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Décisions

CA Douai, 2e ch., 4 novembre 1999, n° 99-04904

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mat Services (SARL)

Défendeur :

BUS Valera (SA), Compagnie Commercial Union (SA), Société Commercialisation des Sables (Sté), Allianz Via Assurances (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Gondran de Robert

Conseillers :

Mme Schneider, M. Testut

Avoués :

Mes Quignon, Carlier-Regnier, Masurel-Thery

Avocats :

Mes Lecluse, Biard, Bertrand

T. com. Dunkerque, du 17 mai 1999

17 mai 1999

I. DONNEES DEVANT LA COUR

Contexte général de l'affaire

La Société de Commercialisation des Sables, ci-après SCS, a été autorisée le 25 septembre 1995 par le Port Autonome de Dunkerque à vendre du sable issu des produits de dragage du port. SCS a vendu en juin et juillet 1997 diverses quantités de ce sable à la société Mat Service qui l'a ensuite revendu à la société BUS, le transport entre le site d'extraction et le destinataire final étant assuré par un transporteur choisi par la société Mat Service. Ce sable contenait des obus datant de la deuxième guerre mondiale, dont 2 ont éclaté, l'un le 14 juin et l'autre le 18 juin 1997, occasionnant des dégâts importants chez la société BUS ; un troisième obus a été retrouvé mais n'a pas éclaté.

Décision attaquée

Par un jugement du 17 mai 1999, le Tribunal de commerce de Dunkerque a condamné la société Mat Service à payer à la société BUS la somme de : 169 232 F avec les intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision, ainsi que 54 801 F à la société Commercial Union avec les intérêts au taux légal à compter du 13 mars 1998, l'a déboutée de son appel en garantie à l'encontre de la société SCS et la société Allianz et du surplus de ses demandes, l'a condamnée à payer à chacune des sociétés BUS et Commercial Union d'une part, et à l'ensemble des sociétés SCS et Allianz d'autre part la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 nouveau Code de procédure civile, a ordonné l'exécution provisoire et mis les dépens à la charge de la partie succombant.

La société Mat Service a formé appel de cette décision.

Moyens et prétention de l'appelant

Dans ses conclusions récapitulatives en date du 9 septembre 1999, la société Mat Service demande à voir infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, déclarer irrecevables les demandes principales de la société BUS et la société Commercial Union, subsidiairement réduire dans de notables proportions la perte d'exploitation alléguée par la société BUS, condamner la société SCS et la société Allianz à la garantir de toutes les condamnations encourues, les condamner à lui payer la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 nouveau Code de procédure civile et condamner la société BUS et la société Commercial Union, ou à défaut la société SCS et la société Allianz à supporter les entiers dépens selon dispositions de l'article 699 nouveau Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, et en réponse aux moyens de procédure soulevés par la société SCS et son assureur, la société Mat Service expose que:

• elle n'a fait que répercuter l'assignation principale qu'elle a elle-même reçue, qu'ainsi une nullité de l'assignation en garantie au regard de l'article 56 nouveau Code de procédure civile entraînerait la nullité de l'assignation principale,

• le fondement juridique de l'action était suffisamment explicite dans ces actes introductifs d'instance,

• la présence d'un obus dans la chose vendue ne constituant pas un vice caché, l'action n'est pas soumise aux règles du bref délai,

• la société BUS et son assureur n'apportent pas de justificatifs des pertes d'exploitation subies, hormis deux rapports contradictoires d'experts d'assurance d'autant plus inopposables à la société Mat Service qu'elle n'est pas couverte par un assureur,

• l'attention de la société SCS était attirée par le Port autonome sur la présence d'engins de guerre et se devait de prendre toute précaution avant de charger le sable qu'elle commercialise sur camion,

• par sa négligence la société SCS a donc failli à son obligation de délivrance conforme et à son obligation de garantie de la possession paisible de la chose vendue,

• s'il n'était pas fait droit aux demandes sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la livraison d'engins de guerre nécessairement intervenue hors contrat engagerait la responsabilité délictuelle de la société SCS,

• d'ailleurs la société SCS était tellement consciente du risque encouru qu'elle avait souscrit une couverture spéciale du fait des mines et engins de guerre, et que son assureur doit donc être tenu de garantir les conséquences du sinistre.

Moyens et prétentions des intimés

La société BUS et la société Commercial Union, par conclusions du 23 août 1999, demandent à voir confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la société Mat Service contractuellement responsable du défaut de conformité à l'égard des concluantes et l'a condamné à payer à la société BUS la somme de : 169 232,62 F, ainsi que 54 801 F à la société Commercial Union outre les intérêts au taux légal, et formant appel incident demandent à voir condamner la société Mat Service au titre d'un préjudice commercial et moral à payer à la société BUS la somme de : 280 000 F, ainsi que 10 000 F au titre de l'article 700 nouveau Code de procédure civile et les entiers dépens selon dispositions de l'article 699 nouveau Code de procédure civile.

Elles expliquent que:

• la société Mat Service n'a aucunement contesté sa responsabilité, se bornant devant le premier juge à discuter le quantum des dommages,

• le moyen tiré d'une irrecevabilité au regard d'une violation de l'article 56 est inopérant car en l'espèce seules les dispositions antérieures au décret du 28 décembre 1998 s'appliquent,

• le préjudice subi par la société BUS est bien supérieur aux pertes d'exploitation allouées en première instance, car il convient de prendre en compte le préjudice moral et commercial.

La société SCS et la société Allianz par conclusions valant constitution du 8 septembre 1999 demandent à voir déclarer l'appel de la société Mat Service irrecevable et mal fondé, et faisant droit à leur appel incident, débouter toutes parties de toutes condamnations contre la société SCS, et condamner la société Mat Service à lui payer 10 000 F au titre de l'article 700 nouveau Code de procédure civile et les entiers dépens selon dispositions de l'article 699 nouveau Code de procédure civile.

Elles soutiennent que :

• L'imprécision de l'assignation reçue lui fait grief car le défendeur ne savait nullement sur quel fondement il serait recherché, ce que l'appelant démontre dans ses conclusions ultérieures en visant cumulativement les articles 1598, 1625 et 1382 du Code civil,

• L'existence d'un contrat entre la société Mat Service et la société SCS s'oppose à l'application de l'article 1382 du Code civil du fait du non-cumul des responsabilités contractuelles et délictuelles,

• Le sable n'est pas une marchandise prohibée, la présence d'obus n'étant qu'un vice caché de ce matériau, et l'article 1598 du Code civil est inapplicable,

• De ce fait, seules les dispositions des articles 1641 et 1642 du Code civil trouvent en l'espèce application avec comme conséquence la nécessité d'agir à bref délai ce que n'a pas fait la société Mat Service, et la connaissance de ce vice qu'avait la société Mat Service en sa qualité d'acheteur professionnel parfaitement informé du risque d'engins de guerre et de la nécessité de procéder au criblage du sable, ce qu'elle n'a pas fait.

II. ARGUMENTATION DE LA COUR

Sur la nullité alléguée de l'acte d'appel en garantie de la société SCS

L'assignation du 21 avril 1998 appelant en garantie la société SCS et son assureur à la requête de la société Mat Service est antérieure à la réforme introduite par le décret du 28 décembre 1998, et les dispositions nouvelles de l'article 56 du nouveau Code de procédure civile lui sont inapplicables. Son libellé fait état du contrat de vente de sable convenu entre la société Mat Service et la société SCS, des dommages occasionnés aux tiers de ce fait; un fax émis le 29 avril 1998 par la société Allianz contenu dans le dossier de plaidoirie de la société SCS et la société Allianz montre que l'assignation principale de la société BUS en date du 13 mars 1998 était jointe à l'assignation à l'assignation en garantie; la réunion d'expertise contradictoire du 5 septembre 1997 avait eu lieue en présence de la société SCS et la société Allianz. L'assignation du 21 avril 1998 dont la nullité est demandée comporte donc de manière suffisamment explicite l'objet de la demande de la société Mat Service, la brièveté de l'exposé des moyens ne faisant pas griefs à la société SCS et la société Allianz dans la préparation de leur défense.

Sur le vice caché et l'action à bref délai qui en résulte

La présence d'obus, corps étrangers au sable livré et aisément séparable par une opération de tamisage, ne saurait constituer un vice caché du sable vendu. Cette présence n'est pas inhérente au matériau objet du contrat et ne rend pas ce sable impropre à l'usage auquel il était destiné. L'action en garantie n'avait donc pas à être engagée dans le bref délai prévu à l'article 1648 du Code civil.

Sur la responsabilité de la société Mat Service envers la société BUS

Il est établi que le dommage subi par la société BUS trouve sa cause dans l'explosion des obus enfouis dans le sable livré par la société Mat Service. Les dommages matériels fixés à dire d'expert et indemnisés par la société Commercial Union à hauteur de 54 801 F ne sont pas contestés. Seul le quantum des pertes d'exploitation et d'un éventuel dommage commercial reste à fixer en cause d'appel.

