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Décisions

CJCE, 2e ch., 1 juin 2006, n° C-453/04

COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Innoventif Limited

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Timmermans

Avocat général :

M. Tizzano

Juges :

M. Schintgen, Mme Silva de Lapuerta, MM. Kuris, Bay Larsen

CJCE n° C-453/04

1 juin 2006

LA COUR (deuxième chambre),

1. La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation des articles 43 CE et 48 CE.

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d'un recours introduit par Innoventif Limited (ci-après "Innoventif") contre une décision de l'Amtsgericht Charlottenburg rejetant sa demande tendant à obtenir l'inscription au registre national du commerce de sa succursale établie en Allemagne, au motif qu'Innoventif avait refusé de payer une avance sur les frais prévisibles pour la publication de l'objet social figurant dans son acte constitutif.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

3. La première directive 68-151-CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l'article 58, deuxième alinéa, du traité, pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers (JO L 65, p. 8, ci-après la "première directive"), s'applique aux sociétés de capitaux. Ayant pour objectif de protéger les tiers qui traitent avec ces sociétés, elle prévoit, notamment, l'établissement d'un dossier qui reprend un certain nombre d'informations. Ce dossier est tenu pour chaque société inscrite au registre du commerce territorialement compétent.

4. Aux termes de l'article 2, paragraphe 1, sous a), de la première directive :

"1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que la publicité obligatoire relative aux sociétés porte au moins sur les actes et indications suivants :

a) l'acte constitutif, et les statuts s'ils font l'objet d'un acte séparé".

5. L'article 3, paragraphes 2 et 4, de la première directive dispose :

"2. Tous les actes et toutes les indications qui sont soumis à publicité en vertu de l'article 2 sont versés au dossier ou transcrits au registre [...]

[...]

4. Les actes et indications visés au paragraphe 2 font l'objet, dans le bulletin national désigné par l'État membre, d'une publication soit intégrale ou par extrait, soit sous forme d'une mention signalant le dépôt du document au dossier ou sa transcription au registre."

6. La onzième directive 89-666-CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, concernant la publicité des succursales créées dans un État membre par certaines formes de société relevant du droit d'un autre État (JO L 395, p. 36, ci-après "la onzième directive"), vise les succursales des sociétés de capitaux.

7. Conformément à l'article 1er, paragraphe 1, de la onzième directive :

"Les actes et indications concernant les succursales créées dans un État membre par des sociétés qui relèvent du droit d'un autre État membre et auxquelles s'applique la [première] directive [...] sont publiés selon le droit de l'État membre dans lequel la succursale est située, en conformité avec l'article 3 de ladite directive."

8. L'article 2, paragraphe 1, de la onzième directive prévoit une liste d'actes et d'indications devant faire l'objet d'une publication dans l'État membre où est établie la succursale. Le paragraphe 2, sous b), du même article permet à l'État membre dans lequel la succursale a été créée de prévoir des obligations complémentaires en matière de publicité, portant, notamment, sur "l'acte constitutif et [les] statuts, si ces derniers font l'objet d'un acte séparé conformément à l'article 2 paragraphe 1 points a), b) et c) de la [première] directive".

9. L'article 4 de la onzième directive prévoit que l'État membre dans lequel la succursale a été créée peut imposer l'utilisation d'une autre langue officielle de la Communauté européenne, ainsi que la traduction certifiée des documents publiés, notamment pour la publicité visée à l'article 2, paragraphe 2, point b), de ladite directive.

Le droit national

10. L'article 8, paragraphes 1 et 2, de la loi fédérale relative aux frais procéduraux en matière gracieuse (Gesetz über die Kosten in Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit), du 26 juillet 1957 (BGBl. 1957 I, p. 960, ci-après le "KostO"), intitulé "Avances", dispose :

"(1) S'agissant des opérations administratives entreprises sur demande, la personne tenue au règlement des frais verse une avance suffisante pour les couvrir [...]

(2) S'agissant des opérations administratives entreprises sur demande, leur exécution est subordonnée au versement ou à la garantie de l'avance."

