CJCE, 5e ch., 30 mai 2002, n° C-516/99
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Walter Schmid
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Jann
Juges :
MM. Von Bahr, Edward, Wathelet, Timmermans
Avocat général :
M. Tizzano
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par ordonnance du 2 décembre 1999, parvenue à la Cour le 30 décembre suivant, le Berufungssenat V der Finanzlandesdirektion für Wien, Niederösterreich und Burgenland (cinquième chambre d'appel de la direction régionale des finances pour Vienne, la Basse-Autriche et le Burgenland) a posé, en vertu de l'article 234 CE, deux questions préjudicielles relatives à l'interprétation des articles 73 B et 73 D du traité CE (devenus articles 56 CE et 58 CE).
2. Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'une procédure d'appel introduite par M. Schmid, domicilié en Autriche, contre son avis d'imposition sur le revenu pour 1997 émanant du Finanzamt für den 9, 18 und 19 Bezirk in Wien (service des impôts des 9e, 18e et 19e arrondissements de Vienne), en vue d'obtenir une réduction de l'imposition frappant les dividendes qui lui ont été versés par une société établie dans un État membre autre que la République d'Autriche.
Le cadre juridique national
3. Les dispositions pertinentes dans le contexte du litige au principal sont celles de l'Einkommensteuergesetz 1988 (loi de 1988 relative à l'impôt sur le revenu, BGBl. 1988-400, ci-après l'"EStG").
4. L'article 93, paragraphes 1 et 2, point 1, sous a), de l'EStG, tel que modifié par la loi fédérale publiée au BGBl. 1996-201, dispose, concernant les revenus de capitaux soumis à la retenue d'impôt :
"(1) S'agissant de revenus de capitaux d'origine autrichienne (paragraphe 2) [...], l'impôt sur le revenu est prélevé par le biais d'une retenue sur les revenus des capitaux (Kapitalertragsteuer - impôt sur les revenus des capitaux).
(2) On est en présence de revenus de capitaux d'origine autrichienne lorsque le débiteur des revenus de capitaux est domicilié en Autriche ou que la direction commerciale ou le siège social se trouve en Autriche ou lorsque le débiteur est une succursale, en Autriche, d'un établissement de crédit et qu'il s'agit des revenus de capitaux suivants :
1. a) parts de bénéfices (dividendes), intérêts et autres revenus d'actions, de parts de sociétés à responsabilité limitée [...]".
5. Conformément à l'article 95, paragraphe 1, de l'EStG, tel que modifié par la loi fédérale publiée au BGBl. 1996-201, l'impôt sur les revenus des capitaux s'élève à 25 %.
6. L'article 97 de l'EStG, tel que modifié par la loi fédérale publiée au BGBl. 1996-797, prévoit :
"(1) Pour les personnes physiques et les personnes morales de droit privé, dans la mesure où ces dernières perçoivent des revenus de capitaux, l'impôt sur le revenu (impôt sur les sociétés), s'agissant de revenus de capitaux, tels que prévus à l'article 93, paragraphe 2, point 3, [...] soumis à l'impôt sur les revenus des capitaux, est considéré comme ayant été acquitté de manière définitive du fait de la retenue de l'impôt. Dans le cas des personnes physiques, il en va de même pour les revenus de capitaux tels que prévus à l'article 93, paragraphe 2, point 1 [...].
(2) Pour les personnes physiques et les personnes morales de droit privé, dans la mesure où ces dernières perçoivent des revenus de capitaux, l'impôt sur le revenu (impôt sur les sociétés), s'agissant de revenus de capitaux perçus en Autriche en vertu de titres de créance non soumis à l'impôt sur les revenus des capitaux, est considéré comme ayant été acquitté de manière définitive du fait du versement volontaire, au guichet payeur, d'un montant correspondant à l'impôt sur les revenus des capitaux. [...]
(3) Dans la mesure où l'impôt est acquitté définitivement conformément au paragraphe 1 ou au paragraphe 2, il ne doit pas être tenu compte des revenus de capitaux dans le revenu global (article 2, paragraphe 2). Cela ne vaut que pour le calcul de l'impôt sur le revenu dû par le contribuable.
