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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 17 novembre 2006, n° 04-20136

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Nestlé Waters France (Sté)

Défendeur :

Etablissements Geyer Frères (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

Mme Regniez, M. Marcus

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Bourdais-Virenque-Oudinot

Avocats :

Mes Clery, Greffe

T. com. Paris, du 13 sept. 2004

13 septembre 2004

LA COUR est saisie d'un appel interjeté par la société Nestlé Waters France (ci-après dénommée Nestlé) d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 13 septembre 2004 dans un litige l'opposant à la société Etablissements Geyer Frères SA (ci-après Geyer).

La société Nestlé commercialise depuis mars/avril 2002 une boisson dénommée Perrier Fluo ou Fluo.

Estimant que la société Geyer avait, postérieurement à la commercialisation de cette boisson, mis sur le marché en mars 2003 une boisson à base de limonade dénommée Lorina Freshhh, puis en janvier 2004, sous la dénomination Freshhh, en utilisant un conditionnement qui présenterait des ressemblances importantes avec celui des bouteilles Perrier Fluo, la société Nestlé a, après avoir envoyé une lettre de protestation le 16 septembre 2003, et constatant que la société Geyer, non seulement avait estimé, par lettre du 2 octobre 2003 qu'il n'existait aucune similitude répréhensible, mais avait modifié à partir de janvier 2004 sa présentation en supprimant le terme "Lorina" a assigné, à jour fixe cette société en concurrence déloyale et comportement parasitaire pour obtenir des mesures d'interdiction, de publication et des dommages et intérêts.

La société Geyer avait soulevé l'incompétence territoriale de Paris, conclu à l'absence de concurrence déloyale et formé une demande incidente en paiement de la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts.

Par le jugement entrepris, le Tribunal de commerce de Paris s'est déclaré compétent, a débouté la société Nestlé de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ses dernières écritures d'appel du 4 septembre 2006, la société Nestlé demande d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de:

- dire qu'en diffusant les boissons Lorina Freshhh et Freshhh dans des bouteilles dont la présentation d'ensemble, et notamment l'étiquetage, reprend l'intégralité des caractéristiques des bouteilles utilisées antérieurement par la société Nestlé Waters France pour commercialiser sa boisson dénommée Perrier Fluo, la société Geyer s'est rendue coupable de concurrence déloyale et de suivisme, notamment au sens des articles 1382 du Code civil et 10 bis de la Convention d'Union de Paris, au préjudice de la société Nestlé,

- faire interdiction à la société Geyer de poursuivre la fabrication, l'importation, l'exportation, la détention, la commercialisation et/ou la diffusion des bouteilles litigieuses, sous astreinte de 10 euro par infraction commise à compter de la signification de l'arrêt,

- se réserver la liquidation de l'astreinte,

- condamner en l'état la société Geyer à payer à la société Nestlé la somme de 500 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, sauf à parfaire,

- ordonner, si besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires, la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux, français ou étrangers, au choix de la société Nestlé mais aux frais de la société Geyer dans la limite de 8 000 euro HT par insertion,

- condamner la société Geyer à payer à la société Nestlé la somme de 20 000 euro HT en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamner la société Geyer en tous les dépens de première instance et d'appel dont le montant sera recouvré par la SCP Roblin, avoué, dans les conditions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Par ses dernières écritures du 20 septembre 2006, la société Geyer conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Nestlé de son action en concurrence déloyale mais formant appel incident, demande la condamnation de la société Nestlé au paiement de la somme de 1 500 000 euro à titre de dommages et intérêts ainsi que des mesures de publication et paiement d'une somme de 30 000 euro au titre des frais d'appel non compris dans les dépens et la condamnation de la société Nestlé en tous les dépens dont distraction au profit de la SCP Bourdais Virenque et Oudinot, avoué, aux offres de droit.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que la société Nestlé reproche aux premiers juges d'avoir fait une analyse de chacun des éléments constituant le conditionnement de la bouteille litigieuse pour conclure à l'inexistence d'actes de concurrence déloyale et à l'absence de parasitisme alors qu'ils auraient dû procéder à une analyse globale, une combinaison d'éléments banals ou usuels en soi pouvant être susceptible de protection en elle-même et l'appréciation du risque de confusion pour un consommateur moyen qui n'a pas les produits sous les yeux devant s'effectuer au regard du produit fini pris dans son ensemble; qu'elle fait également grief aux premiers juges d'avoir pris en considération des prétendues différences portant sur des éléments étrangers aux conditionnements en eux-mêmes (le contenu différent et la présentation par pack très distincte dans les surfaces de vente), ce qui leur ont fait méconnaître l'importance des ressemblances réelles existant entre les bouteilles en présence ; qu'en effet, selon elle, même si certaines des caractéristiques du produit Perrier Fluo pouvaient préexister, elles ne peuvent être exclues des actes de concurrence déloyale qui consistent dans la reprise, sans nécessité, de l'ensemble des éléments de la bouteille Perrier Fluo, sans nécessité, ou sont, à tout le moins, très proches, de telle sorte qu'un risque de confusion existe et qu'ainsi la société Geyer a cherché à profiter des investissements importants qu'elle avait engagés pour le lancement de son produit;

Qu'elle reproche à la société Geyer:

- d'avoir repris, alors que le lancement de sa bouteille Perrier Fluo avait été salué avec enthousiasme dans la presse:

* les mêmes matières et format (bouteille en PET-polyéthylène tétraphtalate - de 50 cl), forme en rondeur avec fond "pétaoïde",

* la même modalité d'étiquetage par un "sleeve" sur l'intégralité de sa hauteur,

* la même déclinaison en une gamme de couleur très vives (fluo) comportant le bleu, le rose et le jaune,

* les mêmes modalités de présentation de la marque verticalement en lettres blanches surmontées d'une dénomination placée à gauche et en arc de cercle,

* la même décoration de l'étiquette par la représentation d'une bouteille d'où s'échappent des bulles blanches,

* le même bouchon vissé, de même couleur que le fond de l'étiquette,

- et d'avoir, de ce fait, donné une impression générale très proche, s'agissant d'une gamme de boisson conditionnée dans "des bouteilles caractéristiques de forme globalement arrondie et aux couleurs très vives et décalées par rapport à la concurrence, ludique, ciblant une clientèle jeune, dont la marque principale apparaît de façon verticale en lettres blanches ombrées";

Qu'elle insiste, en outre, sur le fait que la boisson Perrier Fluo était lors de son lancement, un produit nouveau sur le marché, qui a été reconnu par sa présentation comme relevant d'un univers très personnel et très innovant et a connu un important succès commercial très largement relayé par la presse dès le mois de décembre 2002, de sorte que la société Geyer n'a pu l'ignorer et que l'affadissement des éléments identifiant son produit du fait de la présence du produit Geyer, alors qu'elle avait consacré des investissements très importants pour le lancement de ce produit, conduit inévitablement à un risque de confusion;

Qu'elle soutient encore que le "comportement suiveur" de la société Geyer apparaît d'autant mieux que:

- les produits précédemment diffusés par cette société étaient différents, s'agissant de bouteilles en verre de limonade avec une présentation qui rappelait les conditionnements anciens de limonade et qu'en renonçant à cette présentation traditionnelle, elle a créé une rupture dans son positionnement sur le marché destinée à capter une nouvelle clientèle plus jeune, identique à la sienne en copiant des caractéristiques de présentation susceptible de créer une confusion (ce qui est condamnable);

- l'évolution de l'étiquette confirme la volonté de la société Geyer de se rapprocher de plus en plus de l'étiquetage de la bouteille Perrier Fluo en mettant en valeur la seule dénomination Freshhh selon le même principe et dans les mêmes conditions que la dénomination Fluo, ce qui renforce la confusion initialement reprochée;

Qu'elle souligne encore que ce comportement déloyal et parasitaire n'est pas isolé dans la mesure où alors qu'en avril 2003 elle a lancé un nouveau produit sous le nom "Eau De Perrier" se caractérisant par une taille de bulles plus petites que celles de l'eau de Perrier traditionnelle, la rendant "finement pétillante" présentée dans une bouteille d'un litre de couleur bleue et très effilée avec un bouchon bleu, la société Geyer a également lancé une "Eau de Limonade" offrant une "pétillance plus fine" dans un conditionnement d'un litre de couleur bleue dans sa partie supérieure et très effilée avec un bouchon bleu;

