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Décisions

CA Metz, 4e ch., 18 mai 2006, n° 02-01083

METZ

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ates

Défendeur :

Klein

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseillers :

Mmes Soulard, Cunin-Weber

Avocats :

Mes Wolff, SCP Bettenfeld-Fontana-Rigo

TI Saint-Avold, du 13 mars 2002

13 mars 2002

Selon certificat de cession du 4 octobre 2000, M. Ali Ates a vendu à Mme Caroline Klein un véhicule Audi 80 immatriculé 1857 XN 57 pour le prix de 14 000 F.

Par acte introductif d'instance déposé le 13 août 2001, Mme Klein a fait citer M. Ali Ates devant le Tribunal d'instance de Saint-Avold en annulation de la vente et paiement d'une somme de 20 000 F, correspondant au prix de vente du véhicule, outre une somme de 8 000 F à titre de dommages et intérêts.

M. Ates a soulevé in limin litis l'incompétence territoriale du Tribunal d'instance de Saint-Avold au motif qu'il est domicilié à Metz et que le véhicule a été livré à Metz. Au fond il concluait au débouté de la demande, la prétendue erreur n'ayant pas porté sur les qualités substantielles du véhicule.

Par jugement du 13 mars 2002, le Tribunal d'instance de Saint-Avold a :

- Rejeté l'exception d'incompétence territoriale;

- Prononcé la résolution de la vente du véhicule;

- Condamné M. Ates à payer à Melle Klein la somme de 2 134,80 euro au titre du remboursement du prix de vente;

- dit que l'enlèvement du véhicule resterait à la charge de M. Ates ;

- condamné M. Ates à payer à Melle Klein la somme de 304,89 euro à titre de dommages et intérêts;

- Débouté Melle Klein du surplus de ses demandes;

- Condamné M. Ates aux entiers dépens.

Pour rejeter l'exception d'incompétence, le Tribunal d'instance a retenu que la vente avait eu lieu au domicile de la famille Guldner à Valmont selon attestations délivrées par celle-ci.

Au fond, il a rappelé qu'en application des dispositions de l'article 1110 du Code civil, l'erreur n'est une cause de nullité que pour autant qu'elle porte sur la substance même de la chose vendue; qu'en l'espèce les caractéristiques substantielles que constituent la puissance dudit véhicule et l'ancienneté du moteur n'étaient pas conformes au modèle et à l'ancienneté du véhicule acquis.

En revanche il a rejeté la demande en remboursement des réparations effectuées, faute de preuve suffisante d'un lien direct entre le défaut de conformité du moteur et lesdites réparations, de même que la demande en remboursement des frais de carte grise, faute par celle-ci d'être chiffrée.

Il a chiffré le préjudice résultant des divers désagréments subis par Melle Klein à la somme de 304,89 euro.

Par déclaration du 23 avril 2002, M. Ali Ates a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions récapitulatives déposées le 1er février 2006, il demande à la cour de:

- Rejeter l'appel incident ainsi que les demandes nouvelles formées à hauteur de cour par Mme Klein;

- Dire son appel recevable et bien fondé;

- En conséquence, infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;

- Et statuant à nouveau;

- Débouter Mme Klein de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

- A titre infiniment subsidiaire, ordonner une expertise afin de décrire l'état actuel du véhicule litigieux

- Réduire les sommes allouées à de plus justes proportions en considération de l'état actuel du véhicule et de la jouissance gratuite dont a bénéficié Mme Klein;

- Au besoin, accueillir la demande reconventionnelle formée par M. Ates, condamner Mme Klein au paiement d'une indemnité d'usage d'un montant de 1 500 euro;

- En tout état de cause, condamner Mme Klein aux dépens de première instance et d'appel et au paiement d'une somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives déposées le 9 décembre 2005, Mme Klein conclut à voir:

- Déclarer l'appel principal mal fondé;

- En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions;

- y rectifiant la mention selon laquelle la vente est annulée, au lieu de résolue;

- condamner M. Ates à lui verser la somme de 388 F soit 59,15 euro au titre du remboursement de la carte grise;

- condamner M. Ates à lui verser la somme de 1 219,59 euro à titre de dommages et intérêts;

- condamner M. Ates à lui verser la somme de 2 190 euro à titre de dommages et intérêts complémentaires en réparation du préjudice lié à la conservation du véhicule du fait de l'appel;

- condamner M. Ates au paiement d'une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

- le condamner aux dépens.

Motifs de la décision

Vu les conclusions récapitulatives déposées pour l'appelant le 1er février 2006, celles déposées pour l'intimée le 9 décembre 2005 et les pièces régulièrement produites aux débats, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties ;

Sur l'appel principal

Sur l'exception de nullité du jugement

Il est reproché au premier juge, saisi d'une action en nullité de la vente pour erreur sur les qualités substantielles, d'avoir prononcé la résolution judiciaire de ladite vente alors qu'aucun vice caché ni défaut de conformité n'était alors allégué.

