CA Aix-en-Provence, 2e ch., 4 janvier 2007, n° 05-03615
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société Nouvelle Sodetram (SARL), Laure (ès qual.)
Défendeur :
Etablissements Louis Mazet (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Conseillers :
MM. Folhen, Jacquot
Avoués :
SCP de Saint Ferreol-Touboul, SCP Sider
Avocats :
Mes Coutelier, Lecat
Faits, procédure et prétentions des parties
La SARL Société Nouvelle Sodetram a effectué en sous-traitance pour le compte de la SA Groupe Mazet à compter du mois de novembre 2001 des transports de distribution de messagerie dans le département du Var. La relation commerciale a pris fin, le 10 octobre 2003, dans des circonstances aujourd'hui controversées.
Par jugement contradictoire en date du 3 janvier 2005, le Tribunal de commerce de Marseille a débouté la SARL Société Nouvelle Sodetram de sa demande tendant à obtenir réparation du préjudice découlant de la brusque rupture.
La SARL Société Nouvelle Sodetram a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.
Vu les dispositions des articles 455 et 954 du nouveau Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998
Vu les prétentions et moyens de Maître Simon Laure agissant en qualité de représentant des créanciers de la SARL Société Nouvelle Sodetram, mise en redressement judiciaire, dans ses conclusions en date du 17 octobre 2005 tendant à faire juger:
- que la rupture des relations contractuelles est imputable à la SA Groupe Mazet qui a modifié unilatéralement la liste des localités desservies par les tournées de messagerie confiées en sous-traitance et que le sous-traitant n'a jamais refusé à partir du 10 octobre 2003 de continuer sa prestation malgré les modifications apportées au contrat,
- que la SA Groupe Mazet a rompu brutalement la relation commerciale sans respecter le préavis fixé par le décret du 19 juillet 2001 ou subsidiairement par l'article L. 446-6 du Code de commerce, ce qui entraine un préjudice évaluable à 38 728,59 euro;
Vu les prétentions et moyens de la SA des Établissements Louis Mazet dans ses conclusions d'appel en date du 23 janvier 2006 tendant à faire juger:
- qu'une réorganisation des tournées confiées à la SARL Société Nouvelle Sodetram s'imposait ensuite de la création d'une filiale du Groupe Mazet à Fréjus (83) à compter du 1er septembre 2003,
- que seules " l'intransigeance et la menace " du sous-traitant qui a refusé la nouvelle organisation sont à l'origine de la rupture de la relation contractuelle et que la SARL Société Nouvelle Sodetram par sa décision de se retirer du GIE Octave, le 23 septembre 2003, rendant impossible le chargement du fret Mazet à Avignon a pris l'initiative de rompre le contrat de sous-traitance et a obligé la SA Groupe Mazet à ré-organiser dans l'urgence son plan de transport,
- que la SA Groupe Mazet est restée ouverte à toutes négociations ensuite de la rupture de fait du 10 octobre 2003, des propositions d'affectations de nouvelles communes du Var ayant été faites à la SARL Société Nouvelle Sodetram, les 12 novembre et 17 décembre 2003,
- que le décret du 19 juillet 2001 ne prévoit pas de sanctions dans l'hypothèse du non-respect du préavis qu'il institue et que la SARL Société Nouvelle Sodetram ne démontre pas la réalité du préjudice invoqué qui découlerait de la brusque rupture
L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 20 octobre 2006.
