Ministre de l’Économie, 24 août 2006, n° ECOC0600318Y
MINISTRE DE L’ÉCONOMIE
Lettre
PARTIES
Demandeur :
MINISTRE DE L'ECONOMIE
Défendeur :
Conseils de la société Sodiaal
MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIE
Maîtres,
Par dépôt d'un dossier déclaré complet le 24 juillet 2006, vous avez notifié l'acquisition progressive par la société Candia (ci-après " Candia "), filiale de Sodiaal, de quatre tranches d'actions de la société Orlait (ci-après " Orlait ") représentant au total 51 % du capital et des droits de vote de cette dernière. Cette acquisition a été formalisée par un projet de protocole d'accord suffisamment abouti au jour de sa notification.
I. - LES ENTREPRISES CONCERNEES ET L'OPERATION
A. - Les entreprises concernées
Sodiaal est un groupe coopératif laitier français. Il a été créé en 1990 par la mise en commun des actifs des unions coopératives laitières Elnor, Est-Lait, Orlac, Riches Monts, Sully, Ucalm, et enfin Tempé-Lait en1991. Sodiaal transforme et commercialise des produits issus du lait dans quatre branches d'activité :
- le lait de consommation, à travers la société Candia, dont Sodiaal détient 72 %,
- les produits frais, à travers la société Yoplait, dont Sodiaal détient 50 %,
- les fromages, à travers les Fromageries Riches Monts, et
- la poudre de lait, à travers la société Sodiaal Industrie et la matière grasse à travers Beuralia dont Sodiaal détient 48 % du capital
En 2004, Sodiaal a réalisé un chiffre d'affaires mondial de 2,24 milliards d'euro, dont [...] milliards dans la Communauté européenne, et un chiffre d'affaires en France de [...] milliard d'euro.
Orlait est une société anonyme active dans le secteur du négoce et de la commercialisation de lait de consommation longue conservation, ainsi que plus marginalement de crèmes UHT, principalement auprès de la grande distribution française sous marque de distributeur. Orlait est également active dans le secteur de la fabrication et la commercialisation de fromages à pâte molle via sa filiale Fromagerie les Courtenay, qu'elle détient à 99,3 %. Toutefois, aux termes du projet de protocole d'accord, Orlait s'est engagée à céder à un tiers sa participation dans la société Fromagerie les Courtenay, cette cession devant intervenir pendant la période intermédiaire de l'opération, telle que décrite ci-après. Orlait a réalisé en 2004 un chiffre d'affaires total de194 millions d'euro, en France exclusivement.
B. - L'opération
L'opération consiste en la cession progressive par la Société Financière de l'Oise (" SFO ") à Candia, filiale de Sodiaal, de quatre tranches d'actions d'Orlait représentant au total 51 % du capital et des droits de vote d'Orlait. Les trois premières tranches d'actions, représentant chacune 10 % du capital et des droits de vote d'Orlait, interviendront respectivement en 2006, le 1er mai 2007 et le 1er mai 2008. La quatrième tranche d'actions, représentant 21 % du capital et des droits de vote d'Orlait, interviendra le 1er mai 2009. Aux termes du projet de protocole d'accord, l'acquisition des quatre tranches d'actions constitue une même opération indivisible : Candia s'engage irrévocablement à acquérir les quatre tranches d'actions auprès de SFO, tranches d'actions qui seront déposées en séquestre auprès d'Orlait et cédées aux dates indiquées cidessus à Candia.
2 Au regard des dispositions prévues au projet de protocole d'accord notifié, Sodiaal / Candia disposera dès l'acquisition de la première tranche d'actions de droits de veto lui conférant le contrôle conjoint d'Orlait avec SFO. En effet, le droit de veto des membres du conseil de direction désignés par Sodiaal / Candia sur les modifications substantielles et/ou la conclusion de nouveaux contrats de fourniture de lait permet de démontrer l'existence d'un contrôle conjoint. Compte tenu de la nature de l'activité de négoce d'Orlait, les contrats de lait sont stratégiques et constituent la totalité des approvisionnements. Cet élément, combiné à la répartition des sièges au conseil de direction et aux autres droits de veto conférés aux membres désignés par Sodiaal / Candia met en exergue qu'il s'agit en l'espèce d'un contrôle conjoint précédant une prise de contrôle exclusif. En effet, en vertu des engagements pris dans le projet de protocole d'accord, la période de contrôle conjoint cessera lors de la cession de la quatrième tranche d'actions, le 1er mai 2009 ; à cette date, Sodiaal / Candia disposera de 51 % du capital d'Orlait, et toutes les décisions du conseil de direction devront avoir son accord, sans que les représentants des autres actionnaires soient en mesure d'y opposer un veto. Enfin, le président du conseil de direction ne disposera plus d'une voix prépondérante en cas d'égalité du nombre de votes relatifs à une décision relevant de la compétence du conseil de direction.
Aux termes de la communication de la Commission européenne relative à la notion de concentration, " lorsqu'une opération donne lieu à un contrôle en commun pendant une période de démarrage, mais que l'existence d'accords juridiquement contraignants indique que, à ce contrôle en commun, sera nécessairement substitué un contrôle exclusif exercé par l'un des actionnaires, l'ensemble de l'opération doit, normalement, être considéré comme une prise de contrôle exclusif1. " Aussi a-t-elle pu connaître de cas où ce point trouvait à s'appliquer. 2
Le ministre lui-même a examiné, dans sa lettre C 2004-79 du 28 juin 2004 au conseil du Groupe Caisse d'Épargne3, dite " Eulia II ", ce type de prise de contrôle exclusif avec période de démarrage en contrôle conjoint. Il en a conclu que, la période initiale de contrôle conjoint du GCE et de la CDC sur la CNCE étant vouée à cesser au bout de trois ans en vertu d'accords juridiquement contraignants, il n'apparaissait pas nécessaire de contrôler au titre du contrôle des concentrations la période transitoire. Cette opération fut donc examinée sous l'angle du contrôle exclusif dès l'abord.
Au cas d'espèce, l'opération s'analyse donc comme l'acquisition d'un contrôle exclusif de Sodiaal /Candia sur Orlait puisqu'elle conduit à l'exercice d'un contrôle conjoint pendant une période de démarrage de trois ans, mais qu'en application d'accords juridiquement contraignants ce contrôle conjoint sera transformé en contrôle exclusif de Sodiaal / Candia. Elle constitue donc une opération de concentration au sens des dispositions de l'article L. 430-1 du Code de commerce.
Au regard des chiffres d'affaires des entreprises concernées, l'opération ne revêt pas une dimension communautaire. Elle est en revanche soumise aux dispositions des articles L.430-3 et suivants du Code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. - LES MARCHES CONCERNES
L'opération de concentration affecte essentiellement, à l'aval, les secteurs de la production et la commercialisation de laits de consommation, et plus marginalement le secteur connexe de la production et de la commercialisation de crème UHT, secteurs dans lesquels les activités des parties se chevauchent, et à l'amont, le secteur de la collecte de lait.
A. - Les marchés de produits à l'amont
S'agissant des marchés à l'amont, le ministre a, aux termes de plusieurs décisions4, défini des marchés distincts de collecte de lait selon le type de lait concerné (lait de vache, lait de brebis, etc). Pour les besoins des cas d'espèce, l'existence de marchés géographiques locaux, au plus régionaux, a été retenue. Selon cette segmentation, les parties seraient ici directement ou indirectement5 actives en tant que collecteurs sur plusieurs marchés régionaux de collecte de lait de vache.
Il est toutefois relevé que les parties commercialisent en aval du lait de vache issu de l'agriculture biologique. Cette spécialité de lait ne résulte bien sûr pas d'une transformation du lait dit " conventionnel ", mais d'exigences particulières dans son mode de production. Les opérateurs, tels que les parties, désireux de commercialiser du lait de vache dit " biologique " assurent donc sa collecte auprès des producteurs qui mettent en œuvre une forme d'élevage ad hoc. Il est donc légitime de s'interroger sur la pertinence d'une définition d'un marché de la collecte du lait de vache biologique, distinct d'un marché de la collecte de lait de vache conventionnel.
Pour produire le lait dit " biologique ", les vaches font l'objet de conduites d'élevage traditionnelles, qui sont déterminées par les normes Agriculture Biologique. Le logo AB, ainsi que sa procédure d'attribution, ont été mis en place par le ministère de l'agriculture. Pour l'obtenir, le producteur doit faire l'objet d'un contrôle et obtenir la certification d'un organisme agréé. Ce dernier garantit (i) le respect d'un cahier des charges concernant le mode de production biologique des produits d'origine animale, et (ii) que le lait est issu d'un mode de production mettant en œuvre des pratiques spécifiques (emploi d'engrais verts, lutte naturelle contre les parasites et utilisation strictement limitée de produits de fertilisation, de traitement, de stockage et de conservation). Ces contraintes de production sont répercutées sur le prix de vente du lait " biologique " aux collecteurs. Si le prix du lait " biologique " suit le cours du lait " conventionnel ", il lui est ajouté une prime dont le montant varie selon les collecteurs6. Enfin, il est en outre relevé que compte tenu de la faiblesse de la demande en lait de consommation biologique, environ un tiers de la production de lait biologique est déclassée en lait conventionnel. Ainsi, il apparaît une asymétrie quant à une substituabilité du côté de l'offre : si le producteur de lait dit " biologique " peut être actif sur un marché de la collecte de lait de vache " conventionnel ", la réciproque n'est pas vérifiée.
En tout état de cause, dans la mesure où quelle que soit la délimitation des marchés de produits amont concernés, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées, il n'est pas nécessaire de les définir précisément. Pour les besoins de l'analyse, l'impact de l'opération sera toutefois observé sur chacun des segments envisagés.
B. - Les marchés de produits à l'aval
Les autorités de concurrence, tant nationale que communautaire, ont déjà eu à examiner des opérations de concentration dans les secteurs de la production et de la commercialisation de laits de consommation, et dans celui de la production et de la commercialisation de crème UHT.
Outre les segmentations par type de produits, telles que définies par la jurisprudence ou envisagées au cas d'espèce (1), il sera également opéré, conformément à la pratique des autorités françaises de concurrence, une distinction au sein de chaque marché de produits concernés entre les différents circuits de distribution, compte tenu notamment des différences concernant les prix pratiqués et les intervenants (2).
1. Segmentation par types de produits
Dans sa lettre du 20 mai 1998 Besnier / Sociétés Laiterie Ladhuie et Ladhuie Distribution, le ministre a défini le marché national du lait de consommation. Ce lait peut être conditionné sous forme de brique ou en bouteille.
Dans sa décision M.3130 Arla Foods / Express Dairies du 10 juin 2003, la Commission européenne a identifié un marché de la fourniture de laits longue conservation (Ultra-Haute-Température, dit " UHT ", et stérilisés) par opposition à un marché de laits frais. Le lait frais et le lait longue conservation diffèrent notamment par leurs caractéristiques de stérilisation (le lait frais est pasteurisé, le lait longue conservation est stérilisé voire stérilisé UHT), de conservation (5 à 7 jours pour l'un, 3 mois pour l'autre), et de prix (le lait frais étant plus cher que le lait longue conservation).
En outre, dans cette même décision, la Commission européenne a considéré que le marché de la fourniture de laits aromatisés constitue un marché distinct, compte tenu de leur composition (mélange de lait et d'une autre boisson, comme les jus de fruits). Ce lait peut être conditionné sous forme de brique ou en bouteille.
Quant à la pertinence d'une segmentation entre les différents laits dits spéciaux (biologiques, vitaminés ou de croissance), le ministre, dans sa lettre C2005-47 du 8 juillet 2005 aux conseils de la société Orlait, avait laissé la question ouverte. Il avait alors relevé que les parties estimaient que " les laits biologiques, vitaminés ou de croissance ne constituent pas autant de marchés pertinents dans la mesure où ils sont produits de manière indifférenciée par les différents opérateurs, relèvent d'une gamme de produits et répondent à la satisfaction d'un même besoin pour le consommateur final ". Au cas d'espèce, les parties ne considèrent pas non plus qu'il est pertinent de distinguer entre les laits dits spéciaux. Il est toutefois relevé que ces laits ne sont pas produits de manière indifférenciée par les différents opérateurs, que la position des opérateurs dans chacun de ces segments est hétérogène, et qu'en outre, ils ne répondent pas systématiquement à la satisfaction d'un même besoin pour le consommateur (le lait de croissance notamment), et qu'il existe une différence de prix entre les laits spéciaux et le lait conventionnel, et entre chacun de ces laits spéciaux. En tout état de cause, dans la mesure où quelle que soit la délimitation des marchés de produits ici concernés, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées, il n'est pas nécessaire de les définir précisément. Pour les besoins de l'analyse, l'impact de l'opération sera toutefois observé sur chacun des segments envisagés.
Enfin, s'agissant de la fourniture de crème, le ministre a déjà envisagé, dans une décision récente7, une segmentation en fonction des caractéristiques de la crème, selon qu'elle soit fraîche ou UHT. Les marchés de produits qui viennent d'être distingués peuvent faire l'objet de segmentations plus fines eu égard à la diversité des formes de leur commercialisation.
2. Les réseaux de distribution
a) La grande distribution et les commerces à dominante alimentaire.
En France, l'essentiel de la distribution du lait de consommation et de la crème est assuré par les grandes et moyennes surfaces (GMS). Une segmentation supplémentaire peut être envisagée selon le positionnement commercial du produit. Il existe en effet des produits de marque de fabricant (MDF) d'une part, et des produits de marques de distributeur (MDD), marques premier prix (MPP) et marques de hard discount (MHD) d'autre part.
Dans sa lettre du 28 octobre 2005 aux conseils des sociétés Finance et Management, Entremont et Unicopa, le ministre s'est interrogé dans le secteur connexe du fromage sur une éventuelle segmentation entre, d'une part, les produits destinés à être revendus sous MDF, et d'autre part, les produits destinés à être revendus sous MDD/MPP/MHD.
A l'instar de ce que le ministre relevait dans le secteur des fromages, s'agissant des MDF, il est relevé au cas d'espèce que contrairement au circuit d'approvisionnement des produits MDD/MPP/MHD, les marchés de MDF ne font pas l'objet d'appels d'offres. De plus, les achats de ces produits ne sont pas conditionnés au respect de cahiers des charges prédéfinis et ils donnent lieu à une rémunération du distributeur dans le cadre de contrats de coopération commerciale. Enfin, la grande distribution, d'une manière générale, se doit de disposer d'au moins une MDF dans ses assortiments en matière de lait.
Selon les parties, à tout le moins, les produits destinés à être revendus sous MDD/MPP/MHD sont sur le même marché d'approvisionnement. Elles arguent alors que les acheteurs sont identiques (par exemple Carrefour, Auchan et Intermarché) et que les marchés fonctionnent pour partie par appels d'offres. Par analogie avec la décision du ministre précitée, elles indiquent que la grande distribution peut lancer des appels d'offres et décider au dernier moment de changer le positionnement commercial du produit (MDD/MPP), et que partant, il y aurait donc, tant du côté de l'offre que de la demande, une substituabilité tendant à confirmer l'existence d'un marché unique de l'approvisionnement du lait et des fromages sous MDD/MPP/MHD.
Au cas d'espèce, dans le secteur de la fourniture de laits de consommation à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire, il est toutefois relevé que si les MPP et les MHD font l'objet d'appels d'offres systématiques, le cas est moins vrai s'agissant des MDD. La plupart des contrats de fourniture de laits de consommation MDD sont négociés plusieurs fois dans l'année, de gré à gré. En outre, il est observé, tel qu'il sera développé plus avant, une forte substituabilité au niveau du consommateur entre les laits de consommation MDD et les laits MDF.
En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de conclure quant à l'existence de marchés distincts suivant le positionnement commercial des produits dans la mesure où les conclusions de l'analyse concurrentielle ne s'en trouveraient pas modifiées.
b) La restauration hors foyer (" RHF ").
La RHF regroupe notamment les opérateurs du circuit de la restauration commerciale et de la restauration collective (grossistes, cash and carry, chaîne de restauration, etc...). Le circuit d'approvisionnement de la RHF se distingue de la vente aux GMS. En outre, les besoins de la RHF en termes de diversité de gamme sont moindres que ceux des GMS8.
Au cas d'espèce, il est relevé que pour les besoins de la commercialisation des laits de consommation et de la crème UHT à la RHF, Orlait utilise un circuit de distribution particulier, ses produits passant par l'intermédiaire de grossistes parisiens qui approvisionnent la RHF dans son ensemble et les petits commerçants indépendants. Sodiaal utilise également le même type de circuit de distribution, mais sur toute la France.
En tout état de cause, il n'est pas nécessaire de conclure quant à l'existence de marchés distincts de l'approvisionnement de la RHF dans la mesure où l'analyse concurrentielle ne s'en trouverait pas modifiée.
Sur ce circuit, la quasi-totalité des volumes de lait commercialisés correspond à du lait de consommation longue conservation. Outre du lait, les parties commercialisent également sur ce circuit de la crème UHT. Pour les besoins de l'analyse, l'impact de l'opération sera donc observé sur un marché de la fourniture de lait de consommation à la RHF et un marché de la fourniture de crème UHT à la RHF.
c) L'industrie agroalimentaire (" IAA ").
Les principaux acheteurs sur ce circuit sont les grandes multinationales de l'alimentation, telles que Nestlé, Unilever ou Masterfoods. Les produits vendus sur ce circuit sont ensuite incorporés dans d'autres produits plus élaborés et vendus sous les marques de ces multinationales de l'alimentation, ou sous MDD. Les parties à l'opération ne sont pas actives sur ce circuit. Au cas d'espèce, il n'est donc pas nécessaire de conclure quant à l'existence d'un marché distinct de l'approvisionnement de l'IAA en lait et en crème UHT.
C. - Les marchés géographiques
1. Les marchés amont de la collecte de lait de vache
Dans sa pratique décisionnelle antérieure9, le ministre a retenu pour la collecte de lait de vache l'existence de marchés géographiques locaux, et généralement analysé des marchés de taille régionale.
2. Marché de la fourniture de lait de consommation longue conservation à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire.
Dans sa pratique décisionnelle antérieure10, le ministre a retenu pour le lait de consommation l'existence d'un marché géographique national.
3. Marché de la fourniture de lait de consommation frais à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire
Dans sa pratique décisionnelle antérieure11, le ministre a retenu pour le lait de consommation l'existence d'un marché géographique national.
4. Marché de la fourniture de lait aromatisé à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire
Dans sa pratique décisionnelle antérieure12, le ministre a retenu pour le lait aromatisé l'existence d'un marché géographique national.
5. La fourniture de lait biologique, de lait vitaminé et de lait de croissance à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire
A ce jour, le ministre n'a pas identifié ces segments pour les besoins de l'analyse d'une opération de concentration, et ne s'est par conséquent pas interrogé sur leur délimitation géographique.
Dans le domaine alimentaire, comme plus étroitement sur les marchés ci-dessus identifiés, les autorités de concurrence considèrent traditionnellement les marchés comme de dimension nationale. Les préférences, les goûts et les habitudes des consommateurs, les différences de prix, des variations de parts de marché des opérateurs dans les différents États membres, et la forte présence de marques nationales justifient cette approche. Elle s'applique en l'espèce à l'approvisionnement de la grande distribution, notamment en raison de ses préférences pour les produits d'origine nationale.
Au cas d'espèce, il n'est pas nécessaire de conclure sur la délimitation géographique de ces segments dans la mesure où l'analyse concurrentielle ne s'en trouverait pas modifiée. Pour les besoins de l'analyse de la présente opération, ces segments seront considérés au niveau national.
6. Marché de la fourniture de crème UHT à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire
Dans sa pratique décisionnelle antérieure13, le ministre a retenu pour la crème l'existence d'un marché géographique national.
7. Le marché de la fourniture de lait de consommation à la RHF et le marché de la fourniture de crème UHT à la RHF
A ce jour, le ministre n'a pas identifié ces segments, et ne s'est par conséquent pas interrogé sur leur délimitation géographique.
S'il est constaté que les clients de la RHF sont moins sensibles à la provenance géographique du lait de consommation et de la crème UHT, et que leurs importations sont plus importantes sur ce circuit que sur le circuit de la grande distribution, notamment à la proximité des frontières allemande et belge, il demeure que les opérateurs qui y sont actifs sont pour une très large part des opérateurs nationaux.
En tout état de cause, la question de la délimitation géographique de tels marchés peut être laissée ouverte dans la mesure où, quelle que soit cette délimitation, les conclusions de l'analyse demeureront inchangées. Pour les besoins de la présente, l'analyse concurrentielle sera menée sur des marchés nationaux.
III. - L'ANALYSE CONCURRENTIELLE
A. - Les marchés de la collecte de lait de vache
Sodiaal collecte en direct, à travers ses coopératives adhérentes, [....] milliards de litres de lait, soit environ [0-10] % de la collecte nationale de laits de vache, sur 61 départements. Orlait collecte, à travers ses adhérents et cocontractants, [...] millions de litres de lait sur 19 départements, soit environ [0-10] % de la collecte nationale de laits de vache. Les principaux collecteurs de laits de vache au niveau national sont Lactalis ([10-20] % de la collecte), Bongrain ([0-10] %), 3A ([0-10] %), Danone ([0-10] %) et Eurial ([0-10] %).
Quant à la collecte de lait biologique, au niveau national et en 2005, elle a représenté 280 millions de litres, soit environ 1 % du total de la collecte de lait. Sodiaal en a collecté [...] millions de litres, soit [0-10] % du total du lait biologique, dont 30 % ont été déclassés en lait conventionnel. Lactalis est le principal collecteur de lait biologique. Orlait, via son partenaire VPM, s'approvisionne auprès d'un GIE via un contrat 'achat de lait correspondant aux volumes de lait biologique qu'elle commercialise. Les partenaires d'Orlait 'ont pas de collecte propre de lait biologique.
L'opération entraîne un chevauchement entre l'activité directe ou indirecte de collecte de laits de vache es parties sur 8 régions administratives dans les proportions reprises dans le tableau suivant :
<emplacement tableau>
A la suite de l'opération, la nouvelle entité collectera directement ou indirectement entre [20-30] % et [40-50] % du lait produit dans 4 régions : l'Auvergne, le Nord-Pas-de-Calais, le Centre, et la Picardie.
Sur chacune de ces régions, la nouvelle entité demeure confrontée à la concurrence d'autres collecteurs. Ainsi, en Auvergne, les principaux concurrents de la nouvelle entité sont URCVL ([10-20] % de la collecte), Toury ([10-20] %), Lactalis ([10-20] %), 3A ([0-10] %) ou encore Centre Lait ([0-10] %). Dans la région Nord- Pas-de-Calais, les principaux concurrents de la nouvelle entité sont Prospérité Fermière ([30-40] %), Nestlé ([0-10] %), Novandie ([0-10] %), Senoble ([0-10] %) et Danone ([0-10] %). Dans la région Centre, Bel ([20- 30] %), Triballat ([10-20] %), Verneuil ([10-20] %), Poitouraine ([10-20] %) et Senoble ([0-10] %). Enfin, en Picardie, les principaux concurrents de la nouvelle entité sont Lactalis ([20-30] %), Bongrain ([10-20] %), Nestlé ([10-20] %), Senoble ([0-10] %) et Danone ([0-10] %).
Il apparaît donc que dans chacune des régions de collecte affecteés par l'opération, les producteurs conservent un nombre important de débouchés alternatifs à la nouvelle entité.
En outre, compte tenu de la structure du marché, la notion de part de marché elle-même doit être relativisée et ne constitue pas un bon instrument d'analyse du pouvoir de marché. Il est en effet relevé que :
(i) les adhérents de Sodiaal et les fournisseurs d'Orlait sont des coopératives
Les statuts de la coopération impliquent une clause d'exclusivité, qui induit que la coopérative collecte la totalité du lait de ses adhérents. Ces derniers ont, par ailleurs, droit au renouvellement de leur adhésion à la coopérative, comme le dispose l'article R. 522-4 du Code rural : " si l'associé coopérateur n'a pas manifesté sa décision de se retirer au terme normal de sa période d'engagement, cet engagement est renouvelé par tacite reconduction pour une période de même durée, selon les dispositions des statuts et du règlement intérieur en
vigueur à la date du renouvellement. " Les conditions d'exclusion d'un coopérateur sont limitées, puisque, selon l'article R. 522-8 du Code rural, " l'exclusion d'un associé coopérateur peut être prononcée par le conseil d'administration pour des raisons graves, notamment si l'associé coopérateur a été condamné à une peine criminelle, s'il a nui sérieusement ou tenté de nuire à la société par des actes injustifiés ou s'il a falsifié les produits qu'il a apportés à la coopérative. " Ainsi, les coopératives ne sont pas maîtresses de leurs approvisionnements.
(ii) à l'inverse des coopératives, les sociétés privées actives sur les marchés de la collecte peuvent librement arbitrer et déterminer la localisation et les volumes de leurs ressources laitières
Pour vendre leur lait, les agriculteurs ont le choix entre l'adhésion à une coopérative, qui garantit la collecte de la totalité de la production de lait de ses adhérents pour une durée légale minimum de cinq ans, et un contrat de vente avec une société privée (par exemple Lactalis), dans lequel le prix du lait est souvent légèrement supérieur à celui pratiqué par les coopératives, mais pour une durée contractuelle variable. Chacun effectue donc son choix selon les acteurs présents dans sa région. Toutefois, le statut légal des coopératives détermine la zone géographique où celles-ci peuvent exercer leur activité. Les coopératives n'ont donc pas la liberté de choisir l'implantation de leurs ressources laitières (notamment en fonction des coûts de collecte les plus faibles). A l'inverse les sociétés privées peuvent librement arbitrer et déterminer la localisation et les volumes de leurs ressources laitières en fonction de leurs besoins économiques et géographiques.
En conséquence, compte tenu de la structure du marché, notamment du fait que la nouvelle entité ne sera pas maîtresse d'une grande partie de son approvisionnement, il est admis que l'opération n'aura aucun impact sur les marchés amont de la collecte de lait de vache en raison de la position de collecteur de la nouvelle entité.
B. - Les marchés de la fourniture de laits de consommation et de crème UHT
1. Contexte économique du secteur de la transformation laitière
Quatre types de produits différents permettent de valoriser le lait de vache : (i) les produits ultra-frais, (ii) les fromages, (iii) le lait de consommation, (iv) les produits industriels (poudres de lait, poudres de lactosérum, caséines et caséinates, beurres, matières grasses laitières anhydrides, dites " MGLA ", et butteroil). Les trois premiers produits sont regroupés sous l'appellation " produits de grande consommation (PGC) ". Les poudres de lait sont " stockables " et vendues sur un marché mondial. Pour chacun de ces produits, le lait subit un processus de transformation industrielle. Seuls deux acteurs importants (Sodiaal et Lactalis) sont présents sur ces quatre métiers. Tous les autres sont présents sur un ou plusieurs d'entre eux.
Le lait de consommation est conditionné, pour sa quasi totalité, selon deux modes : les briques et les bouteilles. La teneur en matière grasse fait l'objet d'une réglementation et de normes (lait entier, demi écrémé ou écrémé) ; l'agrément " agriculture biologique " également. Les produits sont donc pour une très large part totalement standardisés.
Le prix du lait payé aux producteurs est bien sûr fonction du prix payé par les industriels en aval, mais également fonction du soutien au marché apporté par les pouvoirs publics, notamment dans le cadre de la PAC. Ce dernier déterminant connaît une évolution. L'entrée en vigueur en 2004 des décisions prises par le Conseil européen de Berlin de 1999 et des accords de Luxembourg de juin 2003 - que l'on appelle la nouvelle PAC - a modifié en profondeur l'organisation commune des marchés (OCM) du lait et des produits laitiers. En particulier, ces mesures comprennent une baisse des prix d'intervention du beurre et des poudres de lait. La baisse du prix d'intervention du beurre est de 25 % (trois fois -7 % et une fois -4 %) en 2004, 2005, 2006 et 2007. Celle de la poudre de lait est de 15 % (trois fois -5 %) en 2004, 2005 et 2006. Cette baisse des prix d'intervention a donc un impact négatif sur le prix du lait payé au producteur. Les estimations fournies en 2004 donnaient une fourchette de baisse comprise entre 10 et 20 %14.
La baisse des prix d'intervention sur le beurre et sur les poudres de lait diminue la rentabilité absolue et relative de ces produits. Selon les spécialistes sectoriels, cette baisse de la rentabilité relative entraînera nécessairement un report important de la valorisation du lait collecté en produits industriels vers les produits de grande consommation. En d'autres termes, la réforme de la PAC entraîne un choc d'offre sur les produits de grande consommation. Le cahier n°24 de l'Onilait de 2004 énonce " Avec la baisse des prix d'intervention programmée pour le beurre (- 25 % d'ici 2007) et la poudre de lait écrémé (-15 % d'ici 2006), le différentiel de valorisation du lait entre les produits industriels (PI) et les produits de grande consommation (PGC), déjà important aujourd'hui, devrait s'amplifier. Le risque de voir des entreprises ne pouvant effectuer une péréquation entre PI et PGC se désengager des fabrications industrielles est important, avec des répercussions non négligeables sur le secteur des PGC".
Le mouvement de report des produits industriels vers les produits de grande consommation est déjà lancé et pourrait s'accélérer au fur et à mesure des baisses des prix d'intervention. Ainsi, la coopérative VPM transformait-elle, il y a quelques années, la totalité de sa collecte en produits industriels. Elle a commencé à investir dans une ligne bouteille (40 millions de litres), qui est venue se substituer à des transformations en produits industriels. L'usine de Petit Fayt dans le Nord appartenant à Lactalis transformait la plus grande partie de son lait en produits industriels. Le nouvel outil en lait de consommation est venu se substituer à des produits industriels. La coopérative Unilep a mis en place de nouvelles capacités avec une autre coopérative
(ULM) qui, à la suite de l'arrêt des contrats qu'elle avait avec Lactalis, s'est retrouvée avec des laits qu'elle valorisait mal en produits industriels (moins bien qu'auparavant avec les contrats Lactalis) et a investi en lait longue conservation pour obtenir une meilleure valorisation.
Le secteur du lait longue consommation se trouve aujourd'hui en surcapacité du fait des investissements réalisés ces dernières années. Les capacités de production de lait UHT en bouteille plastique créées en 2004 s'élèveraient à 300 millions de litres, selon une étude réalisée par le cabinet Sofra (15).
Cette évolution touche tous les pays européens producteurs de lait, mais les caractéristiques de la filière française en accentuent les effets. En premier lieu, la France est fortement productrice de produits industriels (30 % du lait collecté). En second lieu, la transformation laitière est peu concentrée et possède un grand nombre d'entreprises (312 entreprises laitières de plus de 20 salariés assurent plus de 90 % de la transformation). Enfin, du fait de disparités régionales importantes, certaines d'entre elles sont fortement spécialisées en produits industriels16.
Dans les autres pays européens, soumis au même contexte de mise en œuvre de la réforme de la PAC et de baisse du prix du lait, les restructurations ont été menées depuis plusieurs années, avec une concentration forte de la production (réduction du nombre d'exploitations et accroissement de leur taille), comme de la transformation. Les pays du nord de l'Europe sont ceux qui sont les plus avancés dans ces restructurations. Le Royaume-Uni ne compte plus que 130 laiteries et l'Allemagne 118 (contre 360 en 1990). Au Danemark et en Suède, Arla Foods est en position de quasi monopole (93 % du lait travaillé). En Finlande, Valio est en position de quasi-monopole. Aux Pays-Bas, le duopole de Friesland Coperco Dairy Foods et de Campina contrôle 80 % de la collecte et de la transformation. En Irlande, trois grands opérateurs se partagent 70 % de la transformation : Kerry, Glanbia et Dairygold.
2. Analyse concurrentielle de l'opération sur les marchés nationaux de la fourniture de laits de consommation et de crème UHT à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire.
Ainsi que développé dans la partie relative aux marchés concernés, il peut être distingué au sein des laits de consommation commercialisés aux GMS plusieurs marchés : celui du (i) lait de consommation longue conservation, du (ii) lait de consommation frais, du (iii) lait de consommation aromatisé, du (iv) lait " biologique ", du (v) lait vitaminé, et enfin du (vi) lait de croissance.
En 2005, le poids relatif en volume de chaque type de lait identifié dans le secteur de la fourniture de laits de consommation à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire s'établit comme suit :
<emplacement tableau>
Après une présentation des parts de marchés des parties à la concentration sur ces marchés, ainsi que sur celui de la fourniture de crème UHT à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire, l'analyse concurrentielle sera développée sur le premier d'entre eux en terme de volumes : le marché de la fourniture de lait de consommation longue conservation à la grande distribution et aux commerces alimentaires. Bien que les parts de marchés des différents opérateurs, dont celles des parties, diffèrent selon les marchés ci-dessus distingués, l'analyse développée sur le marché de la fourniture de lait de consommation longue conservation à la grande distribution et aux commerces alimentaires vaudra également pour ces autres marchés de laits dits " spéciaux ". En effet, l'instruction a permis de mettre en exergue que la structure de chacun de ces marchés connexes est similaire, les acteurs, acheteurs et mode de négociation et de formation des prix étant en effet les mêmes.
a) Présentation des parts de marchés des parties et de leurs principaux concurrents sur les marchés de la fourniture de laits de consommation et de crème UHT à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire.
Conformément à la pratique décisionnelle17, les tableaux ci-dessous présentés fournissent les parts de marché des parties et de leurs concurrents pour l'ensemble du marché considéré, puis distinguent ensuite ces parts de marchés entre les trois segments MDD, MPP et MHD.
Parts de marchés des parties et de leurs concurrents sur les marchés de la fourniture de lait de consommation longue conservation (tous types confondus) à la GMS et aux commerces à dominante alimentaire en 2005.
