Cass. crim., 27 mars 2007, n° 06-82.257
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farge (faisant fonction)
Rapporteur :
M. Chaumont
Avocat général :
M. Mouton
Avocats :
SCP Ancel, Couturier-Heller
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par : X John, - Y Léonard, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, 13e Chambre, en date du 22 février 2006, qui, pour mise en vente de denrées alimentaires falsifiées ou toxiques et tromperie, les a condamnés, chacun, à 8 000 euro d'amende ; - Vu le mémoire produit, commun aux demandeurs ; - Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'au cours du premier trimestre 1998, John X et Léonard Y , gérants de la société Z, ont commercialisé en France des substituts de repas dénommés "Juice plus+ Lite arôme chocolat et Juice plus+ Lite arôme vanille" et des compléments alimentaires dénommés "Juice plus+ mélange légumes et fruits"; qu'à la suite d'un contrôle effectué le 23 mars 1998 par la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, une information a été ouverte; que l'expertise ordonnée par le juge d'instruction a révélé que l'apport calorique et la composition, en minéraux et vitamines, des substituts de repas n'étaient conformes ni aux normes imposées par l'arrêté du 20 juillet 1977 ni à celles prévues par la directive 96-8-CE de la Commission, du 26 février 1996, relative aux denrées alimentaires devant être utilisées dans les régimes hypocaloriques destinés à la perte de poids ; - Que les experts ont également constaté qu'avaient été incorporées aux compléments alimentaires une substance interdite, la coenzyme Q10, ainsi que des vitamines C, E, PP et B6, dont les quantités excédaient l'apport journalier recommandé par la directive du 26 février 1996 ou les limites fixées par le conseil supérieur de l'hygiène publique; que John X et Léonard Y , renvoyés devant le tribunal correctionnel pour tromperie et mise en vente de denrées alimentaires falsifiées ou toxiques, ont été relaxés par jugement dont le ministère public a relevé appel ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 28 et 30 du traité CE, de l'article 6 de la directive 96- 8-CE de la Commission du 26 février 1996, relative aux denrées alimentaires destinées à être utilisées dans les régimes hypocaloriques destinés à la perte de poids, ensemble des articles 464, 551 et 593 du Code de procédure pénale et l'article L. 213-1 du Code de la consommation ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables de tromperie sur la qualité substantielle des produits par eux commercialisés ;
"aux motifs que les experts précisent (pages 6 et 9 du rapport) qu'ils ont établi cette non conformité par rapport à la directive communautaire 96-8 du 26 février 1996 relative aux denrées alimentaires destinées à être utilisées dans les régimes hypocaloriques, qui, en mars 1998, avant qu'intervienne l'arrêté de transposition du 4 mai 1998, était en fait d'ores et déjà prise en compte par l'administration ; qu'ils ajoutent que, s'ils avaient pris leurs conclusions en référence seulement à l'arrêté du 20 juillet 1977, cela n'aurait fait qu'aggraver le caractère de non conformité des produits ; qu'il résulte de ces conclusions que Léonard Y et John X qui devaient s'informer des prescriptions des textes quant à la composition des produits qu'ils mettaient sur le marché français, ont commercialisé un produit non conforme à la réglementation existante en France (arrêté de 1977 tel qu'appliqué au moment des faits au regard de la directive 96-8 du 26 février 1996) et non conforme à la réglementation communautaire ; que l'infraction de tromperie sur la qualité substantielle des produits visée à la prévention est donc caractérisée en tous ses éléments ; que si l'article 6 de la directive précitée fait obligation aux Etats membres d'interdire l'échange des produits non conformes à partir du 31 mars 1999, cette disposition ne saurait limiter le pouvoir des juridictions des Etats de réprimer les violations de leur législation interne conforme au droit communautaire intervenues avant cette date ; qu'en conséquence la cour, infirmant le jugement attaqué, déclarera Léonard Y et John X coupables de tromperie sur la qualité substantielle des produits et entrera en voie de condamnation ainsi qu'il sera dit au dispositif, en tenant compte de l'absence d'antécédent judiciaire des prévenus et du fait qu'ils ont retiré du marché les produits visés en avril 1998, après la plainte de la DGCCRF ;
"alors, en l'état du renvoi des prévenus exposants pour avoir commercialisé en France des produits de substituts de repas régulièrement fabriqués et distribués dans d'autres Etats membres et ainsi avoir trompé les consommateurs sur la qualité substantielle de ces produits "ne répondant pas aux prescriptions réglementaires en vigueur au regard de la directive européenne du 26 février 1996" en l'état de la directive 96- 8-CE de la Commission du 26 février 1996, relative aux denrées alimentaires destinées à être utilisées dans les régimes hypocaloriques destinés à la perte de poids, dont l'article 7 fixe l'entrée en vigueur le 20e jour suivant sa publication au journal officiel de la communauté européenne, le 6 mars 1996, et dont l'article 6 impose aux Etats la transposition en droit interne au plus tard le 30 septembre 1997 pour interdire les échanges de produits non conformes à la présente directive à partir du 31 mars 1999, et en l'état de la transposition intervenue par arrêté interministériel du 4 mai 1998, modifiant l'arrêté du 20 juillet 1977 pris pour l'application du décret du 24 juillet 1975 sur les produits diététiques et de régime ;
"qu'à la date du contrôle (23 mars 1998), seules trouvaient à s'appliquer les dispositions de la directive du 26 février 1996 qui fixaient les règles communes relatives à la composition de ces produits et laissaient aux opérateurs un délai jusqu'au 31 mars 1999 pour mettre leurs produits en conformité avec les exigences communes ; d'où il résulte que la cour d'appel ne pouvait entrer en condamnation du chef de tromperie, qui suppose la mise sur le marché d'un produit non conforme à la réglementation, à raison de la commercialisation des produits avant le 31 mars 1999" ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et déclarer les prévenus coupables de tromperie sur les qualités substantielles, l'arrêt retient que les substituts de repas en été mis en vente en méconnaissance des dispositions de l'arrêté du 20 juillet 1977 ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, dès lors que l'obligation imposée aux Etats membres par la directive 96-8-CE de la Commission, du 26 février 1996, d'interdire, à compter du 31 mars 1999, les échanges de produits visés par ce texte, ne les empêchait pas de prohiber, avant cette date, la commercialisation de ces mêmes produits, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 28 et 30, 226 à 228 et 234 du traité CE, ensemble l'article L. 213-3 du Code de la consommation et l'article 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré les prévenus coupables de mise en vente de denrées alimentaires falsifiées ;
"aux motifs que les faits de mise en vente de denrées alimentaires falsifiées visent, d'une part, l'ajout de la substance coenzyme Q10, substance chimique dont l'agent n'est pas autorisé en France, d'autre part, l'ajout des vitamines dont les quantités excèdent les apports quotidiens recommandés ou dépassent les limites de sécurité fixées par le CSHP ;
Sur l'ajout de vitamines : - Le rapport d'expertise rappelle que l'ajout de vitamines ou de minéraux est admis à la condition que leur incorporation n'engendre pas une consommation journalière supérieure aux apports quotidiens recommandés (AQR) ; en outre le CSHP a fixé dans son avis du 12 septembre 1995 les doses de sécurité qui s'appliquent aux consommateurs de vitamines et de minéraux en plus de celles contenues dans une alimentation variée ; que l'expertise précitée a révélé que quatre vitamines avaient été incorporées à des doses excessives par rapport aux AQR ; que ces constatations suffisent à établir le délit de falsification " étant observé qu'il n'y a pas lieu de démontrer sur ce point son caractère nuisible à la santé de l'homme, lequel n'est pas retenu dans la prévention" ;
"alors que, statuant sur la question préjudicielle posée dans la présente espèce par le tribunal correctionnel, la Cour de justice, par arrêt du 5 février 2004 (aff. C-95-01), a dit pour droit que les articles 28 CE et 30 CE doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à ce qu'un Etat membre interdise, sauf autorisation préalable, la commercialisation de denrées alimentaires légalement fabriquées et commercialisées dans un autre Etat membre lorsqu'ont été ajoutées à celles-ci des substances nutritives, telles que des vitamines ou des minéraux, autres que celles dont l'emploi est déclaré licite dans le premier Etat membre pour autant que certaines conditions sont remplies et en particulier qu'un refus d'autorisation de commercialisation doit être fondé sur une évaluation approfondie du risque pour la santé publique, établie à partir des données scientifiques disponibles les plus fiables et des résultats les plus récents de la recherche internationale ; qu'au soutien de ce dispositif, la Cour de justice a dit qu' "une décision d'interdiction de la commercialisation d'une denrée alimentaire enrichie ne saurait être adoptée que si le risque réel allégué pour la santé publique apparaît comme suffisamment établi sur la base des données scientifiques les plus récentes qui sont disponibles à la date de l'adoption d'une telle décision. Dans un tel contexte, l'évaluation du risque que l'Etat membre est tenu d'effectuer a pour objet l'appréciation du degré de probabilité des effets néfastes de l'adjonction de certaines substances nutritives aux denrées alimentaires pour la santé humaine et de la gravité de ses effets potentiels" (n 42) ; d'où il résulte que la cour d'appel qui statuait sur ce renvoi préjudiciel ne pouvait, sans méconnaitre l'autorité qui s'attachait à l'arrêt de la Cour de justice, refuser de rechercher si l'ajout de vitamines présentait un caractère nuisible à la santé de l'homme ;
"et aux motifs (sur l'ajout de la coenzyme Q10) : - Que l'expertise réalisée a révélé que le complément alimentaire " Juice Plus + mélange légumes et fruits " contenait la coenzyme Q10 laquelle ne figure pas sur la liste des produits autorisés en France ; que la Cour de justice dans ses deux arrêts du 5 février 2004 (aff. C-95-01 et aff. C-24-00), sans remettre en cause le principe de la liste nationale des substances nutritives autorisées, a dit que la France ne pouvait s'opposer à la libre circulation et à la commercialisation des produits concernés que si deux conditions étaient respectées à savoir l'accessibilité et les garanties de la procédure d'autorisation et le fait qu'un refus ne pouvait être fondé que sur une évaluation approfondie du risque pour la santé publique ; qu'en l'espèce, bien que la DGCCRF ait avisé la société Z du fait que la coenzyme n'était pas autorisée, Léonard Y et John X n'ont, à aucun moment, formulé une demande d'inscription du produit sur la liste des substances autorisées ni a fortiori engagé de procédure dans ce but ; qu'ils ne sont donc pas fondés à se prévaloir des vices de la procédure française alors qu'ils n'ont pas même tenté de l'utiliser indiquant qu'ils avaient pensé que l'enregistrement obtenu en Belgique était suffisant ; que ne s'étant pas heurtés à un refus l'argument selon lequel la non autorisation ne serait pas justifiée par une évaluation approfondie du risque pour la santé publique est sans effet " ;
"alors que, statuant sur une procédure en manquement dirigée contre la République française, la Cour de justice, par arrêt du 5 février 2004 (aff. C-24-00), a déclaré et arrêté que la République française avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) en ne prévoyant pas de procédure simplifiée permettant d'obtenir l'inscription sur la liste nationale des substances nutritives autorisées, des substances nutritives qui sont ajoutées aux denrées alimentaires de consommation courante et aux denrées alimentaires destinées à une alimentation particulière, légalement fabriquées et/ou commercialisées dans d'autres Etats membres ; d'où il résulte que la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée qui s'imposait immédiatement à l'ensemble des autorités nationales, en particulier judiciaires, opposer aux prévenus exposants qu'ils n'avaient pas engagé une procédure d'inscription qui n'existait pas à l'époque, pour les retenir dans les liens de la prévention" ;
Vu les articles 30 et 36 devenus après modification 28 et 30 du traité CE, 1er de la loi du 1er août 1905, devenu l'article L. 213-1 du Code de la consommation, 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, d'une part, selon les articles 28 et 30 du traité instituant la Communauté européenne, les restrictions à l'importation ainsi que les mesures d'effet équivalent sont interdites entre les Etats membres; que si certaines interdictions sont cependant admises, notamment pour des raisons tenant à la protection de la santé publique, c'est à la condition de ne constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre Etats membres ;
Attendu que, d'autre part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour déclarer les prévenus coupables de falsification et écarter leur argumentation selon laquelle l'interdiction des compléments alimentaires, vendus librement dans plusieurs Etats membres de la Communauté européenne, était contraire aux dispositions de l'article 28 du traité CE, l'arrêt retient que les vitamines C, E, PP et B6 ont été incorporées en quantités supérieures aux apports quotidiens recommandés par la directive 90-496-CE du Conseil, du 24 septembre 1990, relative à l'étiquetage nutritionnel des denrées alimentaires et à la limite de sécurité fixée par le conseil supérieur de l'hygiène publique dans son avis du 12 septembre 1995; que les juges ajoutent que la coenzyme Q10 ne figure pas sur la liste des produits autorisés en France et que, n'ayant accompli aucune démarche en vue d'obtenir l'autorisation d'utiliser cette substance, les prévenus ne peuvent se prévaloir de l'inadaptation de la procédure française ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si l'utilisation de ces substances présentait un risque pour la santé publique et sans vérifier, par ailleurs, si la procédure d'autorisation présentait toutes les garanties nécessaires pour préserver les droits des importateurs de produits comportant de tels additifs, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Paris, en date du 22 février 2006, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, Renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ; Ordonne l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.