Motifs et décision
Attendu que le Tribunal de commerce de Marseille a jugé que l'action en réparation devait être dirigée contre la SA des Établissements Louis Mazet qui conclut sous cette dénomination sociale devant la Cour d'appel d'Aix-en-Provence et ne soutient plus que l'action de la SARL Société Nouvelle Sodetram serait mal dirigée ;
Attendu que la SA des Établissements Louis Mazet a confié à la SARL Société Nouvelle Sodetram depuis le mois de novembre 2001 l'exécution de transports de messagerie (tournées régulières) dans le département du Var ; que, en prévision de la réorganisation de la distribution devant être mise en place à compter du 1er septembre 2003 par une filiale nouvellement créée du Groupe Mazet à Fréjus consécutivement à la reprise de l'activité d'un autre transporteur, la société Grimaud, faisant l'objet d'une procédure collective, il a été communiqué à la SARL Société Nouvelle Sodetram en juillet 2003 une liste de localités qui lui étaient affectées, cette liste de localités étant réduite par rapport à celles précédemment desservies par la SARL Société Nouvelle Sodetram (l'ensemble du département) ; que cette dernière a protesté, par courrier en date du 19 août 2003, se plaignant qu'il lui était réservé des localités " présentant des difficultés d'approche " (commune du "Haut-Var" imposant une "distribution éclatée ") et d'un intérêt économique restreint pour le sous-traitant ; que la SA des Établissements Louis Mazet n'a pas répondu à ses objections avant la rupture de fait intervenue le 10 octobre 2003 (non prise en charge du fret), ses courriers postérieurs ne pouvant être interprétés que comme des propositions de reprise de relations commerciales et ne pouvant s'analyser en des négociations/pourparlers en vue d'aménager la poursuite des relations, celles-ci ayant été totalement rompues ;
Attendu que la réorganisation imposée unilatéralement par la SA des Etablissements Louis Mazet, sans aucune concertation préalable et au détriment de la SARL Société Nouvelle Sodetram qui se voyait affecter des localités à la desserte difficile et ne présentant pas un potentiel économique intéressant, a conduit la SARL Société Nouvelle Sodetram à décider, le 23 septembre 2003, son retrait du GIE Octave, plate-forme logistique située à Avignon, en raison de la diminution importante du volume du fret qui lui était désormais confié depuis le 1er septembre 2003 ; qu'il ne peut être reproché à la SARL Société Nouvelle Sodetram en l'état d'une modification unilatérale, importante concernant le volume des transports confiée et la localisation des points desservis, d'avoir pris cette décision (l'adhésion au GIE représentant une dépense de 5 000 F ou 762,25 euro par mois se justifiant beaucoup moins); que la SA des Établissements Louis Mazet a provoqué la rupture de la relation commerciale établie en plaçant son sous-traitant devant le fait accompli ; qu'il n'apparaît pas, au demeurant, que la SARL Société Nouvelle Sodetram a refusé de prendre en charge le fret du Groupe Mazet (aucun document n'étant versé au débat par les parties quant aux circonstances précises de la cessation de la prestation que toutes deux situent au 10 octobre 2003 - la SA des Établissements Louis Mazet n'ayant d'ailleurs jamais imputé dans ses courriers des 12 novembre et 17 décembre 2003 la responsabilité de la rupture à la SARL Société Nouvelle Sodetram);
Attendu que la responsabilité de la brusque rupture de la relation commerciale incombe à la SA des Établissements Louis Mazet qui devait à la suite du refus de la SARL Société Nouvelle Sodetram d'accepter la réorganisation proposée, mettre fin à la relation commerciale établie et constante en respectant le préavis et maintenir le contrat de sous-traitance jusqu'à son terme ;
Attendu que la SA des Établissements Louis Mazet ne conteste pas la "référence " au décret n° 2001-659 du 19 juillet 2001 instituant un contrat-type applicable aux transports publics routiers des marchandises exécutés par des sous-traitants et prévoyant pour sa résiliation un préavis de trois mois " quand la durée de la relation est d'un an et plus" ; que la SA des Établissements Louis Mazet se borne singulièrement à soutenir que "le décret ne prévoit pas de sanctions en cas de non-respect du délai de préavis" (?), ce qui semble indiquer qu'aucune "sanction" ne serait permise malgré un non-respect évident d'une obligation légale; que le sous-traitant peut pour le moins exiger le paiement de l'indemnité de préavis prévue dans diverses dispositions légales et réglementaires;
Attendu qu'il convient de fixer la durée du préavis pour résilier la relation commerciale dont s'agit qui a duré environ deux années, à trois mois par "référence " audit décret dont la validité n'est désormais plus mise en cause, qui a consacré des usages du commerce et par application de l'article L. 442-6, 5° du Code de Commerce qui oblige à réparation un commerçant qui a rompu brutalement une relation commerciale établie sans notification écrite respectant un délai suffisant de prévenance tenant compte de la durée de la relation commerciale ; que la SARL Société Nouvelle Sodetram est en droit d'obtenir la réparation du préjudice entraîné par le caractère brutal de la rupture; que le préjudice ne peut s'analyser en la perte totale du chiffre d'affaires qui aurait pu être réalisé pendant la durée nécessaire du préavis ; qu'au vu des justificatifs produits, il convient de fixer à la somme de 26 000 euro le montant des dommages et intérêts réparant ledit préjudice constitué principalement par la perte de la marge brute, outre tous les surcoûts d'exploitation supportés par la SARL Société Nouvelle Sodetram pendant la durée du préavis;
Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 2 000 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens;
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence à la date indiquée à l'issue des débats, conformément à l'article 450 alinéa 2 du nouveau Code de procédure civile, Reçoit l'appel de la SARL Société Nouvelle Sodetram comme régulier en la forme. Au fond, réforme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau, condamne la SA des Etablissements Louis Mazet à porter et payer à Maître Simon Laure, ès qualités de représentant des créanciers de la SARL Société Nouvelle Sodetram mise en redressement judiciaire, la somme de 26 000 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et celle de 2 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SA des Établissements Louis Mazet aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP d'avoués Marie-José de Saint Ferréol & Colette Touboul, sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.