CA Paris, 1re ch. H, 29 mai 2007, n° 2006/01886
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Sélection Disc Organisation (Sté), Casino Guichard Perrachon (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Conseillers :
Mmes Horbette, Mouillard
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Teytaud
Avocats :
Mes Grall, Salzmann
Par lettre enregistrée le 22 décembre 1999, le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation des cassettes vidéo préenregistrées destinées aux enfants par les entreprises suivantes :
- la SA Buena Vista Home Entertainment (BVHE) France, éditeur ayant l'exclusivité des droits de commercialisation sur ce support des films des studios Walt Disney et de quelques autres,
- la SA Sélection Disc Organisation (SDO), grossiste en produits audio et vidéo, deuxième client de BVHE qui est son premier fournisseur, qui fournit des supermarchés par l'entremise de leurs centrales d'achat,
- la SAS Carrefour France, la SA Carrefour (Carrefour) et la SA Casino Guichard Perrachon (Casino), hypermarchés de la grande distribution alimentaire diffusant des produits audio et vidéo centralisés au sein du GIE IC Vidéo, constitué à parts égales des sociétés SAS Carrefour et Casino, qui est le premier client de BVHE.
Ces pratiques, constituées entre 1994 et 1999, tenant aux conditions de vente de BVHE qui incluaient diverses formes de ristournes et consistaient en des freins à l'importation et en une politique de prix aboutissant à un alignement à la hausse des prix de détail, ont conduit le rapporteur à notifier le 7 juillet 2004 :
- 7 griefs d'infractions aux articles L. 420-2 et L. 420-1 du Code de commerce et 82 du traité de l'Union Européenne (n° 1 à 7) à BVHE,
- un grief d'infraction à l'article L. 420-1 du Code de commerce à Carrefour et Casino
- un grief d'infraction à l'article L. 420-1 du Code de commerce à SDO (n° 9).
Ensuite de la notification de ces griefs, les sociétés BVHE et SAS Carrefour France ont demandé l'application de la procédure d'engagements prévue par les dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, ce qui a été mis en œuvre par deux procès verbaux des 18 mai et 23 juin 2005.
Par décision n° 05-D-70 du 19 décembre 2005, le Conseil de la concurrence a dit que :
"Article 1 : Il n'est pas établi que la société BVHE ait enfreint les dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce, et 8l et 82 du traité CE.
Article 2 : Il n'est pas établi que la société Carrefour SA ait enfreint les dispositions de l'article 81 du traité CE.
Article 3 : Il est établi que les sociétés BVHE, Carrefour SAS, SDO, Casino Guichard Perrachon et Carrefour SA ont enfreint les dispositifs de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 4 : Il est pris acte des engagements souscrits par les sociétés Carrefour SAS et BVHE tels qu'ils sont mentionnés aux paragraphes 278 et 285 de la présente décision et il leur est enjoint de s'y conformer en tous points.
Article 5 : Sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
A la société BVHE une sanction de 3 100 000 euro ;
A la société Carrefour SAS une sanction de 5 700 000 euro ;
A la société Casino Guichard Perrachon une sanction de 3 200 000 euro ;
A la société SDO une sanction de 2 400 000 euro."
