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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 22 décembre 2006, n° 05-15133

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Blay Foldex (SAS)

Défendeur :

Sélection du Reader's Digest (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

Mme Regniez, M. Marcus

Avoués :

SCP Fisselier-Chiloux-Boulay, SCP Bourdais-Virenque-Oudinot

Avocats :

Mes Benazeraf, Greffe

T. com. Paris, du 24 juin 2005

24 juin 2005

LA COUR est saisie d'un appel interjeté par la société Blay Foldex SAS à l'encontre d'un jugement contradictoire du 24 juin 2005 rendu par le Tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Sélection du Reader's Digest SA (ci-après désignée sous le sigle SRD).

La société SRD édite depuis 1969 un "Guide de la route", comportant des cartes routières ainsi que des informations touristiques dans une présentation utilisant un "volet de continuité" comportant une mise en page particulière.

Apprenant qu'au salon "Objets et Communication", en mars 2005, la société Blay Foldex qui est également une société éditrice de cartes et atlas routiers, exposait un "Atlas Routier France, Belgique, Luxembourg" qui reproduirait les caractéristiques originales du sien, après avoir fait procéder à une saisie-contrefaçon le 10 mars 2005, la société SRD a fait assigner, le 23 mars 2005, cette société en contrefaçon, concurrence déloyale et parasitaire pour obtenir, outre des mesures d'interdiction et de publication, paiement de 1 500 000 euro à titre de dommages et intérêts.

La société Blay Foldex avait soutenu que ces demandes devaient être rejetées, dans la mesure où elle avait seulement utilisé le procédé du "volet de continuité" appartenant au domaine public sur lequel la société SRD ne peut se prévaloir de droit.

Par jugement contradictoire du 24 juin 2005, le Tribunal de commerce de Paris a:

- débouté la société SRD de sa demande en contrefaçon, estimant que le "Guide de la route" n'avait pas d'originalité.

- fait droit aux demandes en concurrence déloyale et en agissements parasitaires,

- interdit à la société Blay Foldex, sous astreinte provisoire de 200 euro par infraction constatée, passé un délai de huit jours après la signification du jugement, la publication et la diffusion, sous quelque forme que ce soit, de son ouvrage, dénommé "Atlas Routier France",

- ordonné la publication du jugement dans cinq journaux ou revues, au choix de la société SRD et aux frais de la société Blay Foldex, sans que le coût de chacune de ces publications excède 5 000 euro HT

- condamné la société Blay Foldex à payer à la société SRD la somme de 10 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la société Blay Foldex aux dépens.

Par ses dernières écritures du 9 novembre 2006, la société Blay Foldex demande à la cour de:

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la société Blay Foldex n'a commis aucun acte de contrefaçon,

- l'intimer pour le surplus,

- dire qu'en utilisant un procédé appartenant au domaine public, elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire et qu'il n'existe au surplus aucun risque de confusion entre les ouvrages concernés,

- débouter la société SRD de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- constater le caractère abusif de la saisie pratiquée et de la procédure engagée par la société SRD,

- condamner de ce chef la société SRD à verser à la société Blay Foldex la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 10 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Fisselier Chiloux Boulay, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Par ses dernières écritures du 26 octobre 2006, la société SRD prie la cour de:

- débouter la société Blay Foldex de sa demande reconventionnelle,

- juger son appel non fondé,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que la société Blay Foldex s'était livrée au préjudice de la société SRD à des agissements de concurrence déloyale et parasitaire,

- dire au surplus que la société Blay Foldex s'est livrée au préjudice de la société SRD à des agissements de contrefaçon, et ce, en violation des dispositions de l'article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle,

- constater notamment que l'ouvrage récemment publié par la société Blay Foldex sous le titre "Atlas Routier" reprend servilement la caractéristique identifiant "Le Guide de la Route" depuis 1969 et constater que la société Blay Foldex utilise, en outre, cette caractéristique dans sa publicité pour identifier son ouvrage, en conséquence,

- valider notamment la saisie-contrefaçon du 10 mars 2005,

- interdire à la société Blay Foldex et ce, sous astreinte de 1 000 euro par infraction constatée, la publication et la diffusion sous quelque forme que ce soit de l'ouvrage dénommé "Atlas Routier France",

- compte tenu de l'importance du tirage de l'ouvrage "Atlas Routier France" condamner la société Blay Foldex à payer à la société SRD la somme de 1 500 000 euro à titre de dommages et intérêts

