CJCE, 5e ch., 10 juillet 2001, n° C-86/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Ordonnance
PARTIES
Demandeur :
HSB-Wohnbau GmbH
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. La Pergola
Juges :
MM. Wathelet, Jann, Sevón, von Bahr
Avocat général :
M. Ruiz-Jarabo Colomer
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par ordonnance du 3 mars 2000, parvenue à la Cour le 7 mars suivant, l'Amtsgericht Heidelberg a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 43 CE et 48 CE.
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une demande formée par la société de droit allemand HSB-Wohnbau GmbH (ci-après "HSB-Wohnbau"), tendant à l'inscription au registre du commerce allemand du transfert en Espagne de son siège social, sans changement d'identité de la société.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
3. HSB-Wohnbau est une société à but lucratif de droit allemand, constituée en 1988 et régulièrement inscrite au registre du commerce tenu par l'Amtsgericht Heidelberg. Son siège statutaire se trouve à Sinsheim (Allemagne).
4. En août 1999, toutes les parts de HSB-Wohnbau ont été transférées à la société Paradies-Sonne-Meer SL, inscrite dans l'intervalle au registre espagnol et désormais associé unique. Parallèlement, l'assemblée générale des associés de HSB-Wohnbau a décidé de cesser toutes ses activités en Allemagne et de les exercer désormais en Espagne, ainsi que de transférer le siège réel et le siège statutaire à Orihuela Costa (Espagne).
5. En décembre 1999, HSB-Wohnbau a présenté à l'Amtsgericht Heidelberg, dans les formes prescrites par le droit allemand, le contrat de société dûment modifié et ademandé que le transfert du siège social en Espagne soit inscrit au registre du commerce allemand.
6. L'Amtsgericht Heidelberg se demande si une société de droit allemand peut faire inscrire au registre du commerce allemand le transfert à l'étranger de son siège social et, partant, s'il y a lieu de faire droit à la demande de HSB-Wohnbau.
7. D'une part, cette juridiction indique que, selon la jurisprudence allemande et la doctrine qui prévaut en Allemagne, c'est la théorie dite "du siège" qui est applicable en matière de reconnaissance des sociétés. Cela signifie que, dans la pratique juridique allemande, une société n'a d'existence juridique que si elle a son siège réel dans le pays selon le droit duquel elle a été constituée. Dans cette optique, le transfert du siège d'une société à l'étranger entraîne obligatoirement sa dissolution et sa liquidation, c'est-à-dire, notamment, la perte de sa personnalité juridique en Allemagne, ainsi que la constitution d'une nouvelle société à l'étranger. Le droit international des sociétés - non écrit - applicable en Allemagne ne permettant pas le transfert à l'étranger du siège social sans changement d'identité de la société, la demande de HSB-Wohnbau tendant à l'inscription au registre du commerce allemand du transfert de son siège en Espagne devrait être rejetée.
8. D'autre part, l'Amtsgericht Heidelberg soulève la question de l'incidence du droit communautaire sur le droit international des sociétés applicable en Allemagne. Les dispositions du traité CE relatives au droit d'établissement des sociétés, énoncées à l'article 43 CE, lu en combinaison avec l'article 48 CE, seraient pertinentes à cet égard. Elles pourraient, en effet, s'opposer à la pratique juridique allemande interdisant aux sociétés de transférer leur siège hors du territoire allemand sans changement d'identité et les contraignant, en pareil cas, à se dissoudre et à se reconstituer à l'étranger.
9. Dans ces conditions, l'Amtsgericht Heidelberg juge nécessaire, pour prendre sa décision, d'interroger la Cour afin de déterminer si les articles 43 CE et 48 CE s'opposent à des pratiques nationales telles que celles résultant de la théorie du siège. Considérant que la jurisprudence de la Cour, en particulier les arrêts du 27 septembre 1988, Daily Mail and General Trust (81/87, Rec. p. 5483), et du 9 mars 1999, Centros (C-212/97, Rec. p. I-1459), ne permet pas de répondre à cette question, il a posé les questions préjudicielles suivantes:
"1) Le transfert en Espagne - sans changement d'identité de la société - du siège d'une Gesellschaft mit beschränkter Haftung (GmbH - société à responsabilité limitée), valablement constituée selon le droit allemand et inscrite au registre allemand, dont l'associé unique est une société espagnole, relève-t-il des droits visés par les articles 43 CE et 48 CE?