S'agissant plus particulièrement des sociétés requérantes, le Conseil a retenu la qualification des pratiques relevées au titre des griefs que le rapporteur avait notifiés, savoir :
* à Casino " d'avoir convenu avec la société BVHE, au titre du second semestre de l'année 1993 et des exercices 1994 à 1998, d'un accord prévoyant la garantie du versement à leur profit de l'ensemble des ristournes prévues par les accords commerciaux, ainsi que les sommes indûment présentées comme rémunérations de prestations de services, qu'ils s'interdisaient de répercuter sur les prix de revente aux consommateurs des vidéocassettes de ce fournisseur dans l'ensemble des hypermarchés Carrefour et Géant, dans le respect de la politique de prix de l'éditeur telle que fondant le grief n° 4 et d'avoir ainsi renoncé à l'exercice de toute concurrence par les prix lors de la revente de ces produits, tant entre elles que vis-à-vis des autres distributeurs, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce " (grief n° 8),
* à SDO " d'avoir convenu avec la société BVHE d'un accord garantissant le versement par celle-ci à son profit d'un niveau substantiel d'avantages tarifaires, en contrepartie de son soutien à la politique de prix de l'éditeur telle que fondant le grief n° 4, en particulier afin d'en assurer le respect par sa propre clientèle, en interdisant à celle-ci l'exercice de toute concurrence par les prix au stade de la revente aux consommateurs des vidéocassettes de BVHE qu'elle leur fournissait, en violation des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce " (grief n° 9),
le grief n°4 auquel il est renvoyé étant celui, notifié à la société BVHE " d'avoir mis en place, dès l'année 1994, et plus particulièrement de 1995 à 1999, en s'appuyant sur le pouvoir de marché que lui conférait sa position dominante sur le marché des vidéocassettes destinées aux enfants, une politique tarifaire basée sur le caractère faussement conditionnel de plusieurs des ristournes proposées à ses clients, ou sur des sommes indûment présentées comme la rémunération de services qu'ils lui rendraient, afin de leur interdire, sous prétexte de la prohibition de la revente à perte, la répercussion sur les prix de vente aux consommateurs de ses vidéocassettes des avantages tarifaires différés qu'elle leur accordait, et d'avoir assorti cette politique tarifaire de la communication aux distributeurs des prix de vente aux consommateurs qu'elle souhaitait voir pratiqués pour ses principales nouveautés et rééditions, et d'un contrôle actif du respect de ces prix, dont elle sanctionnait les manquements par des retards ou des cessations de livraison, pratiques ayant eu pour objet et pour effet de compromettre l'exercice de la concurrence par les prix au stade de la vente au détail de ses nouveautés et rééditions, en violation des dispositions de l'article L. 420-2 du Code de commerce ".
Ceci étant exposé, LA COUR,
Vu les recours déposés le 2 février 2006 par Casino et le 3 février 2006 par SDO, tendant à l'annulation et à la réformation de la décision,
Vu le mémoire enregistré le 2 mars 2006, ensemble le mémoire en réponse enregistré le 20 novembre 2006, par lequel Casino demande à la cour, à titre principal, de constater qu'il n'a pas à répondre des pratiques imputables au GIE IC Vidéo, seul responsable juridiquement, que la longueur de la procédure a porté atteinte à l'exercice normal des droits de la défense, que le conseil a, à tort, retenu une entente anticoncurrentielle et abandonné la qualification d'abus de position dominante à l'encontre de BVHE, à titre subsidiaire, de constater que la sanction pécuniaire est insuffisamment motivée et, en conséquence, d'annuler ou, à défaut, de réformer la décision.
Vu le mémoire enregistré le 3 mars 2006 - et les conclusions en réplique enregistrées le 16 novembre 2006 - dans lequel SDO poursuit, à titre principal, l'annulation de la décision au motif de la durée excessive de la procédure et le remboursement des sommes versées au titre de la sanction pécuniaire, avec intérêts au taux légal et capitalisation, à titre subsidiaire, la même chose "en ce que le conseil de la concurrence a considéré que la société SDO s'était concertée avec la société BVHE..." et, à titre infiniment subsidiaire, la réformation de la décision du fait de l'absence de motivation de la sanction pécuniaire, en conséquence la réduction de son montant, enfin, "en toute hypothèse" la condamnation du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie au paiement de la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu les observations déposées le 22 août 2006 par le Conseil de la concurrence tendant au rejet des recours.
Vu les observations écrites du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie déposées le 30 août 2006 concluant à l'identique.
