CA Paris, 14e ch. B, 1 juin 2007, n° 07-05278
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Groupe Hersant Média (SA), La Grande Chaudronnerie Lorraine (SA), Multimédia Futur (Sté)
Défendeur :
Socpresse (SA), Groupe Industriel Marcel Dassault (SAS), Delaroche (SA), Le Journal de l'Est Républicain (SA), Banque Fédérative du Crédit Mutuel (SA), Renaudot Investissement (Sté), Lignac, Est Bourgogne Rhône Alpes (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Feydeau
Conseillers :
Mme Provost-Lopin, Darbois
Avoués :
Me Teytaud, Olivier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Viguie, Malka, Schmidt
Vu l'appel formé par la société Groupe Hersant Média "GHM" anciennement Groupe France Antilles SA, la société La Grande Chaudronnerie Lorraine "GCL" et la société Multimédia Futur "MME" de l'ordonnance de référé du 9 mars 2007 rendue par le Président du Tribunal de commerce de Paris qui a déclaré leur "assignation" recevable, a dit n'y avoir lieu à référé et les a condamnées solidairement à supporter les dépens et payer à la SA Socpresse la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu l'autorisation de plaider l'affaire à jour fixe le 26 avril 2007 et les assignations du 5 avril 2007 par lesquelles les appelantes poursuivent l'infirmation de l'ordonnance et demandent à la cour de:
- à titre principal:
- désigner un mandataire de justice en qualité d'administrateur provisoire de la société EBRA avec pour mission de:
* préserver les droits des parties en présence, qu'il s'agisse des parties à la concentration Est Républicain, Crédit Mutuel-EBRA-Delaroche, des actionnaires d'EBRA ou de l'Est Républicain, de la société visée, de ses actifs et de ses salariés;
* veiller à l'intérêt social d'EBRA et du groupe Delaroche et de préserver leurs actifs;
* veiller, en sa qualité de représentant légal de la société EBRA, à une gestion et à une administration en bon père de famille d'EBRA et de Delaroche, à ce qu'aucune décision de gestion, qu'elle soit adoptée au sein d'EBRA ou de Delaroche, ne soit irréversible et rende impossible ou contestable la restitution éventuelle des actions Delaroche à la Socpresse;
* exercer en tant que de besoin, les droits de vote attachés aux actions Delaroche qu'il détiendra;
* accepter la désignation des membres du comité de direction d'EBRA (l'un représentant respectivement l'Est républicain, la Socpresse et la BFCM) dont il dirigera et supervisera les travaux;
et le cas échéant:
* détenir en séquestre les actions Delaroche acquises par EBRA le 8 juin 2006,
* détenir en séquestre l'intégralité des sommes en numéraire (au titre notamment du paiement du prix de cession des actions Delaroche et du remboursement du compte courant d'associé) versées par EBRA à la Socpresse le 8 juin 2006;
* tenter de rapprocher les parties en présence;
* dire que la mission de l'administrateur provisoire se poursuivra, sous le contrôle de la cour, jusqu'à décision définitive des autorités compétentes en matière de contrôle des concentrations;
à titre subsidiaire:
- désigner un mandataire de justice en qualité de mandataire ad hoc avec pour mission de:
* préserver les droits des parties en présence, qu'il s'agisse des parties à la concentration Est Républicain, Crédit Mutuel-EBRA-Delaroche, des actionnaires d'EBRA ou de l'Est Républicain, de la société visée, de ses actifs et de ses salariés;
* veiller à l'intérêt social d'EBRA et du groupe Delaroche et de préserver leurs actifs
* veiller, en sa qualité de représentant légal de la société EBRA à une gestion et à une administration en bon père de famille d'EBRA et de Delaroche, à ce qu'aucune décision de gestion, qu'elle soit adoptée au sein d'EBRA ou de Delaroche, ne soit irréversible et rende impossible ou contestable la restitution éventuelle des actions Delaroche à la Socpresse ;
et le cas échéant:
* détenir en séquestre les actions Delaroche acquises par EBRA le 8 juin 2006,
* détenir en séquestre l'intégralité des sommes en numéraire (au titre notamment du paiement du prix de cession des actions Delaroche et du remboursement du compte courant d'associé) versées par EBRA à la Socpresse le 8 juin 2006
* tenter de rapprocher les parties on présence;
* dire que la mission de l'administrateur provisoire se poursuivra, sous le contrôle de la cour, jusqu'à décision définitive des autorités compétentes on matière de contrôle des concentrations;
en tout état de cause:
- rejeter les exceptions de procédure et fins de non recevoir soulevées par les intimées,
- condamner "solidairement" EBRA, la Socpresse, Delaroche, l'Est Républicain, Renaudot Investissements, La Banque Fédérative du Crédit Mutuel et M. Lignac à payer "chacun" aux appelantes la somme de 20 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens;
A l'audience du 26 avril 2007 l'affaire a été renvoyée pour clôture le 3 mai et plaidoiries le 10 mai 2007 ;