<emplacement tableau>
En toute logique, la représentativité des différents acteurs est ici largement conduite par celle constatée sur un marché du lait de consommation longue conservation " conventionnel ", telle qu'établie ci-dessous.
<emplacement tableau>
Sur ce marché, comme sur le secteur considéré dans son ensemble, Sodiaal/Candia est en position de leader, avec entre [20-30] % et [30-40] % de part sur les segments MDD/MPP/MHD, [50-60] % de part sur le segment des MDF, et près de [30-40] % tous segments confondus. Orlait est l'un des trois acteurs importants du marché, avec une part allant de [10-20] % à [20-30] % sur les segments MDD/MPP/MHD, et de [10-20] % tous segments confondus.
Après l'opération, la nouvelle entité sera en position très forte, avec des parts comprises entre 50 % et 60 % selon les segmentations envisagées. Elle n'entraîne de chevauchements que très essentiellement sur les segments MDD/MPP et MHD, Orlait n'étant que très marginalement actif sur le segment MDF. Sur ce dernier segment, il convient de souligner que si le tableau ne présente que deux acteurs, Sodiaal/Candia et Lactalis, il existe toutefois quelques autres marques de fabricant plus régionales. Leurs volumes demeurent toutefois confidentiels, à l'instar de ceux d'Orlait, et il n'a pas été possible de les répertorier précisément. Outre la nouvelle entité, les principaux acteurs du marché sont Lactalis (entre [20-30] % et [20-30] % de part selon les segmentations entre MDD/MPP/MHD, et [40-50] % en MDF), Toury, Glac, Comalait et Alsace
Lait.
<emplacement tableau>
Il est relevé que l'opération ne conduit à aucun chevauchement d'activité sur ce marché, Orlait n'y étant pas actif. Sodiaal/Candia est le leader du marché, avec une part de [50-60] %, Lactalis étant le principal concurrent, avec [20-30] %.
<emplacement tableau>
Sur un marché de la fourniture de lait UHT aromatisé à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire, représentant en volume moins de [0-10] % des volumes de lait de consommation longue conservation fournis à la grande distribution et aux commerces alimentaires, la part de Sodiaal/Candia s'établit à [60-70] %, celle d'Orlait à [0-10] %, soit [60-70] % à la nouvelle entité.
Il est constaté qu'à l'instar des autres marchés, l'opération n'entraîne pas de chevauchement sur le segment des MDF, Orlait n'y étant pas actif. Sur ce segment, la nouvelle entité demeure en position très forte ([80-90] %), concurrencée par Nestlé ([0-10] %) et Lactalis ([0-10] %).
En revanche, la part de la nouvelle entité sur les segments MDD/MPP/MHD est moins importante ; elle s'établit à [30-40] %. En l'absence des données relatives aux ventes de Lactalis sur les segments des MDD/MPP/MHD, il n'a pas été possible de déterminer sa part de marché globale ainsi que celle sur les segments considérés ; elles sont agrégées dans la colonne " autres ".
<emplacement tableau>
Sur un marché de la fourniture de lait " biologique " à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire, la part de marché de la nouvelle entité s'établirait à [20-30] % tous segments confondus. Les parties sont toutes deux essentiellement actives sur les segments des MDD/MPP/MHD, où elles détiennent une part globale de [50-60] %.
La nouvelle entité demeure principalement confrontée à la concurrence de Lactalis, principal acteur sur ces segments, avec une part de marché globale de [60-70] %, et une position de quasi-monopole sur le segment des MDF.
<emplacement tableau>
Sur un marché de la fourniture de lait vitaminé à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire, la part de marché de la nouvelle entité s'établirait à [80-90] % tous segments confondus, part très largement conduite par la position de quasi-monopole de Sodiaal/Candia sur le segment des MDF avant l'opération. Sur ce segment, l'opération n'entraîne aucun chevauchement d'activité entre les parties.
L'activité des parties se chevauche sur les segments MDD/MPP/MHD, où la part de la nouvelle entité s'établit à [20-30] %, derrière Lactalis ([40-50] %) et Toury ([20-30] %).
<emplacement tableau>
L'opération n'entraîne aucun chevauchement d'activité entre les parties sur le segment des MDF, où seul Sodiaal/Candia est actif, avec une part de [20-30] %. Sur ce segment, la nouvelle entité demeure concurrencée par des opérateurs tels que Diepal ([20-30] %), Lactalis ([20-30] %) et Nestlé ([10-20] %). Les caractéristiques de ce marché diffèrent sensiblement de celles des marchés précédents, notamment en ce que la position des parties, d'Orlait notamment, y est moindre, et en ce que des acteurs importants sont absents (Diepal) ou très peu représentés (Nestlé) sur les autres marchés.
On notera toutefois que l'opération aboutit à la création d'un interlocuteur unique sur les segments des MDD/MPP/MHD. Cette conséquence doit être relativisée par le fait que le marché du lait de croissance apparaît être essentiellement un marché de marques. La pression concurrentielle des MDD/MPP/MHD, qui représentent [0-10] % des ventes, est faible. En outre, il est relevé que la grande distribution est tout à fait à même d'inciter ses partenaires à y entrer. Ainsi, Sodiaal/Candia est entré sur ces segments en 2004, et en a conquis [60-70] % en deux ans.
<emplacement tableau>
Il est constaté que la structure du marché de la fourniture de crème UHT à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire diffère sensiblement de celles des marchés de fourniture de laits.
Notamment, la part de marché d'Orlait y est bien moindre, le groupe Bongrain, absent des marchés de la fourniture de laits, y est bien représenté, et le marché en cause est nettement plus perméable aux importations.
Sur ce marché, la part de la nouvelle entité s'établit à [10-20] % tous segments confondus, derrière des acteurs tels que Bridel (Lactalis), [30-40] %, et Elle&Vire (Bongrain), [20-30] %.
L'opération n'entraîne de chevauchement d'activité entre les parties que sur les segments des
MDD/MPP/MHD, où la nouvelle entité détient une part de [20-30] %. Il est constaté la forte perméabilité de ces segments aux importations ([20-30] %), notamment sur le segment des MHD ([40-50] %).
Au regard de ces éléments, et du fait que l'opération ne conduit qu'à un très faible chevauchement entre les parties, il peut être écarté tous risques d'atteinte à la concurrence résultant d'un impact direct sur ce marché. En outre, l'instruction a mis en exergue l'absence d'effets de levier possibles depuis les marchés de fournitures de laits ; les négociations avec la grande distribution sont disjointes (pas de remises de gamme notamment) et l'opération n'a pas d'impact sur les conditions d'approvisionnement en lait de la nouvelle entité.
b) L'impact de l'opération sur les marchés de la fourniture de laits de consommation à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire.
Ainsi qu'indiqué en préambule de cette sous-section, l'analyse sera principalement développée sur le marché de la fourniture de lait de consommation longue conservation à la grande distribution et aux commerces alimentaires. Ses conclusions vaudront également pour les autres marchés de fourniture de laits dits " spéciaux " à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire.
Le lait de consommation longue conservation et les laits dits " spéciaux " sont des produits de consommation courante, distribués principalement par la grande distribution. Le lait est vendu soit sous forme de marque de fabricant (MDF) dont les deux principales sur le marché sont Candia et Lactel18, soit sous forme de marques de distributeur (MDD), de marques premier prix (MPP) ou de marque hard discount (MHD).
Sur le marché de la fourniture de lait de consommation longue conservation à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire, le calcul de l'indice de concentration19, IHH, s'établit comme suit : avant l'opération, l'IHH est de [1000-2000]. Après l'opération, il est de [3000-4000]. La variation de l'indice est [1000-2000].
S'il convient de relativiser le poids de cet indice par le fait qu'il résulte d'une observation statique (le calcul est effectué à parts de marché identiques avant et après l'opération, et ne présuppose donc d'aucun changement de stratégie concurrentielle), et de préciser qu'il ne caractérise pas en soi l'existence ou le renforcement d'une position dominante, il demeure que le marché, fortement concentré avant l'opération, sera très fortement concentré à la suite de l'opération. Il convient donc au cas d'espèce de mener une analyse approfondie. Il est proposé d'examiner (i) les relations entre les fournisseurs, dont les parties, et la grande distribution, à la lumière desquelles seront examinés (ii) le risque d'effets unilatéraux, et (iii) le risque d'effets coordonnés liés à l'opération.
Les relations entre les fournisseurs et la grande distribution
Depuis la fin des années 1990, dans le secteur du lait comme pour de nombreux autres produits, les MDD ont connu un développement important. Elles permettent en effet aux distributeurs de se différencier en offrant chacun des marques propres. Les MDD évitent également un phénomène de double marginalisation puisque seul le distributeur prend une marge à la revente du produit. Enfin, les MDD accroissent le pouvoir de négociation des distributeurs dans leurs négociations commerciales portant sur la distribution des marques des fournisseurs. Deux facteurs explicatifs sont mis en évidence.
En premier lieu, le pouvoir de négociation d'une partie lors d'une transaction commerciale dépend de ce qu'elle peut obtenir si la négociation n'aboutit pas20. En l'absence de MDD, un distributeur est obligé de distribuer les marques nationales aux conditions imposées par les fournisseurs. Au contraire, lorsque le distributeur dispose d'une MDD voire d'une gamme entière de MDD, il peut plus facilement se passer de distribuer une marque ou la déréférencer. Le développement des MDD s'explique donc en grande partie par la volonté des grands distributeurs de gagner du pouvoir de négociation face aux fournisseurs. Ce phénomène a été encore accentué par le développement des enseignes de maxi-discompte, depuis 1996 avec une accélération à partir de 1999. En 2003, la part de marché des enseignes du maxi-discompte était de [10-20] % pour le lait liquide contre seulement [10-20] % pour les produits de grande consommation (alimentaires ou non). En réponse à cette concurrence, les GMS ont introduit des marques premiers prix (MPP). Les distributeurs ont donc aujourd'hui construit une gamme entière de produits de différentes qualités. Les MPP, dont les prix sont fortement disciplinés par ceux des MHD, sont des produits d'entrée de gamme, et les
MDD, que le consommateur identifie comme des produits sûrs et de qualité, sont des substituts proches des marques de fabricant (MDF). Cette segmentation des produits au sein d'une même gamme a pour effet d'introduire une pression forte sur les fournisseurs.
En second lieu, les distributeurs jouent sur le linéaire consacré à un produit, c'est-à-dire la place qui lui est allouée dans les rayons : de nombreuses études marketing montrent que les ventes dépendent de cet espace. En conséquence, plus le linéaire est rare, plus le distributeur a de pouvoir de négociation. Or, l'introduction des MDD a également pour effet de raréfier le linéaire disponible pour les marques des fournisseurs.
L'impact des MDD dans le secteur du lait est d'autant plus fort que le lait longue conservation est un produit totalement banalisé. Les MDD ont acquis une réputation telle qu'elles sont en concurrence directe avec les MDF. L'étude réalisée par l'ONILAIT en 2002 relate ainsi que le lait est le produit pour lequel l'image des MDD est la plus comparable à celle des MDF à la fois en termes de niveau de qualité, de rapport qualité/prix et de sécurité apportée.
De fait, il est relevé que sur la seule année 2005, les MDD ont progressé en volume de [0-10] % tandis que la MDF Candia reculait de [0-10] %21. Parallèlement, il est constaté que, depuis l'introduction des MDD sur le lait de consommation, les marges arrière payées par Sodiaal/Candia aux distributeurs ont augmenté. Selon Sodiaal, ce taux est passé de [30-40] % en 2002 à [30-40] % en 2005.
Une fois les MDD, MPP et MHD bien installées, c'est-à-dire une fois que les volumes achetés sont tels qu'ils occupent une portion du linéaire conséquente et que la marque a été acceptée par les consommateurs, les distributeurs ont pu accroître leurs marges sur ces produits22.
Les évolutions récentes dans le domaine des relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs ne sont pas de nature à amoindrir pour l'avenir la place des MDD. En effet, dans le secteur du lait comme pour de nombreux autres produits, les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs se déroulent dans les deux sens. Le fournisseur, fixe, par le biais des CGV, les conditions de prix ; le distributeur facture de son côté au fournisseur des actions de coopération commerciale, faisant apparaître le phénomène dit de " marge arrière ".
Avant la loi du 2 août 2005, dite " loi PME ", la loi Galland, en donnant une définition juridique simple et claire de la revente à perte avait permis de stopper le recours à des prix d'appels excessivement bas mais avait été progressivement contournée par les opérateurs par un déplacement de la négociation commerciale du prix de vente facturé, issu des CGV, vers les réductions de prix hors factures et la coopération commerciale, c'est à dire la " marge arrière ", entretenant ainsi les prix de revente à un niveau artificiellement élevé. Cette pratique qui n'est pas spécifique à un secteur particulier, devrait évoluer avec la mise en place de la loi PME, qui en modifiant le mécanisme de calcul du seuil de revente à perte (possibilité d'intégrer dans son mode de calcul une partie de la " marge arrière ") a entendu fournir aux distributeurs des marges de manœuvre afin qu'ils puissent baisser les prix de revente des produits de grande consommation aux consommateurs. La loi a organisé une application progressive de ce nouveau dispositif en permettant d'imputer au SRP, depuis le 1er janvier 2006, un montant de marge arrière excédant un seuil de 20 % du prix unitaire net du produit puis de 15 % à compter du 1er janvier 2007 (mais pour l'année 2006 le montant minorant le SRP ne pourra excéder 40 % du total des marges arrières).
Les effets de la nouvelle loi sur la compétitivité prix des MDF et sur l'intérêt des MDD pour les distributeurs paraissent s'équilibrer et ne devraient pas remettre en question la place des MDD dans l'offre aux consommateurs. D'un côté en effet, la possibilité pour les distributeurs d'imputer une part des marges arrière dans le prix de revente des MDF peut réduire l'écart de prix existant avec les MDD, et donc rendre moins intéressantes ces dernières. D'un autre côté, les distributeurs, soumis à une forte pression concurrentielle, peuvent être incités à accroître le volume de leurs MDD, sur lesquelles ils peuvent développer des marges plus importantes. Les résultats globaux (toutes MDD confondues) enregistrés fin mai 2006 ne montrent pas d'érosion de la place des MDD (+2,7 % en valeur par rapport à la même période de 200523).
A la lumière de ces éléments, il peut donc être admis que la grande distribution bénéficie, avant la concentration, d'un très fort pouvoir de négociation, et que Sodiaal/Candia n'est pas en position dominante sur le marché de la fourniture de lait de consommation longue conservation à la grande distribution.
Le risque d'effets unilatéraux
Les effets non coordonnés, ou " effets unilatéraux ", englobent l'ensemble des pertes de bien-être résultant d'une concentration consécutives aux mouvements de prix et de quantités de la part des firmes agissant indépendamment de la concurrence. Hormis le cas extrême des effets unilatéraux résultant d'une concentration qui conduit à constater que celle-ci conduit à la création ou au renforcement d'une position dominante, il est également possible que la réaction des autres opérateurs actifs sur le marché, sans qu'elle soit coordonnée avec celle de la nouvelle entité, conduise à déplacer l'équilibre qui s'établit à un niveau de prix plus élevé.
Au cas d'espèce, il est relevé qu'outre la position forte des parties, et a fortiori de la nouvelle entité, le marché est caractérisé par une position forte du groupe Lactalis et par la présence de nombreux plus petits fournisseurs. Il ressort de l'instruction qu'à la fois Lactalis et ces derniers pourraient tout à fait répondre à un accroissement de demande qui ferait suite à une hypothétique augmentation des prix de Sodiaal. En effet, ainsi qu'évoqué en début d'analyse24, le marché est caractérisé par des surcapacités de production, et en cas d'augmentation éventuelle des prix de la nouvelle entité, la grande distribution pourrait reporter ses achats vers les concurrents. Le tableau produit ci-dessous reprend les excédents de capacités du secteur du lait de consommation longue conservation tels que résultant d'une estimation des parties :
<emplacement tableau>
La demande totale de lait de consommation (tous marchés confondus) est aujourd'hui d'environ 3,245 milliards de litres annuels25. Tous conditionnements, la capacité installée de production est estimée à 4,765 milliards de litres annuels, soit une surcapacité de 1,520 milliards de litres annuels.
Ces surcapacités de production sont à mettre en regard des volumes de lait disponibles sur les marchés amont. En effet, l'un des effets de la réforme de la PAC a été l'apparition récente du phénomène du lait " flottant ". Ce type de lait représente, d'après les meilleures estimations des parties, 1,5 milliard de litres de lait collecté (non conditionné) par an, soit 7 % des 22 milliards de litres de lait collectés nationalement, et est commercialisé sur le marché " spot ", c'est-à-dire hors contrat de livraison régulière à une laiterie. Les 1,5 milliard de litres de lait flottant sont ensuite transformés, et se répartissent sur la totalité des produits laitiers.
Le lait flottant provient principalement du non renouvellement de contrats. En effet, suite à la mise en place de la nouvelle PAC, les aides communautaires ne sont plus touchées par les industriels mais directement par les producteurs. Certains acteurs privés (les coopératives n'ayant pas la possibilité légale de le faire) ont alors mis fin à des contrats de livraison afin d'assainir leurs comptes. Les cocontractants touchés ont été principalement des groupements de producteurs assurant eux-mêmes leur collecte et vendant leur lait au plus offrant. Le lait invendu, dit " flottant " a donc été cédé à un prix inférieur à celui généralement pratiqué à certains acteurs. A cet égard, il est souligné que ce lait a été produit et les producteurs doivent l'écouler, faute de perdre leur production. Le caractère périssable du produit conduit, dans un contexte de surproduction à des phénomènes de pression à la baisse sur le prix des produits. C'est sur ce volume que Toury et Comalait ont construit leur stratégie. Comalait est entré sur le marché en 1999 en se positionnant sur la fourniture de lait de consommation longue conservation sous MDD, MPP ou MHD.
Le déséquilibre créé par le lait flottant est ainsi une contrainte forte à la baisse du prix du lait de consommation (et des différents segments) ; sur des marchés où la concurrence se joue en quantité (le lait est un bien périssable), les surcapacités de production sont une contrainte forte à une baisse du prix de vente aux distributeurs. A tout le moins, elles rendent très improbable une hypothétique remise en cause de la puissance d'achat compensatrice de la grande distribution.
De surcroît, une éventuelle hausse des prix moyens de vente du lait de consommation à la grande distribution ne serait pas ou que très partiellement répercutée par les distributeurs sur le consommateur. En effet, ainsi que développé précédemment, les produits MDF et MDD sont de proches substituts avec une concurrence MDF/ MDD d'une part et MPP/MHD d'autre part. Rappelons que le lait longue conservation basique est un produit banalisé, avec le même emballage qu'il soit vendu sous MDF, MDD, MPP ou MHD. En particulier, les gammes MDF et MDD sont de très proches substituts, comme il a déjà été étayé dans l'analyse des marchés en cause.
Or, les distributeurs n'ont pas intérêt à augmenter les prix de vente au consommateur dans toutes les hypothèses. En premier lieu, dans l'hypothèse d'un niveau inchangé du prix des MDF, ces dernières maintiendraient une pression concurrentielle certaine sur les autres produits substituts que sont les MDD. Une augmentation du prix de vente de ces dernières se traduira nécessairement par un report de consommation vers les MDF. En effet, la demande de lait longue conservation MDD est celle qui est la plus élastique au prix. Les résultats de l'étude ACNielsen26 de 2005 réalisée pour l'ONILAIT et le CNIEL montrent une forte élasticité de la demande de MDD au prix. La valeur de cette élasticité calculée sur l'année 2004 est de 4,5 %. Ceci signifie qu'une hausse de 1 % du prix des laits MDD conduit à réduire la demande de ces produits de 4,5 %. Cette valeur très élevée de l'élasticité rendrait donc non rentable toute augmentation des prix des laits longue conservation MDD. En second lieu, dans l'hypothèse d'une hausse des prix des MDF, et d'une hausse proportionnelle des prix des MDD27, le report de la consommation se ferait alors au bénéfice des MPP à niveaux de prix inchangés. Or, ainsi que constaté précédemment, les marges des distributeurs sont déjà moindres sur ces produits. Le report probable de la demande vers les produits MPP ne serait profitable que si la grande distribution était en mesure d'augmenter ses marges sur ces produits. Mais une telle augmentation méconnaîtrait la pression concurrentielle exercée par les MHD, distribuées par les enseignes de hard discount, cette même pression qui explique que les marges des distributeurs sont aujourd'hui justement moindres sur ces produits que sur les MDD.
En conclusion, il peut être écarté tout risque d'effets unilatéraux résultant de l'opération, et notamment tout risque de création, et a fortiori, de renforcement de position dominante sur les marchés ici concernés.
Le risque d'effets coordonnés
Selon le TPICE dans l'arrêt Airtours, précité, trois conditions cumulatives sont nécessaires pour qu'une situation de position dominante collective puisse exister: (i) la transparence du marché (chaque membre de l'oligopole doit pouvoir connaître, de manière suffisamment précise et immédiate, l'évolution du comportement de chacun des autres membres), cette transparence se manifestant au 7niveau de l'homogénéité des produits commercialisés et/ou au niveau des tarifs pratiqués, (ii) l'existence d'une incitation à ne pas s'écarter de la ligne de conduite commune sur le marché (par l'existence de risques de représailles ou de facteurs de dissuasion en cas de comportement déviant de la ligne d'action commune), cette incitation entraînant une pérennisation de la coordination et (iii) une absence de remise en cause efficace de la coordination par des concurrents actuels ou potentiels ou par les clients ou consommateurs.
En l'espèce, comme il sera démontré ou rappelé ci-dessous, aucune des trois conditions susvisées n'est remplie.
S'agissant en premier lieu de la transparence du marché, il convient de rappeler que les contrats passés entre les fournisseurs et les distributeurs sont secrets, ainsi que la rémunération basée sur les marges arrière pour ce qui concerne les marques nationales. Ceci rend le marché opaque dans le sens où une éventuelle déviation de l'accord collusif ne pourrait être observée par les autres concurrents. Dans une concentration concernant Procter & Gamble, le ministre a considéré " il apparaît cependant assez clairement qu'un équilibre collusif serait difficilement soutenable sur ce marché en raison, notamment, des modes de négociations des prix avec la grande distribution basées sur la coopération commerciale et les marges arrières, de la puissance de la demande adressée aux parties. "(28).
S'agissant de la deuxième condition, à savoir l'existence d'une incitation durable à ne pas s'écarter d'une éventuelle ligne de conduite adoptée par les membres d'un oligopole, les parties soulignent que le fait que le marché soit en surcapacité inciterait les acteurs à ne pas avoir de ligne commune pour pouvoir écouler leurs produits. Mais il peut être opposé que l'existence de capacités de production excédentaires peut également avoir un effet opposé sur la soutenabilité d'un éventuel accord collusif tacite. En effet, ces capacités excédentaires ou l'absence de contrainte de capacité de production sont justement nécessaires pour mettre en œuvre des représailles en cas de déviation de l'accord. L'effet réel des capacités de production excédentaires sur la plausibilité d'un accord dépend alors de la répartition de celles-ci entre les entreprises. La littérature économique29 montre ainsi qu'une répartition symétrique des capacités entre les opérateurs, conduisant à une structure de marché symétrique, est celle qui est la plus favorable à la réalisation d'une éventuelle concertation. En premier lieu, une structure de marché asymétrique limite les possibilités des plus petits opérateurs à punir une déviation d'un plus gros ce qui décrédibilise la menace de représailles. En second lieu, une telle structure asymétrique incite les opérateurs les plus importants à dévier de l'accord.
Or, si avant l'opération, le(s) marché(s) de la fourniture de lait longue conservation à la grande
distribution et destiné à être revendu sous MDD, MPP ou MHD sont un (des) marché(s) relativement symétrique(s) dominé(s) par trois opérateurs (Sodiaal/Candia détient aujourd'hui environ [20-30] % du (des) marché(s), Orlait et Lactalis [10-20] % chacun), le rapprochement entre Sodiaal/Candia et Orlait donne naissance à un opérateur très important et crée des structures de marché asymétrique, la nouvelle entité représentant environ [40-50] % et Lactalis [10-20] %. La structure de marché asymétrique postérieure à l'opération sera donc beaucoup moins propice à un éventuel accord collusif.
Cet argument peut encore être approfondi en comparant la production totale de lait UHT destiné à la grande distribution et à la RHF pour chacun des opérateurs avec sa capacité de production estimée, telle que présentée dans le tableau précédent.
Ainsi, Lactalis apparaît comme ayant de faibles capacités excédentaires, contrairement à Candia. La capacité de Lactalis à punir une déviation de Candia est donc très restreinte alors que l'incitation pour cette dernière à dévier d'un éventuel accord est très grande. En outre, les autres plus petits concurrents (Comalait, Glac, Toury...) ont une capacité de production excédentaire importante. Leur capacité à remettre en question un hypothétique accord collusif entre Candia/Orlait et Lactalis est donc réelle.
Enfin, la dernière condition posée par le TPICE dans l'arrêt Airtours, à savoir l'absence de remise en cause efficace de la coordination par des concurrents actuels ou potentiels ou par les clients ou consommateurs, n'est également pas remplie en l'espèce. Il s'agit là de déterminer si les concurrents et/ou les clients de l'éventuel oligopole dominant représentent une pression concurrentielle suffisante. Or, ainsi que développé précédemment, des surcapacités de production existent, ont été installées récemment et risquent encore de s'accroître du fait du report de valorisation des produits industriels vers ceux de grande consommation. L'existence de ces surcapacités permet à la grande distribution de faire jouer à son bénéfice la concurrence entre ses fournisseurs de lait destiné à être revendu sous MDD, MPP et MHD.