- ordonner, et ce à titre de supplément de dommages et intérêts, la publication de l'arrêt dans vingt journaux ou revues au choix de la société SRD, aux frais de la société Blay Foldex et fixer le coût de chacune de ces publications à la somme de 5 000 euro HT,

- condamner la société Blay Foldex au paiement de la somme de 30 000 euro et ce, dans les termes de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamner cette société en tous les dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Bourdais Virenque Oudinot, avoué, conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR:

Considérant que, selon l'appelante, le tribunal a, à tort, estimé que son atlas routier avait reproduit des éléments identifiant le guide de la société SRD, ces éléments étant en réalité les stricts composants d'un procédé technique dit "volet de continuité", ayant fait l'objet de brevets déposés par des tiers (brevet suisse, déposé le 21 octobre 1937 et délivré le 31 octobre 1938, brevet allemand déposé le 26 avril 1968 et publié le 7 janvier 1971), appartenant de longue date au domaine public, et qu'en dehors de cet élément technique, le tribunal ne caractérise aucun fait distinct susceptible de constituer un acte de concurrence déloyale; qu'en outre, les nombreuses différences distinguant les deux ouvrages, dont les seuls points communs résident dans le fait qu'ils appartiennent au même genre (atlas routier) et utilisent la même technique du "volet de continuité", excluent tout risque de confusion ; qu'il n'existe, au surplus, aucune copie servile;

Qu'aux griefs explicités en appel par la société SRD tenant non seulement à la présence du "volet de continuité" mais également aux commentaires et illustrations figurant sur quatre colonnes, en petits caractères, et aux photographies, sites et lieux soulignés sur la carte de la même page, situés au verso de ce volet ainsi qu'à l'existence d'un index en deux parties, l'un au début de l'ouvrage, l'autre à la fin, et aux tranches des ouvrages comportant des effets particuliers de couleurs, la société Blay Foldex réplique que ces éléments ne sont que des caractéristiques imposées par la fonctionnalité même du procédé; qu'en effet, selon elle, l'utilisation du verso du volet s'impose d'elle-même, comme cela est d'ailleurs décrit dans le brevet français déposé le 13 janvier 1978, qu'il en est de même des pages de dimension réduite qui est une caractéristique technique inhérente au procédé, dont la présence est indispensable pour compenser la surépaisseur créée par les volets repliés, comme l'indique le brevet allemand déposé le 26 avril 1968 ; qu'elle ajoute que les index ne sont pas séparés en deux, comme le dit l'intimée, dans la mesure où un index des communes est placé dans son intégralité avant les cartes routières, à la différence de celui de la société SRD qui est partagé en deux, avant et en fin de présentation des cartes routières, le second index, placé à la suite de la partie centrale comportant les cartes, étant constitué de la liste d'hôtels et restaurants recommandés par "Gault et Millau", ce qui n'existe pas dans le guide de l'intimée;

Qu'elle soutient, encore, que la tranche des ouvrages est une conséquence indissociable du procédé lui-même, dans la mesure ou la différence des couleurs qui y apparaît résulte de ce que "les pages d'une largeur de 2/3, utilisées pour compenser la surépaisseur et portant les index sont, par souci de lisibilité, imprimées sur fond blanc, tandis que les pages de cartes sont évidemment imprimées intégralement en couleurs", que de ce fait, il apparaît nécessairement, au coeur de l'ouvrage et occupant toute la largeur de celui-ci un ensemble coloré, enserré, sur les 2/3 de la largeur de 2 blocs blancs;

Que le fait que le procédé ait été utilisé par la société SRD depuis de nombreuses années et qu'elle ait "largement orienté" sa publicité sur l'utilisation de ce procédé, ne lui confère aucun droit lui permettant de s'opposer à ce que d'autres entreprises en fassent également usage ; que prétendre le contraire revient non pas à caractériser une situation de concurrence déloyale mais à décréter une interdiction de concurrence conférant à la société SRD une position monopolistique injustifiée et contraire à l'intérêt du public;