Vu les observations écrites du Ministère public portées à la connaissance des parties en vue de l'audience du 5 décembre 2006,
Les conseils des requérantes, le représentant du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, le Ministère public ayant été entendus à l'audience et chaque requérante mise en mesure de répliquer et ayant eu la parole en dernier,
Sur quoi,
Sur le moyen de procédure tenant à sa durée :
Considérant que Casino comme SDO soutiennent que la durée de la procédure a été telle qu'elle a porté atteinte aux droits de la défense, compte tenu de l'ancienneté des faits qui leur étaient reprochés, et qu'elle les a privés d'un procès équitable au sens de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme ;
Qu'en particulier Casino met en avant le fait que 6 ans se sont écoulés entre la saisine du Conseil de la concurrence (22 décembre 1999) et la décision et 12 ans depuis les premières pratiques incriminées qui datent de 1993, sans que la complexité de l'affaire puisse le justifier et de sorte que les archives utiles ne sont plus disponibles auprès de Carrefour, gérant de la base documentaire du GIE IC Vidéo, et "en raison de la disparition des archives à la suite de l'acquisition de Promodes" ; qu'elle rappelle qu'elle n'a pu être alertée de la nécessité de conserver des documents puisqu'elle n'a pas été entendue par les enquêteurs et elle s'insurge sur une pratique nationale qui a pour effet, contrairement à la jurisprudence communautaire sur laquelle elle s'appuie, de vider de son sens l'article 6-1 susvisé ;
Que SDO énonce que 10 ans se sont écoulés entre les faits qui lui sont imputés (1995) et la notification des griefs, 2 ans et 8 mois entre la saisine et la nomination du premier rapporteur, 5 ans et 6 mois entre la saisine et la notification des griefs ; qu'elle en déduit la nullité de la procédure, comme le fait la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes, d'autant qu'elle relève, dans la décision, une contrariété de motifs à cet égard puisqu'il lui est opposé tout à la fois qu'elle ne rapporte pas la preuve du contenu de pièces disparues et que ces pièces seraient sans incidence sur l'appréciation des faits ;
Considérant toutefois que des représentants de Casino ont été entendus par les enquêteurs en 1998, contrairement à ce qu'elle affirme, ce qui aurait dû suffire à conduire cette société à conserver à partir de ce moment les documents justificatifs qu'elle prétend perdus ; que SDO a fourni à l'appui de sa défense des documents datés de 1995 et n'indique pas quelles autres pièces contemporaines de ceux-ci lui auraient fait défaut ; que les arguments avancés au soutien de ce moyen manquent donc en fait ; que c'est dès lors à tort que les sociétés requérantes invoquent une impossibilité de se défendre au prétexte de la destruction ou de la disparition de leurs archives en raison du temps écoulé ou des restructurations intervenues pour l'une d'elles, alors qu'elles avaient été entendues et savaient que la procédure était toujours en cours ; qu'en outre la seule invocation de la chronologie suivie par le conseil est insuffisante à justifier leur demande d'annulation alors que les requérantes ne contestent pas avoir disposé, à chaque étape de la procédure, des délais prévus par l'article L. 463-2 du Code de commerce ;
Considérant enfin que si la procédure suivie en l'espèce devant le Conseil a subi un retard et connu une durée que rien ne justifie et qui apparaît excessive au regard des exigences de l'article 6-1 précité, la durée excessive d'une procédure n'en justifie l'annulation que lorsqu'il est établi, concrètement, qu'elle a fait obstacle à l'exercice normal des droits de la défense ; que les moyens invoqués, qui ne manifestent pas l'impossibilité de répondre à des griefs, ne caractérisent pas une telle atteinte ;
Considérant que la demande d'annulation à ce titre ne peut donc qu'être rejetée ;
Sur le moyen tenant à l'imputabilité des pratiques relevées :
Considérant que Casino fait valoir que les pratiques reprochées seraient en fait imputables au GIE IC Vidéo, structure autonome par la mission qui lui a été confiée par ses membres, par son financement assuré par des fonds propres et par son fonctionnement indépendant, qui a conservé son existence juridique ; qu'elle expose à cet égard que l'article 2 des statuts du GIE, qui définit son objet, montre qu'il met en œuvre la politique de large diffusion culturelle définie par ses fondateurs en leurs lieu et place ; que l'article 10 manifeste que le financement résulte en grande partie de fonds propres ; qu'il était doté d'un pouvoir de décision véritable, possédait son propre personnel commercial et négociait directement avec les éditeurs pour le compte de ses membres ; que si les membres du GIE ont décidé de sa dissolution à compter du 31 décembre 2000, il n'en demeure pas moins qu'il existait à la date de notification des griefs et que, selon les prescriptions de l'article 251-21 du Code de commerce, sa personnalité subsiste pour les besoins de sa liquidation ;
Mais considérant que l'article 2 sur lequel s'appuie Casino indique que le GIE "a pour objet... la mise en œuvre de tous moyens propres à faciliter ou à développer l'activité de ses membres... par... l'exploitation de services communs" citant la création d'un service commercial chargé de l'achat de produits et de leur livraison aux magasins affiliés et le conseil de ses membres en ce qui concerne les techniques de vente des supports vidéo enregistrés", ne visant ainsi nullement une politique commerciale ou tarifaire unique au nom des enseignes qui le composent mais se référant tout au contraire aux individualités ; que l'article 4, s'il mentionne en effet le financement par fonds propres, ne le cite que comme l'une des trois sources de financement, l'une des trois autres étant " l'apport en compte courant de chacun des membres au prorata de leurs parts " ; que l'article 14 précise que les administrateurs du GIE sont choisis parmi les dirigeants des entreprises qui en sont membres ; qu'il en ressort que le GIE ne disposait pas d'une autonomie suffisante vis à vis des entreprises qui le composaient et que, en tout état de cause, il n'avait ni pour mission ni pour compétence de fixer les prix des produits dans les rayons des enseignes affiliées ;
Considérant que c'est donc par une exacte analyse des faits que le Conseil de la concurrence a imputé les pratiques aux seules entreprises composant le GIE, parmi lesquelles la requérante ; que le moyen sera donc rejeté ;
Sur les moyens tenant à la qualification des pratiques :
Considérant que les sociétés SDO et Casino contestent la qualification retenue par le Conseil de la concurrence consistant en une entente verticale ayant pour objet le maintien à la hausse des prix de vente au détail des vidéocassettes des studios Walt Disney ; qu'elles soutiennent que le Conseil n'aurait pas rapporté la preuve, qui lui incombe, d'un accord de volontés, élément constitutif de l'entente, et aurait fait une appréciation inexacte de ses observations quant au niveau, à l'uniformité et la surveillance des prix au détail ;
Qu'en particulier elles soutiennent que le fait que BVHE indique des prix de vente conseillés aux distributeurs ou aux grossistes est une pratique courante de la distribution et n'implique ni qu'elles y ont adhéré, s'agissant de Casino, ni qu'elles en aient fait un élément de leurs négociations tarifaires, s'agissant de SDO ; qu'elles en tirent la conséquence qu'il ne s'agirait que d'un comportement unilatéral de BVHE dont le Conseil n'a pas démontré qu'elles y avaient participé ;
Mais considérant qu'il ressort de l'enquête menée (exposée notamment aux points 45 à 49 de la décision) que BVHE détaillait dans ses lettres de présentation des nouveautés à ses clients, à la fois le prix net hors taxe et le prix net facturé TTC, le premier étant égal au prix tarif diminué de la remise de 5% faite à tous les clients et de la "sur-remise" faite pour toutes les commandes passées dans un certain délai avant la sortie du film et le second constituant le seuil de revente à perte, lequel a d'ailleurs été constaté par les enquêteurs sur les lieux de revente et dans les catalogues ; que plusieurs des documents saisis (§ 47 de la décision) comportent la mention d'un prix "PVC" (prix de vente consommateur) qui correspond précisément au prix net majoré de la TVA ; que des témoignages de responsables de magasins (§ 48) ont confirmé que le prix de revente au public était indiqué et qu'il était appliqué car c'était "la règle du jeu" et il s'agissait d'éviter "une guerre des prix" ; que certains ont même indiqué que SDO fixait elle même les prix en rayon qu'elle gérait directement ; que les relevés de prix effectués en novembre et décembre 1997 sur l'ensemble du territoire national par la Direction Générale de la Concurrence de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF),sur deux titres, dans des hyper ou super-marchés, dont ceux des enseignes requérantes ou approvisionnées par elles, mettent en lumière une homogénéité exemplaire des prix au détail dans les linéaires concernés ; qu'en outre un mécanisme de surveillance des prix a été instauré avec la participation des requérantes, ce qui ressort, pour SDO, de courriers et des déclarations de son directeur général qui a admis qu'il informait systématiquement BVHE des prix inférieurs au "prix conseillé" qu'il constatait dans certains magasins en lui demandant d'intervenir pour faire cesser cette pratique, voire en suggérant des mesures de rétorsion, et, pour Casino, des auditions de responsables du GIE IC Vidéo (§ 59 à 61) qui ont déclaré que c'étaient les responsables des magasins adhérents appartenant à cette enseigne qui les informaient du fait que des concurrents pratiquaient des prix visiblement de revente à perte, ajoutant que cela faisait partie de sa mission " d'interface " ;
