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Décisions

CE, 3e et 8e sous-sect. réunies, 30 juin 2006, n° 283479

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Fiducial Audit (Sté), Fiducial Expertise (Sté)

Défendeur :

KPMG (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hagelsteen

Rapporteur :

M. Crépey

Commissaire du gouvernement :

M. Séners

Avocats :

SCP Piwnica, Molinie

CE n° 283479

30 juin 2006

LE CONSEIL : - Vu la requête, enregistrée le 5 août 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour les sociétés Fiducial Audit et Fiducial Expertise, représentées par leur président en exercice, domicilié en cette qualité au siège des sociétés, 20, place de l'Iris à Courbevoie (92400) ; les sociétés Fiducial Audit et Fiducial Expertise demandent au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 19 novembre 2004 par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a autorisé la société KPMG SA à acquérir 100 % des actions de la société Salustro Reydel et Associés Holding ; 2°) de mettre à la charge de l'Etat les frais exposés par elles et non compris dans les dépens au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu le Code de commerce ; Vu le Code de justice administrative ; Après avoir entendu en séance publique : - le rapport de M. Edouard Crépey, Maître des Requêtes, - les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Fiducial Audit et de la société Fiducial Expertise, - les conclusions de M. François Séners, Commissaire du Gouvernement ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 430-4 du Code de commerce : La réalisation effective d'une opération de concentration ne peut intervenir qu'après l'accord du ministre chargé de l'Economie et, le cas échéant, du ministre chargé du secteur économique concerné ; qu'aux termes de l'article L. 430-5 du même Code : I. - Le ministre chargé de l'Economie se prononce sur l'opération de concentration dans un délai de cinq semaines à compter de la date de réception de la notification complète. II. - Les parties à l'opération peuvent s'engager à prendre des mesures visant notamment à remédier, le cas échéant, aux effets anticoncurrentiels de l'opération (...). III.- Le ministre chargé de l'Economie peut : - soit constater, par décision motivée, que l'opération qui lui a été notifiée n'entre pas dans le champ défini par les articles L. 430-1 et L. 430-2 ; - soit autoriser l'opération, en subordonnant éventuellement, par décision motivée, cette autorisation à la réalisation effective des engagements pris par les parties.

Toutefois, s'il estime que l'opération est de nature à porter atteinte à la concurrence et que les engagements pris ne suffisent pas à y remédier, il saisit pour avis le Conseil de la concurrence (...) ; que les sociétés Fiducial Audit et Fiducial Expertise contestent par la voie du recours pour excès de pouvoir la décision du 19 novembre 2004, publiée le 20 septembre 2005 au Bulletin officiel de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, par laquelle le ministre d'Etat, ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a, sur le fondement des dispositions précitées, autorisé sans réserve la société KPMG SA à acquérir 100 % des actions de la société Salustro, Reydel et Associés Holding ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la société KPMG SA ;

Considérant, en premier lieu, que les sociétés Fiducial Audit et Fiducial Expertise qui ne contestent pas la dimension géographique nationale des marchés retenue par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, soutiennent que, pour autoriser la concentration litigieuse, ce dernier a retenu une définition erronée des marchés qu'elle pouvait affecter ; qu'en se bornant à distinguer, d'une part, les services d'audit et d'expertise comptable à destination des petites et moyennes entreprises et, d'autre part, les prestations offertes aux grandes entreprises et sociétés cotées, il aurait omis d'isoler, pour l'analyse concurrentielle, le marché des services d'audit aux grandes entreprises et sociétés cotées, auxquels ne seraient pas substituables, du point de vue de la demande, les prestations relevant de l'expertise comptable ; qu'en privilégiant ainsi des critères de substituabilité du côté de l'offre, il aurait entaché sa décision d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ;

Considérant qu'il ressort des termes mêmes de la décision attaquée que le ministre a retenu, en se fondant, d'une part, sur les décisions de la Commission européenne en date du 20 mai 1998 et du 5 septembre 2002 autorisant respectivement la fusion des sociétés PriceWaterhouse et Coopers et Lybrand et l'acquisition par Ernst et Young France des différentes entités détenues en France par la société Andersen, et d'autre part, sur le test de marché qu'il a effectué, deux marchés de l'audit et de l'expertise comptable selon la taille des entreprises clientes (grandes entreprises et sociétés cotées d'une part et petites et moyennes entreprises de l'autre) ; que, ce faisant, il a, contrairement à ce qui est soutenu par les sociétés requérantes, délimité les marchés en privilégiant la substituabilité des services du point de vue de la demande ; qu'au surplus, les caractéristiques de l'offre de produits ou de services peuvent également être prises en compte pour opérer cette délimitation ; que, par ailleurs, dans sa décision, le ministre a souligné l'existence d'une demande spécifique des grandes entreprises et des sociétés cotées pour les prestations d'audit légal et en a analysé les raisons ; qu'il a ensuite centré son analyse concurrentielle, menée à partir des mandats de commissariat aux comptes détenus dans les sociétés retenues pour le calcul des indices CAC 40 et SBF 120, sur ce dernier segment de marché ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, le ministre a examiné les marchés dans leurs différentes composantes ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'il aurait retenu une définition erronée des marchés susceptibles d'être affectés par l'opération de concentration doit être écarté ;