Qu'elle critique enfin le tribunal en ce qu'il a retenu que la société Blay Foldex avait effectué une publicité montrant la nouvelle présentation du contenu de son récent Atlas, en utilisant, exactement comme le fait la société SRD, des flèches de couleur rouge pointées vers les "volets de continuité", accroissant de cette façon, le risque de confusion, cette allégation étant inexacte, l'utilisation par la société SRD des flèches rouges étant destinée à expliciter le mécanisme du volet de continuité, à la différence de celles utilisées par elle qui font seulement le lien entre une partie des cartes et les informations correspondantes figurant dans l'index des hôtels et restaurants "coups de coeur de "Gault et Millau" et les informations touristiques dont il est simplement indiqué qu'elles figurent "immédiatement à côté de votre carte, sur le côté de la page";

Considérant, cela exposé, qu'il sera relevé que la société SRD demande à titre principal la confirmation du jugement qui a retenu l'existence d'actes de concurrence déloyale et d'agissements parasitaires, et "au surplus" de dire que la société Blay Foldex s'est livrée à des actes de contrefaçon sur le terrain du droit d'auteur;

Considérant que par là-même, la société SRD ne soutient pas sérieusement sa demande en contrefaçon qui a, d'ailleurs, par des motifs pertinents que la cour fait siens été rejetée par les premiers juges, lesquels ont exactement retenu que la mise en page du volet de continuité ne présentait aucune originalité; que le jugement sera sur ce point confirmé;

Considérant qu'au titre de la concurrence déloyale, la société Blay Foldex fait valoir à juste titre que la société SRD ne saurait s'arroger un monopole sur le procédé du "volet de continuité" qui a fait l'objet de plusieurs brevets actuellement dans le domaine public, dont deux (en dates de 1937 et 1968) sont antérieurs à la première édition du "Guide de la Route" de la société SRD; qu'il ne peut davantage lui être reproché d'utiliser le verso de ce "volet de continuité" pour apposer des mentions de tous ordres et des photographies, un tel usage étant déjà indiqué dans le brevet du 13 janvier 1978;

Mais considérant que si le choix de présentation des cartes avec "un volet de continuité" ne saurait dès lors lui être reproché, il n'y avait toutefois aucune nécessité fonctionnelle à reprendre un ouvrage de dimension quasi-identique avec un "volet de continuité" placé à droite représentant 1/3 de la page et qui étant repliée, fait une double épaisseur, qui conduit, afin de donner une épaisseur constante à l'ouvrage, à introduire des feuillets intermédiaires représentant 2/3 d'une page placée de manière identique au début et en fin de présentation des cartes ; qu'il importe peu que les index portés sur ces feuillets intermédiaires n'aient pas le même contenu, dès lors que l'apparence générale du contenu du guide est identique;

Considérant qu'en outre, c'est par des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges ont estimé que cette même impression d'ensemble était accentuée par la présentation au verso du "volet de continuité", d'informations touristiques accompagnées de photographies disposées en colonnes ainsi que par une apparence très similaire des tranches ; qu'en effet, le choix de cette forme de présentation ne correspond pas à des nécessités techniques, le texte descriptif figurant au verso pouvant être imprimé, notamment, sur toute la surface horizontale sans subdivision verticale;

Considérant, en conséquence, qu'en reprenant des éléments qui identifient aux yeux du public le "Guide de la Route" édité par la société SRD depuis 1969, dans un guide de même nature et d'un format d'ensemble très proche, commercialisé depuis 1969, la société Blay Foldex a eu un comportement fautif, préjudiciable à la société SRD ; qu'elle ne peut prétendre qu'il n'y aurait aucune confusion possible en raison de sa présentation de couverture très différente et de la présence d'un index se référant à des hôtels et restaurants recommandés par " Gault et Millau ", le consommateur étant en l'espèce attiré par le contenu du guide, qui pour lui en raison des ressemblances trop proches ci-dessus retenues, peut le conduire à penser qu'ils ont une même origine;

Que le jugement sera en conséquence confirmé, étant toutefois précisé que dans les documents mis aux débats relatifs à la publicité faite par la société Blay Foldex, il ne peut être reproché à cette dernière de faire un usage de flèches de couleur rouge pour présenter son guide qui, dans sa publicité, ne fait aucune allusion à la présence d'un volet de continuité;

Considérant que le tribunal a également retenu que "le comportement de la société Blay Foldex vise à tirer profit du renom acquis par la société SRD qui a fait vivre, pendant plusieurs décennies, un ouvrage unique dont elle a assuré la promotion, par des investissements publicitaires conséquents et qu'un tel comportement est par nature parasitaire";