Et considérant que les requérantes ne peuvent utilement soutenir que ces concordances de prix ou leur surveillance relèvent de la simple veille concurrentielle ou de l'échange d'informations qui les conduit à s'aligner alors qu'il s'agit, en l'espèce, de la mise en œuvre d'une entente verticale étant observé que ces échanges ne se limitaient pas à une surveillance des prix mais consistaient en une vérification organisée suivie de pressions sur le récalcitrant ; qu'elles ne peuvent pas plus arguer du fait que la similitude constatée tient à l'existence de leur seuil de revente à perte alors que, outre qu'il est inexplicable qu'il soit strictement identique en tous les points de vente alors que les rabais, ristournes ou remises sont par principe négociés individuellement entre distributeur et éditeur, l'enquête a démontré que les seuils de revente à perte étaient artificiels du fait du " caractère faussement conditionnel de certaines remises " tenant au fait que les distributeurs étaient assurés de les obtenir quels que soient le volume des ventes, l'objectif fixé ou le chiffre d'affaires réalisé, ce qui ressort, notamment, de courriers saisis auprès du GIE IC Vidéo qui font état d'une rémunération minimale acquise ; que si Casino conteste l'interprétation donnée par le Conseil aux courriers en question, au motif qu'il en retirerait, à charge, des passages sortis de leur contexte, il n'en demeure pas moins que le contenu de ces courriers contient bien l'assurance du maintien des avantages antérieurs et que, s'il mentionne des contreparties, il est constant que les remises et ristournes promises ont été accordées de manière quasi-systématique et sans réel contrôle du respect des objectifs commerciaux fixés ; que si SDO met en avant la réalité des contreparties fournies par elle, consistant en une "coopération commerciale" matérialisée par la mise en place des vidéos en tête de gondole, ce seul constat est insuffisant à justifier du caractère conditionnel des remises et ristournes alors que cette mise en avant des produits était, en tout état de cause, rémunérée à l'ensemble des distributeurs et représente, en l'espèce, un service rendu disproportionné à sa rémunération ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces constatations un faisceau d'indices graves, précis et concordants de l'existence d'une entente verticale ayant existé entre BVHE et les sociétés requérantes, caractérisée par leurs accords sur les prix, que le Conseil a justement qualifiée ; que le moyen sera donc rejeté ;
Sur le moyen tenant à l'abandon de la qualification d'abus déposition dominante :
Considérant que Casino soutient que le Conseil de la concurrence a commis une erreur d'appréciation des faits qui lui étaient soumis en retenant l'existence d'une entente verticale entre elle et BVHE alors qu'en réalité cette dernière société, éditeur incontournable, était en position dominante sur le marché considéré et en mesure d'y utiliser sa position pour en abuser, en voulant pour preuve le fait qu'elle imposait ses conditions lors des négociations commerciales, situation qui avait pour effet d'interdire à ses concurrents leur accès à ce marché ;
Mais considérant que, à supposer que BVHE ait abusé de la position dominante qu'elle détient sur le marché des vidéocassettes préenregistrées, relevé au titre des griefs mais abandonné sous cette qualification par le Conseil à l'encontre de cet éditeur, Casino n'est pas recevable à contester la décision à ce titre en ce qu'elle intéresse BVHE, n'étant pas plaignante ; qu'en outre, l'existence d'une entente entre elle et cette société, du fait de l'adhésion du distributeur à l'invitation du fournisseur, qu'aucun élément du dossier ne vient ne contredire, ayant été avérée pour les motifs ci-dessus exposés, la qualification qu'elle invoque pour sa défense ne peut être retenue ;
Sur la détermination des sanctions :
Considérant que les sociétés SDO et Casino contestent l'évaluation faite par le Conseil de la concurrence des sanctions qui leur ont été infligées en critiquant son appréciation tant de la gravité des pratiques que du dommage causé à l'économie ; qu'elles réclament en conséquence la réformation de la décision pour violation des dispositions de l'article L. 464-2 du Code de commerce ;