2) Les articles 43 CE et 48 CE s'opposent-ils à une disposition interdisant le transfert en Espagne - sans changement d'identité de la société - du sièged'une Gesellschaft mit beschränkter Haftung (GmbH - société à responsabilité limitée), valablement constituée selon le droit allemand et inscrite au registre allemand, dont l'associé unique est une société espagnole?"
Sur la compétence de la Cour
10. Aux termes de l'article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d'une requête ou lorsque celle-ci est manifestement irrecevable, la Cour, l'avocat général entendu, peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée.
11. Selon une jurisprudence constante, il résulte de l'article 234 CE que les juridictions nationales ne sont habilitées à saisir la Cour que si un litige est pendant devant elles et si elles sont appelées à statuer dans le cadre d'une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel (ordonnance du 5 mars 1986, Greis Unterweger, 318/85, Rec. p. 955, point 4; arrêts du 19 octobre 1995, Job Centre, dit "Job Centre I", C-111/94, Rec. p. I-3361, point 9; du 12 novembre 1998, Victoria Film, C-134/97, Rec. p. I-7023, point 14, et du 14 juin 2001, Salzmann, C-178/99, non encore publié au Recueil, point 14).
12. Dans l'arrêt Job Centre I, précité, le renvoi préjudiciel émanait du Tribunale civile e penale di Milano (Italie) et concernait une demande d'homologation des statuts d'une société, laquelle est examinée, en Italie, dans le cadre d'une procédure de "giurisdizione volontaria". Au point 11 de cet arrêt, la Cour a jugé qu'elle était incompétente pour connaître du renvoi au motif que le Tribunale civile e penale, lorsqu'il statue selon les dispositions nationales applicables et dans le cadre d'une procédure de "giurisdizione volontaria" sur une demande d'homologation des statuts d'une société aux fins de l'inscription de celle-ci au registre, exerce une fonction non juridictionnelle qui, dans d'autres États membres, est confiée à des autorités administratives. Elle a, en effet, considéré que ce juge faisait acte d'autorité administrative sans être en même temps appelé à trancher un litige.
13. Au même point 11 dudit arrêt, la Cour a encore précisé que ce n'est qu'au cas où la personne habilitée par la loi nationale à demander l'homologation introduit un recours à l'encontre d'un refus d'homologation et, par conséquent, d'enregistrement que la juridiction saisie peut être considérée comme exerçant, au sens de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une fonction de nature juridictionnelle ayant pour objet l'annulation d'un acte lésant un droit du demandeur.
14. Dans la présente affaire, il ressort de l'ordonnance de renvoi que l'Amtsgericht a saisi la Cour à titre préjudiciel en sa qualité d'autorité chargée de la tenue du registre du commerce et dans le cadre d'une affaire relative à une inscription audit registre. Rien dans le dossier n'indique qu'un litige soit pendant devant l'Amtsgericht entre HSB-Wohnbau et une éventuelle partie défenderesse.
15. En outre, il ne ressort nullement du dossier présenté à la Cour que la situation de HSB-Wohnbau ait, avant la saisine de la Cour par l'Amtsgericht, donné lieu à une décision à l'encontre de laquelle un recours aurait été formé devant le juge de l'Amtsgericht. Ce dernier est donc la première autorité à connaître de la demande d'inscription au registre du commerce du transfert du siège de HSB-Wohnbau.
16. Il en résulte que, dans l'affaire au principal, l'Amtsgericht, qui a saisi la Cour afin de savoir si la décision qu'il doit prendre en application du droit allemand est ou non conforme au droit communautaire, agit dans l'exercice d'une fonction non juridictionnelle.
17. Il y a lieu dès lors de faire application de l'article 92, paragraphe 1, du règlement de procédure et de constater que la Cour est manifestement incompétente pour statuer sur les questions posées par l'Amtsgericht Heidelberg.
Sur les dépens
18. Les frais exposés par les gouvernements allemand, belge, italien, autrichien et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant l'Amtsgericht Heidelberg, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre)
ordonne:
La Cour de justice des Communautés européennes est manifestement incompétente pour répondre aux questions posées par l'Amtsgericht Heidelberg dans son ordonnance du 3 mars 2000.