CA Agen, 1re ch., 14 décembre 2005, n° 04-01614
AGEN
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boutie
Avoués :
SCP Tandonnet, SCP Patureau & Rigault
Avocats :
Mes Talandier, Veyssière
Par jugement du 9 septembre 2004 le Tribunal de grande instance d'Agen a rejeté l'exception de prescription soulevées par la SARL D et condamné ladite SARL à payer à L la somme de 8 795 euro à titre principal et 1 524 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par déclaration du 21 octobre 2004 dont la régularité n'est pas contestée, la SARL D relevait appel de cette décision. Elle conclut à titre principal à la prescription de l'action à titre subsidiaire à son irrecevabilité et à son débouté. Elle réclame encore la somme de 800 euro à titre de dommages-intérêts et celle de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Son adversaire sollicite la confirmation du jugement entrepris. Il réclame encore la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de l'appelante en date du 18 octobre 2005 ;
Vu les dernières conclusions de l'intimé en date du 4 mai 2005 ;
Sur quoi
L a une première fois fait appel aux services de la société de déménagement D en 1997 pour assurer le transport de son mobilier à Castelnau de Gratecombe. A cette époque en raison d'un manque de place une partie du mobilier avait été placée dans le garde-meuble de la SARL.
En octobre 2000 L a à nouveau fait appel à la SARL pour assurer son déménagement jusqu'à Nîmes. Ses meubles ont dans un premier temps été acheminés jusqu'au garde-meuble, puis amenés à Nîmes par le biais de deux transports intervenus à quelques jours d'intervalle.
Deux lettres de voiture de déménagements ont été remises l'une en date du 12 octobre 2000, l'autre en date du 30 novembre 2000.
Dès la première livraison L a porté des réserves sue la lettre de voiture du 30 novembre 2000. Puis il a écrit à la SARL un courrier recommandé le 2 décembre 2000 pour compléter les observations portées sur la lettre de voiture et réserver l'exhaustivité de ses doléances jusqu'à réception de la seconde partie du mobilier en provenance du garde-meubles.
Sur la prescription
1°) En première instance la SARL invoquait la prescription annale de l'article L. 133-6 du Code de commerce relative aux actions nées d'un contrat de transport.
Le premier juge à juste titre a rejeté cette fin de non recevoir le contrat de déménagement étant un contrat d'entreprise qui se différencie d'un contrat de transport en ce que son objet n'est pas limité au déplacement de la marchandise. Quand bien même le contrat laissait à la charge de L l'emballage de la vaisselle, de la verrerie des bibelots des lustres et des livres vêtements lingerie, la SARL devait effectuer les prestations de démontage et remontage des meubles, protection des meubles sous couvertures, matelas, sommiers sous housse, manutention, travaux de déballage et de remise en place du mobilier. Il ne s'agit donc pas uniquement d'une prestation de transport, la prestation de service soumise à la catégorie 3 ne déchargeant pas l'entreprise de la responsabilité de livrer les meubles transportés en bon état.
2°) La SARL invoque, pour échapper à la prescription trentenaire les dispositions de l'article 15 des conditions générales du contrat aux termes desquelles les actions en justice pour avarie, perte ou retard auxquelles peut donner lieu le contrat de déménagement doivent être intentées dans l'année qui suit la livraison du mobilier.
Ces dispositions sont en parfaite contradiction avec la nature du contrat de déménagement, et une telle clause qui entend à ce type de contrat de prescriptions ne s'imposant qu'à des contrats de transport est abusive ainsi d'ailleurs qu'il résulte d'une recommandation de la Commission des clauses abusives qui recommande " que soient éliminés des contrats proposés par les déménageurs les clauses ayant pour objet ou pour effet de rendre applicable les dispositions de l'article L. 136-6 du Code de commerce lorsque le déménageur n'agit ni en tant que transporteur ni en tant que commissionnaire de transport ", ce qui est le cas d'espèce.
Dès lors, le libellé de l'article 15 litigieux laissant croire au consommateur à une prescription directement issue et imposée par la loi, alors que les dispositions de l'article L. 136-6 du Code de commerce concernent un autre type de contrat est abusif. Il permet à l'entreprise de déménagement de tenter de substituer à une prescription trentenaire de droit commun une prescription annale plus favorable à ses intérêts ce qui a pour objet de créer un déséquilibre significatif entre les droits respectifs des parties.
La prescription annale est en effet parfaitement inappropriée à un contrat d'entreprise, les démarches, expertises nécessaires à la reconnaissance et à l'évaluation des dommages étant nécessairement plus longues et d'une autre nature que celles concernant un simple contrat de transport.
La clause n° 15 des conditions générales du contrat souscrit entre les parties doit donc, conformément à l'article L. 132-1 du Code de la consommation, être réputée non écrite.
Surabondamment il sera relevé qu'en tout état de cause, l'action a bien été introduite dans le délai d'un an : en effet le déménagement et la lettre de voiture faisant l'objet du présent litige sont du 30 novembre 2000.
L'assignation en référé-expertise, interruptive de prescription et non pas suspensive de prescription ainsi que le soutient à tort l'appelant, jusqu'à ce que le litige ait trouvé sa solution a été délivrée par L le 15 novembre 2001. Le juge des référés a rendu sa décision le 10 décembre 2001.
L'assignation au fond a été délivrée le 3 décembre 2002.
Dès lors, quand bien même la prescription annale prévue par le contrat trouverait application, l'action intentée par L respecte le délai prévu.
Au fond
Sur l'irrecevabilité de la demande
La SARL D estime que L a trompé le juge des référés de Nîmes en ne lui signalant pas qu'il avait déménagé dans le Lot-et-Garonne avec les services d'une autre société de déménagement effectuant ainsi 900 km.
Il résulte des pièces versées aux débats que le 4 janvier 2002 L a sollicité du juge de Nîmes la désignation d'un expert habitant dans son ressort à savoir la cour d'appel d'Agen, le juge faisant droit à sa demande le 1er février 2002.
Le juge a été parfaitement informé du déménagement litigieux, puisque c'est précisément L qui le lui a loyalement indiqué demandant précisément la désignation d'un nouvel expert, alors qu'il aurait pu se contenter de la précédente désignation.
On ne voit dès lors pas de quelle " tromperie " L aurait pu être l'auteur.
Sur son bien fondé
L'essentiel de l'argumentation de la SARL D pour s'exonérer de toute responsabilité repose sur le fait que depuis le 30 novembre 2000 L aurait eu " trois domiciles et effectué deux déménagements " (page 7 des conclusions)
Il doit tout d'abord être rappelé que le déménagement litigieux se rapporte au domicile de Nîmes, et que par la suite L n'a déménagé qu'une fois, pour n'occuper qu'un seul logement à savoir à Montflanquin. Les meubles ont été expertisés à Montflanquin conformément à l'ordonnance de référé rendue, L étant nullement contraint de résider à Nîmes en raison de la lenteur de la procédure de son indemnisation.
Or, ainsi que l'a parfaitement retenu le premier juge il n'existe aucune ambigüité sur la date à laquelle les avaries se sont produites et sur la liste des objets endommagés.
Dès le 30 novembre 2000, sur la lettre de voiture, L a répertorié des désordres : " tous les matelas et sommiers tâchés, une tête de lit capitonnée coupée, deux têtes de lampadaire en soie tâchées, manque vis de lit pour remontage, tapis de salon tâché, sommier de lit coupé, lithographie détruite, vêtements froissés ". Etant précisé que ces désordres entrent dans la catégorie des prestations dont le déménageur est responsable.
Dans le courrier adressé en recommandé le 2 décembre 2000 à la SARL D il ajoute " vases et divers objets cassés, cartons éventrés ", et émet des réserves sur les meubles en attente de l'inventaire qui ne pouvait qu'être effectué qu'après sa deuxième livraison qui a eu lieu en janvier 2001. Il s'est ainsi avéré que deux fauteuils ont disparu.
Il est versé aux débats la lettre de voiture de la société Discount Déménagement ayant effectué le déménagement de Nîmes à Montflanquin le 7 novembre 2001 : aucune réserve n'est faite.
Maître Kusel, commissaire priseur à Nîmes a inventorié les objets endommagés en juillet 2001, des devis relatifs à la réfection des objets détériorés datant du mois de mai 2001 sont produits. D'ailleurs, Monsieur D n'a jamais contesté les dégradations relevées par L. C'est ainsi qu'il a saisi son assureur dès le 13 décembre 2000 " nous avons demandé à L de vous adresser les éléments chiffrés quant aux dommages subis ".
La SARL écrivait à L en mars 2001 : " votre dossier est en cours d'instruction auprès de notre assureur il vous appartient désormais de vous rapprocher d'eux pour indemnisation "
Lors même des opérations d'expertise l'expert relevait : "Monsieur D ne conteste pas les faits mais rappelle les clauses de son contrat et s'appuie sur les dires de la compagnie d'assurances ".
Dès lors, les dégradations n'ont jamais été contestées, leur liste a été établie par le commissaire priseur en juillet 2001, bien avant tout déménagement à Montflanquin. L'expert Americi dans son rapport n'a pris en compte que les dégradations régulièrement inventoriées le fait qu'il ait effectué ses investigations à Montflanquin étant sans influence sur la valeur des meubles endommagés, ses conclusions seront purement et simplement validées et la première décision confirmée.
Par ces motifs, LA COUR, statuant en audience publique, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, Au fond confirme le jugement rendu le 9 septembre 2004 par le Tribunal de grande instance d'Agen, Y ajoutant, vu l'article L. 132-1 du Code de la consommation, Déclare que la clause n° 15 des conditions générales du contrat de déménagement est réputée non écrite. Condamne la SARL D aux dépens et autorise les avoués à les recouvrer conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SARL D à payer à L la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.