Par conséquent, le risque de création et a fortiori de renforcement d'une position dominante collective sur les marchés de la fourniture de laits de consommation à la grande distribution et aux commerces à dominante alimentaire peut être écarté.
3. Analyse concurrentielle de l'opération sur les marchés nationaux de la fourniture de lait de consommation et de crème UHT à la restauration hors foyer (RHF).
a) Le marché de la fourniture de lait de consommation longue conservation à la RHF
Sur ce marché, les transformateurs (c'est-à-dire les entreprises et coopératives transformant et conditionnant le lait collecté en lait de consommation, qu'elles en assurent ou non la collecte) vendent du lait de consommation à des grossistes. Ces derniers le distribuent à leur tour auprès des crémiers (commerçants de détail de produits laitiers), des acteurs de la restauration sociale (école, hôpitaux, armée), et des sociétés de restauration (Sodexho, Kompass, Elior, cafétérias, etc...).
Le lait de consommation est très essentiellement vendu sous un conditionnement similaire à celui du lait vendu aux GMS sous MPP. La RHF est en effet un secteur insensible aux marques, le consommateur, client final, n'étant jamais en contact direct avec le conditionnement.
Le fonctionnement du marché est très proche de celui des marchés de la fourniture de lait de consommation aux GMS sous MDD/MPP/MHD. Les grossistes, seuls ou par l'intermédiaire de groupement (Eurofrais, Unifrais), lancent fréquemment des appels d'offres (pour les groupements, la fréquence est souvent bimensuelle). Tels qu'il ressort de l'instruction, le prix de vente moyen est légèrement inférieur à ceux proposés aux GMS. Les prix sont généralement nets, même si de manière marginale, certains groupements pratiquent des marges arrières.
<emplacement tableau>
Par l'opération, Sodiaal/Candia conforterait donc sa position de " leader ", en intégrant le troisième opérateur du marché. La nouvelle entité demeurerait principalement confrontée à la concurrence de Lactel ([10-20] %) et de 4 autres acteurs de taille significative.
Toutefois, si l'analyse présentée plus haut pour les marchés de la fourniture de lait de consommation à la GMS peut également être déclinée sur le marché ici en cause, il est en outre relevé que la position des acteurs est assez volatile selon les années considérées, et que notamment, certains petits acteurs comme la Coopérative Laitière de la Région Lochoise, Gérentes Laiterie des Monts Yssingelais ou les Maitres Laitiers du Cotentin, ont su conquérir des parts de marché significatives en peu de temps, et que les acteurs étrangers (belges et allemands), déjà bien implantés en 2004 avec 10 % de parts de marché, ont accru leur présence en 2005.
L'opération n'est donc pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché de la fourniture de lait de consommation longue conservation à la RHF.
b) Le marché de la fourniture de crème UHT à la RHF
Le fonctionnement de ce marché est similaire à celui du marché de la fourniture de lait de consommation longue conservation à la RHF.
<emplacement tableau>
Sodiaal, au travers de ses filiales Candia, Beuralia et Yoplait Restauration, détient une part de marché d'un peu moins de [20-30] %. Si, par l'opération, la nouvelle entité conforte sa position de " leader ", l'addition de parts de marché résultant de l'opération est faible. Elle demeure en outre confrontée à la concurrence d'acteurs importants (Lactel et Bongrain), et à des acteurs étrangers dont les produits ont représenté près du quart des volumes de crème UHT fournis à la RHF en 2005.
L'opération n'apparaît pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur le marché de la fourniture de crème UHT à la RHF.
En conclusion, il ressort de l'instruction du dossier que l'opération notifiée n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement de position dominante. Je vous informe donc que j'autorise cette opération.
Je vous prie d'agréer, Maîtres, l'expression de ma considération distinguée.
NOTA : Des informations relatives au secret des affaires ont été occultées à la demande des parties notifiantes, et la part de marché exacte remplacée par une fourchette plus générale. Ces informations relèvent du " secret des affaires ", en application de l'article 8 du décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence.
Notes
1 Communication de la Commission européenne concernant la notion de concentration au sens du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, JO C 66 du 2 mars 1998, § III.2.5.
2 Pour exemple, voir la décision de la Commission du 28 mars 1994, IV.M. 425, BTSA / BS / BT.
3 Publiée au BOCCRF n° 9-2005.
4 Voir par exemple la lettre du ministre de l'économie du 12 mars 1998, Besnier / Hodival et Vallée, et la lettre du ministre C2005-78 du 28 octobre 2005 aux conseils des sociétés Finance et Management, Entremont et Unicopa.
5 Orlait n'assure pas directement la collecte ; elle est opérée par ses coopératives associées.
6 [...] /1000 litres en 2005, et [....] /1000 litres en 2006 chez Sodiaal, de 0,45/1000 litres à 0,8/1000 litres chez les autres collecteurs recensés.
7 Lettre du ministre C2005-1 du 2 février 2005 au conseil de la société Cedilac.
8 Une analyse identique a été appliquée dans le secteur du riz lors de l'analyse de l'opération Ebro Puleva / Panzani, autorisée par le ministre par une décision en date du 21 avril 2005 (C2005-17), ainsi que dans le secteur du fromage, dans la lettre du 28 octobre 2005 précitée.
9 Voir, par exemple, la lettre du ministre C2005-78 du 28 octobre 2005 aux conseils des sociétés Finance et Management, Entremont et Unicopa.
10 Voir, par exemple, la lettre du ministre C2005-1 du 2 février 2005 au conseil de la société Cedilac.
11 Voir, par exemple, la lettre du ministre C2005-1 du 2 février 2005 au conseil de la société Cedilac.
12 Voir, par exemple, la lettre du ministre C2005-1 du 2 février 2005 au conseil de la société Cedilac.
13 Voir, par exemple, la lettre du ministre C2005-1 du 2 février 2005 au conseil de la société Cedilac.
14 Estimation de la direction des affaires financières du MAAPAR, du CNIEL et de l'ONILAIT, source : rapport Trédé, juillet 2004 sur l'avenir de la filière laitière française.
15 Cité dans Revue Laitière Française, n°653, juillet/août 2005.
16 Source : rapport du Comité permanent de coordination des inspections du ministère de l'agriculture, 2004.
17 Voir, par exemple, la lettre du ministre C2005-78 du 28 octobre 2005 aux conseils des sociétés Finance etManagement, Entremont et Unicopa.
18 Dans les tableaux ci-dessus, la totalité des volumes de laits commercialisés sous marque de fabricant est imputée à Candia et Lactel.
19 Pour l'analyse du degré de concentration du marché, ainsi qu'il est fait mention dans les lignes directrices relatives au contrôle national des concentrations, le ministre se réfère aux mêmes seuils indicatifs que la Commission européenne Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations, JOCE n°C31/5 du 5 février 2004, paragraphes 19 à 21.
20 En terme économique, la MDD accroît l'option externe du distributeur dans la négociation.
21 Source : Secodip.
22 Ainsi qu'il ressort des données commerciales communiquées par les parties, entre 2002 et 2005, les marges des distributeurs sur les MDD, MPP et MHD ont augmenté ; par rapport au prix d'achat pour la GMS, elles établissent la convergence des marges aux alentours de 50 % pour les MDD et à un niveau inférieur pour les MPP (40 %) du fait de la concurrence avec les enseignes de maxi-discompte.
23 Source : ACNielsen pour LSA, LSA du 29 juin 2006.
24 III-B-1 : contexte économique du secteur, p.13.
25 Source : L'économie laitière en chiffres, CNIEL, édition 2005.
26 " Les élasticité prix et assortiment des produits laitiers en grande distribution ", étude ACNielsen, 8 décembre 2005.
27 Cette hypothèse est d'autant plus improbable que les distributeurs se livrent aujourd'hui une concurrence au travers de leurs marques propres. Or, les produits MDD sont les seuls qui leur permettent de se différencier, les MDF étant vendues de façon identique dans tous les réseaux.
28 Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en date du 15 décembre 2003, aux conseils de la société Procter & Gamble.
29 Voir par exemple Choix de capacités et comportement stratégique : une analyse stratégique, Annales d'Economie et de Statistiques, T. Penard, 1997, 46 et Compte, Jenny, Rey, 2002, Capacity constraints, mergers and collusion, European Economic Review, Volume 46, Issue 1, 1-29. Cette dernière référence présente une application des résultats théoriques au cas Nestlé/Perrier.