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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 1 juin 2006, n° 05-01376

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Massif Marine (SA)

Défendeur :

Autret, Société Maritime de Gestion et d'Expertise (SARL), Roquais, Nautiloc (SARL), Arnaud

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boivin

Conseillers :

Mme Nivelle, M. Bohuon

Avoués :

SCP Brebion, Chaudet, SCP Gautier-Lhermitte, SCP d'Aboville, de Moncuit Saint-Hilaire & Le Callonnec, SCP Gauvain & Demidoff, SCP Castres, Colleu, Perot & Le Couls-Bouvet

Avocats :

Mes Blanchard, SCP Guyot, Associés, SCP Pierre-Brezulier & Tattevin, Selafa Fiduciaire Générale, SCP Kalifa & Lombard

TGI Vannes, du 11 janv. 2005

11 janvier 2005

Faits - procédure - moyens

Le 4 janvier 2000 M. Autret a commandé à la société Massif Marine un voilier d'occasion de type Feeling 29 DI baptisé Taone, millésimé 1991, pour le prix de 270 000 F, avec une livraison prévue pour le début du mois de mai.

La livraison a eu lieu le 24 mai et M. Autret, se plaignant de désordres affectant le bateau, a obtenu en référé la désignation d'un expert, M. Boutan, qui a rendu son rapport le 15 novembre 2002 en concluant à l'existence de vices cachés affectant la dérive et l'aileron du safran, et à un millésime erroné (1990 au lieu de 1991 comme annoncé).

Auparavant la société Massif Marine avait assigné les précédents propriétaires du navire: MM. Roquais et Arnaud, qui avaient assigné à leur tour la société Nautiloc, la société Chantier Naval du Redo et la société SMGE, et le 19 décembre 2001 M. Autret avait assigné la société Massif en paiement de 37 468,93 euro de dommages et intérêts au titre des vices cachés.

Par jugement du 11 janvier 2005 le Tribunal de grande instance de Vannes a condamné avec exécution provisoire la société Massif Marine à verser à M. Autret la somme de 24 297,35 euro sous déduction d'une provision de 4 000 euro, avec intérêts de retard au taux légal à compter du 9 août 2002 et capitalisation, outre 5 675 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en ce compris les frais de déplacement aux opérations d'expertise, a débouté la société Massif Marine de son appel en garantie et de ses demandes subséquentes contre MM. Roquais et Arnaud et l'a condamnée à leur payer 3 000 euro de dommages et intérêts et 5 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, a dit que l'appel en garantie de la société Nautiloc contre la SGME devenait sans objet, et a condamné la société Massif Marine aux dépens.

La société Massif Marine a fait appel le 18 février 2005. Elle demande à la cour de réformer le jugement, de débouter M. Autret de son action fondée sur l'article 1641 du Code civil, de lui décerner acte, sans reconnaissance du bien fondé de l'action de M. Autret, de ce qu'elle accepte de prendre à sa charge les frais de remise en état, déduction faite de la provision de 4 000 euro versée, de débouter M. Autret de ses autres demandes, subsidiairement de réduire son indemnisation, de condamner MM. Roquais et Arnaud à la garantir de toute condamnation et de les débouter de toutes leurs demandes, et de condamner la partie défaillante à lui verser 2 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle fait valoir qu'elle avait bien procédé au contrôle de la dérive et que le jeu constaté a été considéré comme normal compte tenu de la tolérance prévue par le constructeur, que la cassure de l'extrême pointe de la dérive ne peut affecter le comportement du navire et que la preuve n'est pas rapportée de son antériorité, que l'état du safran ne rendait pas le bateau impropre à son usage, qu'en ce qui concerne le millésime M. Autret ne justifie pas d'un préjudice et il a été en mesure de le contrôler, que l'expert n'a jamais précisé si les désordres étaient de nature à rendre le voilier impropre à sa destination, que le bateau a navigué depuis 1998 sans que quiconque s'émeuve d'un jeu latéral dans la dérive, courant sur ce type de bateau, que le désordre constaté n'a pas de rapport avec un blocage de la dérive, que le tribunal ne pouvait allouer à M. Autret au titre des frais de réparation une somme supérieure à celle réclamée par le demandeur, que la facture H1-067 est partiellement contestable, qu'elle conteste la facture Chantier Nautique relative à l'hivernage, que certains des frais invoqués sont liés à la propriété du bateau et non à sa navigation, que M. Autret ne peut prétendre à la fois à un hivernage et à une location de ponton, qu'il n'a loué un bateau que pendant une semaine, que le préjudice financier est contestable, et le préjudice moral invoqué fait double emploi avec le préjudice d'immobilisation.

Sur son appel en garantie subsidiaire elle fait valoir qu'en tant qu'acheteur le revendeur professionnel n'est pas tenu de connaître les vices de la chose au jour de son acquisition, qu'elle a contrôlé les appendices mais que les vices ne pouvaient être décelés qu'après démontage de la coque, et que MM. Roquais et Arnaud étaient informés des travaux de Flahault Marine.

M. Autret demande à la cour de dire que le voilier vendu par la société Massif Marine était affecté de vices cachés, de condamner la société Massif Marine à lui verser les sommes de 5 306,30 euro, 1 731,03 euro, 2 940,27 euro, 25 735,27 euro, et 1I 344 euro, de dire et juger que la société Massif Marine a manqué à son obligation de délivrance conforme, en conséquence de la condamner à lui verser 2 230 euro, de la condamner à lui verser 4 000 euro au titre du préjudice moral, de dire et juger que l'intégralité des condamnations financières seront assorties des intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 19 décembre 2001, et de condamner la société Massif Marine à 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Il fait valoir que les désordres relevés par l'expert judiciaire de manière contradictoire répondent à la définition de l'article 1641 du Code civil, qu'il s'agisse du lest et de la dérive ou de l'étanchéité du safran, qu'il a du engager des frais de manutention et de main-d'œuvre durant l'expertise judiciaire, et avancer divers frais de réparation et de location de place, qu'il a subi un préjudice d'immobilisation important, que le millésime était entré dans le champ contractuel que qu'il en avait été tenu compte pour la fixation du prix de vente, et qu'il a du consacrer un temps important à cette affaire.

MM. Roquais et Arnaud demandent à la cour de déclarer irrecevable l'action de la société Massif Marine à leur encontre, en tout état de cause de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de son appel en garantie et condamnée à leur verser 3 000 euro à chacun d'eux à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, y ajoutant de la condamner à 5 000 euro pour appel abusif, de la condamner à 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens, subsidiairement de constater qu'en leur qualité de vendeurs de bonne foi ils ne sauraient être tenus qu'à concurrence de la restitution partielle du prix de vente ne pouvant excéder les frais de réparation du navire, de dire et juger que la société Nautiloc sera condamnée à les garantir, et de la condamner à 5 000 euro de dommages et intérêts, à 8 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Ils font valoir que la société Massif Marine ne les a appelés à la procédure que le 11 septembre 2001, plus d'un an après les plaintes de M. Autret, alors qu'elle avait connaissance du vice en sa qualité de professionnel dès la livraison le 25 mai 2000, que son action est donc forclose, que le contrôle des appendices auquel elle s'était engagée permettait aisément de mettre en évidence le défaut de la dérive, qui était apparent pour un professionnel, qu'elle ne peut donc se faire garantir par eux, que la preuve du caractère impropre de la chose à sa destination n'est pas rapportée, qu'au contraire M. Autret a utilisé le bateau pendant toute la saison estivale 2000, que le bateau a d'ailleurs été utilisé régulièrement après août 1998, date d'origine du défaut, que le coût d'acquisition du voilier était tout à fait correct au regard de son âge malgré la différence de millésime, lequel était connu de la société Massif Marine, que celle-ci aurait pu rapidement réparer le défaut au lieu d'opposer une résistance abusive et de rechercher leur responsabilité, qu'en revanche et subsidiairement ils s'associent aux réserves de la société Massif Marine concernant les préjudices, et que la société Nautiloc, entrepreneur ayant sous-traité le chantier à la société Flahault Marine responsable des désordres selon l'expert, doit être le cas échéant condamnée à les garantir.

La société Nautiloc demande à la cour de confirmer le jugement, de condamner la société Massif Marine ou MM. Roquais et Arnaud à lui verser 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens d'appel, et à titre subsidiaire de condamner la SMGE à la garantir de toutes condamnations et de la condamner à 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle rappelle qu'au mois d'août 1998 elle a sous-traité au Chantier Flahault Marine, désormais SMGE, les travaux relatifs à la galette de lest.

La SMGE demande à la cour de confirmer le jugement, en tant que de besoin de constater que le chantier Flahault Marine aux droits duquel elle se trouve n'était concerné que par un contrat de louage d'ouvrages dans les rapports avec la société Nautiloc, de débouter celle-ci de ses demandes en garantie, et de la condamner aux dépens de cet appel en garantie et à 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'elle est étrangère aux rapports de vente ayant pu exister, que son intervention n'a en rien modifié la situation originaire du bateau concernant le jeu de la dérive, qu'il s'agissait pour elle de remonter la dérive à l'identique, que de même le défaut de planéité de la face supérieure de la galette est lié à l'origine du bateau, et que subsidiairement elle fait siennes les critiques de MM Roquais et Arnaud s'agissant des préjudices.

Motifs

Sur l'existence de vices cachés.

Il est constant que la dérive du bateau Taone était affectée d'un jeu important, et la cause en est définie de façon claire et convaincante par le rapport d'expertise judiciaire, à savoir une préparation insuffisante avant repose de la galette de lest par le chantier Flahault Marine en août 1998, ce qui a empêché une parfaite pénétration du "U" de maintien de la dérive dans son logement polyester.

En outre ce jeu était connu comme anormal, au point d'avoir fait l'objet de la part des professionnels d'un dispositif de rattrapage, avant que celui-ci soit abandonné et que la seule solution reste le surfaçage de la face supérieure de la galette de lest.