Qu'en conclusion, elle soutient que la similitude d'aspect entre les bouteilles Fluo et Lorina Freshhh et Freshhh ne peut pas être le résultat d'une rencontre fortuite et a été manifestement voulue et calculée dans le but de produire une confusion, à tout le moins de tirer profit d'un décor nouveau et attrayant mis au point et largement imposé au public au prix d'efforts financiers et publicitaires de grande envergure;

Considérant, cela exposé, que l'appelante fait valoir exactement que la reprise d'une combinaison d'éléments banals alors que ces éléments n'étaient pas présentés antérieurement dans une même association peut caractériser des actes de concurrence déloyale si les produits en litige sont par l'impression globale qu'ils donnent susceptibles d'être confondus ; que, toutefois, s'il est constant en l'espèce que les bouteilles Freshhh (dans leurs deux versions) sont identiques à celles de la société Nestlé en ce qu'elles sont d'un format et d'une matière identique, sont revêtues d'un "sleeve" qui englobe pratiquement dans sa totalité la bouteille (à la différence de bouteilles de même format du marché), présentent sur l'étiquette du dernier emballage une inscription verticale en lettres blanches légèrement tremblées ainsi qu'une représentation de bulles, les conditionnements se distinguent néanmoins très fortement par leur forme, l'une très renflée rappelant la bouteille traditionnelle Perrier, l'autre présentant un rétrécissement ventral qui donne un aspect effilé à la bouteille, de nature à éviter tout risque de confusion entre les bouteilles, ce qui est accentué par la représentation sur l'étiquette, de la partie supérieure d'une bouteille de limonade avec son bouchon de fermeture à l'ancienne et par la dénomination Freshhh qui n'a aucun rapport avec celle utilisée par la société Nestlé; que malgré la combinaison de caractéristiques se retrouvant dans les deux produits (y compris la tonalité des couleurs bien que celles utilisées par la société Geyer ne semblent pas au vu des documents produits aussi vives que celles utilisées par la société Nestlé), dont il n'est pas démontré qu'elle se trouverait dans des bouteilles commercialisées antérieurement à celles de la société Nestlé, l'importance des différences en cause donne au produit litigieux une impression d'ensemble distincte et évite ainsi tout risque de confusion ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a écarté les actes de concurrence déloyale;

Qu'il sera également confirmé en ce qu'il n'a pas retenu d'actes de parasitisme; qu'en effet, s'il est vrai que le lancement de la bouteille Perrier Fluo a fait l'objet d'investissements importants et a eu un grand retentissement dans la presse, il ne résulte pas des documents mis aux débats que la société Geyer aurait cherché à tirer indûment profit du travail fourni par la société Nestlé dont il convient d'ailleurs de relever qu'elle n'est pas un concurrent direct dès lors qu'elle commercialise des limonades alors que la société Nestlé n'est pas concernée par ce secteur d'activité; que la circonstance du lancement d'une "Eau de Limonade" après le lancement de "L'Eau de Perrier" ne traduit pas davantage le comportement parasitaire imputé à la société Geyer;

Considérant que la société Geyer soutient qu'elle a du fait de cette procédure subi un préjudice très important; qu'elle fait en effet valoir qu'elle n'a plus commercialisé ce produit qui a été "déréférencé" des grandes surfaces en raison des poursuites diligentées à son encontre par la société Nestlé;

Mais considérant qu'elle ne produit aucun document de nature à établir que la société Nestlé aurait eu une responsabilité dans l'absence de commercialisation dans des grandes surfaces du produit en cause ; qu'il ne s'agit que de supputations non supportées par des pièces, ne serait-ce que par des lettres émanant de tiers ; qu'il ne saurait, en conséquence, être fait droit à sa demande de dommages et intérêts ; que les mesures de publication sollicitées ne sont pas davantage justifiées, n'étant pas démontré que la société Nestlé aurait porté le litige à la connaissance de tiers;

Considérant que l'équité commande que soit allouée à la société Geyer la somme complémentaire de 15 000 euro au titre des frais d'appel non compris dans les dépens;

Par ces motifs : Confirme le jugement en toutes ses dispositions; Ajoutant, Condamne la société Nestlé Waters France à payer à la société Etablissements Frères Geyer SA la somme complémentaire de 15 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société Nestlé Waters France aux entiers dépens; Autorise la SCF Bourdais Virenque Oudinot, avoué, à recouvrer les dépens d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.