CA Paris, 1re ch. A, 23 janvier 2007, n° 05-03915
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Perrault
Défendeur :
Claudel
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Grellier
Conseillers :
Mme Horbette, Mouillard
Avoués :
SCP Verdun-Seveno, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Fouchet, Jouanneau
M. Henri Claudel, neveu de Camille Claudel, a acheté en 1986 en Angleterre un tableau signé " C Claudel", daté de 1900 et désigné sous le nom "L'amie anglaise", qui a été présenté comme une peinture effectuée par la célèbre artiste dans le catalogue raisonné que Mme Paris, la petite-nièce de celle-ci, a dressé de son œuvre en 1990.
En 1993, M. Claudel, qui avait confié la toile pour restauration à M. Perrault, expert spécialisé dans le dépistage des faux et contrefaçons artistiques, la lui a laissée en dépôt-vente au prix de 600 000 F.
Le 26 février 1993, M. Perrault s'en est lui-même porté acquéreur, puis l'a revendue le 10 mars 1993 au prix de 1 000 000 F.
En 1996, plusieurs auteurs ont publié un nouveau catalogue raisonné des œuvres de Camille Claudel, refusant d'attribuer cette peinture à l'artiste.
M. Perrault, qui a spontanément remboursé ses acquéreurs le 2 septembre 1997, a prétendu obtenir la résolution, subsidiairement l'annulation, de la vente conclue avec M. Claudel.
Par jugement du 9 mars 1999, le Tribunal de grande instance de Versailles a déclaré sa demande irrecevable pour défaut de qualité à agir, faute pour lui de justifier qu'il était redevenu propriétaire du tableau.
M. Perrault a interjeté appel de ce jugement et, par arrêt du 19 janvier 2001,la cour d'appel de Versailles l'a débouté de ses demandes, tant de résolution pour défaut de délivrance que d'annulation pour erreur, jugeant celle-ci inexcusable de sa part.
Par arrêt du 14 décembre 2004, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé cet arrêt, mais uniquement en ce qu'il niait le caractère inexcusable de l'erreur invoquée par M. Perrault, la cour d'appel n'ayant pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations selon lesquelles M. Perrault était intervenu à des fins autres que de certification de la toile litigieuse, déjà formellement reconnue comme étant de Camille Claudel par Mme Paris, experte et spécialiste de ses œuvres, et cette authentification n'était en rien démentie à l'époque des faits, et a renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Paris.
LA COUR,
Vu la déclaration de saisine déposée par M. Perrault le 2 février 2005;
Vu les conclusions du 7 novembre 2006 par lesquelles M. Perrault poursuit l'intimation du jugement ainsi que le débouté de M. Claudel de ses prétentions et demande à la cour d'annuler la vente du 26 février 1993, de condamner en conséquence M. Claudel à lui restituer le prix de vente de 600 000 F soit 91 469,41 euro, avec intérêts légaux depuis le contrat de vente et anatocisme, de le condamner également à lui verser la même somme en raison du préjudice direct qu'il a subi pour avoir été contraint d'indemniser ses propres acquéreurs, outre celle de 60 979,61 cuba (400 000 F) pour la privation d'une somme importante durant de nombreuses années et encore celle de 30 489,80 euro (200 000 F) en réparation du préjudice moral qu'il a subi, enfin celle de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Vu les conclusions déposées le 21 avril 2006 par lesquelles M. Claudel demande à la cour de débouter M. Perrault de ses demandes et de condamner celui-ci à lui payer une somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile:
Sur ce:
Considérant que, si les parties présentent des relations contraires des circonstances de l'acquisition du tableau par M. Perrault, aucun élément de preuve ne permet de les départager, seuls les documents commerciaux relatifs aux actes en cause étant produits;
Considérant que la facture établie le 26 février 1993 à l'occasion de la vente litigieuse est libellée comme suit:
"Vente du tableau suivant à M. Gilles Perrault, Expert, 12 rue Montbauron 78000 Versailles.
