer le prix fort, c'est justement afin de disposer d'un véhicule dont il peut user en totale sécurité, parce qu'il a été examiné et révisé par un professionnel;

- qu'en procédant à la vente de ce véhicule, en sa qualité de professionnelle de l'automobile, la société Select Auto Sports a commis l'infraction de tromperie sur la qualité de la marchandise, en omettant de se renseigner sur l'état exact du véhicule;

- que le délit de tromperie sur l'état du véhicule suppose une volonté d'induire en erreur, présumée chez un professionnel, même s'il est établi qu'il n'avait pas connaissance de l'état réel de ce véhicule;

- qu'en l'occurrence, le vice caché rendait le véhicule dangereux et portait notamment atteinte à sa sécurité passive, ce qui, s'agissant d'un véhicule de ce type et de cette gamme, le rendait impropre à l'utilisation en toute sécurité;

- qu'en tout état de cause, la connaissance de l'accident antérieurement subi par le véhicule, aurait conduit Monsieur Berron à refuser son acquisition; que son action engagée sur le fondement des vices cachés et de l'article 1641 du Code civil aurait dû aboutir; que la condition du bref délai de l'action est manifestement remplie;

- que subsidiairement; en acquérant ce véhicule, Monsieur Berron souhaitait bénéficier d'une automobile de bonne marque, présentant toutes les garanties en matière de sécurité; que dès lors, le fait que celui-ci ait été gravement accidenté et soit devenu dangereux, constituait une erreur sur les qualités substantielles ; qu'il conviendrait alors d'annuler la vente sur le fondement de l'article 1110 du Code civil,

- que la destruction du véhicule intervenue dans l'intervalle rendant impossible la remise des parties en l'état antérieur, il conviendra d'indemniser Monsieur Berron par le versement de la différence entre le prix par lui versé, et l'indemnité par lui perçue, soit au vu du remboursement effectué par l'assureur à hauteur de 94 500 F, d'une somme de 7 241,33 euro;

- que le concluant a de surcroît subi des dommages accessoires pour un montant total de 6 539,47 euro.

Bien que régulièrement assigné par acte d'huissier délivré le 19 novembre 2003 à domicile, Me Harquet, mandataire liquidateur de la société Select Auto Sports, n'a pas constitué avocat. Il sera donc statué par défaut.

Sur ce, LA COUR

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées aux débats et les conclusions écrites auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé des moyens des parties;

Attendu que devant la cour, Monsieur Berron fonde son action à titre principal sur les dispositions de l'article 1641, subsidiairement sur celles de l'article 1110 du Code civil;

Attendu qu'aux termes de l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus;

Attendu en l'occurrence que, dans son rapport du 20 mars 2000, l'expert privé Barth a conclu qu'il s'agissait d'un véhicule "qui avait été gravement accidenté et mal réparé, pour ne pas dire bricolé délibérément"; que ce travail est antérieur à l'achat de juin 1999; que les mesures faites sur le banc Shark montrent que le soubassement est déformé; qu'il s'agit d'un véhicule dangereux du point de vue de la sécurité passive; qu'il est certain que ce véhicule se déformerait beaucoup plus en cas de nouveau choc;

Attendu que, dans un rapport du 11 décembre 2000, l'expert judiciaire Houzelle, a constaté que le véhicule avait "subi un choc bien centré au cours de sa vie, que sous l'effet du choc, la traverse a fléchi en entrainant dans sa course un pincement des embouts de longeron " et que l'on peut qualifier le choc intervenu de mineur;

Attendu surtout qu'après avoir fait contrôler le véhicule sur un banc électronique, il a relevé que celui-ci n'a pas subi de déformation majeure, à l'exception des embouts de longerons qui accusent un léger pincement ; que si une réfection au moindre coût a été effectuée sur le véhicule, il n'en reste pas moins que ces réparations ne présentent pas un caractère de dangerosité;

Attendu que Monsieur Houzelle a précisé que le coût des travaux de remise en état, chiffré par le concessionnaire BMW, s'élevait à la somme de 8 013,20 F TTC;

Attendu ainsi que les experts ont une appréciation divergente quant à la dangerosité du véhicule acquis par Monsieur Berron;

Attendu que, ledit véhicule ayant été détruit lors d'un accident postérieur au dépôt du rapport d'expertise judiciaire, il n'est pas possible d'envisager aujourd'hui une contre-expertise;

Attendu qu'en l'état de la procédure, la seule expertise opposable à la société Select Auto Sports est l'expertise réalisée contradictoirement par Monsieur Houzelle, et cette expertise fait ressortir le caractère non dangereux du véhicule acquis par Monsieur Berron;

Attendu au surplus que l'expert judiciaire ne s'est pas contenté de procéder par voie d'affirmation, mais a amplement étayé ses conclusions;

Attendu en effet que, répondant à une interrogation des consorts Berron, Monsieur Houzelle a donné les indications suivantes relativement à la non-dangerosité du véhicule:

" D'après les indications fournies par le banc électronique Blackhawk, la déformation majeure se situe sur les embouts de longerons. A ce niveau, tout à fait à l'avant du véhicule, une déformation importante des embouts de longerons ne nuit en aucun cas à la sécurité du véhicule. A partir d'une certaine déformation des structures, il devient seulement difficile d'ajuster les éléments de face avant et de pare-chocs";

Attendu que, le véhicule était-il affecté de vices, il n'est pas établi que ceux-ci le rendaient impropre à sa destination normale;

Attendu au demeurant que les faits démontrent que Monsieur Berron a eu, pendant deux ans, un usage parfaitement normal dudit véhicule, dont il a pratiquement doublé le kilométrage ; qu'en effet ledit véhicule, acheté le 16 juin 1999 avec un kilométrage de 66 300 km, présentait à la date de l'accident du 20 avril 2001 un kilométrage de 123 976 km, de sorte que Monsieur Berron, qui a parcouru 57 676 km depuis l'achat, ne saurait sérieusement prétendre que le véhicule était atteint de vices qui en auraient tellement diminué l'usage qu'il n'aurait pas effectué l'achat ou qu'il en aurait donné un moindre coût;

Attendu dans ces conditions qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté la demande en tant que fondée sur les dispositions de l'article 1641 du Code civil;

Attendu ensuite que, comme l'a retenu à bon droit le tribunal, la garantie des vices cachés constituant l'unique fondement de l'action exercée pour défaut de la chose vendue la rendant impropre à sa destination normale, il n'y a pas lieu de recherche si l'acheteur peut subsidiairement prétendre à des dommages-intérêts sur le fondement de l'erreur;

Attendu en définitive qu'il convient de rejeter l'appel et de confirmer le jugement entrepris;

Attendu toutefois que le jugement sera très sensiblement réformé sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; qu'en effet, les circonstances du litige et l'équité ne justifient pas qu'il soit fait application de ce texte.

Par ces motifs, Statuant publiquement, par défaut, en dernier ressort et après en avoir délibéré conformément à la loi, Constate que ni la recevabilité ni la régularité formelle de l'appel ne sont contestées; Au fond, Confirme le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Dit qu'il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne les consorts Berron en tous les dépens.