CA Paris, 4e ch. A, 31 janvier 2007, n° 05-25055
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lu France (SAS)
Défendeur :
United Biscuits France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Hardouin, SCP Menard-Scelle-Millet
Avocats :
Mes Escande, Blanchard
Vu l'appel interjeté, le 23 décembre 2005, par la société Lu France d'un jugement rendu le 7 octobre 2005 par le Tribunal de commerce de Bobigny qui l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes ainsi que la société United Biscuits France de ses demandes reconventionnelles et l'a condamnée à verser à cette dernière la somme de 1 500 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les dernières conclusions signifiées le 13 novembre 2006, aux termes desquelles la société Lu France, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour de:
* juger que la société United Biscuits France en lançant sur le marché un biscuit sous une forme similaire à celle du biscuit Titeuf, conditionné selon une présentation et sous un décor d'emballage évoquant ce produit et qui lui est directement concurrent s'est rendue coupable de concurrence déloyale et parasitaire au sens des articles 1382 et suivants du Code civil,
* interdire à la société United Biscuits France de commercialiser son produit Houba! sous une forme et une présentation usurpant la forme et la présentation du biscuit Titeuf et ceci sous astreinte de 500 euro par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, c'est-à-dire par produit offert à la vente ou vendue sous le décor incriminé,
* ordonner sous le contrôle d'un huissier de justice désigné à cet effet, aux frais de la société United Biscuits France et sous astreinte de 1 000 euro par jour de retard, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la destruction des moules et cylindres ayant permis la fabrication du biscuit litigieux, ainsi que la destruction des stocks des biscuits Houba! et de leur conditionnement et de tout document comportant les éléments du décor litigieux,
* juger qu'en application de l'article 35 de la loi du 9 juillet 1991, les astreintes prononcées seront liquidées, s'il y a lieu, par la cour,
* débouter la société United Biscuits France de l'ensemble de ses demandes,
* condamner la société United Biscuits France à lui payer la somme de 600 000 euro en réparation de son préjudice, sauf à parfaire,
* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir assortie de la reproduction des emballages et des biscuits en présence dans cinq journaux ou revues français de son choix et aux frais de la société United Biscuits France, le coût de chaque insertion étant fixé à 6 000 euro HT, si besoin à titre de dommages et intérêts complémentaires,
* condamner la société United Biscuits France à lui verser la somme de 30 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens;
Vu les ultimes conclusions, en date du 27 novembre 2006, par lesquelles la société United Biscuits France, poursuivant la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, demande à la cour d'y ajouter:
* la condamnation de la société Lu France à lui payer la somme de 50 000 euro de dommages-intérêts pour procédure abusive,
* la publication judiciaire de l'arrêt à intervenir dans quatre journaux de son choix, aux frais avancés de la société Lu France dans la limite de 10 000 euro HT par publication, si besoin à titre de dommages et intérêts supplémentaires,
* la condamnation de la société Lu France à lui payer la somme de 50 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens;
Sur ce, LA COUR
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que:
* la société Lu France a, en avril 2002, lancé un goûter chocolaté sous la dénomination Titeuf, à l'effigie de ce personnage de bande dessinée, destinée aux enfants âgés de 6 à 12 ans,
* la société United Biscuits France a, au mois d'avril 2004, commercialisé un goûter chocolaté directement concurrent, selon la société appelante, de son biscuit Titeuf, dénommé Houba! sous une forme et un conditionnement, toujours selon elle, anormalement proches de la forme et du conditionnement de son biscuit,
* la vente du biscuit dénommé Houba! a été constatée, par un huissier de justice, le 28 mai 2004, dans le magasin Carrefour de Montreuil (93), à un prix légèrement inférieur (1,56 euro contre 1,66 euro pour le biscuit Titeuf),
* estimant que l'adoption, par la société United Biscuits France d'une forme de biscuit et d'une présentation reprenant les éléments identifiant le produit Titeuf aux yeux du public, n'était pas fortuite mais traduisait, au contraire, une volonté délibérée de créer un rapprochement avec le produit de sa concurrente afin de bénéficier de façon indue du courant d'achat qu'elle avait su établir en faveur de son produit Titeuf, la société appelante a, par lettre du 30 juillet 2004, demandé à la société United Biscuits France de prendre les mesures appropriées pour différencier son produit du sien,
* cette lettre étant restée sans réponse, c'est dans ces circonstances que la société Lu France a engagé la présente procédure en concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société United Biscuits France;
Considérant que la société Lu France caractérise de la façon suivante son produit Titeuf:
- un biscuit sablé dont une face est nappée de chocolat au lait d'une forme globalement rectangulaire aux pourtours ondulés et comportant un bord ourlé, l'effigie du personnage de la bande dessinée Titeuf apparaissant en relief sur la face sablée du biscuit,
- s'agissant du conditionnement, les biscuits sont présentés dans une boîte rectangulaire horizontale, contenant 12 sachets individuels de un biscuit chacun, pour un poids total inusité de 168 grammes,
- les 12 sachets individuels de 13 cm de long sur 4,5 cm de large, contenus dans le conditionnement, comportent chacun la reproduction d'un personnage différent de l'univers du personnage Titeuf sur un fonds uni de couleur vive : jaune, orange, vert, violet et bleu selon les sachets,
- la marque ombrelle Lu, de couleurs rouge, blanc et jaune, est située en haut et à gauche du sachet,
- le décor d'emballage étant caractérisé par un biscuit représenté sur le côté droit du décor, légèrement incliné vers le haut et la droite, sa face visible et seule comportant l'effigie du personnage Titeuf, deux autres biscuits situés en arrière-plan laissant apparaître une partie du sachet dans lequel ils sont contenus, le personnage Titeuf étant représenté sur la partie gauche du décor (il tire la langue exprimant l'idée de gourmandise), la dénomination du produit composée de six lettres est inscrite sur la partie supérieure du décor selon un effet de relief (jaune/violet sombre), le logo Lu composé de deux lettres majuscules de couleur rouge/blanc et souligné par une ondulation jaune, est situé dans l'angle supérieur gauche du décor, le cadeau promotionnel se trouvant dans le conditionnement est présenté à gauche du décor en blanc et jaune sur fond rouge, la tranche du conditionnement de 19 cm de long sur 3,7 cm de large comporte le logo Lu dans l'angle supérieur gauche, la dénomination Titeuf en lettres jaunes en relief et la mention biscuits tchôco au lait figurant sur le côté droit;
* Sur la concurrence déloyale:
Considérant que, en droit, le principe de la liberté du commerce implique qu'une prestation qui ne fait pas ou ne fait plus l'objet de droits de propriété intellectuelle peut être librement reproduite, sous certaines conditions tenant notamment à l'absence de risque de confusion dans l'esprit des consommateurs sur l'origine du produit;
Considérant que, en l'espèce, il convient de relever que la société Lu France et la société United Biscuits France sont en concurrence directe sur le même segment de marché, celui du produit " biscuit-goûter chocolaté" distribué par de semblables réseaux et qui de ce fait est présenté à une clientèle identique sur les mêmes linéaires (cf. Procès-verbal de constat en date du 28 mai 2004);
Considérant qu'il appartient donc à la cour de rechercher si les produits opposés présentent, en raison de leurs ressemblances, une impression d'ensemble de nature à établir un risque de confusion dans l'esprit d'un consommateur moyennement attentif;
Considérant qu'il résulte de l'examen comparatif du biscuit Titeuf de la société Lu France et du biscuit Houba! de la société United Biscuits France:
- d'abord, que, s'agissant de la forme des biscuits, le biscuit Houba! se caractérise, comme le biscuit Titeuf, par une forme rectangulaire aux pourtours ondulés comportant un bord ourlé et la présence sur la face sablée du biscuit de l'effigie d'un personnage de bande dessinée, le Marsupilami, représenté en relief,
- ensuite, en ce qui concerne le conditionnement, que les produits opposés sont présentés, l'un et l'autre, dans une boîte rectangulaire horizontale, contenant 12 sachets individuels de 21 biscuits chacun pour un poids identique de 168 grammes, les sachets tant des biscuits Houba! que des biscuits Titeuf comportant la reproduction d'un personnage différent de l'univers de celui dont il est tiré, se détachant sur un fond uni de couleur vive, la marque ombrelle BN, de couleur rouge, blanc et jaune, comme le logo Lu, étant située au même emplacement, en haut et à gauche du sachet,
- enfin, s'agissant du décor de l'emballage, on relève sur chaque emballage la présence d'un biscuit sur le côté droit du décor, légèrement incliné vers le haut et la droite, sa face visible comportant la reproduction du personnage de bande dessinée, Titeuf ou Marsupilami selon le cas, une partie du sachet individuel comprenant le biscuit étant visible, la dénomination Titeuf ou Houba!, composée de six caractères est, sur chaque emballage, inscrite sur la partie supérieure du décor selon un effet de relief et dans une calligraphie proche, la présence du logo Lu ou BN, composé de deux lettres majuscules de couleur rouge/blanc, souligné par une ondulation jaune, située dans l'angle supérieur gauche du décor, l'offre de cadeau promotionnel est présentée, pour l'un et l'autre des produits, à gauche du décor, en blanc et jaune sur fond rouge, la tranche du conditionnement est de dimension identique (19 cm de long sur 3,7 cm de large), la mention biscuits tchôco au lait ou 12 biscuits au chocolat au lait étant apposée sur le côté droit, les deux personnages Titeuf et Marsupilami sont représentés sur la partie gauche du décor et, l'un et l'autre, tire la langue exprimant ainsi l'idée de gourmandise;
Considérant que, pour contester le risque de confusion dont se prévaut la société appelante, la société United Biscuits France fait valoir, en premier lieu, que la société Lu France revendiquerait une véritable protection sur un assemblage de caractéristiques connues de longue date et ainsi marquerait sa volonté de s'arroger par la voie judiciaire un monopole sur un simple concept, à savoir l'exploitation d'un personnage de bande dessinée, ou d'un héros de film en vogue, pour rendre le produit plus attractif;
Mais considérant qu'une telle allégation ne repose sur aucun fondement, la société appelante ne faisant pas grief à la société intimée d'exploiter un personnage de bande dessinée, mais de manière précise, ainsi qu'il l'a été précédemment caractérisé, la reproduction d'un ensemble d'éléments caractéristiques de son produit relativement à la forme des biscuits, au conditionnement et au décor d'emballage;
Que le concept invoqué par la société United Biscuits France peut être, comme il l'est démontré par les documents que cette dernière verse aux débats, matérialisé de manière très différente et ainsi qu'en atteste les évolutions qu'elle a, en cours de procédure, apporté à son produit Houba! en modifiant non seulement la forme du biscuit mais également son conditionnement et le décor de celui-ci dès lors que la cour relève, s'agissant du biscuit, que celui-ci présente désormais une forme rectangulaire à pans coupés, en ce qui concerne le conditionnement, un format plus long et moins large, d'un poids de 150 grammes, la présence de 6 sachets de deux biscuits dont la taille est nécessairement adaptée à la nouvelle forme du biscuit et, s'agissant des modifications apportées au décor du conditionnement, le déplacement de la représentation du biscuit de même que du personnage reproduit ou encore de la présentation du cadeau promotionnel;
Considérant, en second lieu, que les différences invoquées par la société appelante ne sont pas de nature à affecter la même impression d'ensemble visuelle qui se dégage des produits opposés et qui est de nature à engendrer un risque de confusion dans l'esprit d'un consommateur moyennement attentif; que, notamment, la circonstance selon laquelle les personnages reproduits ne sont pas identiques, est sans influence dès lors qu'il est légitimement possible de penser que le produit second introduit sur le marché n'est, en raison des similitudes relevées, qu'une déclinaison du produit premier d'autant que, sur le segment de marché concerné, les industriels recourent de manière usuelle à l'effet de gamme;
Considérant qu'il résulte de ces éléments que l'adoption par la société United Biscuits France, pour la mise sur le marché de son produit Houba! d'une forme de biscuit, d'un conditionnement et d'un décor reprenant l'ensemble des éléments caractéristiques du produit concurrent Titeuf de la société Lu France, fortement évocateur de ce produit et non nécessaire, constitue une faute directement génératrice d'un préjudice qui, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, engage sa responsabilité;
Qu'il s'ensuit que la société United Biscuits France sera déclarée coupable d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Lu France, de sorte que le jugement déféré sera infirmé;
* Sur la concurrence parasitaire:
Considérant que, en droit, le parasitisme est caractérisé par la circonstance selon laquelle une personne, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements;
Considérant que, en l'espèce, la société Lu France soutient que le coût estimé des ressources internes affectées à la recherche et au développement du produit Titeuf serait de 656 000 euro, correspondant à 529 heures d'études effectuées entre 2001 et 2002 par le centre Danone Vitapole, tandis que celui des études, analyses et frais de créations externes s'élèverait à 68 424,41 euro, soit un coût total de 724 424,41 euro;
Considérant que si les contestations émises par la société intimée sont, s'agissant de l'estimation des investissements internes, en partie fondées, il n'en demeure pas moins que, ainsi qu'elle en justifie, la société Lu France a procédé à d'importants travaux de recherche et de développement du produit Titeuf dont la société United Biscuits France a, en se plaçant dans le sillage de la société appelante, d'abord, tiré un profit indu en réalisant des économies substantielles de conception et de création comme le démontrent les investissements limités dont elle justifie aux débats, ensuite, diminué le risque et l'aléa économique lié au lancement d'un nouveau produit, encore, bénéficié du courant d'achat établi en faveur des biscuits Titeuf et, enfin, détourné, à son profit, les investissements et efforts commerciaux déployés par la société Lu France, de sorte que lors de son introduction sur le marché le biscuit Houba! a pu être proposé à un prix de 6 % inférieur à celui de la société appelante;
Qu'il résulte de ces éléments que le comportement de la société United Biscuits France revêt un caractère fautif, au sens des dispositions de l'article 1382 du Code civil, constitutif d'actes de concurrence parasitaire;
Que le jugement déféré sera donc infirmé;
* Sur les mesures réparatrices:
Considérant qu'il est établi que le biscuit Titeuf a, dès sa mise sur le marché, rencontré un vif succès commercial, et généré un chiffre d'affaires de 10 003 000 euro en 2003 qui a connu une baisse de plus de 26 %, à 7 364 129 euro, en 2004;
Qu'il résulte de l'étude de l'Institut Nielsen, versée aux débats, l'existence d'une corrélation entre la mise sur le marché du produit Houba! et la baisse constatée du chiffre d'affaires réalisé sur le biscuit Titeuf; que si, ainsi que le souligne justement la société United Biscuits France, on constate habituellement, sur ce type de produit, une chute structurelle des ventes, il n'en demeure pas moins que l'étude précitée, dressée à partir d'un échantillon de 500 points de vente, démontre que cette baisse du chiffre d'affaires qui est de 19 % dans les magasins où le produit Houba! n'est pas référencé, s'élève à 29 % dans ceux qui le référencent;
Considérant que les agissements de la société United Biscuits France ont également entraîné pour la société Lu France tant un préjudice résultant de la dilution de l'image du produit Titeuf, de l'atteinte portée à son succès commercial, fruit d'investissements importants, que d'un manque à gagner et d'un trouble commercial;
Que le préjudice s'inférant des actes déloyaux et parasitaires justifie l'octroi à la société Lu France de la somme de 250 000 euro à titre de dommages et intérêts;
Qu'il n'y a lieu de prononcer les mesures d'interdiction et de destruction sollicitées dès lors qu'il est établi que la société United Biscuits France a, au cours de la procédure, modifié, ainsi qu'il a été précédemment relevé, tant son produit Houba! que le conditionnement de celui-ci;
Qu'il convient, en revanche, de faire droit à la demande de publication suivant les modalités fixées au dispositif du présent arrêt;
* Sur les autres demandes:
Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société United Biscuits France sera déboutée de sa demande formée au titre de la procédure abusive et qu'elle ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que, en revanche, l'équité commande de la condamner, sur ce dernier fondement, à verser à la société Lu France une indemnité de 30 000 euro;
Par ces motifs, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Dit que la société United Biscuits France a, en fabricant et commercialisant le biscuit Houba!, commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Lu France, Condamne la société United Biscuits France à payer à la société Lu France la somme de 250 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale et parasitaire, Autorise la société Lu France à faire publier, en entier ou par extraits, le présent arrêt dans cinq journaux ou revues de son choix et aux frais de la société United Biscuits France, sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 3 500 euro ; Condamne la société United Biscuits France à verser à la société Lu France une indemnité de 30 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société United Biscuits France aux dépens de première instance et d'appel qui, pour ceux d'appel, seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.