Qu'en particulier Casino fait valoir que la sanction qui lui est infligée, 3 % de son chiffre d'affaires, est inexplicable au regard de la pratique habituelle du Conseil de sanctionner de manière plus lourde le fournisseur que le distributeur et en comparaison de celle infligée à SDO (1 %) ou à d'autres distributeurs et n'est pas motivée à ce titre ; que le Conseil n'a pas pris en compte le fait que BVHE était un fournisseur en position dominante ni que les pratiques n'ont pas interdit l'accès au marché d'autres éditeurs ;
Que SDO soutient que la motivation qui la concerne est tout à fait générale en ne caractérisant pas, notamment, sa part de marché dans l'entente ni par rapport aux autres entreprises concernées ; que sa participation aux faits, si elle est retenue, n'a été que passive dans un marché à la concurrence féroce ; que le Conseil n'a pas pris en compte la faible part de son chiffre d'affaires dans l'activité concernée qui aurait dû, seule, être retenue comme assiette de la sanction ; qu'enfin la décision aurait dû tenir compte de la durée de la procédure ;
Considérant que l'article L. 464-2 du Code de commerce disposait dans son troisième alinéa, en vigueur à l'époque des faits, que : "Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction." ; qu'il limitait le montant de la sanction à 5 % du chiffre d'affaires hors taxe en France de l'entreprise lors de son dernier exercice clos ;
Considérant que les pratiques reprochées, consistant en un détournement de la législation sur la prohibition de la revente à perte, ayant eu pour objet ou pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence en favorisant artificiellement leur hausse, sont par nature particulièrement graves et ont été, ainsi, caractérisées par le Conseil par des motifs que la cour adopte ; qu'en effet les ententes qui ont pour objet ou pour effet, comme en l'espèce, d'empêcher le libre jeu de la concurrence par l'interdiction mise, de fait, à la fixation des prix par les règles du marché et par leur maintien artificiel à la hausse au détriment des consommateurs sont gravement préjudiciables au marché ; que par la qualification, approuvée, d'entente verticale, il a également caractérisé le dommage à l'économie ;
Considérant ainsi, que le Conseil a, pour déterminer le montant des sanctions devant être infligées aux entreprises concernées, tenu compte de la participation de chacune dans la commission des faits, sa décision étant en conséquence indemne de reproche à cet égard ; qu'en effet, pour apprécier le dommage à l'économie, il a pris en considération à juste raison (§ 276 et 277) la taille du marché en cause de 1995 à 1998, la part des vidéocassettes Disney dans cet ensemble et la part de chacun des distributeurs impliqués dans les ventes de BVHE ainsi que l'évolution des prix de ces produits au cours de cette période, montrant que la baisse globale des prix des vidéocassettes Disney a été nettement inférieure à celle des vidéocassettes en général ; qu'il a également pertinemment relevé (§ 269 à 272), que la part du marché de détail affecté était très important et que les participants aux pratiques incriminées se présentent comme des enseignes ayant une politique de prix agressive ce qui rend celles-ci d'autant plus dommageables ;
Considérant que SDO soutient en vain que sa participation à l'entente a été purement passive alors que, ainsi qu'il a été retenu, elle a participé à une entente verticale dans laquelle il ne résulte d'aucune constatation qu'elle ait tenté de s'en affranchir ; que le montant de la sanction qui lui a été infligé tient suffisamment compte de la durée de la procédure dont elle n'est pas responsable et qu'il a été calculé conformément aux prescriptions de l'article L. 464-2 du Code de commerce précité qui ne vise que le chiffre d'affaires global ;
Considérant, s'agissant de Casino, qu'en s'appuyant, ainsi qu'il a été dit, sur la part de chaque distributeur dans les pratiques incriminées, le Conseil, qui avait relevé que Casino était membre pour moitié du GIE IC Vidéo qui était le premier grand compte de BVHE alors que SDO n'en était que le second, a régulièrement justifié de la sanction infligée, le sort de BVHE devant s'apprécier au regard de l'engagement pris par cette société ;
Considérant en conséquence qu'aucun des moyens soulevés par les entreprises requérantes, SDO et Casino, n'est de nature à entrainer l'annulation ni la réformation de la décision n° 05-D-70 du Conseil de la concurrence ; que leurs recours seront donc rejetés ;
Par ces motifs, Rejette les recours des sociétés SDO et Casino, laisse à chacune la charge de ses dépens.