Cependant il ressort clairement des motifs de la décision que le Tribunal d'instance de Saint-Avold a constaté l'existence d'une erreur sur les qualités substantielles entraînant la nullité du contrat de vente par application des dispositions de l'article 1110 du Code civil; que d'ailleurs le premier juge apporte aux motifs de sa décision la conclusion suivante :

" Compte tenu de ces éléments. il convient de prononcer l'annulation de la vente du véhicule en cause "; que dès lors il ne pouvait, dans le dispositif de son jugement, qui doit correspondre aux motifs susvisés, prononcer la résolution de la vente.

Néanmoins il n'y a pas lieu de prononcer la nullité du jugement, ne s'agissant ni d'une nullité de forme au sens de l'article 114 du nouveau Code de procédure civile ni d'une nullité de fond au sens de l'article 117 du même code, mais d'une erreur de droit. En tout état de cause le principe de la dévolution de l'appel, posé par l'article 561 du nouveau Code de procédure civile, a pour effet de remettre la chose jugée en question en fait et en droit.

Il y a donc lieu de rejeter l'exception de nullité soulevée par l'appelant.

Au fond

Au soutien de son appel, M. Ates conteste à titre principal la réalité même de l'erreur invoquée, au motif qu'il aurait informé Mme Klein du changement du moteur et par conséquent du caractère non garanti du kilométrage.

En premier lieu, il en veut pour preuve le fait que l'acte de cession produit par ses soins ne comporte pas de croix en face de la mention " (je certifie en outre) que ce véhicule n'a pas subi de transformation notable susceptible de modifier les indications du certificat de conformité ou de l'actuelle carte grise" alors que pour sa part, Mme Klein produit un exemplaire du même acte comportant une croix en face de la mention précitée.

Mais d'une part, si en réalité M. Ates n'avait pas entendu cocher la case litigieuse, il lui aurait fallu cocher l'autre case mentionnant "que ce véhicule est destiné à la destruction ", le rédacteur étant tenu, aux termes de l'astérisque de "cocher la case correspondante. " En effet, si le véhicule n'est pas destiné à la casse, il doit répondre aux indications de la carte grise. D'autre part il ressort de l'examen minutieux des deux certificats de cession produits aux débats que si tous deux sont remplis et signés de la main de M. Ates, il s'agit néanmoins de deux exemplaires distincts, comportant quelques légères différences, de sorte que M. Ates a fort bien pu ne cocher la case litigieuse que sur l'exemplaire remis à Mme Klein, hypothèse corroborée par les témoignages précis et concordants de M. Pascal Guldner et Mme Béatrice Guldner, présents lors de la vente, qui attestent tous deux que le certificat de vente était déjà rempli par M. Ates lorsqu'il l'a remis à Mme Caroline Klein et que celle-ci n'a coché aucune case.

En second lieu, il produit à hauteur d'appel les témoignages délivrés par MM. Bird et Yilmaz Ates, ses frères, et M. UraI Yapaci, aux termes desquels, la vente aurait eu lieu le 3 octobre en leur présence et non le 4 octobre 2000, et après infirmation de l'acquéreur sur tous "les défauts du véhicule et le changement récent du moteur ". Cependant, outre que la comparaison des écritures des attestations délivrées au nom de M. Birol Ates en date des 24 septembre 2001 et 3 avril 2004 révèle qu'elles n'ont pas été écrites ni signées par la même personne, ces attestations, contredites par celles délivrées par M. Pascal Guldner, M. Michel Guldner et Mme Béatrice Guldner, sont en tout état de cause inopérantes à démontrer que M. Ail Ates avait informé Mme Caroline Klein du changement du moteur pour un moteur de Golf Volkswagen 1984, ne comportant pas de système de refroidissement et, par suite, inadapté au véhicule litigieux.

A titre subsidiaire, l'appelant conteste le caractère déterminant de l'erreur qu'aurait commise Mme Klein. En effet aux ternes de l'article 1110 du Code civil, "l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet."

Cependant il est incontestable que le kilométrage du compteur, la puissance, l'âge et la conformité du moteur au modèle du véhicule et, partant, le fonctionnement normal du véhicule quelles que soient les conditions climatiques, constituent des qualités substantielles, déterminant le consentement de l'acquéreur d'un véhicule d'occasion, et ce même ai le véhicule est vendu pour un prix modique à un kilométrage éleva.

Il s'agit de caractéristiques d'autant plus essentielles, qu'elles entrent précisément dans le calcul et la négociation du prix. Dès lors M. Ates ne peut valablement soutenir, au seul motif que Mme Klein a acquis le véhicule litigieux d'un modèle ancien de 1989, pour un prix de 14 000 F et affichant un kilométrage élevé de 192 000 km, qu'il importait peu que le moteur qui l'équipait soit ancien de 1984, d'un kilométrage en réalité inconnu et d'une puissance de 10 chevaux inférieure.