Cependant ce vice ne rendait pas la chose totalement impropre à sa destination puisqu'il n'a pas empêché le bateau de naviguer pendant près de deux ans (d'août 1998 à août 2000), et il n'est pas manifeste qu'il en diminuait fortement l'usage pour la même raison, et parce que l'expert ne décrit pas les désordres induits par ce défaut, et qui sont seulement allégués (dérive cognant fortement) par M. Autret sans être établis.

Ce défaut de la dérive ne peut donc être qualifié de vice caché, et ne peuvent l'être non plus la cassure de la pointe de dérive, qui selon l'expert ne pouvait affecter le comportement du navire, ni la cale d'échouage non conforme, qui était un défaut apparent.

Il reste toutefois au titre du vice caché, ne rendant pas le navire impropre à sa destination mais en diminuant fortement l'usage, le défaut d'étanchéité du tirant de fixation du safran, qui ne pouvait être décelé à l'oeil nu et qui nécessitait une réparation. D'ailleurs la société Massif Marine ne conteste pas sa responsabilité à cet égard.

Sur le millésime.

Il est constant que le millésime du navire litigieux n'était pas celui indiqué sur le bon de commande (1990 au lieu de 1991), et cette non-conformité de la chose livrée par rapport à la chose promise suffit à caractériser un défaut de délivrance conforme, nonobstant la possibilité qu'avait M. Autret de s'assurer de la conformité avant livraison, et par suite justifie l'octroi de dommages et intérêts dans la mesure de l'existence d'un préjudice consécutif.

Sur les préjudices.

Les préjudices consécutifs au vice caché doivent être indemnisés par la société Massif Marine, qui en tant que professionnel est tenue à des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1645 du Code civil.

Au titre des frais directement exposés il y a lieu de retenir la somme non contestée par la société Massif Marine, soit 2 844,57 euro, sans y ajouter dans la mesure où les factures produites par M. Autret n'excèdent pas ce montant.

Au titre des frais exposés inutilement il y a lieu de retenir les droits de navigation 2001 et 2002 (85,98 euro et 50,17 euro), l'assurance 2001 (361,30 euro) et 2002 (210,71 euro), et la révision annuelle du radeau de survie (228,05 euro), qui bien que liés à la propriété du navire, ont été rendus inutiles par suite du vice caché et de l'impossibilité de naviguer. La location d'une place de ponton en 2001 (1 219,59 euro) doit être également retenue, ainsi que la location 2002 (364,58 euro) qui n'est pas contestée.

Les frais exposés inutilement s'élèvent ainsi à 2 520,38 euro.

Sur le préjudice d'immobilisation la cour reprend à son compte les motifs du jugement concluant à une indemnisation de 6 500 euro.

Le préjudice moral résultant des tracas engendrés par l'affaire peut être évalué à 300 euro,

Enfin le préjudice causé par le défaut de conformité du millésime ayant été largement compensé selon l'expert par la plus value du gréement, il n'y a pas lieu de l'indemniser.

Sur les appels en garantie.

Bien que vendeur professionnel, la société Massif Marine est en droit d'appeler en garantie ses propres vendeurs.

Encore faut-il, s'agissant uniquement de dommages et intérêts, que ceux-ci soient eux-mêmes professionnels, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, ou qu'ils aient eu connaissance du vice, ce qui n'est pas non plus le cas, puisque MM. Roquais et Arnaud ne s'étaient jamais plaints d'un quelconque désordre, hormis un bruit de battement de la dérive qu'ils reconnaissent dans leurs conclusions mais qui ne les gênaient en rien et qui n'était pas constitutif d'un vice rédhibitoire.

Quant à la différence de millésime, elle ne peut être reprochée à MM. Roquais et Arnaud qui n'avaient rien précisé à cet égard dans l'acte de vente à Massif Marine.

Par suite les appels en garantie de la société Nautiloc et de la SMGE sont sans objet.

Enfin la société Massif Marine n'appelle pas celles-ci en garantie.

Sur les dommages et intérêts et les trais irrépétibles.

Il n'y a pas lieu à dommages et intérêts en l'absence d'abus du droit d'agir en justice démontré, mais il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais engagés par eux et non compris dans les dépens, et la société Massif Marine sera condamnée à verser 4 000 euro à ce titre à M. Autret ainsi que 2 000 euro à M. Roquais et 2 000 euro à M. Arnaud, et 1 000 euro à la société Nautiloc (y compris pour chacun les frais de première instance).

En revanche il est équitable de laisser à la charge de la SMGE les frais engagés par elle et non compris dans les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, Déclare l'appel recevable; Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Massif Marine à verser des dommages et intérêts à M. Autret sous déduction d'une provision de 4 000 euro, et en ce qu'il l'a déboutée de son appel en garantie et de ses demandes subséquentes contre MM. Roquais et Arnaud; Mais le réformant, Fixe à 12 164,95 euro le total des dommages et intérêts; Condamne la société Massif Marine à verser 4 000 euro à M. Autret, 2 000 euro à M. Roquais, 2 000 euro à M. Arnaud, et 1 000 euro à la société Nautiloc au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile pour les frais de première instance et d'appel ; Rejette toutes les autres demandes.