Mais considérant qu'en l'espèce, le comportement parasitaire n'est pas différent des actes de concurrence déloyale ci-dessus retenus qui impliquent qu'en reprenant des éléments qui identifient le produit du concurrent, la société Blay Foldex s'est attribué de manière fautive le renom et les investissements de celui-ci ; que le jugement sera réformé de ce chef, en l'absence d'actes distincts parasitaires;

Considérant qu'alors que les premiers juges ont estimé que la société SRD ne rapportait pas la preuve d'un préjudice et n'ont, en conséquence, pas alloué des dommages et intérêts, l'intimée réclame la réformation du jugement sur ce point et l'allocation de la somme de 1 500 000 euro ; qu'elle fait valoir que:

- au cours de l'année 2005, les retours du "Guide De La Route" ont doublé consécutivement à la mise en vente de "L'Atlas Routier" de la société Blay Foldex,

- les "rendements par liste" entre novembre 2004 et novembre 2005 ont en moyenne baissé de 27 %,

- il a été enregistré une perte de 28,5 % de commandes, alors que le premier tirage réalisé par la société Blay Foldex est de 72 000 exemplaires, ce qui représente un chiffre d'affaires de 1 500 000 euro;

Qu'elle en déduit qu'elle subi un préjudice de plus de 1 300 000 euro pour l'année 2005;

Mais considérant que, comme le fait valoir exactement la société Blay Foldex, ces documents ne sont pas significatifs pour établir que la baisse de ventes lui serait imputable ; qu'en effet :

- les retours plus importants pour l'année 2005 sont relatifs au premier semestre, et représentent un chiffre de 4 525 exemplaires alors que les ventes de l'Atlas incriminé n'avaient pas encore commencé, tandis que les retours du second semestre (3 000) sont équivalents à ceux des années précédentes,

- la baisse de "rendements par liste" résulte de chiffres non certifiés qui ne prouvent pas que la baisse en cause, au demeurant à partir de données peu compréhensibles, se serait produite postérieurement à la publication de l'ouvrage,

- il en est de même du chiffre avancé de chute de commandes dont aucun élément ne permet de la lier aux agissements fautifs;

Qu'il en résulte que la société SRD ne saurait être suivie dans le quantum de son préjudice que néanmoins, la présence sur le marché de l'Atlas routier incriminé a, à tout le moins, été la cause d'un trouble commercial qui doit être réparé ; que la cour, au vu des éléments du dossier et en prenant en compte les circuits de distribution qui ne sont pas identiques (la société SRD diffusant essentiellement par correspondance), estime que le préjudice subi par la société SRD sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts;

Considérant que les mesures d'interdiction prononcées par les premiers juges seront confirmées, étant toutefois précisé qu'elles ne porteront pas sur une interdiction de diffusion "sous quelque forme que ce soit" mais "sous la forme retenue comme constitutive de concurrence déloyale";

Considérant que des mesures de publication ne sont pas en l'espèce nécessaires; que le jugement sera sur ce point infirmé;

Considérant que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par la société Blay Foldex pour procédure et saisie-contrefaçon abusives; que cette saisie a certes été pratiquée sur le fondement de droits d'auteur en réalité inexistants, mais que la société SRD a pu de bonne foi penser être titulaire de droits d'auteur sur une œuvre ; que la saisie-contrefaçon étant régulière en la forme est valable;

Considérant que des raisons d'équité commandent d'allouer à la société SRD la somme complémentaire de 5 000 euro au titre des frais d'appel non compris dans les dépens;

Par ces motifs : Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf sur les agissements parasitaires, les mesures de publication, et les dommages et intérêts; Infirmant de ces chefs, statuant à nouveau, le précisant et ajoutant, Déboute la société Sélection du Reader's Digest SA de sa demande fondée sur des agissements parasitaires et de sa demande de publication; Condamne la société Blay Foldex SAS à payer à la société Sélection du Reader's Digest SA la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale; Précise que les mesures d'interdiction ordonnées porteront sur les caractéristiques retenues au titre de la concurrence déloyale; Condamne la société Blay Foldex SAS à payer à la société Sélection du Reader's Digest SA la somme de 5 000 euro au titre des frais d'appel non compris dans les dépens; Rejette toutes autres demandes; Condamne la société Blay Foldex aux entiers dépens; Autorise la SCP Bourdais Virenque Oudinot à recouvrer les dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.