En outre et surtout, il ressort de l'attestation délivrée par le garage Jacob SA le 14 mai 2001, étayée par les témoignages circonstanciés et concordants de M. Pascal Thill, Mme Marie-Claire Klein et Mme Eliane Schirle épouse Thiel, que le moteur figurant sur le véhicule litigieux était un moteur de Golf 1984 prévu pour être équipé "d'une pompe à eau supplémentaire et refroidisseur de turbo " alors que l'Audi 80 n'en comporte pas, de sorte qu'hormis en période hivernale, il surchauffait très rapidement et dégageait alors une épaisse fumée. Il importe peu que les moteurs Volkswagen et Audi soient fabriqués par le même constructeur. Il demeure que le moteur litigieux n'était nullement compatible avec le modèle du véhicule vendu et ne permettait pas un usage normal en toutes saisons. Or un moteur permettant une circulation normale constitue indéniablement une qualité substantielle d'un véhicule proposé à la vente.

La circonstance que le contrôle technique ait été délivré le 28 juin 2000 au propriétaire précédent, M. Jean-Pierre Gravazzi, sans mention du changement du moteur, n'est nullement significative, les opérations de contrôle technique ne portant pas sur La compatibilité du moteur avec le modèle du véhicule.

L'erreur sur les qualités substantielles que constituent la conformité, la puissance et l'âge du moteur étant ainsi caractérisée, il y a donc lieu de prononcer la nullité de la vente conclue entre les parties, et d'ordonner en conséquence d'une part la restitution du prix du véhicule, d'autre part l'enlèvement du véhicule à la charge de M. Ates.

Il y a lieu de rejeter la demande d'expertise du véhicule, comme étant dépourvue de toute utilité plus de cinq ans après la survenance de la vente. De môme la demande tendant à la fixation d'une indemnité pour jouissance gratuite du véhicule depuis la conclusion de la vente est mal fondée, la vente étant annulée par la faute de l'appelant, et l'intimée n'ayant pu utiliser le véhicule depuis le printemps 2001.

Sur l'appel incident

La demande en remboursement des frais de transfert de la carte grise avait ôté déclarée irrecevable par le premier juge, faute d'être chiffrée. Aujourd'hui Mme Klein chiffre et justifie de sa demande à hauteur de la somme de 388 F, soit 59,15 euro.

En ce qui concerne les frais de réparation de trois joints de culasse, d'un échangeur et de changement des pneus, justifiés pour la somme totale de 3 800,50 euro, soit 579,38 euro, il importe peu qu'ils soient en lien direct avec le changement non conforme du moteur, dès lors qu'ils ont été engagés en pure perte à l'époque où l'erreur sur le moteur n'avait pas encore été révélée, et que la vente se trouve aujourd'hui frappée de nullité.

S'y ajoutent la gêne causée à Mme Klein par les divers désagréments consécutifs à la non conformité du moteur et de manière générale, la privation de l'usage d'un véhicule en état de circuler normalement.

L'ensemble du préjudice résultant de ces divers postes, y compris des frais de carte grise exposés en vain, sera équitablement réparé par une indemnité globale de 1 200 euro.

En revanche la nécessité de conserver le véhicule du fait de la procédure d'appel ne constitue pas un poste de préjudice distinct de celui susvisé. Ce poste de demande sera donc rejeté.

En conséquence il y a lieu de rejeter l'exception de nullité du jugement entrepris, de déclarer l'appel principal mal fondé, de déclarer l'appel incident bien fondé à l'exception de la demande en réparation de la nécessité de conserver le véhicule du fait de l'appel, de réformer en conséquence partiellement le jugement entrepris.

Sur l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les dépens

Il a lieu de condamner M. Ali Ates, qui succombe principalement en ses prétentions, aux dépens d'appel et de première instance, ainsi, qu'au paiement d'une indemnité de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant publiquement et contradictoirement, Rejette l'exception de nullité du jugement entrepris; Déclare l'appel principal mal fondé et le rejette; Déclare l'appel incident bien fondé, à l'exception de la demande en réparation du préjudice lié à la nécessité de conserver le véhicule; Et statuant à nouveau, Prononce la nullité de la vente du véhicule Audi 80 immatriculé 1857 XN 57, intervenue entre les parties le 4 octobre 2000; Condamne M. Ali Ates à payer à Mme Caroline Klein la somme de 2134,28 euro, en remboursement du prix de vente; Ordonne l'enlèvement du véhicule, à la charge de M. Ali Ates; Condamne M. Ali Ates à payer à Mme Caroline Klein la somme de 1 200 euro à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt; Déboute Mme Caroline Klein du surplus de ses demandes; Condamne M. Ali Ates à payer à Mme Caroline Klein la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile; Condamne M. Ali Ates aux dépens d'appel et de première instance.