CA Grenoble, ch. com., 18 janvier 2006, n° 04-00799
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Lyomat (SA)
Défendeur :
TPA (SARL), Gan Assurances (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Uran
Conseillers :
M. Bernaud, Mme Cuny
Avoués :
Selarl Dauphin & Mihajlovic, SCP Grimaud, SCP Hervé-Jean Pougnand
Avocats :
Mes Benat, Tejtelbaum Tardy, Mages
Selon bon de commande du 25 mars 1998 la société TPA, exerçant une activité de déshydratation du fumier animal et de vente d'engrais, a fait l'acquisition auprès de la société Lyomat d'une chargeuse de type JCB 409 Telemaster équipée d'un chargeur avant.
Ce matériel de démonstration vendu avec une garantie contractuelle d'un an moyennant le prix de 230 000 F HT, a été financé au moyen d'un contrat de crédit-bail souscrit auprès de la société BNP Bail.
Il est aujourd'hui la propriété de la société TPA.
Très rapidement après la livraison du 27 mars 1998 l'acquéreur s'est plaint de nombreux dysfonctionnements qui ont donné heu à diverses interventions de la venderesse.
Le 21 juin 1999 l'expert Rabouin, missionné par l'assureur (Groupama) de la société TPA, a conclu à l'inadaptation du chargeur au travail qui lui était demandé en raison de l'utilisation d'une fourche spéciale pour la manipulation du fumier de cheval, et a fait état dune surchauffe du moteur.
Par acte d'huissier du 22 novembre 1999 la société TPA a fait assigner la société Lyomat à l'effet d'obtenir la résolution de la vente pour défaut de conformité ou vice caché et l'allocation de dommages-intérêts (52 594,91 euro), et subsidiairement la condamnation de la venderesse au paiement des sommes de 38 130,60 euro et de 50 504,91 euro à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de conseil.
Par jugement du 30 mars 2001 le Tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu statuant en matière commerciale, devant lequel la société Lyomat avait appelé en garantie son assureur (Le Gan), a ordonné une expertise aux fins de déterminer la nature, la gravité, la cause des désordres allégués, le coût des réparations nécessaires et le montant des préjudices invoqués.
L'expert Jean-Pierre Eyrard a déposé son rapport le 8 janvier 2002 dont il résulte notamment:
- que le bras de chargement est inadapté à l'outillage spécifique utilisé par la société TPA,
- que la boite de vitesses est hors d'usage, ce qui nécessite des travaux de réparation d'un coût TTC de 26 559,60 euro.
- qu'il existe une surchauffe du moteur due à un mauvais montage du radiateur.
Par jugement du 21 novembre 2003 le Tribunal de grande instance de Bourgoin-Jallieu, retenant le défaut de conseil du vendeur, a condamné la SA Lyomat à payer à la SARL TPA la somme de 25 000 euro à titre de dommages-intérêts, outre indemnité de procédure de 1 500 euro et a mis hors de cause la compagnie GAN.
La SA Lyomat a relevé appel de cette décision selon déclaration reçue le 31 décembre 2003.
Vu ses dernières conclusions signifiées et déposées le 15 septembre 2005 aux termes desquelles elle demande à la cour, par voie de réformation partielle, de débouter la société TPA de l'intégralité de ses prétentions, de condamner à titre subsidiaire la compagnie Gan à la relever et garantir de toutes condamnations prononcées sur le fondement des articles 1641 ou 1184 du Code civil et en tout état de cause de condamner la société TPA à lui payer une indemnité de 4 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile aux motifs essentiels qu'elle a fourni un matériel conforme à la commande, qu'elle a parfaitement rempli ses obligations dans le cadre de la garantie contractuelle d'une année, que l'expertise technique n'a pas mis en évidence l'existence de vices cachés, qu'elle n'a pas manqué à son obligation de conseil alors qu'il a été fait à son insu un usage anormal de la chargeuse (utilisation d'un outil inadapté pour une manipulation intensive de fumier de cheval), qu'il n'est justifié d'aucun préjudice économique et qu'en toute hypothèse son assureur lui doit garantie en cas de défaut de conformité ou de vice caché reconnu.