Considérant, en second lieu, que les sociétés requérantes reprochent au ministre d'avoir, dans l'analyse des effets concurrentiels de l'opération notifiée, inexactement apprécié les risques de création ou d'aggravation d'une position dominante collective au profit des quatre principaux opérateurs, les cabinets Ernst et Young, Deloitte, PricewaterhouseCoopers et KPMG ;

Considérant que les effets unilatéraux de l'opération de concentration contestée restent d'une ampleur modeste ; que si elle augmente, sur le segment constitué par les sociétés du CAC 40 et du SBF 120, la part de marché du cabinet KPMG de trois à six points selon les indicateurs retenus, ce cabinet est et demeurera le plus petit des opérateurs principaux, avec une taille inférieure de moitié à celle du plus grand acteur ; qu'ainsi, cette concentration ne modifie pas sensiblement la situation résultant en France des décisions précitées rendues par la Commission en 1998 et 2002, acceptant que soit ramené à quatre le nombre de cabinets d'audit et de conseil d'envergure internationale susceptibles de répondre à toutes les demandes des grandes entreprises et des sociétés cotées et qui dominent ce segment de marché puisque trente-neuf des sociétés du CAC 40 et cent-dix sociétés parmi celles qui figuraient à l'indice SBF 120 ont au moins un de leurs co-commissaires choisi parmi ces quatre grands cabinets ; qu'elle ne change pas davantage la situation au regard des risques de constitution ou d'aggravation d'une position dominante collective, d'ailleurs déjà examinés mais écartés par la Commission européenne dans ses décisions précitées, alors surtout qu'au sein de l'oligopole formé par les quatre grands cabinets internationaux, les positions en France restent, après l'opération, fortement asymétriques ;

Considérant, il est vrai, que la capacité des concurrents actuels ou potentiels de l'oligopole à remettre en cause les résultats attendus d'une collusion tacite est un des éléments qui doivent être pris en compte pour déterminer les risques de création ou de renforcement d'une position dominante collective ; qu'à cet égard, le rachat par l'un des quatre grands cabinets internationaux de l'un des principaux cabinets d'audits de second rang en France capable de constituer, dans une certaine mesure, une alternative crédible, notamment en ce qui concerne l'attribution du second mandat de commissaire aux comptes (imposé aux sociétés astreintes à publier des comptes consolidés par les dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 225-228 du Code du commerce) à un cabinet n'appartenant pas au même réseau, pourrait faire craindre que l'opération en cause ne soit de nature à augmenter ces risques ;

Mais considérant que, d'une part, après l'opération autorisée, il reste au moins quatre cabinets indépendants qui sont regardés comme pouvant fournir une telle solution alternative ; que, d'autre part, l'analyse des changements récents de commissaires aux comptes parmi les sociétés du SBF 120 fait apparaître une relative fluidité des mandats favorisée par le recours à des procédures d'appel d'offres et que, notamment, l'un des plus importants d'entre eux a remporté des mandats précédemment détenus par l'un de ces grands cabinets ; qu'il convient enfin de relever que les sociétés du CAC 40 et du SBF 120 ne sont pas les seules, parmi les grandes entreprises, à avoir recours aux services de grands cabinets d'audit ;

Considérant qu'ainsi et compte tenu de l'exigence d'apporter des éléments de preuve solides pour établir l'existence d'une position dominante collective, le ministre de l'Economie a pu, sans erreur de droit ni d'appréciation, écarter le risque que l'opération conduise à la création d'une telle position ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Fiducial Audit et Fiducial Expertise ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision du 19 novembre 2004 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative : - Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les sociétés Fiducial Audit et Fiducial Expertise demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par l'Etat sur le même fondement ;

DECIDE :

Article 1 : La requête des sociétés Fiducial Audit et Fiducial Expertise est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par l'Etat sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Fiducial Audit, à la société Fiducial Expertise, à la société KPMG SA et au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie.