CA Chambéry, ch. com., 31 octobre 2006, n° 05-02419
CHAMBÉRY
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Chambre de commerce et d'industrie de la Savoie
Défendeur :
Média Tremplin (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme Robert
Conseillers :
Mme Carrier, M. Betous
Avoués :
SCP Forqin-Rémondin, SCP Bollonjeon-Arnaud(Bollonjeon
Avocats :
Me Vercruysse, Selas Giabicani
Faits procédure prétentions et moyens des parties
Le 23-03-1999 la Chambre de commerce et d'industrie de Chambéry, ci-après dénommée CCI, a passé avec la société Média Tremplin un contrat de régie publicitaire en vue de la création et de la diffusion d'un magazine d'information économique bimestriel, baptisé "Partenaires-Savoie", ayant vocation à faire connaître et à promouvoir le monde économique local et dont le financement devait être assuré par des insertions publicitaires;
Ce contrat, conclu pour une durée de un an à compter du 23-03-1999, renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation par lettre recommandée trois mois avant la reconduction, a été reconduit par les parties jusqu'à ce que la CCI décide d'y mettre un terme par courrier du 26-11-2003 en invoquant la nécessité de se mettre en conformité avec le Code des marchés publics et de recourir à une procédure d'appel d'offres aux termes de laquelle l'agence "Grands Espaces" a été retenue;
Se prévalant, d'une part du préjudice moral et économique que lui aurait causé la CCI en adressant nominativement, le 14-01-2004, soit avant le terme du préavis convenu contractuellement qui expirait le 23-03-2004, à l'ensemble des annonceurs du magazine, une lettre circulaire les invitant d'ores et déjà à prendre contact avec la nouvelle agence et à traiter désormais avec elle, et d'autre part, de son droit à indemnité de clientèle, la société Média Tremplin a saisi le Tribunal de commerce de Chambéry d'une action tendant, sur le fondement des articles 1134 et 1135 du Code civil, ainsi que sur celui des usages professionnels en matière de régie publicitaire, à la condamnation de la CCI de Chambéry à lui verser, avec exécution provisoire, les sommes suivantes:
- 20 000 euro HT en réparation de son préjudice économique,
- 40 000 euro HT en réparation de son préjudice moral,
- 66 144 euro HT en paiement de l'indemnité de création et de développement de clientèle,
- 2 000 euro HT en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par jugement en date du 26-08-2005 le tribunal a débouté la CCI de son exception d'incompétence au profit du tribunal administratif en considérant que les parties étaient liées par un contrat de droit privé qu'il a qualifié de mandat d'intérêt commun, a fait partiellement droit aux prétentions de la société Média Tremplin en condamnant la CCI à lui verser les sommes de:
- 8 000 euro au titre de son préjudice économique,
- 20 000 euro au titre de l'indemnité de création et de développement de clientèle,
- 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; et a débouté celle-ci de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts pour actes de dénigrement de la part de la requérante;
Appelante de ce jugement la CCI soutient aux termes de ses dernières conclusions récapitulatives notifiées le 08-09-2006 et auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens des parties:
- que c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la société Média Tremplin ne pouvait prétendre avoir été victime de discrédit à l'origine d'un préjudice moral,
- que celle-ci ne rapporte pas davantage la preuve du préjudice que l'envoi de la lettre litigieuse lui aurait causé dès lors qu'elle a pris le soin de l'envoyer postérieurement aux négociations annuelles avec les annonceurs, et que la société Média Tremplin a donc pu commercialiser des espaces publicitaires au cours des mois de janvier et février;
- que le contrat s'analyse en un contrat de commission et non un contrat d'intérêt commun ainsi que le tribunal l'a improprement qualifié, de telle sorte que la société Média Tremplin ne peut prétendre à aucune indemnité de clientèle;
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il serait qualifié de mandat d'intérêt commun, qu'elle n'a fait qu'user de la faculté contractuelle de ne pas reconduire le contrat ce qui conduit en toute hypothèse à écarter toute indemnisation de ces chefs de préjudices;
- que la société Média Tremplin s'est livrée à une campagne de dénigrement de la CCI qui lui a causé un préjudice moral justifiant qu'il soit fait droit à sa demande reconventionnelle en paiement d'une somme de 40 000 euro à titre de dommages et intérêts outre la somme de 3 000 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 28-08-2006 et auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses moyens et prétentions, la société Média Tremplin sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a reconnu son droit à indemnisation pour préjudice économique et pour création et développement d'une clientèle dans le cadre d'un mandat d'intérêt commun, et, sur appel incident, demande à la cour de lui adjuger l'entier bénéfice de son assignation sauf à désigner un expert pour évaluer son préjudice économique, et à porter à 3 000 euro le montant de l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Sur quoi, LA COUR,
1° sur la demande principale
1. Attendu qu'aux termes du contrat de régie publicitaire conclu le 23-03-1999 entre les parties, la CCI a confié en exclusivité à la société Média Tremplin une mission de prospection commerciale consistant à rechercher des annonceurs et à leur vendre des espaces publicitaires dans le magazine "Partenaires Savoie";
Que conclu pour une durée de un an à compter du 23-03-1999 ce contrat était stipulé renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation par lettre recommandée trois mois avant sa reconduction;
Qu'il s'ensuit que si la CCI était parfaitement en droit d'user de cette faculté de dénonciation pour soumettre le marché à une procédure d'appel d'offres à l'issue de laquelle la candidature de la société Média Tremplin n'a pas été retenue, elle était tenue de respecter les clauses d'exclusivité et de préavis;
Or attendu qu'en prenant l'initiative, à l'insu de la société Média Tremplin dont le contrat prenait fin le 23-03-2004, d'adresser le 14-01-2003 à tous les annonceurs que celle-ci avait recrutés et fidélisés, une lettre circulaire les informant que la commission d'attribution des marchés avait retenu la candidature d'une nouvelle régie publicitaire "Grands Espaces" et les invitant, en leur communiquant ses coordonnées, à la considérer dès à présent comme "leur interlocuteur pour la commercialisation du numéro d'avril 2004', la CCI a violé la clause d'exclusivité du contrat passé avec la société Tremplin Media qui lui interdisait de faire intervenir la nouvelle régie avant l'expiration du délai de préavis;
Que cette faute ayant privé celle-ci de la possibilité, dès réception de ce courrier par les annonceurs, de recevoir les ordres d'insertion de ces derniers dont elle démontre, par des courriers et mails adressés par certains d'entre eux, qu'ils se sont effectivement adressés à la nouvelle régie, c'est à juste titre que le tribunal a considéré qu'elle avait subi un préjudice économique résultant de la perte des commissions qu'elle aurait du percevoir sur les facturations relatives aux ordres de publicité passés par les annonceurs habituels pour une parution dans le magazine d'avril 2004, lesquels ont nécessairement été recueillis avant le 23-03-2004 compte tenu des délais incompressibles de composition, d'impression et de parution;
Attendu quant à l'étendue de ce préjudice que la CCI qui conteste l'évaluation qu'en a faite le tribunal, n'a pas versé aux débats les ordres de publication et les facturations correspondantes qui auraient permis d'évaluer ce préjudice, laissant ainsi présumer que l'appréciation qu'en a faite le tribunal est inférieure à son montant réel;
Attendu en revanche que la production par la société Tremplin Media de la liste des annonceurs habituels ayant passé des ordres d'insertion publicitaire dans le magasine d'avril 2004 par le biais de la nouvelle régie, ainsi que la production des factures auxquelles ces mêmes prestations avaient précédemment donné lieu, permet d'évaluer à 14 000 euro la perte qu'elle a subie;
2. Attendu qu'en prenant l'initiative, à l'insu de la société Média Tremplin, d'informer les annonceurs qu'elle avait apportés au support, de ce qu'à l'issue d'une procédure d'appel d'offres elle avait été évincée au profit d'une autre régie avec laquelle elle les invitait à entrer immédiatement en contact, la CCI a ruiné le crédit de celle-ci auprès de ces annonceurs auxquels elle n'a pu fournir aucune explication sur son éviction et qui se sont étonnés de son insistance à vouloir poursuivre des relations avec eux pour le compte de la CCI au cours du premier trimestre 2004, ainsi qu'en attestent les courriers électroniques de certains d'entre eux qu'elle a versés aux débats;
Qu'elle justifie donc bien d'un préjudice moral dont les éléments du dossier permettent d'arrêter le montant à la somme de 5 000 euro;
3. Attendu sur la qualification du contrat et le droit à indemnité de clientèle, que la CCI est mal fondée à contester avoir été liée à la société Média Tremplin par un contrat de mandat, conforme d'ailleurs au contrat-type préconisé par le syndicat professionnel, pour revendiquer la qualification de contrat de commission, et dénier ainsi au régisseur le droit de prétendre à indemnité pour perte de clientèle;
Qu'il résulte en effet des clauses du contrat que la société Média Tremplin n'agissait pas en son nom et pour son compte, et à ses seuls risques, ce qui impliquait que la CCI lui cède l'intégralité des espaces publicitaires du magasine à charge pour elle de les revendre à des annonceurs et de percevoir la rémunération, mais que, d'une part, elle agissait au nom et pour le compte du support "Partenaires Savoie", dont le nom devait, aux termes du contrat, figurer sur les documents de présentation commerciale: tarifs, lettres d'accréditation, argumentaire..., que d'autre part elle rétrocédait à la CCI le montant des ordres déduction faite de sa commission qui, bien qu'assise sur le montant des seules factures acquittées, hors impayés, ne la rendait pas pour autant ducroire;
Attendu sur la nature de ce mandat, que chacune des parties ayant un intérêt propre à développer une clientèle d'annonceurs, intérêt consistant pour la CCI à recueillir le plus de fonds possibles pour assurer le financement des frais d'édition et distribution de la revue "Partenaires Savoie", et pour la société Tremplin Media à développer sa clientèle d'annonceurs et accroître d'autant son chiffre d'affaires, c'est à juste titre que le tribunal a qualifié ce contrat de mandat d'intérêt commun, ouvrant droit au paiement d'une indemnité pour perte de clientèle au profit de la société Média Tremplin en cas de rupture;
Attendu à cet égard que la CCI qui se défend d'avoir rompu le contrat, conteste que sa reconduction tacite l'ait transformé en un contrat à durée indéterminée, et soutient donc que son refus d'une nouvelle reconduction à l'expiration du dernier contrat reconduit, n'est pas constitutif d'une rupture ouvrant droit à indemnité pour perte de clientèle;
Mais attendu que tel pourrait être le cas si les parties avaient convenu que la dénonciation devrait être notifiée trois mois avant "l'expiration" du contrat renouvelé;
Or attendu qu'en stipulant que la dénonciation devait intervenir trois mois avant la "reconduction" du contrat les parties ont convenu qu'à l'expiration du terme le contrat initial prenait fin et qu'en poursuivant son exécution au-delà du terme elles s'engageaient dans les liens d'un nouveau contrat à durée indéterminée, faute de limitation du nombre des reconductions possibles, et que chacune d'elles pouvait y mettre fin chaque année à la date anniversaire du terme du contrat initial;
Qu'il s'ensuit que la dénonciation du contrat par la CCI équivaut à une résiliation unilatérale qui, n'étant pas imputable au régisseur, ouvre droit au paiement à son profit, d'une indemnité pour perte de la clientèle qu'il a apportée et développée et qui demeura attachée au support;
Que compte tenu de la durée d'exécution du contrat et de l'absence de volatilité de la clientèle des annonceurs attachés au support en cause, la société Média Tremplin n'est pas fondée à voir évaluer l'indemnité en cause sur la base du chiffre d'affaires qu'elle a réalisé au cours du dernier exercice; que les éléments du dossier permettent d'arrêter à 50 000 euro l'indemnité de clientèle;
2° sur la demande reconventionnelle
Attendu que c'est à bon droit que le tribunal, constatant que la CCI ne rapportait la preuve, ni des actes de dénigrement et des agissements déloyaux qu'elle imputait à la société Média Tremplin, ni du préjudice commercial allégué, l'a déboutée de sa demande reconventionnelle par des motifs pertinents que la cour adopte, dès lors qu'elle n'a produit aucun autre élément de preuve en cause d'appel;
Attendu que l'équité commande que celle-ci, qui succombe, indemnise l'intimée des frais qu'elle l'a contrainte à exposer en appel;
Par ces motifs, Statuant publiquement par mise à disposition et contradictoirement, Confirme le jugement entrepris, Y ajoutant, Porte à 14 000 euro le montant de l'indemnité que la CCI de Chambéry a été condamnée à payer à la société Média Tremplin en réparation de sou préjudice économique, et à 50 000 euro le montant de l'indemnité qu'elle a été condamnée à lui verser à titre d'indemnité de perte de clientèle; Condamne en outre la CCI à verser à la société Média Tremplin une indemnité de 5 000 euro en réparation de son préjudice moral; La condamne à lui verser une indemnité complémentaire de 1 500 euro en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Rejette toutes autres demandes; Condamne la CCI de Chambéry aux dépens et accorde à la SCP Bollonjeon-Arnaud & Bollonjeon avoués, le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.