Les experts ont établi dans le cadre d'une expertise parfaitement contradictoire que les pertes d'exploitation pouvaient être chiffrées à 169 232 F. La société BUS se borne à alléguer un dommage commercial sans fournir le moindre élément de preuve d'un tel dommage complémentaire des pertes d'exploitation subies. C'est donc par des motifs pertinents que les premiers juges ont fixé le préjudice réellement subi par la société BUS à la somme précitée.

Sur l'appel en garantie de la société SCS et de son assureur.

Le sable contenant les engins explosifs a été vendu par la société SCS à la société Mat Service. Ce sable était dragué en mer et mis en dépôt sur des zones de stockage à terre par le Port autonome qui le revendait à la société SCS dans le cadre d'une convention n° 95808 du 12 septembre 1995, seule applicable à la date des faits.

Cette convention retient notamment:

> L'attention des entreprises est attirée sur la possibilité de découverte d'engins de guerre tant au chargement qu'au déchargement.

> Les entreprises signataires s'engagent à prévenir les transporteurs de cette éventualité.

> La responsabilité est transférée à l'entreprise mentionnée sur le bon de pesée après chargement.

> Le prix de vente du sable par le Port autonome à la société SCS comprend prix de fourniture et prix de chargement.

Cette convention prévoit expressément que la société SCS est responsable du sable, avec l'aléa de la présence de mines et obus, dès la pesée qui intervient au chargement sur le camion. Consciente des risques inhérents, la société SCS a d'ailleurs pris soin d'étendre sa responsabilité civile aux dommages occasionnés aux tiers avant et après livraison du fait des mines et d'engins de guerre avec renonciation à recours contre le Port Autonome, ainsi qu'il ressort d'une attestation de son assureur en date du 5 avril 1996.

Le justificatif des tonnages vendus par la société SCS à la société Mat Service est constitué par un récapitulatif des bons de carrières SCS vis-à-vis de la société Mat Service. La société SCS était donc le chargeur apparent du sable, peu important que la société SCS n'ait pas assuré personnellement l'opération matérielle de chargement qu'elle payait au Port autonome.

Lors du chargement sur ses camions la société Mat Service ne pouvait connaître la présence de ces obus, faute d'en avoir été informée par la société SCS qui avait pourtant une obligation de vigilance et une obligation d'information.

Il importe peu que les obus soient des choses hors du commerce, et que leur présence dans le sable rende la livraison non conforme, la résolution de la vente n'étant pas demandée.

La société SCS doit contractuellement garantir à la société Mat Service la possession paisible du sable vendu. La présence des obus dans le sable que la société SCS est présumée connaître y a fait obstacle, et la société SCS doit réparation.

La société Allianz, dont la garantie inclut les dommages causés par les mines et engins de guerre, est solidairement tenue avec la société SCS de relever la société Mat Service des condamnations encourues du fait de ce sinistre.

Sur les demandes accessoires,

Sur les frais irrépétibles

La société BUS et la société Commerciale Union ont du engager tant en première instance qu'en cause d'appel des frais irrépétibles qui seront fixés l'ensemble à 5 000 F pour chacune, et mis à la charge de la société Mat Service.

La société Mat Service a dû engager pour faire valoir ses droits à l'encontre de la société SCS et son assureur, tant en première instance qu'en cause d'appel, des frais irrépétibles qui seront fixés à 5 000F, et supportés solidairement par les défendeurs.

Sur les dépens,

Les dépens tant de première instance que d'appel seront mis à la charge de la société SCS et la société Allianz solidairement, et recouvrés selon dispositions selon dispositions de l'article 699 nouveau Code de procédure civile

III. Décision de la cour

Par ces motifs, LA COUR, Réformant la décision attaquée, > déboute la société SCS de son exception de nullité > confirme les condamnations prononcées à l'encontre de la société Mat Service Y ajoutant > condamne solidairement la société SCS et la société Allianz : • à relever la Société Mat Service ; des condamnations encourues • à lui payer la somme de 5 000 F au titre au titre de l'article 700 nouveau Code de procédure civile > met les dépens tant d'appel que de première instance à la charge de la société SCS et la société Allianz solidairement, et dit qu'ils seront recouvrés selon dispositions de l'article 699 nouveau Code de procédure civile.