Vu les conclusions du 24 avril 2007 de la SAS Est Bourgogne Rhône Alpes dite EBRA, la société Delaroche, la société du Journal Est Républicain "L'Est Républicain", la Banque Fédérative du Crédit Mutuel " Crédit Mutuel ", la société Renaudot Investissement "SRI" et
M. Gérard Lignac tendant à voir la cour:
- déclarer les appelantes irrecevables en leurs demandes pour défaut de qualité et défaut d'intérêt légitime;
- subsidiairement, confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé et débouter les appelantes de leurs demandes;
- condamner solidairement la société Groupe Hersant Média "GHM", la société La Grande Chaudronnerie Lorraine et la société Multimédia Futur "MMF" à verser à chacun des intimés la somme de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les conclusions du 25 avril 2007 par lesquelles la société Socpresse et le Groupe Industriel Marcel Dassault poursuivent la confirmation de l'ordonnance et demandent à la cour de:
- a titre infiniment subsidiaire, pour le cas où elle jugerait qu'il existe un péril imminent de recouvrement à l'encontre de la Socpresse des sommes qu'elle a perçues le 8 juin 2006
- donner acte au Groupe Industriel Marcel Dassault de son engagement de délivrer une garantie à EBRA dans les termes et conditions énoncées dans ses conclusions;
- débouter les appelantes de leur demande de séquestre;
- condamner in solidum les sociétés Groupe Hersant Média "GHM", La Grande Chaudronnerie Lorraine et Multimédia Futur "MMF" à payer à la Socpresse la somme de 15 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens;
Vu l'ordonnance de ce jour rabattant la clôture et prononçant celle-ci à la date du 10 mai 2007 avant l'ouverture des débats, les pièces relatives à la saisine par la DGCCRF du Conseil de la concurrence devant être versées aux débats comme ayant une incidence sur les données du litige soumis à la cour et les intimées ayant été en mesure de les discuter;
Le Ministère public entendu on ses observations orales;
LA COUR,
Considérant qu'il ressort des écritures et des pièces versées aux débats que la société Socpresse, dépendant du Groupe Dassault, a décidé de mettre en vente, au début de l'année 2005, la société Delaroche et ses filiales, propriétaires d'un grand nombre de titres de presse régionale du Sud-Est de la France, dont le Progrès et le Dauphiné libéré;
Qu'un contrat de cession a été établi le 10 avril 2006 au profit d'une société Est Bourgogne Rhône Alpes (EBRA) constituée par la société l'Est Républicain et le Crédit Mutuel, sous la condition suspensive de l'autorisation du ministre de l'Economie, s'agissant d'une opération de concentration soumise à cette formalité par les articles L. 430-1 et suivants du Code de commerce;
Que le groupe Hersant, qui, par sa filiale la société Grande Chaudronnerie Lorraine, détient 27 % du capital social de la société l'Est Républicain avec la famille Lignac laquelle détient, au travers de la société Renaudot Investissements (SRI), 34 % de ce capital, s'est désolidarisé de l'opération;
Que le ministre ayant autorisé l'opération le 17 mai 2006, l'acquisition par EBRA de la société Delaroche a été réalisée le 8 juin 2006;
Que, sur le recours de la société France Antilles devenue Groupe Hersant Média (GHM) (ci-après groupe Hersant), la décision du 17 mai 2006 du ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie a été annulée par arrêt du Conseil d'Etat du 31 janvier 2007;
Que par ailleurs, pour participer à la constitution de la société EBRA, les consorts Lignac ont dénoncé, le 14 février 2006, le pacte d'actionnaires du 30 avril 1997 qui les liait à la filiale du groupe Hersant que, saisi par le groupe Hersant, le Président du Tribunal de grande instance de Paris, après avoir tenté en vain de rapprocher les parties, a ordonné la suspension des effets de cette dénonciation et des modifications statutaires adoptées le 27 mars 2006 jusqu'à décision définitive des juges du fond, par ordonnance du 15 décembre 2006 soumise à la cour par une procédure distincte plaidée le même jour;
Que c'est dans ces conditions que le groupe Hersant a saisi le juge des référés du tribunal de commerce d'une demande en désignation d'un administrateur provisoire pour les sociétés EBRA et Delaroche et que l'ordonnance entreprise a été rendue; que, postérieurement, une nouvelle demande d'autorisation a été adressée au ministre de l'Economie qui a décidé de saisir le Conseil de la concurrence pour avis;
Considérant qu'au soutien de leur recours, les appelantes font valoir que l'annulation de l'autorisation du ministre de l'Economie et des Finances fait peser de graves incertitudes sur le devenir de la société EBRA et du groupe Delaroche, puisque le transfert des actions et le paiement du prix sont intervenus alors que l'autorisation ministérielle, condition nécessaire à la réalisation de l'opération n'existe plus; que, tant qu'une nouvelle décision du ministre n'est pas définitivement acquise, l'opération devrait être suspendue et ne produire aucun effet afin de permettre d'assurer la remise en l'état antérieur à la concentration qui serait la conséquence d'un refus parfaitement possible et plausible des autorités compétentes en matière de contrôle des concentrations; que seule, la désignation d'un mandataire de justice dans l'attente d'une décision définitive est susceptible de limiter les effets pouvant être négatifs de cette situation inédite, d'en réduire les incertitudes et de préserver les intérêts de toutes les parties en cause;
Considérant que les sociétés intimées opposent une fin de non recevoir tirée du défaut de qualité et d'intérêt à agir des sociétés du groupe Hersant;
Considérant que si le Conseil d'Etat a reconnu que la société GHM avait, en sa qualité d'actionnaire de la SA le Journal de l'Est Républicain, un intérêt à contester la décision ministérielle autorisant l'opération de concentration, cette circonstance ne suffit pas, au regard des règles gouvernant le droit des sociétés, à conférer aux sociétés appelantes intérêt et qualité à demander la nomination d'un administrateur provisoire pour les sociétés EBRA et Delaroche;
Qu'une telle mesure, qui ne se justifie que si le fonctionnement normal d'une société ne peut être assuré par ses organes statutaires ou si les intérêts sociaux sont mis en péril par une gestion défaillante, ne peut être demandée par un tiers dépourvu de lien de droit avec la société concernée;
Considérant que le droit de demander la désignation d'un administrateur pour veiller à l'intérêt social d'EBRA et du groupe Delaroche, préserver leurs actifs et assurer leur bonne administration, appartient aux organes sociaux et aux associés de ces deux sociétés;
Considérant que la société GHM n'est associée dans aucune d'elles ; qu'elle n'a donc aucun lien de droit direct avec ces sociétés;
Que sa qualité d'actionnaire de l'Est Républicain, ne lui permet pas d'exercer les droits que cette société détient dans la société EBRA pour demander la nomination d'un administrateur provisoire auprès de ladite société; qu'elle ne peut non plus se substituer au représentant légal de la société EBRA pour exercer le droit appartenant à celle-ci de faire nommer un mandataire judiciaire pour la société Delaroche dont elle est actionnaire;
Que sa qualité de partie au pacte d'actionnaires signé le 30 avril 1997 avec la famille Lignac ne lui donne pas plus le droit de s'immiscer dans la gestion des sociétés EBRA et Delaroche pour la sauvegarde de ses intérêts propres que les dites sociétés n'ont pas vocation à assurer; qu'au demeurant, les droits qu'elle détient en vertu de ce pacte se trouvent préservés par le suspension des effets de sa dénonciation par les consorts Lignac prononcée par l'ordonnance de référé du 15 décembre 2006 confirmée par la cour selon arrêt de ce jour:
Qu'ainsi la société GHM et ses filiales n'ont pas qualité à solliciter la désignation d'un administrateur provisoire des sociétés EBRA et Delaroche ni celle d'un administrateur ad hoc auquel elles voudraient que soient conférés des pouvoirs d'ingérence quasiment identiques dans le fonctionnement de ces sociétés;
Qu'elles n'ont pas enfin qualité à demander le séquestre des actions Delaroche cédées à EBRA, le droit de demander cette mesure conservatoire appartenant aux représentant légaux des sociétés parties à la cession;
Qu'il convient, dans ces conditions, d'infirmer l'ordonnance et de déclarer les demandes irrecevables;
Considérant que les appelantes qui échouent on leur recours et à qui incombe la charge des dépens seront condamnées à payer à la Socpresse la somme de 5 000 euro et aux autres intimes ensemble la somme de 10 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, Infirme l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré "l'assignation recevable"; Statuant à nouveau; Déclare la société Groupe Hersant Média "GHM", la société La Grande Chaudronnerie Lorraine GCL et la société Groupe Hersant Média irrecevables en leurs demandes ; Condamne in solidum la société Groupe Hersant Média "GHM", la société La Grande Chaudronnerie Lorraine "GCL" et la société Groupe Hersant Média à payer à la société Socpresse la somme de 5 000 euro et à la SAS Est Bourgogne Rhône-Alpes dite EBRA, la société Delaroche, la société du journal Est Républicain "L'Est Républicain ", la Banque Fédérative du Crédit Mutuel " Crédit Mutuel ", la société Renaudot Investissement "SRI" et à M. Gérard Lignac, ensemble, la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne in solidum la société Groupe Hersant Média "GHM" la société La Grande Chaudronnerie Lorraine "GCL" et la société Groupe Hersant Média aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.