11. L'article 14 du KostO, intitulé "Décompte des frais, recours, appel", prévoit :

"(1) Les frais sont fixés par la juridiction devant laquelle l'affaire est pendante ou était pendante en dernier lieu, même s'ils ont été occasionnés auprès d'une juridiction saisie [...]

(2) La juridiction ayant fixé les frais statue sur le recours formé par le débiteur et le Trésor contre le décompte des frais.

(3) Le débiteur et le Trésor peuvent interjeter appel contre la décision statuant sur le recours, si la valeur de l'objet de l'appel excède 200 euros."

12. Le Code du commerce (Handelsgesetzbuch), du 10 mai 1897 (RGBl. 1897, p. 219), tel que modifié en dernier lieu par l'article 1er de la loi du 15 décembre 2004 (BGBl. 2004 I, p. 3408, ci-après le "HGB"), contient une réglementation sur l'inscription des succursales au registre du commerce.

13. Son article 13 b, intitulé "Succursales de sociétés à responsabilité limitée sises sur le territoire national", dispose, à ses paragraphes 2 et 3 :

"(2) La constitution d'une succursale est déclarée par les gérants. Une copie certifiée du contrat de société [...] est jointe à la déclaration.

(3) L'inscription comporte aussi les indications mentionnées à l'article 10, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée."

14. S'agissant des succursales de sociétés à responsabilité limitée sises à l'étranger, l'article 13 g, paragraphes 2 et 3, du HGB dispose :

"(2) La copie certifiée du contrat de société et, si ledit contrat n'est pas rédigé en allemand, une traduction certifiée dans cette langue, est jointe à la déclaration. [...]

(3) L'inscription de la constitution de la succursale comporte également les indications visées à l'article 10, paragraphes 1 et 2, de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée [...]".

15. L'article 10 de la loi sur les sociétés à responsabilité limitée (Gesetz betreffend die Gesellschaften mit beschränkter Haftung), du 20 avril 1892 (RGBl. 1892, p. 477), telle que modifiée en dernier lieu par l'article 13 de la loi du 9 décembre 2004 (BGBl. 2004 I, p. 3214, ci-après la "GmbHG"), intitulé "Inscription au registre du commerce", dispose, à son paragraphe 1 :

"Figurent dans l'inscription au registre du commerce la dénomination et le siège de la société, l'objet de l'entreprise [...] et leurs pouvoirs de représentation."

Le litige au principal et la question préjudicielle

16. Société à responsabilité limitée de droit anglais ayant son siège à Birmingham (Royaume-Uni), Innoventif a été inscrite à la Companies House de Cardiff (Royaume-Uni) le 1er avril 2004. Son objet social est décrit de manière exhaustive au point 3 de son acte constitutif, intitulé "The objects of which the Company is established are". Ce point 3 contient lui-même 23 points allant de A à W et couvrant plusieurs pages.

17. Le 13 avril 2004, Innoventif a créé une succursale établie à Berlin dont elle a demandé auprès de l'Amtsgericht Charlottenburg l'inscription au registre du commerce.

18. Par décision du 23 avril 2004, l'Amtsgericht Charlottenburg a soumis l'inscription demandée à la condition du versement d'une avance sur frais s'élevant à 3 000 euros. Il a fixé cette somme en fonction des frais prévisibles pour la publication de l'objet social tel que décrit dans l'acte constitutif d'Innoventif, considérant que le descriptif figurant au point 3, A à W, de celui-ci correspondait à l'objet social et qu'il devait par conséquent être inscrit au registre dans son intégralité.

19. Le 18 mai 2004, estimant que son objet social ressortait uniquement du point 3, A et B, de son acte constitutif, Innoventif a, en vertu de l'article 14, paragraphe 2, du KostO, introduit un recours devant l'Amtsgericht Charlottenburg.

20. Ce dernier a rejeté le recours en indiquant qu'une avance sur les frais prévisibles telle que celle qui a été demandée dans l'affaire au principal est exigée dès lors qu'il est probable que le débiteur des frais procéduraux n'est pas conscient de l'importance du montant des frais qui l'attendent.

21. La société Innoventif a interjeté appel devant la juridiction de renvoi en vertu de l'article 14, paragraphe 3, du KostO, faisant valoir que le versement d'une avance du montant demandé était contraire à la onzième directive et violait le principe de la liberté d'établissement.

22. Pour le Landgericht Berlin, la question de savoir si l'inscription de la succursale d'Innoventif au registre du commerce peut être subordonnée au paiement d'une avance sur les frais de publication prévisibles de l'objet social d'Innoventif, ainsi que l'exige le droit national, dépend de l'interprétation des articles 43 CE et 48 CE.

23. Dans ces conditions, le Landgericht Berlin a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

"Est-il compatible avec la liberté d'établissement des sociétés prévue aux articles 43 CE et 48 CE que, en [...] Allemagne, l'inscription au registre du commerce d'une succursale d'une société de capitaux établie [au Royaume-Uni] soit subordonnée au paiement d'une avance sur les frais de publication prévisibles de l'objet social de la société, tel que consigné dans les dispositions pertinentes de l'acte constitutif de la société ?"

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

24. La Commission des Communautés européennes et le Gouvernement espagnol s'interrogent sur la recevabilité de la question préjudicielle.

25. La Commission estime que la question peut être irrecevable dans la mesure où la juridiction de renvoi n'a pas exposé les raisons l'ayant conduite à poser cette question.

26. À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a insisté sur l'importance de l'indication, par le juge national, des raisons précises qui l'ont conduit à s'interroger sur l'interprétation du droit communautaire et à estimer nécessaire de lui poser des questions préjudicielles. Ainsi, la Cour a jugé qu'il est indispensable que le juge national donne un minimum d'explications sur les raisons du choix des dispositions communautaires dont il demande l'interprétation et sur le lien qu'il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige (voir, notamment, ordonnance du 8 octobre 2002, Viacom, C-190-02, Rec. p. I-8287, point 16, et arrêt du 6 décembre 2005, ABNA e.a., C-453-03, C-11-04, C-12-04 et C-194-04, non encore publié au Recueil, point 46).

27. Or, dans l'affaire au principal, la juridiction de renvoi a, d'une part, défini le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insère la question qu'elle a posée et, d'autre part, indiqué de manière concise mais suffisante que la raison qui l'a conduite à poser la question préjudicielle est qu'elle a des doutes sur le point de savoir si l'exigence, en vertu du droit national, d'une avance sur les frais prévisibles pour la publication de l'objet social d'une société ayant son siège dans un autre État membre et demandant l'inscription au registre national du commerce de sa succursale pourrait entraver l'exercice de la liberté d'établissement que confère le traité CE à cette société.

28. Selon le Gouvernement espagnol, la question préjudicielle serait irrecevable au motif qu'elle concernerait l'interprétation d'une règle nationale.

29. À cet égard, il y a lieu de souligner que la compétence de la Cour est limitée à l'examen des seules dispositions du droit communautaire (voir ordonnance du 21 décembre 1995, Max Mara, C-307-95, Rec. p. I-5083, point 5). Il appartient au juge national d'apprécier la portée des dispositions nationales et la manière dont elles doivent être appliquées (voir arrêt du 7 décembre 1995, Ayuntamiento de Ceuta, C-45-94, Rec. p. I-4385, point 26).

30. Dans l'affaire au principal, si la juridiction de renvoi est seule compétente, d'une part, pour déterminer s'il y a lieu d'exiger une avance sur frais telle que celle prévue à l'article 8 du KostO et, d'autre part, le cas échéant, pour calculer son montant et refuser la demande d'inscription en cas de non-paiement, la question de savoir si l'exigence d'une telle avance peut être considérée comme une entrave à la liberté d'établissement relève de la compétence de la Cour.

31. Il s'ensuit que la question préjudicielle est recevable.

Sur le fond

32. Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 43 CE et 48 CE s'opposent à une réglementation nationale qui subordonne l'inscription au registre du commerce d'une succursale d'une société à responsabilité limitée établie dans un autre État membre au paiement d'une avance sur les frais prévisibles de la publication de l'objet social décrit dans l'acte constitutif de cette société.

33. En premier lieu, il convient de constater que l'exigence, dans l'État membre où est établie la succursale d'une société située dans un autre État membre, d'une publication intégrale de l'objet social des sociétés à responsabilité limitée qui demandent l'inscription au registre du commerce de leurs succursales est conforme à la onzième directive.

34. En effet, l'article 2, paragraphe 2, sous b), de la onzième directive autorise expressément les États membres à exiger la publication de l'acte constitutif et des statuts, s'ils font l'objet d'un acte séparé, d'une société étrangère lors de l'inscription de sa succursale au registre du commerce.

35. Or, les articles 13 b, paragraphe 3, et 13 g, paragraphe 3, du HGB, lus en combinaison avec l'article 10, paragraphe 1, du GmbHG, qui s'applique de la même manière aux sociétés établies sur le territoire national et à l'étranger, ne font qu'exiger la publication de l'objet social des sociétés à responsabilité limitée qui demandent l'inscription d'une succursale au registre du commerce et non pas, comme le permet la onzième directive, celle de l'acte constitutif de ces sociétés dans son intégralité.

36. De plus, il ressort de l'article 3 de la première directive, auquel, conformément à l'article 1er, paragraphe 1, de la onzième directive, il convient de se référer en ce qui concerne les succursales, que les actes et indications soumis à publicité font l'objet d'une publication selon l'une des variantes prévues audit article 3.

37. En second lieu, s'agissant de la question de savoir si l'exigence d'une avance sur frais calculée sur la base de la publication de l'objet social dans son intégralité est conforme aux articles 43 CE et 48 CE, il y a lieu d'examiner si une telle exigence est constitutive d'une entrave à la liberté d'établissement lorsqu'elle impose à la succursale d'une société constituée conformément à la législation d'un autre État membre de respecter les règles de l'État d'établissement relatives aux avances sur les frais de publication prévisibles.

38. À cet égard, il convient de constater que l'exigence d'une avance qui ne fait que refléter les coûts administratifs réels d'une publication conforme à la onzième directive ne peut pas constituer une restriction à la liberté d'établissement dans la mesure où elle n'interdit, ne gêne ou ne rend pas moins attrayant l'exercice de cette liberté.

39. En outre, une réglementation qui, dans des circonstances telles que celles de l'affaire au principal, exige le paiement d'une avance n'est pas susceptible de placer les sociétés d'autres États membres dans une situation de fait ou de droit désavantageuse par rapport à celle des sociétés de l'État membre d'établissement (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 1997, Sodemare e.a., C-70-95, Rec. p. I-3395, point 33).

40. Il s'ensuit que l'exigence d'un versement d'une telle avance sur les frais de publication prévisibles ne constitue pas, pour une société à responsabilité limitée établie dans un État membre, une entrave à l'exercice de ses activités, dans un autre État membre, par l'intermédiaire d'une succursale qui y serait située.

41. Il appartient à la juridiction nationale, sur le fondement de la longueur du texte qui reproduit un objet social, de s'assurer que le montant de l'avance exigée correspond aux frais prévisibles de la publication dans le bulletin pertinent. Ce faisant, cette juridiction devrait se référer à l'objet social tel que décrit dans l'acte constitutif de la société qui demande l'inscription d'une succursale.

42. À cet égard, il y a lieu de préciser que la juridiction nationale ne saurait être obligée de rechercher si, en vertu du droit de l'État membre dans lequel est établie la société qui demande l'enregistrement de sa succursale, l'objet social peut être considéré comme défini de manière complète par une partie seulement des dispositions qui figurent sous l'intitulé "Objet social" dans l'acte constitutif de cette société.

43. Dès lors, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 43 CE et 48 CE ne s'opposent pas à une réglementation d'un État membre qui subordonne l'inscription au registre du commerce d'une succursale d'une société à responsabilité limitée établie dans un autre État membre au paiement d'une avance sur les frais prévisibles pour la publication de l'objet social décrit dans l'acte constitutif de cette société.

Sur les dépens

44. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs,

LA COUR (deuxième chambre),

dit pour droit :

Les articles 43 CE et 48 CE ne s'opposent pas à une réglementation d'un État membre qui subordonne l'inscription au registre du commerce d'une succursale d'une société à responsabilité limitée établie dans un autre État membre au paiement d'une avance sur les frais prévisibles pour la publication de l'objet social décrit dans l'acte constitutif de cette société.