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Décisions

CA Paris, 1re ch. H, 15 mai 2007, n° ECEC0760063X

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Transport Location Béton (SA)

Défendeur :

Président du Conseil de la Concurrence, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pezard

Conseillers :

M. Remenieras, Mme Mouillard

Avoué :

Me Huyghe

Avocat :

Me Gondouin

CA Paris n° ECEC0760063X

15 mai 2007

Matériau de construction essentiel couramment qualifié de "pierre reconstituée" ou de "pierre artificielle", le béton peut être fabriqué hors chantier sous forme de "béton prêt à l'emploi" (BPE) au moyen d'une centrale fixe. Sa durée de maniabilité étant toutefois limitée à un maximum de deux heures, le délai de transport entre la centrale et le lieu d'utilisation ne peut excéder 90 minutes. Pour cette raison, environ 1600 centrales fixes de fabrication de BPE ont été implantées sur l'ensemble du territoire afin que tous les chantiers puissent être approvisionnés dans des conditions optimales. La livraison du béton prêt à l'emploi, confiée par les donneurs d'ordre à des entreprises de transport qui disposent d'un parc de véhicules dotés d'équipements spéciaux implique un temps d'attente variable, tant sur le site de la centrale elle-même que sur les chantiers.

La société Transports Location Béton-TLB, ci-après TLB, établie à Compiègne (Oise), a pris l'initiative, à partir du mois d'octobre 1995, de facturer ce temps d'attente, en sus du tarif contractuel "au tour" ou au m3, à trois de ses principaux clients, les entreprises Béton de France, Beauvais Béton, et RH Engineering qui ont alors décidé de ne plus poursuivre de relations commerciales avec elle. TLB a procédé de même à partir du mois de mai 1996 avec un autre de ses donneurs d'ordre, l'entreprise Orsa Bétons Nord, qui a toutefois continué de lui confier des transports jusqu'à sa cessation d'activité, intervenue en février 2001.

Par lettre du 25 octobre 1996, enregistrée le 29 octobre 1999 sous le numéro F 914 la société TLB a saisi le Conseil de la concurrence, ci-après le Conseil, en dénonçant le refus qui lui était opposé par ses donneurs d'ordre, les sociétés Béton de France, Beauvais Béton, Béton de Creil et RH Engineering, de facturer les temps d'attente de ses camions au delà d'une durée de 30 minutes, pratique susceptible d'entrer dans le champ d'application des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce. Par courrier du 20 janvier 2000, TLB a toutefois déclaré se désister partiellement de son action contre la société Orsa Bétons Nord, en raison de la signature d'un protocole d'accord.

Par décision du 22 juin 2006, le Conseil, qui s'était saisi d'office des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport du béton prêt à l'emploi, faisant application des dispositions de l'article L. 464-6 du Code de commerce, a décidé qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre la procédure.

LA COUR :

Vu le recours en annulation et subsidiairement en réformation déposé au greffe de la cour le 21 juillet 2006 par la société TLB, soutenu par son mémoire en réplique déposé le 12 février 2007, par lequel elle demande à la cour d'annuler la décision déférée et de renvoyer l'affaire devant le Conseil afin de poursuivre la procédure;

Vu les observations écrites du Conseil de la concurrence du 18 décembre 2006;

Vu les observations écrites du Ministère public, mises à la disposition des parties à l'audience;

Ouï à l'audience publique du 6 mars 2007, en leurs observations orales, le conseil de la requérante ainsi que le représentant du ministre chargé de l'Economie, la requérante ayant été mise en mesure de répliquer;

Sur ce :

Considérant, en premier lieu, que concernant la détermination du marché pertinent permettant d'apprécier les pratiques dénoncées, la requérante soutient qu'il convient de se référer à un marché unique du transport du béton prêt à l'emploi sur lequel une position dominante collective des entreprises mises en cause peut être constatée;

Mais considérant que c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le Conseil a conclu que le croisement de la demande avec l'offre permettait au cas d'espèce de circonscrire le marché pertinent du transport du BPE, soit aux principales zones de commercialisation de ce matériau de Beauvais, Compiègne et Creil-Nogent-Senlis, soit à l'ensemble du territoire de l'Oise ; que le Conseil a en effet exactement retenu, d'une part, que la demande de transport en cause est formulée par des entreprises de béton établies dans l'Oise depuis les centrales établies dans ce département jusqu'aux chantiers de leurs clients et, d'autre part, que l'offre consiste en la mise à disposition de camions toupies spécialisés dans le seul transport du BPE, qui peuvent se déplacer d'une centrale à une autre à l'intérieur du département de l'Oise ou, le cas échéant, de départements voisins ; que la décision déférée retient également à juste titre, d'une part, que si l'offre potentielle est en effet celle de tous les opérateurs disposant de ces véhicules, la demande des bétonniers de l'Oise est toutefois, en réalité, principalement satisfaite par l'offre des loueurs résidant dans ce département et, d'autre part, que les caractéristiques du BPE, qui ne peut être stocké et qui est susceptible de se dégrader avec le temps, confèrent à son transport une importance déterminante et qu'il est ainsi possible de qualifier de marchés pertinents des marchés ayant une dimension infra-départementale;

Que, concernant la position dominante collective attribuée par TLB aux entreprises mises en cause, c'est également par de justes appréciations, que la cour fait siennes, que le Conseil, après avoir décidé qu'aucun des trois grands bétonniers n'avait la possibilité de s'abstraire du comportement des deux autres sur le marché pertinent considéré, a également écarté ce grief en relevant que, en l'absence de liens structurels entre les entreprises concernées, l'enquête ne démontrait aucune ligne d'action commune sur le marché puisque l'on ne constatait ni des variations parallèles des prix de transport, ni une véritable stabilité des parts de marché de commercialisation du BPE sur les zones de commercialisation;

Considérant, en deuxième lieu, que la requérante maintient que la résiliation simultanée des accords conclus avec les trois entreprises concernées, qui lui imposaient de tarifs abusifs et discriminatoires, permet d'attester l'existence des pratiques d'entente qu'elle dénonce;

Mais considérant que c'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que le Conseil a conclu que, en l'absence de parallélisme de comportement entre les principaux bétonniers de l'Oise vis-à-vis de leurs sous-traitants transporteurs de BPE, tant en matière de prix que de distances retenues pour le zonage, l'existence d'une entente n'était pas démontrée, la résiliation des contrats n'étant par surcroît intervenue qu'à la suite de la facturation unilatérale par TLB de journées de location ou de temps d'attente;

Considérant, en troisième lieu, que TLB prétend qu'elle a été victime d'un abus de dépendance économique qui, contrairement à ce qu'a estimé le Conseil, serait démontré par le retour à l'équilibre de ses comptes pendant la période où elle n'avait maintenu des relations qu'avec l'entreprise Orsa Béton Nord;

Mais considérant qu'il est constant que depuis sa création, en 1991, TLB a entretenu des relations commerciales avec au moins cinq donneurs d'ordre établis sur un territoire qui n'était d'ailleurs pas limité au seul département de l'Oise, de sorte qu'aucune dépendance économique à l'égard d'une entreprise déterminée n'est démontrée ; qu'il importe peu, dans ces conditions, que TLB soit parvenue à équilibrer ses comptes à la suite de la rupture des relations avec les entreprises dont le comportement est incriminé;

Que la requérante évoque également en vain, pour caractériser une exploitation abusive par ces entreprises de leur puissance économique, un prétendu non-respect des dispositions légales et réglementaires concernant les tarifs du transport, l'appréciation du respect de telles dispositions ne relevant pas, en effet, de la compétence du Conseil;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le recours, qui n'est pas fondé, doit être rejeté;

Par ces motifs, Rejette le recours, Condamne la société Transports Location Béton-TLB aux dépens.