Vu les conclusions signifiées et déposées le 2 juillet 2004 par la SARL TPA qui sollicite, par voie d'appel incident, la résolution de la vente sur le fondement de l'article 1184 du Code civil et en tant que de besoin sur celui des articles 1641 et suivants du même Code, la condamnation de la société Lyomat à lui payer, outre restitution du prix de 35 063,27 euro, les sommes de 3067,33 euro de frais financiers et de 52 594,91 euro de préjudice économique ou à défaut de 20 000 euro pour privation de jouissance, subsidiairement la condamnation de la venderesse, pour manquement à son obligation de conseil, à lui payer les sommes de 38 130,60 euro représentant le coût du leasing et de 52 594,91 euro au titre de son préjudice économique et en tout état de cause la condamnation de l'appelante au paiement d'une indemnité de procédure de 3 000 euro aux motifs essentiels que l'engin est affecté de désordres mécaniques graves provenant de vices cachés de fabrication (surchauffe moteur et boîte de vitesses) et que la venderesse a manqué à son obligation de conseil en lui livrant un appareil incapable de répondre aux contraintes d'utilisation qu'elle connaissait parfaitement (bras de levage insuffisant pour l'utilisation d'une fourche à fumier).
Vu les conclusions signifiées et déposées le 1er juin 2005 par la compagnie d'assurances Gan qui sollicite la confirmation du jugement en ce qu'elle a été mise hors de cause et la condamnation de la société Lyomat à lui payer une indemnité de 2 000 euro pour frais irrépétibles aux motifs que sa garantie est exclue pour tout dommage provenant d'une insuffisance du matériel vendu, de son inadaptation à l'emploi auquel il est destiné, d'une non-conformité aux spécifications contractuelles, ainsi que pour tout préjudice consécutif à un manquement de l'assuré à son obligation de conseil.
Motifs de l'arrêt
Sur les demandes dirigées contre la société Lyomat
L'expert a tout d'abord constaté que tous les axes du bras de travail de la chargeuse présentaient des jeux importants et une usure anormale pour un service de moins de 1 500 heures.
Il a attribué ce phénomène au surdimensionnement de la fourche utilisée par la société TPA, qui en est la conceptrice et la réalisatrice, ainsi qu'aux contraintes mécaniques excessives imposées au bras par le travail très difficile de cavage demandé à l'engin (basculement de la fourche pour décoller la prise de fumier de cheval se comportant comme un mastic).
Excluant toute anomalie de fabrication, l'expert a considéré d'une part que l'outillage spécifique utilisé par la société TPA était inadapté, et aurait nécessité l'achat d'une machine à deux bras avec cinématique classique à parallélogramme, et d'autre part que les traces de grippage constatées provenaient d'un défaut de graissage.
Les opérations d'expertise ont permis d'établir ensuite que, malgré une intervention effectuée par la venderesse dès la fin du mois d'août 1998, la boîte de vitesses était hors d'usage en raison de la défectuosité de l'échangeur qui ne garantissait pas l'étanchéité des circuits d'huile et de liquide de refroidissement.
L'expert a considéré que ces désordres avaient pour origine une rupture brutale de l'échangeur survenue postérieurement à l'expiration de la garantie contractuelle, il a chiffré à la somme de 26 559,60 euro TTC le coût des travaux de réparation nécessaires.
Enfin il a relevé que le moteur chauffait anormalement, et a attribué ce phénomène à un défaut de conception perturbant l'efficacité du radiateur (distance trop faible entre le faisceau du radiateur et le capot arrière du moteur ne permettant pas un bon écoulement du flux d'air de refroidissement).
Comme le tribunal la cour estime que ces désordres, qui sont de ceux qui pourraient être de nature à rendre l'engin impropre à sa destination, ne caractérisent pas un manquement de la venderesse à son obligation de délivrance. Il n'est pas discuté, en effet, que le matériel vendu est conforme aux spécifications contractuelles, étant observé que l'inadaptation du bras de travail est due à l'utilisation d'un outil spécifique (fourche) qui n'a pas été fourni par la société Lyomat.
Les nombreuses interventions effectuées par cette dernière dans l'année de la vente conduisent, en outre, à exclure tout manquement dans le cadre de la garantie contractuelle d'un an "pièces et main-d'œuvre".
L'usure anormale du bras de chargement, due à l'utilisation d'un outil surdimensionné, ne constitue pas un vice caché en l'absence de tout défaut de fabrication inhérent à la chose vendue, puisque, selon l'expert, ce sont les conditions particulières d'utilisation, dont il n'est pas démontré qu'elles étaient parfaitement connues de la venderesse, qui sont à l'origine des désordres.
En revanche les défaillances mécaniques, clairement mises en évidence par l'expert, constituent des défauts cachés rendant la chose impropre à son usage au sens de l'article 1641 du Code civil. La rupture de l'échangeur, ayant détruit la boîte de vitesses après 853 heures d'utilisation seulement, alors que selon l'expert la durée de vie de l'engin était supérieure à 10 000 heures, trouve nécessairement son origine dans un vice inhérent au moteur lui-même existant en germe au moment de la vente.
A aucun moment, en effet, l'expert n'a fait état sur ce point d'un usage anormal de la chargeuse, dont la faible durée d'utilisation permet d'exclure tout phénomène d'usure lié à la vétusté.
De la même façon la surchauffe chronique du moteur, que l'expert impute sans équivoque à un défaut de conception, est nécessairement de nature à rendre le matériel vendu impropre à sa destination, comme étant exposé à un risque de pannes graves et répétées incompatible avec son utilisation industrielle intensive.
Compte tenu de l'importance des travaux de réparation nécessaires, que l'expert a chiffrés à la somme de 26 559,60 euro pour le seul remplacement de la boite de vitesses, ce qui représente un coût de plus de 60 % du prix d'acquisition, la cour estime par conséquent que le matériel vendu était atteint d'un vice rédhibitoire justifiant la demande en résolution de la vente.
Outre restitution du prix de 35 063,27 euro, la société Lyomat, qui en sa qualité de venderesse professionnelle est irréfragablement présumée connaître les vices de la chose, doit réparer intégralement le préjudice subi par la société TPA.
Le coût de financement du matériel en crédit-bail mobilier s'est élevé à la somme de 3 067,33 euro HT selon l'échéancier établi le 18 janvier 1999 par la société BNP Lease.
Cette somme, acquittée en pure perte par la société TPA, sera mise à la charge de la venderesse.
En revanche il n'est en rien justifié du préjudice économique allégué (52 594,91 euro), correspondant, selon la société TPA, à son manque à gagner au titre des 3 450 heures de travail perdues. Aucune preuve comptable n'est apportée, en effet, de la perte de marge qui aurait été subie ; étant observé que l'expert judiciaire a constaté que la société TPA avait utilisé des engins de remplacement qu'elle possédait.
Ayant connu les désagréments de nombreuses pannes et avaries durant la première année d'utilisation, et étant définitivement privée depuis le mois de juin 1999 d'un engin moderne, dont elle était en droit d'attendre confort et efficacité, la société TPA a toutefois incontestablement subi un trouble de jouissance justifiant l'allocation d'une somme de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts.
Sur l'appel et en garantie dirigé contre la compagnie d'assurances Gan
Le contrat d'assurance multirisque, souscrit par la société Lyomat auprès du Gan, garantit notamment la responsabilité civile professionnelle de l'assuré après travaux ou livraison, ce qui aux termes des conventions spéciales "AC2" englobe l'activité de vente de matériel destiné à l'industrie.
Les conséquences dommageables du vice caché affectant le matériel vendu à la société TPA entrent donc dans le champ de la garantie, et c'est à tort que l'assureur invoque la clause d'exclusion figurant à l'article 4 de l'avenant d'extension de garantie, consacré aux activités spéciales, qui ne vise que l'insuffisance de rendement, l'inadaptation aux travaux ou la non conformité aux spécifications contractuelles.
La garantie du Gan est donc acquise au titre des dommages causés à l'acquéreur par le vice caché de la chose vendue, lequel n'entre pas dans le champ d'application de la clause d'exclusion invoquée, qui est nécessairement d'interprétation stricte.
N'assurant la société Lyomat qu'au titre de sa responsabilité civile, la compagnie GAN ne devra toutefois relever et garantir son assuré que des seules condamnations à dommages-intérêts prononcées au profit de la société TPA, à l'exclusion de la restitution du prix, consécutive à la résolution de la vente, qui trouve sa contrepartie dans la restitution du bien.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire. Après en avoir délibéré conformément à la loi, Infirme le jugement déféré et statuant et nouveau : - prononce la résolution de la vente intervenue entre les parties le 25 mars 1998 sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, - condamne par voie de conséquence la SA Lyomat à payer à la SARL TPA les sommes de 35 063,27 euro en remboursement du prix de vente, de 3 067,33 euro en réparation de son préjudice financier, de 5 000 euro à titre de dommages-intérêts pour trouble de jouissance et de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - condamne la compagnie d'assurances Gan à relever et garantir la société Lyomat des condamnations au paiement des sommes de 3 067,33 euro et de 5 000 euro prononcées au profit de la société TPA. - dit que la société TPA devra tenir le matériel vendu à la disposition de la société Lyomat, Condamne sous la même garantie la SA Lyomat aux entiers dépens, y compris les frais d'expertise, dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP d'avoués Grimaud.