CJCE, 2e ch., 26 avril 2007, n° C-195/04
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission des Communautés européennes
Défendeur :
République de Finlande, Royaume de Danemark, République fédérale d'Allemagne, Royaume des Pays-Bas
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Timmermans
Juges :
MM. Schintgen, Kuris, Mme Silva de Lapuerta, M. Arestis
Avocat général :
Mme Sharpston
LA COUR (deuxième chambre),
1. Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en laissant Senaatti-kiinteistöt (anciennement Valtion kiinteistölaitos), autorité gestionnaire des biens immobiliers de l'administration finlandaise, enfreindre, dans le cadre d'un contrat concernant des équipements de restauration collective, des règles fondamentales du traité CE et, en particulier, le principe de non-discrimination, qui implique l'obligation de transparence, la République de Finlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 28 CE.
Les faits du litige et la procédure précontentieuse
2. En mars 1998, Senaatti-kiinteistöt a, dans le cadre d'une procédure d'adjudication restreinte, publié au Journal officiel des Communautés européennes et au Virallinen lehti (Journal officiel de la République de Finlande) un appel d'offres relatif à un marché public portant sur des travaux de rénovation et de modification des locaux de l'administration régionale de Turku (ci-après l'"appel d'offres initial").
3. Ce marché était divisé en lots, dont la valeur individuelle variait entre 1 000 000 et 22 000 000 FIM. Les offres pouvaient porter sur un lot, plusieurs lots ou la totalité de ceux-ci. L'un de ces lots concernait la fourniture et l'installation d'équipements de restauration collective destinés à la cuisine du restaurant de ladite administration.
4. Les parties s'opposent sur la question de savoir si, à ce stade de la procédure d'adjudication, une offre a été soumise au pouvoir adjudicateur en ce qui concerne ledit lot. Selon la République de Finlande, une seule offre a été présentée par la société Kopal Markkinointi Oy, tandis que, selon la Commission, tel ne serait pas le cas.
5. Au début de l'année 2000, le pouvoir adjudicateur s'est directement adressé à quatre entreprises qu'il a invitées à soumettre des offres relatives à la fourniture et à l'installation d'équipements de restauration collective.
6. Par lettre du 14 février 2000, le pouvoir adjudicateur a informé les destinataires de celle-ci que, en raison des prix trop élevés des offres reçues, il avait décidé de rejeter l'ensemble de celles-ci. La République de Finlande et la Commission sont en désaccord sur le point de savoir si ladite lettre a été adressée à toutes les entreprises ayant présenté des offres relatives à la fourniture et à l'installation d'équipements de restauration collective dans le cadre de l'appel d'offres initial.
7. Dans cette même lettre, le pouvoir adjudicateur indique également qu'il a chargé la société Amica Ravintolat Oy, locataire du restaurant de l'administration régionale de Turku, de procéder, pour le compte dudit pouvoir et à concurrence d'un montant maximal de 1 050 000 FIM, à l'achat des équipements de restauration collective et invite les destinataires dudit courrier à soumettre directement leurs offres à cette société.
8. Amica Ravintolat Oy aurait finalement acheté les équipements en question à la société Hackman-Metos Oy.
9. Saisie d'une plainte relative à la régularité de la procédure suivie par Senaatti-kiinteistöt, la Commission a, par lettre du 17 juillet 2002, mis la République de Finlande en demeure de présenter ses observations dans les deux mois à compter de la réception de cette lettre.
10. Les autorités finlandaises ont répondu à ladite lettre de mise en demeure par un courrier du 3 septembre 2002.
11. Considérant que la République de Finlande avait manqué aux obligations lui incombant en vertu de l'article 28 CE, la Commission lui a adressé, le 19 décembre 2002, un avis motivé l'invitant à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de sa notification.
12. Par lettre du 12 février 2003, les autorités finlandaises ont contesté le manquement reproché par la Commission et soutenu que, en l'espèce, tant l'article 28 CE que le principe de non-discrimination et l'obligation de transparence qui en découlent avaient été respectés.
13. N'étant pas convaincue par les explications fournies par les autorités finlandaises, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.
14. Par ordonnance du président de la Cour du 14 octobre 2004, le Royaume de Danemark, la République fédérale d'Allemagne et le Royaume des Pays-Bas ont été admis à intervenir à l'appui des conclusions de la République de Finlande.
Sur la recevabilité du recours
15. La République de Finlande soutient que le recours de la Commission est irrecevable.
16. En effet, selon cet État membre, l'avis motivé ne vise pas les mêmes griefs que ceux qui figurent dans la requête. Ainsi, dans ledit avis, la Commission aurait indiqué que le pouvoir adjudicateur aurait dû veiller à donner une publicité suffisante et que le manquement reproché résultait du fait que le locataire du restaurant de l'administration régionale de Turku a, en qualité d'agent dudit pouvoir, conclu le marché relatif à la fourniture d'équipements de restauration collective, alors que, dans sa requête, elle ferait valoir que le pouvoir adjudicateur aurait dû organiser un appel d'offres et que le manquement découle du fait que l'appel d'offres initial n'avait pas abouti et que, par la suite, le marché en cause n'avait pas fait l'objet d'un appel d'offres publié.
17. La Commission aurait, de cette manière, étendu l'objet du litige tel qu'il avait été défini dans le cadre de la procédure précontentieuse.
18. À cet égard, il convient de rappeler que, s'il est vrai que l'objet du recours introduit en vertu de l'article 226 CE est circonscrit par la procédure précontentieuse prévue à cette disposition et que, par conséquent, l'avis motivé de la Commission et le recours doivent être fondés sur des griefs identiques, cette exigence ne saurait toutefois aller jusqu'à imposer en toute hypothèse une coïncidence parfaite dans leur formulation, dès lors que l'objet du litige n'a pas été étendu ou modifié, mais a été, au contraire, simplement restreint (arrêts du 12 juin 2003, Commission/Finlande, C-229-00, Rec. p. I-5727, points 44 et 46; du 14 juillet 2005, Commission/Allemagne, C-433-03, Rec. p. I-6985, point 28, et du 30 janvier 2007, Commission/Danemark, C-150-04, non encore publié au Recueil, point 67). Ainsi, la Commission peut préciser ses griefs initiaux dans sa requête, à la condition cependant qu'elle ne modifie pas l'objet du litige (arrêts du 11 septembre 2001, Commission/Irlande, C-67-99, Rec. p. I-5757, point 23 ; du 12 octobre 2004, Commission/Grèce, C-328-02, non publié au Recueil, point 32, et du 26 avril 2005, Commission/Irlande, C-494-01, Rec. p. I-3331, point 38).
19. Or, force est de constater que, en l'espèce, la Commission n'a pas étendu, modifié ni même restreint l'objet du litige, tel que défini dans l'avis motivé du 19 décembre 2002.
20. En effet, non seulement il ressort du libellé des conclusions de l'avis motivé et du recours de la Commission, dont la formulation est presque identique, que ceux-ci sont fondés sur les mêmes griefs, mais il apparaît également que, en faisant valoir, dans sa requête, que le pouvoir adjudicateur aurait dû organiser un appel d'offres, la Commission n'a fait que préciser le grief initialement invoqué dans son avis motivé, à savoir que le marché relatif à la fourniture d'équipements de restauration collective destinés à l'administration régionale de Turku aurait dû faire l'objet d'une publicité suffisante.
21. Néanmoins, la Cour peut examiner d'office si les conditions prévues à l'article 226 CE pour l'introduction d'un recours en manquement sont remplies (arrêts du 31 mars 1992, Commission/Italie, C-362-90, Rec. p. I-2353, point 8 ; du 15 janvier 2002, Commission/Italie, C-439-99, Rec. p. I-305, point 8, et du 4 mai 2006, Commission/Royaume-Uni, C-98-04, Rec. p. I-4003, point 16).