[...]".
7. L'article 37, paragraphes 1 et 4, de l'EStG, tel que modifié par la loi fédérale publiée au BGBl. 1996-797, réglemente comme suit la possibilité d'opter pour le régime à taux réduit de moitié (procédure dite "du taux réduit de moitié" - "Halbsatzverfahren"), qui concerne l'impôt sur le revenu dû au titre de participations dans des sociétés :
"(1) Le taux de l'impôt est réduit pour
- les revenus du fait de participations (paragraphe 4),
[...]
à la moitié du taux d'imposition moyen applicable au total des revenus [...]
[...]
(4) Constituent des revenus du fait de participations
1. les revenus de participations :
a) les participations au bénéfice, de quelque type qu'elles soient, du fait d'une participation dans des sociétés de capitaux, des sociétés coopératives d'achat ou des associations coopératives de production et de consommation d'origine autrichienne, sous la forme de parts de sociétés ou de coopératives [...]
[...]".
Le litige au principal et les questions préjudicielles
8. M. Schmid est domicilié en Autriche. En 1997, une partie de ses revenus était constituée de dividendes d'actions détenues dans la société MAN AG, établie en Allemagne.
9. Pour 1997, l'administration fiscale autrichienne a inclus dans l'assiette de l'impôt sur le revenu de M. Schmid les dividendes provenant d'actions d'origine étrangère qu'il avait perçus. Le taux d'imposition moyen applicable aux revenus de M. Schmid, calculé sur la base de l'ensemble de ses revenus d'origine autrichienne, des revenus de ses capitaux, et de ses revenus provenant de l'étranger, était de 27,17 %. Les revenus des actions d'origine étrangère détenues par M. Schmid ont été imposés à ce taux.
10. L'impôt sur les revenus des capitaux, déjà acquitté par M. Schmid en République fédérale d'Allemagne, a été intégralement imputé sur sa dette fiscale en Autriche.
11. Le 3 décembre 1998, M. Schmid a interjeté appel de son avis d'imposition au titre de l'impôt sur le revenu de 1997. Par lettre du 3 juin 1999, il a demandé à la cinquième chambre d'appel de la direction régionale des finances pour Vienne, la Basse-Autriche et le Burgenland, qui était l'administration fiscale de deuxième instance, de statuer sur son recours. Il a notamment demandé que les dividendes perçus au titre des actions détenues dans MAN AG soient soumis à un taux d'imposition égal à la moitié de celui appliqué à ses autres revenus, alors pourtant que les dispositions de l'article 37 de l'EStG, lues en combinaison avec l'article 97 de la même loi, dans leur version en vigueur à la date des faits au principal, n'offrent pas la possibilité d'opter pour une imposition au taux réduit de moitié au contribuable qui perçoit des dividendes de sociétés de capitaux ayant leur siège hors d'Autriche. En effet, pour un contribuable dans une telle situation, les revenus de capitaux résultant de participations dans des sociétés situées dans un État autre que la République d'Autriche sont ajoutés à ses autres revenus et soumis à l'impôt sur le revenu au taux d'imposition moyen qui en résulte.
12. La cinquième chambre d'appel se demande si une réglementation telle que celle prévue aux articles 37, paragraphes 1 et 4, et 97 de l'EStG, dans leur version en vigueur à la date des faits au principal, est compatible avec les dispositions du traité relatives à la libre circulation des capitaux.
13. En effet, d'une part, les dividendes provenant d'actions d'origine autrichienne sont soumis en Autriche à l'impôt sur les revenus des capitaux, qui prend en principe la forme d'une retenue à la source auprès de la société distributrice de dividendes et a un caractère libératoire, de sorte qu'ils ne sont pas inclus dans l'assiette de l'impôt sur le revenu. Le contribuable peut toutefois demander que ces dividendes ne soient pas soumis à la retenue à la source au titre de l'impôt sur les revenus des capitaux mais soient inclus dans l'assiette de l'impôt sur le revenu, auquel cas ils sont soumis à cet impôt à un taux d'imposition égal à la moitié du taux d'imposition moyen auquel sont soumis ses autres revenus.
14. D'autre part, les dividendes provenant d'actions d'origine étrangère, qui ne sont pas soumis en Autriche à la retenue à la source à caractère libératoire au titre de l'impôt sur les revenus des capitaux, y sont par conséquent intégralement soumis à l'impôt sur le revenu et ne peuvent, par ailleurs, bénéficier de l'application du taux d'imposition réduit de moitié.
15. La cinquième chambre d'appel se demande si cette distinction est contraire à l'article 73 B, paragraphe 1, du traité et si, le cas échéant, elle pourrait être justifiée au titre de l'article 73 D, paragraphe 1, sous a), du traité. Le fait que les sociétés autrichiennes distributrices de dividendes aient déjà été soumises en règle générale à un impôt sur les sociétés de 34 % pourrait constituer une telle justification. Elle n'est toutefois pas certaine de pouvoir en déduire une justification objective des désavantages que subissent les contribuables dont la situation comporte un élément d'extranéité.
16. Dans ces conditions, la cinquième chambre d'appel de la direction régionale des finances pour Vienne, la Basse-Autriche et le Burgenland a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
"1) Faut-il considérer que les dispositions combinées de l'article 73 B, paragraphe 1, et de l'article 73 D, paragraphes 1, sous a) et b), et 3, du traité CE [devenus article 56, paragraphe 1, CE et article 58, paragraphes 1, sous a) et b), et 3, CE] s'opposent à une réglementation telle que prévue à l'article 97 de l'Einkommensteuergesetz 1988, BGBl. 1988-400, dans la version publiée au BGBl. 1996-797 [sur le fondement de l'article 1er, paragraphe 1, point 1, sous c), de l'Endbesteuerungsgesetz, BGBl. 1993-11] aux termes de laquelle une imposition avec effet libératoire est exclue pour les dividendes, intérêts et autres revenus d'actions d'origine étrangère, de sorte que le taux d'imposition s'élève à 25 % s'agissant d'actions d'origine autrichienne, alors que le taux d'imposition s'agissant d'actions d'origine étrangère peut s'élever jusqu'à 50 %?
2) Faut-il considérer que les dispositions combinées de l'article 73 B, paragraphe 1, et de l'article 73 D, paragraphes 1, sous a) et b), et 3, du traité CE [devenus article 56, paragraphe 1, CE et article 58, paragraphes 1, sous a) et b), et 3, CE] s'opposent à une réglementation telle que prévue à l'article 37, paragraphes 1 et 4, de l'Einkommensteuergesetz 1988, BGBl. 1988-400, aux termes de laquelle toute participation au bénéfice du fait d'une participation à des sociétés de capitaux d'origine autrichienne sous forme de parts sociales est soumise à un taux d'imposition réduit à la moitié du taux d'imposition moyen applicable à l'intégralité du revenu, alors que toute participation au bénéfice du fait d'une participation à des sociétés de capitaux dont le siège et la direction commerciale se trouvent dans un autre État membre ou dans un État tiers n'est pas soumise à une telle réduction?"
Sur la compétence de la Cour
17. À titre liminaire, il convient de vérifier si la cinquième chambre d'appel est une juridiction nationale au sens de l'article 234 CE.
La réglementation nationale relative aux chambres d'appel des directions régionales des finances
18. L'article 263, paragraphe 1, de la Bundesabgabenordnung (code fédéral des impôts, ci-après la "BAO") prévoit la création, pour chaque Land, d'une commission d'appel dont les affaires sont placées sous la direction du président de la direction régionale des finances. Chaque commission d'appel est composée, d'une part, de membres délégués par les groupements qui, conformément à la loi, défendent les intérêts de leur profession et, d'autre part, de membres nommés par le ministère fédéral des Finances (article 263, paragraphe 2, de la BAO) ou par le président de la direction régionale des finances. L'article 267, paragraphe 1, de la BAO prévoit que le mandat des membres des commissions d'appel est d'une durée fixe de six ans.
19. Aux termes de l'article 270, paragraphe 1, de la BAO, le président de la direction régionale des finances forme les chambres d'appel et en désigne les membres à partir des listes des membres de la commission d'appel. En application du paragraphe 3 du même article, chaque chambre d'appel est composée de cinq membres : un président, dont la fonction revient au président de la direction régionale des finances (ou à un fonctionnaire de l'administration des finances nommé par lui), un autre membre de l'administration fiscale, ainsi que trois membres choisis parmi les délégués des groupements professionnels auprès de la commission d'appel. Aucune disposition ne règle la question de la durée du mandat des membres des chambres d'appel.
20. Les membres des chambres d'appel ne sont, dans l'exercice de leurs fonctions, soumis à aucune instruction (article 271, paragraphe 1, de la BAO). Ils prêtent serment sur l'honneur de prendre des décisions impartiales (article 271, paragraphe 2, de la BAO). En cas de suspicion légitime, ils doivent se récuser (article 283, paragraphe 3, de la BAO).
21. Les articles 260, paragraphe 2, et 261 de la BAO définissent les cas dans lesquels la chambre d'appel est compétente pour statuer. Aux termes de l'article 243 de la BAO, l'appel est le seul moyen de recours légal prévu pour se pourvoir contre une décision de l'administration fiscale.
22. Une procédure orale devant la chambre d'appel a lieu si le président de la chambre le juge nécessaire, si la chambre le décide à la demande d'un de ses assesseurs ou si une partie le demande (article 284, paragraphe 1, de la BAO). L'administration fiscale qui a pris la décision attaquée n'est pas elle-même partie à la procédure devant la chambre d'appel.
23. La chambre d'appel est habilitée à modifier à tous égards la décision attaquée ainsi qu'à l'annuler (article 289, paragraphe 2, de la BAO).
24. Il ressort de l'article 18, paragraphe 1, du Bundes-Verfassungsgesetz (loi fédérale constitutionnelle), que la chambre d'appel ne statue pas en équité, mais met en œuvre des règles de droit.
25. D'après les pièces du dossier présenté à la Cour, il est possible de former un recours contre la décision rendue par une chambre d'appel devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) ou, si le motif du recours est l'inconstitutionnalité, devant le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle). Notamment, le président de la direction régionale des finances a la faculté d'introduire auprès de la Cour administrative un recours contre la décision de la chambre d'appel (article 292 de la BAO).
26. Les possibilités de corriger a posteriori la décision de la chambre d'appel sont définies par la loi : elles permettent de corriger des erreurs manifestes [articles 293, 293 sous a) et 293 sous b), de la BAO], d'annuler ou de modifier des décisions relatives à des avantages accordés en cas de changement de situation (article 294 de la BAO) ou d'adapter une décision dérivée à la modification de l'avis de mise en recouvrement (article 295 de la BAO).
27. Une décision de la chambre d'appel ne peut être annulée par le ministère des Finances qu'au motif de l'illégalité de son contenu, lorsqu'elle est attaquée par la voie d'un recours auprès de la Cour administrative ou de la Cour constitutionnelle (article 299 de la BAO).
Observations soumises à la Cour
28. De l'avis du Gouvernement autrichien, de la Commission et de l'organisme de renvoi lui-même, une autorité telle que la cinquième chambre d'appel doit être considérée comme une juridiction au sens de l'article 234 CE.
29. Selon eux, une telle autorité remplit les conditions posées par la jurisprudence de la Cour, notamment dans son arrêt du 17 septembre 1997, Dorsch Consult (C-54-96, Rec. p. I-4961, point 23, et jurisprudence citée), à savoir l'origine légale de l'organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l'application, par l'organisme, des règles de droit, ainsi que son indépendance.
30. En ce qui concerne plus particulièrement la condition de l'indépendance, la cinquième chambre d'appel fait valoir que, conformément à l'article 271, paragraphe 1, de la BAO, les membres des chambres d'appel ne sont, dans l'exercice de leurs fonctions, soumis à aucune instruction.
31. Pour le Gouvernement autrichien, l'indépendance d'un organisme tel qu'une chambre d'appel ne découle pas exclusivement de l'absence d'obligation de suivre des instructions. Il souligne en effet que des critiques ont été émises dans la doctrine nationale quant au double rôle du président de la direction régionale des finances, qui, d'une part, est le chef de cette administration fiscale et, d'autre part, intervient dans la composition des chambres d'appel, et quant à la double fonction du fonctionnaire de la direction régionale des finances qui est également membre de la chambre d'appel, lequel, d'une part, est lié par des instructions dans le cadre de son service et, d'autre part, n'est soumis à aucune instruction en tant que membre de la chambre d'appel.
32. Le Gouvernement autrichien estime que ces objections peuvent être écartées au vu de la pratique, qui garantirait, s'agissant des deux membres de la chambre d'appel qui appartiennent à l'administration fiscale, l'existence d'une séparation fonctionnelle entre la chambre d'appel, appelée à statuer sur les réclamations formées contre des décisions prises par l'administration régionale des finances, et les services de cette administration dont les décisions sont contestées. Ainsi, dans les faits, le président d'une direction régionale des finances n'exercerait pas lui-même la fonction de président de la chambre d'appel et désignerait un fonctionnaire de l'administration fiscale pour exercer cette fonction. Par ailleurs, le second membre de la chambre d'appel qui est issu de l'administration fiscale n'interviendrait, en sa qualité de membre de la chambre d'appel, qu'en dehors des domaines et des procédures dont il est normalement chargé en sa qualité de fonctionnaire de ladite administration.
33. La Commission relève que, en tant qu'organes de l'administration fiscale de deuxième instance (article 260, paragraphe 2, de la BAO), les chambres d'appel sont intégrées dans cette administration, du moins sur le plan organisationnel. Elle estime cependant que divers éléments sont de nature à garantir l'indépendance des chambres d'appel par rapport à ladite administration : d'abord, la composition des chambres d'appel, dont la majorité des membres n'est pas issue de l'administration fiscale mais déléguée par les groupements professionnels (article 270, paragraphe 3, de la BAO) ; ensuite, la garantie expresse de l'absence de toute instruction donnée aux membres des chambres d'appel (article 271, paragraphe 1, de la BAO) et l'obligation, pour ces derniers, de se récuser en cas de suspicion légitime (article 283 de la BAO) ; enfin, la faculté pour le président de la direction régionale des finances d'introduire auprès de la Cour administrative un recours contre la décision de la chambre d'appel (article 292 de la BAO), qui indiquerait que les chambres d'appel peuvent prendre une décision défavorable à l'administration fiscale.
Appréciation de la Cour
34. Selon une jurisprudence constante, pour apprécier si l'organisme de renvoi possède le caractère d'une juridiction au sens de l'article 234 CE, question qui relève uniquement du droit communautaire, la Cour tient compte d'un ensemble d'éléments, tels l'origine légale de l'organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de la procédure, l'application, par l'organisme, des règles de droit, ainsi que son indépendance (voir, notamment, arrêts Dorsch Consult, précité, point 23, et jurisprudence citée, et du 21 mars 2000, Gabalfrisa e. a., C-110-98 à C-147-98, Rec. p. I-1577, point 33).
35. Sans qu'il soit besoin d'examiner si les chambres d'appel satisfont aux autres conditions permettant de qualifier une autorité de juridiction au sens de l'article 234 CE, il y a lieu de constater qu'il n'apparaît pas que la condition de l'indépendance soit remplie.
36. À cet égard, il convient de rappeler que la notion de juridiction au sens de l'article 234 CE ne peut désigner qu'une autorité qui a la qualité de tiers par rapport à celle qui a adopté la décision attaquée (arrêt du 30 mars 1993, Corbiau, C-24-92, Rec. p. I-1277, point 15).
37. L'autorité devant laquelle est introduit un recours contre une décision prise par les services d'une administration ne peut être considérée comme un tiers par rapport à ces services et, partant, comme une juridiction au sens de l'article 234 CE, lorsqu'elle présente un lien organique avec ladite administration (voir, en ce sens, arrêt Corbiau, précité, point 16), à moins que le contexte juridique national soit de nature à garantir la séparation fonctionnelle entre, d'une part, les services de l'administration dont les décisions sont contestées et, d'autre part, l'autorité qui statue sur les réclamations introduites contre les décisions desdits services sans recevoir aucune instruction de l'administration dont ces services relèvent (voir, en ce sens, arrêt Gabalfrisa e.a., précité, point 39).
38. Or, il y a lieu de constater qu'une chambre d'appel présente avec la direction régionale des finances dont émanent les décisions contestées devant elle un lien organique et fonctionnel qui s'oppose à ce que lui soit reconnue la qualité de tiers par rapport à cette administration.
39. En effet, en ce qui concerne, en premier lieu, l'existence d'un lien organique, il est constant que deux des cinq membres de la chambre d'appel appartiennent à l'administration fiscale. Il est notable, à cet égard, que le président de la direction régionale des finances soit membre de droit de la chambre d'appel, dont il exerce les fonctions de président, du moins aux termes de la loi.
40. En ce qui concerne, en second lieu, l'existence d'un lien fonctionnel, il y a lieu de rappeler, tout d'abord, que le fonctionnaire de la direction régionale des finances qui est le second membre de la chambre d'appel issu de l'administration fiscale continue, par ailleurs, à exercer ses activités au sein de cette administration et, à ce titre, est soumis aux instructions de ses supérieurs hiérarchiques.
41. Ensuite, il résulte de l'article 270, paragraphe 1, de la BAO que le président de la direction régionale des finances a le pouvoir de désigner les membres des chambres d'appel à partir des listes des membres de la commission d'appel. Aucune disposition législative ne l'empêche de modifier discrétionnairement la composition d'une chambre d'appel pour l'instruction de chaque réclamation, voire même en cours d'instruction d'une réclamation. À défaut de disposition législative expresse déterminant la durée du mandat des membres des chambres d'appel et précisant les cas de révocation, ces derniers ne peuvent être considérés comme disposant de garanties suffisantes contre des interventions ou pressions indues du pouvoir exécutif (voir, en ce sens, arrêt du 4 février 1999, Köllensperger et Atzwanger, C-103-97, Rec. p. I-551, point 21).
42. Enfin et surtout, le président de la direction régionale des finances peut - en étant alors soumis aux éventuelles instructions du ministre des Finances - introduire un recours contre une décision d'une chambre d'appel (article 292 de la BAO) et défendre à cette occasion un point de vue différent de celui retenu par la chambre qu'il préside.
43. Dans ces conditions, ni l'interdiction édictée par l'article 271, paragraphe 1, de la BAO de recevoir des instructions dans l'exercice des fonctions de membre d'une chambre d'appel, ni la circonstance que, dans la pratique, le président de la direction régionale des finances renoncerait à exercer lui-même les fonctions de président de la chambre d'appel qui lui reviennent de droit et désignerait à cette fin un autre membre de l'administration fiscale, ni le fait que le second membre de la chambre appartenant à l'administration fiscale n'interviendrait pas sur les questions et dans les procédures dont il s'occupe normalement au sein de cette administration, ne suffisent à garantir l'indépendance d'une chambre d'appel.
44. Il résulte des considérations qui précèdent qu'une chambre d'appel ne constitue pas une juridiction au sens de l'article 234 CE et que, par conséquent, la Cour n'a pas compétence pour répondre aux questions déférées par la cinquième chambre d'appel.
Sur les dépens
45. Les frais exposés par les Gouvernements autrichien et français, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la cinquième chambre d'appel, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Déclare et arrête :
La Cour de justice des Communautés européennes n'est pas compétente pour répondre aux questions posées par le Berufungssenat V der Finanzlandesdirektion für Wien, Niederösterreich und Burgenland, par ordonnance du 2 décembre 1999.