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Décisions

CA Rennes, 1re ch. B, 14 avril 2005, n° 04-00692

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Gauthier (Epoux), Le Guenic (Epoux), Le Vagueresse (Epoux)

Défendeur :

Formule Golf (SA), Crédit Immobilier de Bretagne Ouest (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boivin

Conseillers :

Mme Nivelle, M. Bohuon

Avoués :

SCP Castres Colleu Perot & Le Couls-Bouvet, SCP Chaudet-Brebion-Chaudet, SCP Gautier-Lhermitte

Avocats :

Mes Bazire, Gravier, Ploteau

TGI Lorient, du 17 déc. 2003

17 décembre 2003

Faits - Procédure - Moyens

En 1998 et 1999 les époux Gauthier, les époux Vagueresse, et les époux Le Guenic, ont acquis auprès du Crédit Immobilier de France Armorique, désormais Crédit Immobilier de Bretagne Ouest (CIBO), des terrains sur la commune de Gestel contigus au terrain de golf du Val Queven, en vue d'y construire leur maison d'habitation.

Après une expertise judiciaire effectuée par M. Memin, ils ont par acte du 23 avril 2002 assigné le CIBO en dommages et intérêts (respectivement 38 000 euro, 38 000 euro et 55 000 euro) sur les fondements de la garantie des vices cachés et du dol, en raison de la projection de balles de golf sur leurs propriétés.

Par acte du 19 août 2002 le CIBO a appelé en intervention forcée la société Formule Golf, pour voir ordonner sous astreinte la cessation d'exploitation du trou n° 11 et condamnation éventuelle à garantie.

Par jugement du 17 décembre 2003 le Tribunal de grande instance de Lorient a débouté les époux Gauthier, les époux Vagueresse, et les époux Le Guenic, rejeté l'action en garantie du CIBO, dit que sa demande de faire cesser l'exploitation était irrecevable, condamné le CIBO à payer 1 000 euro à la société Formule Golf sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamné les époux Gauthier, les époux Vagueresse, et les époux Le Guenic aux dépens, à l'exclusion de ceux liés à l'appel en intervention forcée, et condamné le CIBO aux dépens de l'appel en garantie.

Les époux Gauthier, les époux Vagueresse, et les époux Le Guenic, ont fait appel le 26 janvier 2004. Ils demandent à la cour de réformer le jugement, de condamner le CIBO à leur payer à titre de dommages et intérêts respectivement 38 000 euro, 38 000 euro et 55 000 euro, outre 3 000 euro à chacun sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, de disjoindre la demande de garantie formée à l'encontre de la société Formule Golf en cas d'incompétence de la cour, et de condamner le CIBO aux entiers dépens.

Ils font valoir que le site enchanteur qui leur avait été promis s'est révélé dangereux et source de tracas en raison de la proximité du golf, que les dispositions prises par le District de Lorient, propriétaire du golf (arbres et filets), se sont révélés insuffisantes et un inconvénient pour la vue, qu'une personne avertie n'aurait pas acquis les terrains riverains de ce parcours compte tenu de l'implantation de celui-ci impliquant des projections directes, que le vendeur ne les a pas avertis d'un risque plus important que la moyenne, et qu'ils ne demandent pas la nullité de la vente parce qu'ils ont construit entre temps.

Le CIBO demande à la cour de confirmer le jugement, subsidiairement de condamner respectivement les époux Vagueresse, les époux Gauthier et les époux Le Guenic à lui verser 38 000 euro, 38 000 euro et 55 000 euro à titre de dommages et intérêts, d'ordonner la compensation, et de débouter la société Formule Golf de son exception d'incompétence, de dire et juger qu'elle devra le garantir de toutes condamnations éventuelles, et de condamner les appelants à lui verser 2 500 euro par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Il fait valoir que les lots acquis ne présentent aucun défaut particulier, que les faits invoqués sont étrangers aux terrains vendus, et connus lors de la vente, que des mesures avaient été prises par la société exploitante du golf depuis une précédente procédure, que les acquéreurs ne contestent pas n'avoir interrogé personne sur les implications de la proximité du golf, qu'ils ne soutiennent pas qu'ils n'auraient pas contracté s'ils avaient connu les défauts invoqués, que le litige est dû aux intrusions anormales des golfeurs, ce que ne conteste pas la société Formule Golf, que l'absence d'action des appelants contre cette dernière est fautive, et que dans l'hypothèse où il serait fait droit aux prétentions des appelants son action en garantie devrait être accueillie, sans que puissent être opposées ni l'antériorité du golf, ni la compétence des juridictions administratives, compte tenu de l'absence de convention exorbitante et de l'existence de voies de fait.

Il demande en outre le rejet des dernières conclusions de la société Formule Golf, comme déposées postérieurement à la clôture de l'instruction.

La société Formule Golf demande à la cour de se déclarer incompétente pour connaître de l'action en garantie dès lors qu'il s'agit d'une question relative à la localisation d'un ouvrage public, de ses conditions d'aménagement et de son fonctionnement, de renvoyer le CIBO à mieux se pourvoir devant le tribunal administratif, à titre subsidiaire de constater que le CIBO n'est pas recevable à se fonder sur les ventes conclues avec les appelants pour tenter de s'exonérer en l'appelant en garantie, qu'il n'est pas recevable non plus à se fonder sur un quelconque trouble de voisinage, et qu'il avait une parfaite connaissance de la situation des terrains, de dire et juger que le CIBO n'a aucune qualité et aucun intérêt à agir à son encontre, et en toute hypothèse de le débouter de toutes ses demandes, et de le condamner à lui verser 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle fait valoir qu'elle souhaite produire un pièce établissant qu'il existe une délégation de service public, contrat administratif par nature, que le golf de Queven est un ouvrage public, que l'indemnisation des dommages en résultant relève de la compétence du juge administratif, qu'il en est de même pour les troubles de voisinage, que seul le maître de l'ouvrage est responsable, et qu'elle-même n'a qu'une obligation d'entretien, qu'elle n'a pas été partie aux ventes litigieuses, que les appelants n'invoquent pas le trouble de voisinage, que le golf est antérieur au lotissement, que le CIBO a déjà été condamné pour des faits similaires, qu'il avait contacté le District de Lorient pour trouver des solutions lui permettant de vendre les terrains en cause, et que le fait de procéder sciemment à la vente des parcelles litigieuses a seul contribué à la création du préjudice.

En outre, par conclusions du 3 février 2005, elle demande à la cour de révoquer l'ordonnance de clôture du 20 janvier 2005 aux motifs qu'elle est trop éloignée de la date des plaidoiries et qu'elle souhaite faire état d'une nouvelle pièce à l'appui de sa thèse.

Motifs

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture.

La demande doit être rejetée en l'absence de cause grave, et seules les conclusions du 7 octobre 2004 antérieures à la clôture de l'instruction du 20 janvier 2005 seront retenues.

Sur les vices cachés.

Il ressort du dossier, notamment du rapport d'expertise, que malgré les mesures de protection mises en place par la société Formule Golf (en particulier le filet qui arrête désormais les coups tendus), la proximité du golf demeure une source de nuisances pour les appelants. En effet les balles de golf continuent à être projetées dans leurs propriétés, ce qui représente non seulement un désagrément certain mais de surcroit un danger, bien que les balles n'arrivent plus directement, et les filets installés constituent incontestablement une nuisance visuelle.

Cependant, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, l'un des caractères du vice au sens de l'article 1641 du Code civil est qu'il doit être inhérent à la chose. Cela n'exclut pas qu'il ait une origine extérieure, mais exclut qu'il provienne d'un usage anormal de la chose contiguë, lequel relève du trouble de voisinage.

Or l'usage normal d'un golf, conforme aux règles du jeu, est d'envoyer les balles dans le sens du parcours, et les terrains litigieux, n'étant pas intercalés dans le dit parcours, ne sont pas normalement susceptibles de recevoir des balles. La projection de balles sur ces terrains relève donc en réalité du trouble de voisinage, voire le cas échéant de la responsabilité civile de droit commun, quand bien même les dits terrains seraient, de par leur caractère contigu, particulièrement exposés au risque.

Les demandes de dommages et intérêts ne peuvent donc être fondées sur la garantie des vices cachés.

