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Décisions

CA Angers, ch. com., 9 mars 2004, n° 03-01517

ANGERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

HSM Schuhmarketing Gmbh (Sté)

Défendeur :

Gep Industries (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

Mme Ferrari

Conseillers :

Mme Lourmet, M. Mocaer

Avoués :

SCP Chatteleyn, George, SCP Gontier-Langlois

Avocats :

Mes Moller, Vandendriesshe, Rineau

T. com. Angers, du 18 déc. 2002

18 décembre 2002

Exposé du litige

La société Gep Industries, qui fabrique et commercialise des chaussures, a constaté en 2002 qu'un modèle identique à l'un des siens était commercialisé par une société de droit allemand, la société Ledermann.

Le 15 mai 2002, elle a constaté que, par un site Internet, une autre société de droit allemand, la société HSM Schuhmarketing Gmbh, commercialisait, elle aussi, le même produit.

Après mises en demeure du 11 et 12 juillet 2002, elle a assigné les sociétés Ledermann et HSM Schuhmarketing Gmbh par acte daté du 19 juillet 2002, demandant leur condamnation à cesser leur concurrence déloyale sous astreinte et à lui payer la somme de 80 000 euro à titre de provision sur les dommages et intérêts ainsi qu'une expertise comptable et la somme de 4 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par jugement du 18 décembre 2002, le Tribunal de commerce d'Angers a rejeté les exceptions de procédure soulevées par la société HSM Schuhmarketing Gmbh et s'est déclaré compétent, a ordonné la cessation immédiate de l'activité de concurrence déloyale de la société HSM Schuhmarketing Gmbh sur le modèle de chaussure Nevral/S de la collection Academy Verone de la société Gep Industries sous toutes formes et en quelque lieu que ce soit sous astreinte de 500 euro par infraction constatée à compter de la signification du jugement, a condamné la société HSM Schuhmarketing Gmbh à payer à la société Gep Industries la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, a rejeté la demande d'expertise de la société Gep Industries et condamné la société HSM Schuhmarketing Gmbh à lui payer la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société HSM Schuhmarketing Gmbh en est appelante elle demande à la cour de déclarer les juridictions d'Angers incompétentes au profit du Tribunal de grande instance d'Essen (Allemagne), de déclarer inexistante ou nulle l'assignation et d'annuler le jugement déféré. Subsidiairement, elle demande à la cour de débouter la société Gep Industries de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 15 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 20 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Gep Industries conclut à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il a refusé d'ordonner une expertise sur le montant des dommages et intérêts et limité le montant de ceux-ci à 15 000 euro. Elle demande à la cour d'ordonner une expertise comptable et de condamner la société HSM Schuhmarketing Gmbh et Monsieur Ledermann à lui payer la somme de 65 000 euro à titre de provision sur les dommages et intérêts et 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motifs de la décision

Sur les conclusions et pièces déposées par la société HSM Schuhmarketing Gmbh le 22 janvier 2004

L'ordonnance de clôture est en date du 22 janvier 2004, les avoués en ayant été préalablement avisés. Le même jour, la société HSM Schuhmarketing Gmbh a déposé de nouvelles conclusions et produit une pièce portant le n° 13. La société Gep Industries en demande le rejet.

Ces conclusions ne contiennent aucun moyen ni même argument nouveau par rapport aux précédentes conclusions et elles ne portent donc pas atteinte au caractère contradictoire des débats. Quant à la pièce n° 13, il s'agit de conclusions déposées par la société Gep Industries elle-même dans une autre instance et cette pièce, qui n'a pu surprendre celle-ci, n'apporte aucun élément utile aux débats et n'a pas porté atteinte à leur caractère contradictoire.

Ces conclusions et cette pièce ne seront donc pas rejetés.

Sur les demandes de la société Gep Industries à l'encontre de Monsieur Ledermann

La société Gep Industries a assigné la société HSM Schuhmarketing Gmbh et la société Ledermann, et l'appel de la société HSM Schuhmarketing Gmbh n'a été dirigé que contre la société Gep Industries. Cette dernière présente, en appel, des demandes contre Monsieur Ledermann qui n'a jamais été appelé à la cause, ni en première instance ni en appel.

Ces demandes seront déclarées irrecevables par application de l'article 14 du nouveau Code de procédure civile qui prévoit que nul ne peut être condamné sans avoir été appelé.

Sur l'assignation

La société Gep Industries a assigné à l'adresse de son entrepôt, qui est d'ailleurs celle où elle se domicilie dans son catalogue, entrepôt géré par Monsieur Ledermann, et non à celle de son siège social dont l'adresse n'est pas mentionnée, en méconnaissance des dispositions de l'article 648 du nouveau Code de procédure civile.

Cette assignation, rédigée en langue française et en langue allemande, n'était pas accompagnée du formulaire-type imposé par l'article 4 alinéa 3 du Règlement CE n° 1348-2000 du Conseil du 29 mai 2000.

Cette assignation n'a été délivrée que le 17 septembre 2002 pour l'audience du 25 septembre 2002. La société HSM Schuhmarketing Gmbh soutient que les délais de convocation des défendeurs résidant à l'étranger n'ont pas été respectés alors que l'affaire ne présentait aucune urgence, et que le procès n'a ainsi pas été équitable. Elle conclut à la nullité de l'assignation et, par voie de conséquence, du jugement déféré.

Mais la société HSM Schuhmarketing Gmbh a comparu en première instance, a obtenu des délais pour lui permettre de préparer sa défense et en a usé en concluant longuement et complètement et en communiquant des pièces.

Elle n'a donc subi aucun grief des irrégularités formelles alléguées de sorte que c'est à juste titre que le jugement déféré a rejeté ses demandes dé nullité, par application de l'article 112 du nouveau Code de procédure civile.

Quant au délai de convocation, le président du Tribunal de commerce d'Angers a autorisé la société Gep Industries, par ordonnance du 8 juillet 2002, à assigner à jour fixe en raison de l'urgence, et cette autorisation rend inapplicable les délais de convocation prévus par le nouveau Code de procédure civile.

L'importance du préjudice allégué et la persistance des actes de concurrence déloyale dénoncés justifiaient le recours à la procédure d'urgence.

Enfin le déroulement de la procédure a permis à la société HSM Schuhmarketing Gmbh de faire valoir l'ensemble des arguments nécessaires à sa défense et le procès a ainsi été équitable et elle sera donc déboutée de sa demande de nullité du jugement déféré, celui-ci étant confirmé en ce qu'il a rejeté les moyens de procédure soulevés par la société HSM Schuhmarketing Gmbh.

Sur la compétence

Le Règlement CE n° 44-2001 du Conseil du 22 décembre 2000 prévoit que les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre sont attraites devant les juridictions de cet Etat (article 2), mais, en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, elles peuvent être attraites devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire (article 5, alinéa 3).

La société Gep Industries fonde sa demande sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, c'est-à-dire sur la responsabilité quasi-délictuelle de la société HSM Schuhmarketing Gmbh. Or celle-ci commercialise ses produits à l'aide de son site internet, ce qui permet à tous les internautes, quel que soit leur domicile de s'y connecter et de commander ses produits en ligne. Le préjudice est ainsi subi par la société Gep Industries en tout lieu où ces informations ont été mises à la disposition des utilisateurs du site et donc à Angers.

Il est indifférent que la seule langue utilisée sur ce site soit l'allemand, les photographies des chaussures proposées à la vente y figurant avec leur prix en euro, ce qui permet à tous les internautes, même à ceux qui ne sont pas germanophones, de comprendre et d'utiliser les informations essentielles mises à leur disposition. Le jugement déféré qui s'est reconnu compétent sera donc confirmé.

Sur la concurrence déloyale

La société Gep Industries, qui fonde sa demande sur les articles 1382 et 1383 du Code civil, doit démontrer l'existence d'une faute de la société HSM Schuhmarketing Gmbh et du préjudice qu'elle en a subi.

1/ La faute de la société HSM Schuhmarketing Gmbh

La société Gep Industries, qui n'a déposé ni dessin ni modèle, reproche à la société HSM Schuhmarketing Gmbh d'avoir copié servilement un de ses produits et soutient qu'il s'agit là d'une faute.

Contrairement à ce que soutient la société HSM Schuhmarketing Gmbh, la copie servile d'un produit commercialisé par un concurrent est un acte de concurrence déloyale car il permet de profiter de la bonne image d'un modèle auprès de la clientèle en faisant l'économie des investissements réalisés par son concurrent, dans le domaine de la création et dans celui de commercialisation, et d'éviter le risque d'échec inhérent à la mise sur le marché d'un nouveau produit.

La copie servile constitue un acte de parasitisme qui fausse les données de la saine concurrence et donne au copieur un avantage certain et parfaitement déloyal car immérité sur le copié en créant un risque de confusion au détriment de ce dernier. Le copieur commet donc une faute qui justifie une action fondée sur sa responsabilité quasi-délictuelle et qui est distincte de l'action en contrefaçon.

Or la société HSM Schuhmarketing Gmbh et la société Gep Industries sont deux entreprises dont l'activité est la vente de chaussures de confort; la société Gep Industries commercialise ses produits non seulement en France mais aussi dans plusieurs pays européens dont l'Allemagne (Pièce Gep n° 20), tandis que la société HSM Schuhmarketing Gmbh prospecte sa clientèle en Allemagne et, à l'aide de son site internet, partout dans le monde. Ces deux sociétés sont donc concurrentes.

La société Gep Industries produit le catalogue de sa collection Academy Verone de la saison automne/hiver 1998-1999 dont le modèle Nevral/S se présente comme un mocassin en matériau synthétique, à talon légèrement surélevé inclus dans la semelle, de couleur noire avec, sur la pointe, deux losanges opposés et de couleur.

La société Gep Industries produit encore le catalogue, en date du mois de septembre 2001, de la société HSM Schuhmarketing Gmbh publié sous la marque Schuhagentur M.M. Ledermann, dont la collection Faculty comporte deux modèles, du nom de Damen Halsaschuch Art-Nr 2024781 et Damen Halsaschuch Art-N r 2024780 ne se différenciant entre eux que par les couleurs des losanges.

Ces deux chaussures sont strictement identiques au modèle Nevral/S de la société Gep Industries : même forme, même matériau, même dessin de même dimension. Les différences sont limitées à la couleur des losanges et aux marques intérieures peu visibles, de sorte qu'à l'évidence un de ces modèles a été copié sur l'autre. La société Gep Industries démontrant par son catalogue 1998-1999 l'antériorité de son modèle, c'est nécessairement la société HSM Schuhmarketing Gmbh qui a copié le modèle commercialisé par la société Gep Industries et sa faute est établie.

La clientèle, même attentive, ne pouvant remarquer aucune différence entre ces différentes chaussures, le risque de confusion est certain, les internautes en particulier pouvant légitimement croire que la société HSM Schuhmarketing Gmbh commercialise les chaussures fabriquées par la société Gep Industries.

2/ Le préjudice

La société HSM Schuhmarketing Gmbh a concurrencé la société Gep Industries de manière déloyale et à un prix inférieur. La société Gep Industries démontre une baisse des ventes de son modèle Nevral/S en 2001 et 2002 (pièces Gep n° 17 et 18).

La concurrence déloyale de la société HSM Schuhmarketing Gmbh a joué un rôle certain dans cette chute des ventes, mais il ne pourra jamais être démontré qu'elle en est seule à l'origine, les choix des consommateurs variant, particulièrement dans ce domaine, en fonction notamment des tendances de la mode.

Une expertise est donc inutile, d'autant plus que les ventes réalisées par la société HSM Schuhmarketing Gmbh ne se seraient pas nécessairement reportées sur le modèle Nevral/S si celui-ci n'avait pas été copié.

La cour possède les éléments pour confirmer le jugement déféré qui a justement estimé à 15 000 euro le préjudice subi par la société Gep Industries.

L'équité commande de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société HSM Schuhmarketing Gmbh à payer à la société Gep Industries une indemnité de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, et de condamner, en cause d'appel, la société HSM Schuhmarketing Gmbh à payer à la société Gep Industries une même somme de 5 000 euro sur le même fondement.

La société HSM Schuhmarketing Gmbh, qui succombe en son appel en supportera les dépens.

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare recevables les conclusions déposées par la société HSM Schuhmarketing Gmbh le 22 janvier 2004 ainsi que sa pièce n° 13; Déclare irrecevables les demandes présentées par la société Gep Industries à l'encontre de Monsieur Ledermann, Déboute la société HSM Schuhmarketing Gmbh de sa demande de nullité de l'assignation et du jugement déféré ; Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré ; Ajoutant, Condamne la société HSM Schuhmarketing Gmbh à payer à la société Gep Industries la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel. Déboute les parties de leurs autres demandes. Condamne la société HSM Schuhmarketing Gmbh aux dépens recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.