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Décisions

CA Besançon, 2e ch. civ., 11 avril 2006, n° 05-01185

BESANÇON

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Deloche (Epoux)

Défendeur :

Gruillot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Sanvido

Avoués :

SCP Leroux, Me Graciano

Avocats :

Mes Jechoux, Helvas

TI Besançon, du 17 mai 2005

17 mai 2005

Faits et prétentions des parties

Par acte du 13 janvier 2005, les époux Deloche ont fait assigner Marie-Françoise Gruillot, antiquaire, devant le Tribunal d'instance de Besançon afin de faire juger que leur consentement a été vicié lors de l'achat d'une table en noyer, époque XIXème, intervenu le 31 octobre 1990, au prix de 40 000 F (6 097,96 euro), alors que, lorsqu'ils ont souhaité la revendre, il leur a été indiqué par Monsieur Cellier, expert, le 30 juillet 2004, que ce meuble n'était pas d'époque XIXème et que son prix pouvait être estimé à 1 200 euro.

Madame Gruillot a opposé la prescription de l'action, sur le fondement de l'article L. 110-4 du Code de commerce et fait valoir, subsidiairement, que les époux Deloche ne rapporte pas la preuve de manœuvres dolosives. Elle considère que sur le fondement de l'action pour vice caché, celle-ci n'a pas été engagée à bref délai.

Par jugement rendu le 17 mai 2005, auquel la cour se réfère pour l'exposé complet des faits et des moyens, ainsi que pour les motifs, le tribunal a:

- déclaré les époux Deloche irrecevables en leur action en raison de la prescription encourue en application de l'article L. 110-4 du Code de commerce,

- débouté Madame Gruillot de ses demandes reconventionnelles,

- dit n'y avoir lieu à indemnité en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 9 juin 2005, les époux Deloche ont interjeté appel de cette décision.

Vu l'article 455 du nouveau Code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret du 28 décembre 1998,

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 4 octobre 2005 par les appelants aux termes desquelles, ils demandent à la cour, en infirmant le jugement entrepris, de:

- dire que leur action n'est nullement prescrite,

En conséquence, dire que la table, objet du contrat, n'est pas confirme à la table achetée, telle quelle est décrite dans la facture,

- dire qu'ils ont été victimes de manœuvres dolosives.

Subsidiairement,

- dire que compte tenu de ce qui était précisé par Madame Gruillot sur la facture, ils ont commis une erreur sur les qualités substantielles de la table,

- prononcer la nullité de la vente intervenue,

En conséquence, condamner Madame Gruillot à leur payer la somme de 6 100 euro en remboursement de la table, moyennant restitution de celle-ci, à charge pour Madame Gruillot de venir en prendre possession,

- condamner Madame Gruillot à leur payer la somme de 1 500 euro à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- condamner Madame Gruillot à leur payer la somme de 2 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Vu les conclusions récapitulatives déposées le 1er août 2005 par Madame Gruillot, intimée, concluant à la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré prescrite l'action des époux Deloche et les a déboutés de leurs demandes, subsidiairement à ce que soit constatée l'absence d'éléments constitutifs du dol, de vices cachés ou de non conformité et sollicitant pour le surplus, la condamnation des appelants à lui payer la somme de 800 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Vu les pièces régulièrement produites aux débats et la procédure;

Il est renvoyé aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties;

Motifs de la décision

Sur la recevabilité de l'action:

Attendu que les époux Deloche font grief au premier juge d'avoir déclaré prescrite leur action sur le fondement de l'article L. 110-4 du Code de commerce, alors qu'ils fondent principalement leur action en nullité de la vente sur le dol, subsidiairement sur l'erreur;

Attendu que selon ce texte les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à une prescription plus courte;

Que dans le cadre de la vente, il s'agit plus précisément d'une obligation d'information, de délivrance conforme et de garantie contre les défauts de la chose vendue;

Attendu que si les époux Deloche exerçaient leur action à raison du manquement de la venderesse à l'une des obligations susmentionnées, notamment pour vice caché, celle-ci serait indubitablement prescrite pour être intentée plus de dix ans après la vente;

Attendu cependant que les époux Deloche exercent une action en nullité de la vente qui n'a pas pour objet de faire sanctionner un manquement de la venderesse à ses obligations contractuelles mais de faire juger que la condition de formation du contrat n'est pas remplie et qui, de ce fait, obéit au régime de la prescription prévue par l'article 1304 du Code civil selon lequel l'action en nullité d'une convention, si elle n'est pas limitée à un temps moindre, se prescrit par une durée de cinq ans qui ne court, en cas d'erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts:

Qu'il s'ensuit que le premier juge a, à tort, énoncé que l'action en nullité de la vente n'était soumise à aucune prescription particulière et spéciale, que s'appliquait le régime de la prescription défini à l'article L. 110-4 du Code de commerce, fixant le point de départ du délai du jour où l'obligation du débiteur principal a été mise à exécution, soit le jour de la vente, de sorte que leur action exercée pins de dix ans après celui-ci était irrecevable comme prescrite;

Attendu cependant que les époux Deloche n'ont été informés de l'époque réelle et de l'estimation de la table qu'ils avaient achetée auprès de Madame Gruillot que lors de l'expertise qui s'est déroulée à. leur demande le 30 juillet 2004 et que, dès lors que l'assignation en nullité de la vente a été délivrée à la partie adverse le 13 janvier 2005, soit avant le terme du délai mentionné à l'article 1304, leur action doit être déclarée recevable;

Que le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef;

Sur la nullité de la vente:

Attendu que les époux Deloche ont acquis auprès de Madame Gruillot, antiquaire à Besançon, une "table ronde noyer XIXème" au prix de 40 000 F (6 097,96 euro);

Qu'il résulte du rapport établi à leur demande le 30 juillet 2004 par Monsieur Cellier, expert près la Cour d'appel de Besançon, que la table dont s'agit "est faite d'un assemblage de bois et d'éléments anciens dont le montage est récent, comporte des incohérences et surtout un maquillage de teinte et finition destiné à tromper sur l'époque - valeur en l'état et en connaissance de cause : 1 100 à 1 200 euro";

Que Monsieur Cellier a notamment relevé que deux des pieds Sont neufs et que le jeu de coulisses est récent de même que le support du pied central;

Attendu qu'il résulte du fait que pour l'achat de cette table, les époux Deloche se sont adressés à une antiquaire renommée sur la place de Besançon et non pas à un brocanteur et de l'importance du prix, cinq fois supérieur à sa valeur réelle, qu'ils ont réglé, que les appelants ont tenu pour essentielle l'ancienneté réelle du meuble acquis et qu'ils n'auraient pas accepté de payer un tel montant s'ils n'avaient eu la certitude de cette caractéristique;

Qu'ils ont été confortés dans cette certitude par les conditions de la vente et la mention de l'époque sur la facture, à l'exception de toute indication telle que "façon XIXème" ou tout autre réserve qui aurait pu leur faire penser que cette table n'avait pas été réalisée à l'époque mentionnée;

Que nonobstant leur niveau intellectuel, les époux Deloche étaient profanes en matière de meubles anciens face à une professionnelle, alors même que le maquillage de l'assemblage du meuble relevé par l'expert ne permettait pas d'acquérir une certitude sur son ancienneté exacte en dehors d'un examen approfondi, de sorte que l'erreur qu'ils ont commise est excusable;

Attendu qu'il y a donc lieu d'admettre que les appelants ont été victimes d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue et, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres fondements de la demande, de prononcer la nullité de la vente;

Attendu qu'en conséquence de cette annulation le remboursement par Madame Gruillot du prix payé sera ordonné contre restitution de la table par les époux Deloche:

Que les appelants ne justifient pas avoir subi le préjudice moral qu'ils allèguent et seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts:

Attendu que Madame Gruillot qui succombe sera condamnée aux dépens et à payer aux époux Deloche une indemnité de 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, après en avoir délibéré, Infirme le jugement rendu le 17 mai 2005 par le Tribunal d'instance de Besançon, Statuant à nouveau, Déclare Monsieur Régis Deloche et Madame Marie-Claude Rousselet épouse Deloche recevables en leur action, Prononce l'annulation de la vente de la table noyer XIXème intervenue le 30 octobre 1990 entre Madame Marie-Françoise Gruillot et les époux Deloche au prix de quarante mille francs (40 000 F), (six mille quatre-vingt dix sept euro quatre-vingt seize centimes (6 097,96 euro)) pour erreur sur les qualités substantielles de la chose, En conséquence, Condamne Madame Marie-Françoise Gruillot à payer à Monsieur et Madame Deloche la somme de six mille quatre-vingt dix sept euros quatre-vingt seize centimes (6 097,96 euro) en remboursement de la table, contre restitution de celle-ci, à charge pour Madame Gruillot de venir en prendre possession, Condamne Madame Marie-Françoise Gruillot à payer à Monsieur et Madame Deloche la somme de mille euro (1 000 euro) en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Déboute les époux Deloche de leurs plus amples demandes, Condamne Madame Marie-Françoise Gruillot aux dépens de première instance et d'appel, avec possibilité pour ceux d'appel, de recouvrement direct au profit de la SCP Leroux, avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.