Sur le dol

N'étant pas eux-mêmes joueurs de golf, les appelants n'étaient pas censés savoir que l'envoi de balles hors du parcours est fréquent et dangereux, et il est évident qu'ils n'auraient pas acquis les terrains s'ils avaient été conscients de cette réalité.

En outre, dans la mesure où le vendeur, professionnel de la vente, leur vantait les avantages de la proximité du golf, ils n'étaient pas censés imaginer tous les risques potentiels et s'informer plus avant à ce sujet.

Il appartenait au contraire au vendeur, qui lui-même connaissait parfaitement le trouble de voisinage potentiel, pour avoir été condamné à restitution en décembre 1997, par la Cour d'appel de Rennes, concernant le même golf et pour le même problème, de les informer de cet inconvénient.

Le CIBO ne peut d'ailleurs valablement prétendre que des mesures avaient été prises par la société exploitante du golf depuis la procédure de 1997, car il résulte des échanges de courriers entre les appelants et la collectivité publique que les aménagements n'ont été entrepris qu'en 2000, et ce à la suite de demandes réitérées, et si des mesures ont été prises antérieurement, elles ne concernaient pas le parcours n° 11 et les terrains présentement litigieux.

Aussi, en ne donnant aux acquéreurs aucune information directe sur les nuisances existantes, et de surcroît en présentant la proximité des terrains de golf comme n'offrant que des avantages, dissuadant ainsi les acquéreurs de s'interroger sur les inconvénients, le CIBO a incontestablement commis un dol, qui justifie l'octroi de dommages et intérêts en réparation du préjudice.

Malgré les aménagements effectués le trouble reste important et le danger persistant, de sorte que l'évaluation du préjudice au quart de la valeur des immeubles est justifiée, et que les demandes des appelants doivent être accordées.

Sur l'appel en garantie.

Le CIBO invoque la responsabilité quasi-délictuelle de la société Formule Golf au soutien de son appel en garantie.

La cour est compétente pour statuer sur ce recours, quand bien même le contrat passé par la société Formule Golf avec la collectivité publique serait administratif, car le trouble apporté aux terrains litigieux est un acte matériel ne se rattachant à aucune décision, et portant une atteinte par intrusion à la propriété privée. Il est donc susceptible d'être qualifié de voie de fait.

Cependant, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le coauteur fautif d'un dommage n'a pas de recours contre le coauteur non fautif

Or en l'espèce le CIBO a commis une faute, sous la forme d'un dol, et cette faute est l'une des causes du dommage, car sans elle les acquéreurs n'auraient pas été mis dans la situation dangereuse qui préexistait, tandis que la responsabilité de la société Formule Golf ne peut être engagée qu'en tant que gardienne des terrains de golf, donc sans faute.

La demande en dommages et intérêts à l'encontre des appelants est également sans fondement, car ces derniers disposaient d'une action pour le tout sur le fondement contractuel à l'encontre du CIBO, et ils n'étaient donc pas tenus d'agir contre le coauteur éventuel des dommages.

Sur les frais irrépétibles.

Il serait inéquitable de laisser à la charge des appelants et de la société Formule Golf les frais engagés par eux et non compris dans les dépens. Le CIBO sera condamné à verser à ce titre 1 000 euro aux époux Gauthier, 1 000 euro aux époux Vagueresse, et 1 000 euro aux époux Le Guenic, outre l'indemnité de 1 000 euro déjà accordée à la société Formule Golf en première instance.

Par ces motifs, LA COUR statuant en audience publique, par arrêt contradictoire, Rejette l'exception d'incompétence et déclare recevables tant l'appel principal que l'appel en garantie; Réforme le jugement; Condamne le CIBO à payer respectivement aux époux Gauthier, aux époux Vagueresse, et aux époux Le Guenic, les sommes de 38 000 euro, 38 000 euro et 55 000 euro; Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté l'action en garantie du CIBO, et en ce qu'il l'a condamné à payer 1 000 euro à la société Formule Golf sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne le CIBO à verser 1 000 euro aux époux Gauthier, 1 000 euro aux époux Vagueresse, et 1 000 euro aux époux Le Guenic, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toutes les autres demandes; Condamne le CIBO aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

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