"L'Amie Anglaise" par Canuille Claudel, Huile sur toile,
Dimensions: 64 cm haut. X 54 cm larg.
au prix de 600 000 F... "
Qu'ainsi cette facture, qui porte la signature pour accord de M. Henri Claudel, mentionne expressément l'attribution à Camille Claudel de la peinture objet du contrat; qu'il est constant que cette authentification était alors confirmée par Mme Paris, spécialiste de l'œuvre de cette artiste, dans le catalogue raisonné qu'elle avait publié en 1990, qui l'a réitérée du reste en délivrant à M. Perrault un certificat que celui-ci a remis à ses propres acquéreurs, ainsi que le mentionne la facture relative à cette seconde vente;
Qu'il résulte de ces éléments que le caractère authentique du tableau constituait une qualité substantielle en considération de laquelle M. Perrault s'est porté acquéreur;
Que dès lors, M. Perrault, qui invoque le doute quant à cette authenticité, survenu postérieurement à la vente - à la suite de l'enquête à laquelle s'est livrée Mme Anne Rivière, historienne d'art co-auteur du catalogue raisonné paru en 1996, qui selon courrier du 12 avril 71997, attribue la toile à Charles, Antoine Claudel un artiste peintre décorateur né à Lille en 1873, qui a vécu et travaillé à Vincennes puis à Montreuil est fondé à se prévaloir de l'erreur qui a vicié son consentement;
Considérant qu'il est constant en outre que Camille Claudel s'est rendue célèbre dans l'art de la sculpture et que, si une peinture à. l'huile signée d'elle revêt un caractère exceptionnel lui conférant une valeur accrue, sa rareté même rend difficile son authentification, faute d'éléments de comparaison ; que M. Perrault, qui au surplus est spécialisé en bronze, bois sculptés dotés et polychromes et non en peinture, ne disposait alors d'aucun indice lui permettant d'anticiper ce doute; qu'ainsi, en présence d'une toile vendue par le neveu de l'artiste, authentifiée par sa petite nièce, spécialiste de son œuvre, et précédemment prêtée comme telle à l'occasion de plusieurs expositions internationales, il n'a pas fait preuve de négligence en n'exigeant pas de démonstration supplémentaire de son authenticité et n'a donc pas commis d'erreur inexcusable;
Qu'il suit de là que la vente doit être annulée, avec toutes ses conséquences de droit;
Considérant à cet égard qu'au titre des restitutions, M. Perrault devra rendre le tableau litigieux à M. Claudel et ce dernier devra lui rembourser la somme de 971 469,41 euro qu'il avait reçue, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande en justice, soit à compter du 12 septembre 1997; que la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'une année étant de droit à compter de la demande qui en est faite, il y a lieu de l'ordonner à compter du 23 mars 2006;
Considérant que, de même qu'il doit être admis que M. Perrault, en dépit de sa profession, ne pouvait soupçonner le doute qui s'est révélé ultérieurement, aucun élément du dossier ne permet de considérer que l'erreur n'était pas commune à M. Henri Claudel, serait-il le neveu de Camille Claudel, et que celui-ci aurait eu conscience, au moment de la vente, de l'aléa qui affectait l'attribution de la toile à sa tante ; que M. Claudel se heurtait en effet aux mêmes difficultés d'authentification tenant à la rareté de la peinture de Camille Claudel, et le fait qu'il ait acquis la toile en Angleterre quelques années auparavant ne suffit pas à exclure qu'il ait cru l'œuvre de la main de sa tante, laquelle avait séjourné chez une amie en Angleterre, alors au surplus que Mme Paris l'avait reconnue comme telle ; qu'aucune faute n'étant établie à l'égard de M. Claudel,
M. Perrault doit être débouté de ses demandes de dommages et intérêts;
Considérant enfin que M. Perrault a du exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge;
Par ces motifs, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions; Et statuant à nouveau, Vu l'arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 19 janvier 2001, Vu l'arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 14 décembre 2004, Annule la vente du tableau signé "C Claudel" intitulé "L'amie anglaise" consentie le 26 février 1993 par M. Claudel à M. Perrault; Ordonne en conséquence la restitution du tableau par M. Perrault à M. Claudel et le remboursement par ce dernier à M. Perrault de la somme de 91 469,41 euro, assortie des intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 1997; Dit que, par application de l'article 1154 du Code civil, les intérêts échus porteront eux-mêmes intérêts à compter du 23 mars 2006; Déboute M. Perrault de ses demandes de dommages et intérêts; Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, condamne M. Claudel à payer à M. Perrault la somme de 5 000 euro et rejette sa demande; Condamne M. Claudel aux dépens de première instance et d'appel, y compris à ceux de l'arrêt cassé; Dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.