22. À cet égard, il convient de rappeler qu'il résulte de l'article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour et de la jurisprudence y relative que toute requête introductive d'instance doit indiquer l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens, et que cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la Cour d'exercer son contrôle. Il en découle que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir d'une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête elle-même (arrêts du 9 janvier 2003, Italie/Commission, C-178-00, Rec. p. I-303, point 6 ; du 14 octobre 2004, Commission/Espagne, C-55-03, non publié au Recueil, point 23, et du 15 septembre 2005, Irlande/Commission, C-199-03, Rec. p. I-8027, point 50) et que les conclusions de cette dernière doivent être formulées de manière non équivoque afin d'éviter que la Cour ne statue ultra petita ou bien n'omette de statuer sur un grief (arrêts du 20 novembre 2003, Commission/France, C-296-01, Rec. p. I-13909, point 121, et du 15 juin 2006, Commission/France, C-255-04, Rec. p. I-5251, point 24).
23. Or, en l'espèce, la requête de la Commission ne satisfait pas à ces exigences.
24. Par son recours, la Commission vise à faire constater que la République de Finlande aurait manqué aux obligations que lui impose l'article 28 CE, au motif que Senaatti-kiinteistöt aurait, dans le cadre d'un contrat concernant des équipements de restauration collective, enfreint des règles fondamentales du traité et, en particulier, le principe de non-discrimination, qui implique l'obligation de transparence.
25. Ainsi que l'a relevé Mme l'Avocat général au point 45 de ses conclusions, telles qu'elles sont formulées, les conclusions de la requête sont équivoques et ne permettent pas d'identifier de manière claire et précise ce que la Commission reproche à la République de Finlande puisqu'elles visent, à la fois, l'article 28 CE, des dispositions fondamentales du traité, le principe de non-discrimination ainsi que l'obligation de transparence.
26. Par ailleurs, à supposer même que le recours de la Commission ait pour objet de faire constater une violation de l'article 28 CE, ni les conclusions de la requête ni le texte même de cette dernière n'indiquent avec clarté et précision quelle serait la mesure qui, en l'espèce, constitue une restriction quantitative à l'importation ou une mesure d'effet équivalent au sens dudit article.
27. En effet, la Commission se borne à mettre en cause l'attitude du pouvoir adjudicateur "dans le cadre d'un contrat concernant des équipements de restauration collective".
28. En outre, la Commission n'a, à aucun moment de la procédure, été en mesure de présenter un exposé cohérent et précis des éléments de fait sur lesquels se fondent les griefs qu'elle invoque à l'appui de son recours.
29. Ainsi, dans sa requête, elle ne fournit aucune indication précise au sujet de l'appel d'offres initial, mais se borne uniquement à relever qu'il "n'a pas abouti en ce qui concerne l'acquisition d'équipements de restauration collective".
30. À cet égard, ni le texte de la requête ni les réponses de la Commission aux questions posées par la Cour lors de l'audience ne permettent d'établir avec certitude si une offre relative à la fourniture et à l'installation d'équipements de restauration collective a été soumise au pouvoir adjudicateur dans le cadre dudit appel d'offres.
31. De même, dans sa réplique, la Commission affirme, sans cependant le démontrer, que, d'une part, l'une au moins des entreprises ayant présenté une telle offre ne faisait pas partie des quatre entreprises contactées par le pouvoir adjudicateur en 2000 et que, d'autre part, le lot relatif à la fourniture et à l'installation d'équipements de restauration collective faisant partie du marché annoncé dans le cadre de l'appel d'offres initial n'avait pas le même objet que le marché ayant donné lieu aux contacts pris au cours de la même année.
32. Dans ces conditions, la Cour ne dispose pas des éléments suffisants pour lui permettre d'appréhender exactement la portée de la violation du droit communautaire reprochée à la République de Finlande et de vérifier ainsi l'existence du manquement allégué par la Commission (voir, en ce sens, arrêt Commission/Royaume-Uni, précité, point 18).
33. Par conséquent, le recours doit être rejeté comme irrecevable.
Sur les dépens
34. En vertu de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La République de Finlande ayant conclu à la condamnation de la Commission et le recours de cette dernière étant irrecevable, il y a lieu de la condamner aux dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (deuxième chambre),
Déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable.
2) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens.