Conseil Conc., 7 juin 2007, n° 07-MC-03
CONSEIL DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Solutel
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mme Correa de Sampaïo, par M. Nasse, vice-président, Mme Pinot, MM. Bidaud, Combe, Membres.
Le Conseil de la concurrence (Section I),
Vu la lettre enregistrée le 8 novembre 2006 sous les numéros 06/0078 F et 06/0079 M, par laquelle la société Solutel a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société France Télécom et a demandé que des mesures conservatoires soient prononcées sur le fondement de l'article L. 464-1 du Code de commerce ; Vu le livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence ; Vu l'avis n° 2007-0130 adopté par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) le 15 février 2007 sur le fondement des dispositions de l'article R. 463-9 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Solutel et France Télécom et par le commissaire du Gouvernement ; Vu les autres pièces du dossier ; La rapporteure, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement, les représentants des sociétés Solutel et France Télécom entendus lors de la séance du 15 mai 2007, ainsi que les représentants de l'ARCEP sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce ; Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LA SAISINE
1. Par lettre enregistrée le 8 novembre 2006, la société Solutel (ci-après Solutel) a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société France Télécom (ci-après France Télécom) sur le marché de l'ingénierie, du conseil et du contrôle technique d'installations téléphoniques réalisées sur le domaine privé, et a assorti cette saisine d'une demande de mesures conservatoires. Selon elle, France Télécom détient un quasi monopole sur le marché précédemment décrit et abuse de cette position par des pratiques de dénigrement, de refus de vente et de rétorsions qui visent à empêcher le développement d'une concurrence sur ce même marché.
B. L'ACTIVITE D'INGENIERIE, DE CONSEIL ET DE CONTROLE TECHNIQUE D'INSTALLATIONS TELEPHONIQUES SUR LE DOMAINE PRIVE
2. L'article L. 332-15 du Code de l'urbanisme prévoit que les propriétaires, promoteurs ou lotisseurs peuvent être obligés, par l'autorité qui délivre les permis de construire et sous le contrôle de celle-ci, de créer à leur charge les infrastructures nécessaires au raccordement de leurs lotissements ou immeubles aux réseaux d'eau, de gaz, d'électricité et de télécommunications, et d'assurer " le branchement des équipements propres à l'opération sur les équipements publics existants au droit du terrain " dans le respect des normes en vigueur. Pour les télécommunications, il s'agit de travaux de génie civil qui consistent en la création de locaux techniques et en la mise en place des gaines et des fourreaux pour la préparation du raccordement au réseau public. Dans l'avis visé ci-dessus, l'ARCEP indique que cette obligation " peut être comprise au regard des évolutions législatives, et notamment de la privatisation de France Télécom, comme la réalisation de l'adduction au réseau de communications électroniques ouvert au public de l'opérateur en charge de la fourniture du service universel ". Ces infrastructures permettent à France Télécom de déployer la boucle locale cuivre dans les nouvelles constructions, afin d'assurer la fourniture de la première composante du service universel (service téléphonique), et notamment de faire droit à toute demande de raccordement tel que prévu par les dispositions de l'article 2 de l'arrêté du 3 mars 2005 portant désignation de l'opérateur chargé de fournir la composante du service universel prévue au 1° de l'article L. 35-1 du Code des postes et communications électroniques (ci-après CPCE).
3. Avant l'entrée en activité de Solutel, seule France Télécom proposait aux propriétaires, promoteurs, lotisseurs ou cabinets de géomètre mandatés par l'un d'eux, une prestation de services consistant à valider le plan de l'installation téléphonique réalisée sur le domaine privé, ainsi qu'à assurer le suivi des travaux et le contrôle des normes par la remise d'un procès-verbal de réception également appelé certificat de conformité ou recette de conformité.
4. De plus, dans le cadre de cette prestation, France Télécom indique aux promoteurs le " point de raccordement " qui peut se définir comme le point de rencontre entre le réseau public de l'opérateur en charge du service universel (France Télécom) et le réseau privé concerné. Afin d'éviter toute confusion avec l'obligation de raccordement de l'utilisateur final au réseau téléphonique public qui incombe à France Télécom en sa qualité d'opérateur en charge du service universel, ce point sera appelé, dans la présente décision, " point d'adduction ". Compte tenu de l'indication qui lui est donnée quant à la localisation du point d'adduction, le promoteur fait effectuer les travaux de génie civil nécessaires afin d'amener les gaines et fourreaux du réseau privé jusqu'à ce point d'adduction.
5. Les services de France Télécom chargés de répondre aux demandes de raccordement au réseau faites par les occupants du nouveau lotissement ou du nouvel immeuble ne le font que si France Télécom a reçu un certificat de conformité, la plupart du temps délivré par elle-même, et que si un point d'adduction a été demandé et fourni, la plupart du temps de façon interne à l'opérateur.
6. Depuis sa création en 2004, la société Solutel propose, dans la région de Bretagne et de façon partielle dans celle des pays de la Loire, une prestation d'ingénierie, de conseil et de contrôle des installations téléphoniques réalisées par des promoteurs ou lotisseurs privés, concurrente de celle de France Télécom. Lors de leur audition en date du 9 février 2007, les représentants de France Télécom ont déclaré qu'ils s'attendaient à une concurrence accrue sur ce marché ou sur des marchés plus larges : " Il n'est pas exclu qu'un établissement comme la SOCOTEC propose dans le futur des certificats de conformité et des prestations d'études. Nous n'avons pas de visibilité sur le périmètre de ces futurs marchés hypothétiques qui peuvent mixer des prestations intellectuelles et techniques (travaux de câblage...). Sur ces prestations ou d'autres prestations plus larges, il est possible que nous ayons de futurs concurrents ".
C. LES PARTIES
1. LA SOCIÉTÉ SOLUTEL
7. Solutel est une SARL créée en juillet 2004 par deux anciens agents de France Télécom. Son activité s'exerce dans le domaine du conseil et de la commercialisation de solutions en télécommunications sous la forme de prestations d'ingénierie. Son siège social est situé au 22, chemin des Courlis, à Sène (56) et son chiffre d'affaires s'élevait, pour l'exercice annuel s'achevant au 30 juin 2006, à 27 157 euro.
2. LA SOCIETE FRANCE TELECOM
8. France Télécom, société privée cotée sur les marchés financiers, est l'opérateur historique de télécommunications. De plus, elle a été désignée opérateur chargé de la fourniture de l'ensemble des composantes du service universel en application de l'article 35-1 du CPCE. Active sur la plupart des marchés du secteur des communications électroniques, elle propose, par l'intermédiaire de ses directions régionales, divers services d'ingénierie et de conseil dans le domaine de la construction de réseaux de télécommunications sur le domaine privé.
9. En 2005, France Télécom a réalisé un chiffre d'affaires consolidé de 20,147 milliards d'euro et un résultat de 6,619 milliards d'euro.
D. LES PRATIQUES DENONCÉES
10. Selon la saisine, France Télécom a, en premier lieu, mis en œuvre une stratégie de dénigrement et de déstabilisation de Solutel visant à l'évincer du marché où elle tentait de s'implanter. En deuxième lieu, France Télécom a artificiellement accru les coûts de Solutel en lui imposant un tarif discriminatoire pour la fourniture des points d'adduction. Enfin, ces pratiques se sont accompagnées de rétorsions mises en œuvre à l'encontre des clients directs ou indirects de Solutel.
1. LES PRATIQUES DE DÉNIGREMENT
11. Dans un courrier adressé à la société Solutel le 26 octobre 2004 (cote 39), le cabinet David, promoteur d'un immeuble à Pontivy, a déclaré : " France Télécom, par la voix de M. X... et M. Y..., a pris contact avec nous à différentes reprises, pour nous dire que Solutel n'avait pas compétence à traiter ce dossier ".
12. Dans un courrier du 10 janvier 2005 (cote 71), le promoteur Bretagne Sud Habitat écrit à Solutel : "France Télécom m'a indiqué que votre entreprise ne serait pas habilitée pour délivrer ce certificat de conformité et que dans ce cas de figure, le raccordement client ne pourrait avoir lieu ".
13. Dans un message électronique du 15 janvier 2007 (cote 362), un client de Solutel lui fait part de ses échanges avec France Télécom et lui écrit : " apparemment, les normes France Télécom, vous ne pouvez pas les connaître ".
14. Or, dans leur procès-verbal d'audition au Conseil précité, les représentants de France Télécom ont déclaré : " Au sens légal, il n'y a pas d'agrément ou d'habilitation pour délivrer ce certificat par un organisme national.(...). France Télécom s'est posé la question de l'aptitude technique de Solutel à délivrer de tels certificats au regard des normes en vigueur. Aujourd'hui, France Télécom considère que ce problème ne se pose plus dès lors que Solutel a apporté les éléments prouvant qu'ils respectent les normes en vigueur. "
15. Dans une lettre du 9 novembre 2006 adressée à Solutel (cote 236), le maire de la commune d'Ercé-en-Lamée lui écrit : " France Télécom m'a contacté et m'a fait part de certaines interrogations sur votre prestation concernant notamment le point de raccordement (...). "
16. Dans un courrier électronique du 2 octobre 2006 (cote 179), le chargé d'opération du Cabinet Brémond, promoteur immobilier, à propos d'une opération en cours, écrit à l'un des gérants de Solutel le message suivant :
" Nous venons vers vous afin d'avoir des renseignements, à la suite d'une conversation téléphonique de France Télécom (FT).
En effet, M. Z ... vient de nous contacter afin de nous sensibiliser sur le projet d'Auguste Rodin à Hennebont (lotissement en cours de réalisation), ainsi que sur votre travail, ce qui est plus inquiétant.
Dans un premier temps, il nous a rappelé le partenariat que nous avons dans le cadre de la convention FT/SNAL (dont nous faisons partie), malgré qu'il ne soit pas exclusif. Ensuite il nous a confirmé que vous n'avez pas demandé de " point de raccordement " à FT et de ce fait, que votre étude ne pouvait être viable.
C'est la raison pour laquelle nous sommes étonnés, et nous devons de vous demander, même si aucun dysfonctionnement n'est venu altérer notre travail et ce, sur chacune des opérations que nous avons traitées avec Solutel, les risques que nous encourrons ".
17. Enfin, dans une lettre adressée à Solutel (cotes 441 et 442), l'une des locataires de la résidence " Les Pépises " à St Marcel, où Solutel est intervenue à la demande du promoteur, apporte le témoignage suivant sur ses difficultés à obtenir son branchement de ligne téléphonique auprès de France Télécom : " j'ai signalé que le nécessaire dans le lotissement avait été fait par Solutel et alors là, la personne m'a répondu qu'il connaissait celui qui travaillait chez Solutel car il venait de France Télécom, qu'il savait ce qu'il y avait à faire et que donc il n'avait pas fait le nécessaire et que le branchement n'était pas possible. (...) Le 31 janvier, 4ème appel mais (...) d'une autre personne pour me dire la même chose que son collègue, mais cette fois-ci moins gentiment. Il m'a raconté la même histoire concernant M. A..., qui travaille à Solutel et qui était avant chez France Télécom, et je lui ai répondu que cela ne me concernait pas, que j'étais en quelque sorte " otage " des querelles des deux " boutiques " ".
18. Il convient de plus de noter qu'à la suite de la mise en cause, par la société France Télécom, du droit des gérants de Solutel à exercer leur activité du fait de leur qualité d'anciens agents de France Télécom, ces derniers ont saisi la commission de déontologie de la fonction publique. Celle-ci a estimé, dans son avis du 4 décembre 2004 (cotes 66 à 69), que leur activité est compatible avec leurs fonctions antérieures au sein de France Télécom.
2. LES PRATIQUES RELATIVES A LA FOURNITURE DU POINT D'ADDUCTION
19. L'unité régionale de Bretagne de France Télécom n'a, dans un premier temps, pas donné suite aux demandes de Solutel de communication du point d'adduction ainsi qu'en témoigne un courrier de Solutel adressé à cette unité le 18 novembre 2004 (cote 62) faisant état de quatre demandes de transmission de points d'adduction restées sans suite concernant des sites sur les communes de Ploemeur, de Saint-Nolff, de Clerguer et de Vannes.
20. Dans un second temps, en décembre 2005, France Télécom a créé une prestation appelée " fourniture de PR avec déplacement " pour les immeubles et lotissements. Les représentants de France Télécom, dans leur audition précitée, ont déclaré que cette prestation a été créée " à titre expérimental en Bretagne pour un prix de 241,73 euro HT " puis " a été étendue à tout le territoire dans le catalogue du 1er janvier 2006 ". Pour les maisons individuelles, la prestation est gratuite sans déplacement et s'élève à 111 euro HT avec déplacement, comme l'indique l'extrait du recueil des prestations de France Télécom ci-après :
Extrait du " Recueil des prestations - domaine Immobilier " de France Télécom en 2006
" 1.1.4 Le point de raccordement
1.1.4.1 Fourniture de renseignements au titre de la loi du 17 juillet 1978 (cadre de l'accès aux documents administratifs)
Fourniture par courrier de la plaquette d'adduction et du positionnement de nos réseaux sur la partie publique
GRATUIT
1.1.4.2 Prestation de fourniture du point de raccordement pour le segment "maisons individuelles" sans déplacement (hors lotissement, même sur demande d'un professionnel)
Cette prestation comprend : la mise à disposition par courrier des données cartographiques, du point de branchement, de la plaquette d'adduction, de la prise en compte du besoin client (42C et 103)
GRATUIT
1.1.4.3 Prestation de fourniture du point de raccordement pour le segment "maisons individuelles" avec déplacement (hors lotissement, même sur demande d'un professionnel)
Cette prestation comprend : la mise à disposition par des données cartographiques, du point de branchement, de la plaquette d'adduction, de la prise en compte du besoin client (42C et 103) et si besoin d'un conseil en ingénierie pour aménagement intérieur.
<emplacement tableau>
1.1.4.4 Prestations de fourniture du point de raccordement avec déplacement * pour tout type de demande (ZAC, LOT, immeubles)
Cette prestation comprend : la mise à disposition des données cartographiques, du point de branchement, de la plaquette d'adduction, de la prise en compte du besoin client (42C -103) et d'une matérialisation in situ.
<emplacement tableau>
* Pour l'ensemble du marché hors celui de la " maison individuelle ", le déplacement est systématique. "
21. L'ensemble de la prestation de conseil en ingénierie, de suivi et de contrôle des travaux par France Télécom pour l'installation d'ouvrages de génie civil de télécommunications sur le domaine privé était facturé entre 491 et 883 euro selon le nombre de lots, ainsi que l'indique l'extrait ci-après de son catalogue des prestations en date de juillet 2003 (cote 142) :
<emplacement tableau>
Prestations de conseil en ingénierie, suivi des travaux et contrôle en métropole - Catalogue France Télécom du 18 juillet 2003
22. Pour des prestations équivalentes, les tarifs pratiqués par Solutel sont inférieurs à ceux de France Télécom de 20 à 40 % comme en témoigne le procès-verbal du 12 mars 2007 du maire de la commune d'Ercée en Lamée, qui fait état d'une différence de 31,5 % entre le devis proposé par France Télécom et celui proposé par Solutel pour le lotissement " Les Fontaines " composé de 11 lots, ainsi que les devis transmis par Solutel dans sa saisine (cotes 149, 151 et 152).
23. Avant la définition d'une prestation spécifique, la fourniture par France Télécom du point d'adduction était intégrée aux prestations d'ingénierie, de conseil et de contrôle de l'installation des réseaux privés mais ne faisait pas l'objet d'une tarification distincte. Il apparaît même, dans le détail des prestations de la convention n° L-L144 liant France Télécom au maître d'ouvrage du lotissement du " Parc Votenn " sur la commune de Pluvigner, signée le 12 octobre 2004 (cotes 111 à 115), que la prestation consistant en la fourniture du point d'adduction, mentionnée au point 2.2 du document, n'est pas payante en application de l'article 5 de la convention qui définit limitativement les prestations soumises à paiement. Il en est de même dans la convention n° V-KJ042 relative aux installations de télécommunications dans le lotissement Le Commandoux-Brulais sur la commune de Sène (cotes 116 à 120) et dans la convention n° L-K416 relative aux installations de télécommunications dans le lotissement Les Hameaux de Poulherveno sur la commune d'Inzinzac Lochrist (cotes 121 à 124).
Extrait de la convention n° L-L144 liant France Télécom au maître d'ouvrage du lotissement du " Parc Votenn " sur la commune de Pluvigner signée le 12 octobre 2004
" ARTICLE 2 : Prestations de France Télécom
France Télécom opérateur de réseau ouvert au public :
2.1 communique au Lotisseur le référentiel technique définissant les règles de construction des installations de télécommunications,
2.2 précise au Lotisseur les points de raccordements de génie civil du Site au réseau de France Télécom,
2.3 réalise l'étude complète du projet des installations de télécommunications (génie civil) ou vérifie la conformité du projet des installations de télécommunications au référentiel technique,
2.4 apporte au Lotisseur, à sa demande, une assistance technique pour la réalisation du projet défini à l'article 6,
2.5 participe, si elle le juge utile, aux réunions de coordination des travaux et peut assister aux réunions de chantier,
2.6 réalise les installations entre le réseau existant de France Télécom et le point de raccordement du génie civil,
2.7 contrôle les installations de télécommunications réalisées par le Lotisseur,
2.8 prolonge dans le Site à aménager le réseau de France Télécom, en fonction des besoins effectifs.
(...)
ARTICLE 5 : Dispositions financières
Les prestations de France Télécom prévues à l'article 2 aux paragraphes 2.3, 2.4. 2.5. 2.7 sont payantes et font l'objet d'un devis joint. "
24. Par ailleurs, les unités de France Télécom de Cholet, Nantes et Angers ont répondu positivement et gratuitement aux demandes de fourniture de points d'adduction dans différents dossiers présentés par Solutel, y compris au cours de l'année 2006, soit après la mise en place par France Télécom d'un tarif national pour la fourniture de la localisation du point d'adduction.
25. Ainsi, l'unité régionale de Nantes a adressé à Solutel, le 13 septembre 2005 et le 25 octobre 2005, deux plans indiquant les points d'adduction demandés par Solutel (cotes 151, 152, 154 et 155). Dans le courrier du 25 octobre 2005, le responsable chargé d'affaires de l'Unité régionale de réseau Pays de la Loire a communiqué à Solutel le plan indiquant le point d'adduction " pour la réalisation des installations et infrastructures nécessaires au raccordement du réseau France Télécom pour le lotissement " la Jardière " sur la commune de Riaille ". Sur le plan joint, le point d'adduction est indiqué par un cercle et porte la mention " Point de raccordement au réseau France Télécom : remontée poteau ; Poteau bois F.T. n° 6675541 : à partir de ce poteau F.T pose en traversée de route 3TPØ42/45 vers L3T à poser ; liaison entre chambres 3TPØ 42/45 ". Ce plan faisait suite à une demande de Solutel adressée aux services de France Télécom le 12 septembre 2005 avec un plan de masse et un plan de situation du lotissement en projet (cote 128).
26. Le 27 septembre 2005, l'unité régionale de Cholet a communiqué le point d'adduction demandé par Solutel pour un lotissement sur la commune d'Abbaretz. Le 20 décembre 2005, l'Unité régionale d'Angers a répondu à la demande d'indication du point d'adduction concernant le lotissement " Les Haies " sur la commune de Bourg d'Ire en réponse à la demande de Solutel du 18 novembre 2005. Sur le plan fourni, le point d'adduction est indiqué par une flèche qui vise un rectangle noir sur un plan de cadastre, correspondant au point d'adduction (cotes 131 et 132). Le 20 janvier 2006, l'unité régionale de Nantes a répondu à la demande d'indication du point d'adduction concernant un lotissement sur la commune de Guémené Penfao (cotes 159 et 160) en réponse à la demande de Solutel du 18 décembre 2005 ; les points d'adduction sont également indiqués sur le plan de cadastre par deux cercles, l'un pour les lots 1, 2 et 3 et l'autre pour le lot 4. Le 21 mars 2006, la même unité régionale de Nantes a indiqué à Solutel le point d'adduction pour un lotissement situé sur la commune de Saint-Mars La Jaille en précisant les types des chambres et des canalisations existantes (cotes 137 à 140).
27. Des pièces versées au dossier par Solutel après la saisine sous la forme d'enregistrements téléphoniques réalisés par les gérants de Solutel entre le 29 janvier 2007 et le 1er février 2007 montrent également que le tarif mis en place par France Télécom n'est pas appliqué sur tout le territoire national et que le point d'adduction peut être fourni gratuitement sur simple demande. Ces enregistrements indiquent en outre que pour les agents des unités régionales interrogées, la communication du point d'adduction est toujours gratuite et qu'elle découlerait, selon eux, des obligations de France Télécom en sa qualité d'opérateur chargé du service universel téléphonique.
28. Dans un appel du 1er février dernier à l'unité régionale France Télécom de Bordeaux, à la même question posée de savoir si le point d'adduction peut être fourni sans signature du devis de France Télécom, l'agent de France Télécom répond : " On peut vous le fournir, c'est le minimum que l'on doit faire, on vous fournit le point de raccordement ". A la question " Quoiqu'il arrive, même si on ne signe pas votre devis ? ", il répond : " On se doit de vous donner le PR " (point de raccordement ou point d'adduction).
29. Dans un appel du 31 janvier 2007 à l'unité régionale France Télécom de Bar le Duc en Lorraine, l'agent de France Télécom interrogé affirme que le point d'adduction est donné gratuitement ; à la question de savoir si cela est " dû à (sa) mission de service universel ", il répond : " On est censé donner le point de livraison ".
30. Dans un appel du 1er février 2007 à l'unité régionale de Picardie, à la question de savoir si le point d'adduction est fourni en début d'opération et au titre du service universel, l'agent répond : " Oui, tout à fait " et affirme que cette information n'est pas soumise à paiement.
31. Dans un appel du 29 janvier 2007 à la direction régionale de Tours, à la question : " Si je prends un autre organisme, par exemple l'APAVE ou VERITAS, est-ce que vous me donnez quand même le PR ? " (point de raccordement ou point d'adduction), l'agent de France Télécom répond : " On vous fournira le PR, oui. "
3. LES PRATIQUES DE PRESSIONS, DE MENACES DE RETORSION ET DE RETORSIONS ENVERS LES CLIENTS DE SOLUTEL
32. Dans certains cas, France Télécom est intervenue directement auprès des clients de Solutel pour faire pression sur eux afin qu'ils signent son propre devis de prestations d'ingénierie et de conseils, voire un devis leur facturant, de façon isolée, la seule fourniture du point d'adduction.
33. Ainsi, saisie d'une demande de point d'adduction par Solutel, France Télécom a adressé à la société Les Avens, promoteur du projet, une offre de service. Le promoteur n'y donnant pas suite, les services France Télécom de Bretagne lui ont adressé, le 8 mars 2006, un courrier (cote 160) ainsi rédigé :
" France Télécom mène depuis des années un politique volontariste de qualité sur les réseaux de communications électroniques en proposant au maître d'ouvrage des prestations de conseil, de soutien, de suivi de chantier et en délivrant un certificat de conformité.
Sauf erreur de notre part, vous n'avez pas donné suite à cette proposition concernant l'affaire citée en objet.
Votre opération devra toutefois, à terme, être raccordée au réseau existant de France Télécom opérateur chargé du Service Universel. Je vous rappelle qu'aucun raccordement sur le réseau existant, propriété de France Télécom ne peut se faire sans autorisation de France Télécom. Un devis correspondant à la prestation minimum de fourniture du point de raccordement est joint en annexe. Dés le retour d'un exemplaire signé, je vous communiquerai le point de raccordement de votre opération au réseau existant de France Télécom ".
34. Dans un courrier adressé le 9 mars 2006 à la SAS Terre et Mer (cote 187), France Télécom écrit :
" Sauf erreur de notre part, vous n'avez pas donné suite à cette proposition concernant l'affaire citée en objet.
C'est pourquoi, je vous informe que ce devis va être annulé par notre système de gestion dans un délai de 8 jours, la date limite de validité ayant été dépassée.
Votre opération devra toutefois, à terme, être raccordée au réseau existant de France Télécom opérateur chargé du Service Universel. Je vous rappelle qu'aucun raccordement sur le réseau existant, propriété de France Télécom ne peut se faire sans autorisation de France Télécom ".
35. Dans un courrier adressé le 22 février 2006 au promoteur Bretagne Sud Habitat, France Télécom fait suite à la demande de communication du point d'adduction par Solutel en adressant au promoteur un devis pour la fourniture du point d'adduction pour un immeuble de 7 logements sur la commune de Meslanet et lui précise : " le point de raccordement est déterminé par France Télécom et est un préalable à notre opération de câblage " (cote 180). La même démarche est entreprise et les mêmes termes relatifs au " préalable à (l') opération de câblage " sont utilisés le 23 février 2006 auprès d'un autre client de Solutel, aménageur d'un lotissement à Questembert (cote 158).
36. De plus, dans son procès-verbal précité du 12 mars 2007, le maire de la commune d'Ercée en Lamé a déclaré qu'un responsable de France Télécom lui a affirmé que France Télécom ne verserait pas à sa commune la redevance d'occupation du domaine public sur le lotissement en construction s'il contractait avec Solutel pour les prestations d'ingénierie, de conseil et de contrôle.
37. Enfin, certains des résidents des lotissements où Solutel est intervenue ont eu de grandes difficultés à obtenir leur raccordement alors que l'annexe 3 du décret n° 96-1225 du 27 décembre 1996 portant approbation du cahier des charges de France Télécom prévoit que " France Télécom effectue les raccordements nécessaires pour assurer le service universel du téléphone dans les meilleurs délais et en tout état de cause conformément aux objectifs de qualité de service définis à l'article 13 ". Ce dernier fixe à 8 jours calendaires ce délai maximum.
38. Or, les éléments du dossier démontrent que certains clients de Solutel ont attendu plus d'un mois, voire jusqu'à trois mois, leur branchement au réseau de télécommunications ouvert au public.
39. A ce propos, le directeur technique de la SA Les Foyers d'Armor, client de Solutel, a apporté dans son procès-verbal du 20 mars 2007 le témoignage suivant : " Il est impossible de dire si les difficultés auxquelles nous avons été confrontés avec France Télécom pour le raccordement de nos clients sont le résultat d'une mauvaise volonté de sa part ou d'une mauvaise organisation interne. Nous constatons cependant que le problème est toujours le même avec des retards de 1 mois et demi à 2 mois pour le raccordement de nos clients au réseau alors que les travaux ont été réalisés, que les immeubles ont été livrés et donc que le point de raccordement a été connu avant la réalisation des travaux. Dans l'exemple de la " Résidence du Centre " à Cléguer, nous avons obtenu au bout de 2 mois le raccordement au réseau des particuliers de cette résidence après plusieurs courriers démontrant à France Télécom que toutes les démarches préalables au raccordement final avaient été accomplies. Finalement, France Télécom s'est exécutée et a procédé au raccordement. Dans le cas du lotissement du " Tertre " à Radenac, qui comprend 12 pavillons livrés en juillet 2006, nous avons dû intervenir auprès du maire de la commune en septembre 2006 pour qu'il fasse pression auprès de France Télécom afin d'accélérer le raccordement que les particuliers attendaient depuis plus de 2 mois alors que France Télécom disposait du certificat de conformité de l'opération depuis le 31 mai 2006. Nous avons même réclamé à France Télécom des sommes indues réclamées à nos locataires pour les mises en service de leur téléphone ".
40. A propos du cas précité de l'immeuble de Pontivy construit par le cabinet David, ce dernier déclare, dans un courrier adressé à Solutel le 26 octobre 2004 (cote 39), que l'agence commerciale de France Télécom s'est refusée à procéder au raccordement au réseau public des résidents de l'immeuble en l'absence de signature de son devis nommé " de recette de conformité " :
" L'ouverture d'une ligne à cette adresse par un nouveau résident s'est vu refusée à l'agence France Télécom au prétexte que l'immeuble n'avait pas été contrôlé par ses services techniques. Le traitement de ce dossier, dixit France Télécom, ne pouvant évoluer qu'avec la signature d'un devis nommé " recette de conformité " émis par ses services techniques.(...) Devant l'urgence à répondre à la demande de ligne des résidents et le refus persistant de l'opérateur, vous nous avez proposé de répondre positivement à leur devis. Il a été convenu que ce devis émanant de France Télécom serait signé et réglé par vous ".
41. Solutel a donc procédé au paiement du devis de France Télécom pour une prestation - la remise d'un certificat de conformité - qu'elle avait elle même déjà réalisée. Ainsi qu'en témoigne le cabinet David dans son courrier précité, dès que ce devis a été signé, " l'immeuble concerné a été rapidement raccordé au service public téléphonique ". Cependant, comme l'indique Solutel dans un courrier adressé le 10 janvier 2005 à France Télécom (cotes 102 et 103), ce devis n'a pas été suivi d'un écrit de France Télécom déclarant conforme ce chantier.
42. Dans le cas de l'opération de construction des immeubles " Le Clos du Printemps " et " Rue Louise Michel " à Auray, l'Office public départemental d'HLM du Morbihan, Bretagne Sud Habitat, s'est plaint auprès de France Télécom des difficultés de raccordement des utilisateurs finals de ces résidences dans un courrier du 21 mars 2006 (cote 170) dans les termes suivants :
" Le point de raccordement a été transmis par vos services en juillet 2004. Le procès-verbal de réception technique, le plan de récolement avec les adresses postales et le tableau de correspondance des câbles de branchement en attente dans les chambres vous ont été adressés par SOLUTEL le 20 février 2006.
La remise des clés du site de l'opération sera réalisée le vendredi 24 mars 2006. Or, nous apprenons aujourd'hui, suite aux demandes formulées par nos futurs locataires auprès de France Télécom, que la mise en service ne peut se faire en dépit de l'exécution et l'achèvement des prestations de la Société SOLUTEL.
Aussi, nous vous demandons d'assurer immédiatement la mise en service du réseau et de répondre favorablement à nos résidents.
Nous attirons votre attention sur le fait que SOLUTEL a déjà posé les câbles de branchement abonné jusqu'aux chambres afin d'éviter aux clients le paiement et le délai supplémentaire induit par le déplacement d'un technicien chez chaque futur abonné ".
43. Devant ces difficultés, Bretagne Sud Habitat a adressé le même jour un courrier à Solutel (cote 168), où il lui demande de " régler immédiatement cette situation. A défaut, nous ne prendrons plus le risque de nous retrouver en situation similaire pour de nouvelles opérations, préjudiciable, en premier lieu, pour nos résidents et notre organisme ".
44. Dans un autre courrier de Bretagne Sud Habitat adressé le 27 avril 2006 à France Télécom, l'office de HLM fait à nouveau part de ses inquiétudes sur les retards de raccordement final de ses résidents lorsqu'il contracte avec Solutel :
" Sur certaines de nos opérations, le prestataire mieux-disant est autre que France Télécom. Néanmoins, dans le cadre du service universel dû par France Télécom, rien ne doit, en théorie, s'opposer au raccordement de nos locataires après prolongation dans le site de votre réseau et ce dans un délai raisonnable.
Or, je constate que ce délai est souvent exagérément long, laissant nos locataires sans téléphonie fixe pendant de nombreuses semaines après la remise des clés. A titre d'exemple, sur un groupe livré récemment sur la Commune d'AURAY, nos locataires ont dû patienter 4 semaines 1/2 avant de pouvoir demander l'ouverture de leurs lignes car les travaux de prolongation de votre réseau dans le site n'avaient pas été réalisés dans les délais convenus, bien que les documents nécessaires à la réalisation de ceux-ci vous aient été adressés plus d'un mois avant la date de livraison de l'opération (il s'est donc écoulé 8 semaines 1/2 entre l'envoi des documents demandés et la prolongation de votre réseau alors que lorsque France Télécom se voit attribuer la prestation " Ingénierie + suivi + câblage + recette de conformité " seulement dix jours ouvrables, au plus, sont nécessaires) ".
45. Dans un message électronique du 25 avril 2006 adressé à Solutel (cotes 172 et 173), un particulier, résident du lotissement des Domaines des prairies au lieu dit " Mane Kerverh ", où est intervenue Solutel, indique avoir demandé son ouverture de ligne le 9 mars 2006 et avoir attendu 67 jours pour l'obtenir. Il précise :
" - 17 mars 2006: Passage d'un technicien de la société Fordum Landévant (56690), raccordement d'un câble de téléphone de la maison vers une chambre de tirage à l'extérieur du lotissement.
Le technicien se rend compte que le lotissement n'est pas raccordé au réseau France Télécom.
Rien n'empêche le raccordement, il y a plusieurs chambres de tirage avec fourreaux et aiguilles jusqu'au poteau France Télécom (environ 150 m).
Depuis le 17 mars et après une dizaine d'appels au service technique de France Télécom (...), France Telecom m'informe que le dossier est bloqué en me donnant plusieurs explications :
- problème de règlement de la société SOLUTEL qui n'a pas payé une facture !!!!
- problème technique avec la société SOLUTEL !!!!!
- 25 avril 2006: Dossier bloqué, il y a toujours un problème avec la société SOLUTEL ".
46. Dans un courrier du 27 février 2007 (cotes 439 et 440), le propriétaire de la résidence " les Pépises " à St Marcel fait part à Solutel des difficultés rencontrées par ses locataires pour obtenir leur transfert ou leur abonnement auprès de France Télécom. Il précise que les premières demandes ont été faites durant la première semaine de janvier 2007 et que les lignes ont été finalement installées durant la semaine du 19 au 26 février 2007 à la suite de plusieurs interventions de sa part. Pour expliquer ces retards, il écrit : " il apparaît clairement que le procès-verbal de réception technique de la résidence Les Pépises, que vous avez adressé à France Télécom le 21 décembre 2006 et dont j'ai eu copie, a été bloqué et n'était pas enregistré au niveau des plates-formes d'appel. La plate-forme 10-1h indiquait à nos locataires que le propriétaire n'avait pas fait son travail, ce qui était très gênant, et vous comprendrez que je ne pouvais que reporter sur vous cette affirmation ".
47. Très récemment, le 17 avril 2007, France Télécom a exigé d'une agence de location de voitures à Lanester, franchisée du groupe Citer, la signature d'un devis de 453 euro pour des prestations de conseil en ingénierie, de suivi des travaux et de recette de conformité alors que le cabinet de géomètre Huyban avait passé contrat avec Solutel pour ces prestations qui avaient été exécutées, comme en attestent la transmission par Solutel à France Télécom d'un procès-verbal de réception technique en date du 7 février 2007. France Télécom en faisait un préalable indispensable au transfert de la ligne de cet abonné sur le lotissement concerné. Pourtant, l'agence n'est que locataire de locaux dans cette nouvelle zone commerciale et non le promoteur du projet à qui incombe la création du réseau de télécommunications sur le domaine privé et son branchement au réseau ouvert au public. Lors d'un rendez-vous technique sur place le 13 avril 2007, le technicien de la société Laudren qui travaille pour France Télécom a déclaré ne rien pouvoir faire et a précisé que France Télécom devait venir faire une étude, ainsi qu'en témoigne le procès-verbal d'audition de la responsable de l'agence Citer du 2 mai 2007.
48. L'agence Citer, qui avait procédé au déménagement de tout son matériel ainsi que de ses enseignes dans ses nouveaux locaux, à l'exception des téléphones et des équipements informatiques, a donc été contrainte de demeurer dans ses anciens locaux, de qualité médiocre et sans enseigne. Enfin, le cabinet Huiban, qui représentait en 2004 près de 20 % du chiffre d'affaires de la société Solutel, s'est interrogé sur le maintien de ses relations avec cette dernière, en dépit de l'entière satisfaction que lui apportent les prestations de Solutel, en raison de ces retards de raccordement.
49. Solutel a alors pris à sa charge, par un règlement effectué le 27 avril 2007, le devis de 453 euro envoyé à l'agence Citer par France Télécom pour des prestations qu'elle avait réalisées elle-même. Très rapidement, la situation a été débloquée : un rendez-vous a été pris par des agents de la société Cegelec pour procéder au transfert de la ligne téléphonique le mercredi 9 mai. Interrogé sur ce cas, le service juridique de France Télécom a apporté les explications suivantes dans un courrier électronique du 7 mai 2007 : " Il apparaît que la demande de transfert de ligne de la société Citer a bien été enregistrée par France Télécom. Toutefois, l'unité en charge de traiter cette demande n'a pas pris en compte le procès-verbal de réception technique établi par la société Solutel. Cette erreur humaine a conduit France Télécom à émettre un devis pour proposer à la société Citer de contrôler la conformité de ses travaux de génie civil avant le raccordement téléphonique ".
II. Sur la recevabilité
A. SUR LE MARCHE PERTINENT ET LA POSITION DOMINANTE DE FRANCE TELECOM
50. Les activités de service concernées par les pratiques d'éviction dénoncées sont celles d'ingénierie, de conseil et de contrôle des installations de communication effectuées par des promoteurs ou lotisseurs privés. Il ressort des éléments au dossier que ces services font l'objet d'une offre et d'une demande spécifiques et qu'ils ne sont pas substituables aux autres services rendus dans le secteur des télécommunications. A ce stade de l'instruction, ces services sont donc susceptibles de constituer un marché pertinent. La société Solutel est entrée sur ce marché en 2004, alors que la société France Télécom était auparavant la seule à proposer aux promoteurs et lotisseurs de telles prestations, parmi lesquelles figure notamment la délivrance d'un certificat de conformité des installations exigé par France Télécom afin de procéder aux opérations de raccordement des abonnés concernés à son réseau.
51. Les services concernés sont fournis par France Télécom sur l'ensemble du territoire national ; ils font l'objet d'une tarification nationale et sont soumis à une réglementation nationale. Aussi, bien que la société Solutel n'ait pour le moment développé son activité que dans la région Bretagne et, plus marginalement, dans les pays de la Loire, il y a lieu de considérer, à ce stade de l'instruction, qu'aucun obstacle ne s'opposant à l'extension de ses activités, le marché concerné est de dimension nationale.
52. Le chiffre d'affaires réalisé sur ce marché par la société Solutel du 30 juin 2004 au début du mois de novembre 2006 s'est élevé à 74 157 euro, soit, selon les affirmations de la société Solutel qui n'ont pas été démenties par France Télécom, environ 4 % du chiffre d'affaires de France Télécom issu des mêmes prestations en Bretagne au cours de cette période. Cette dernière est donc susceptible, au stade actuel de l'instruction de détenir une position largement dominante sur ce marché.
53. Par ailleurs, lorsqu'en application de l'article L. 332-15 du Code de l'urbanisme, l'autorité qui délivre les permis de construire fait obligation aux promoteurs ou lotisseurs concernés de créer, à leur charge, les infrastructures nécessaires au raccordement de leurs lotissements ou immeubles au réseau de France Télécom, et d'assurer " le branchement des équipements propres à l'opération sur les équipements publics existants au droit du terrain ", les promoteurs ou lotisseurs sont contraints, pour remplir cette obligation, d'obtenir de France Télécom l'indication du point d'adduction par lequel l'opérateur chargé du service universel entend satisfaire à l'obligation de raccordement à son réseau qui lui incombe à ce titre. Les marchés concernés par le raccordement sur lesquels France Télécom intervient en tant qu'opérateur du service universel, et sur lesquels il occupe une position largement dominante, sont donc des marchés connexes au marché sur lequel les pratiques d'éviction dénoncées sont intervenues.
B. SUR LES PRATIQUES D'ABUS DE POSITION DOMINANTE
1. EN CE QUI CONCERNE LES PRATIQUES DE DENIGREMENT ET LES PRESSIONS VISANT A DISSUADER LES DIVERS INTERVENANTS DE FAIRE APPEL A LA SOCIETE SOLUTEL
54. Il ressort des faits exposés aux paragraphes 11 à 17, dont la matérialité n'a pas été discutée par France Télécom à ce stade de l'instruction, que les services de France Télécom ont à plusieurs reprises dénigré, auprès des clients de la société Solutel, la capacité des gérants de cette société à fournir des services d'ingénierie, de conseil et de contrôle d'installations de télécommunications. D'autres éléments du dossier (paragraphes 33 à 36 ci-dessus) montrent également que des pressions ont été exercées par les services de l'unité régionale Bretagne de France Télécom directement auprès de divers intervenants afin de les dissuader de contracter avec Solutel, soit en soutenant que les prestations d'ingénierie, de conseil et de contrôle étaient indissociables de la prestation de fourniture de la localisation du point d'adduction, soit, dans le cas du maire d'Ercé en Lamée, en menaçant de ne pas verser à la commune la redevance d'occupation du domaine public.
55. De plus, certains clients de Solutel ont effectivement été dissuadés de recourir, pour l'avenir, aux services de cette société. En effet, dans certains cas (paragraphes 47 à 49), il leur a été réclamé, par les services de France Télécom, le paiement de prestations pour lesquelles ils avaient contracté avec Solutel et que cette dernière avait réalisées. Dans d'autres cas, des retards considérables dans le branchement final des résidents des immeubles ou lotissements sur lesquels Solutel était intervenue ont été constatés (paragraphes 39 à 47). Dans leur procès-verbal d'audition au Conseil le 26 janvier 2007, les gérants de Solutel ont déclaré à ce propos : " Les campagnes de dénigrement de France Télécom et les retards extrêmement longs (autour de 9 semaines) de nos clients pour l'obtention de leurs lignes de téléphone ont eu pour conséquence certaine la perte des gros clients de Solutel tels que Bretagne Sud Habitat et Rivoli Promotion. Seul " Foyers d'Armor " continue à nous confier des prestations et garde confiance malgré les obstacles rencontrés ".
56. France Télécom était, jusqu'à la création de Solutel en 2004, le seul prestataire sur le marché des services d'ingénierie, de conseil et de contrôle des installations de télécommunications réalisées par des promoteurs privés. Les pratiques décrites ci-dessus, de nature à entraver l'entrée sur ce marché d'une société concurrente, sont susceptibles de constituer un abus. France Télécom, opérateur historique des télécommunications, détient toujours une position dominante sur la plupart des marchés de la téléphonie fixe (cf. avis du Conseil de la concurrence n° 05-A-05 du 16 février 2005). Il est également l'opérateur chargé de la fourniture de la première composante du service universel (service téléphonique) et notamment de faire droit à toute demande de raccordement à son réseau. En conséquence, le fait d'entraver l'entrée d'un concurrent sur le marché de l'ingénierie, du conseil et du contrôle en subordonnant ce raccordement à l'obligation de recourir à ses propres services d'ingénierie, de conseil et de contrôle des installations de télécommunications, faute de quoi France Télécom ne désignerait pas ou désignerait dans des conditions de service dégradées le point d'adduction, est susceptible de constituer un abus de la position de monopole qu'occupe France Télécom sur le marché du raccordement à la boucle locale, en tant qu'opérateur chargé du service universel, ayant pour objet ou pour effet d'exclure un concurrent sur le marché connexe des services d'ingénierie, de conseil et de contrôle des installations de télécommunications.
2. EN CE QUI CONCERNE LA TARIFICATION DE LA FOURNITURE DE LA LOCALISATION DU POINT D'ADDUCTION
57. La société Solutel expose dans sa saisine que la fourniture de la localisation du point d'adduction permettant le raccordement est essentielle pour lui permettre d'exercer son activité, que France Télécom est la seule à détenir cette information et qu'en conséquence, il s'agit d'une facilité essentielle à laquelle l'accès lui a, dans un premier temps, été refusé. Elle soutient également que le raccordement au réseau relevant du service public universel, la simple indication du point d'adduction permettant le raccordement au réseau ne saurait être payante. Elle ajoute que, lorsque France Télécom fournit elle-même les services d'ingénierie, de conseil et de contrôle technique des installations, elle ne fait pas payer l'indication du point de raccordement et que d'autres unités régionales de l'opérateur historique ont considéré qu'il s'agissait d'un service gratuit. La société Solutel fait encore valoir que le tarif fixé par France Télécom pour cette prestation est exorbitant alors que, la plupart du temps, le coût en est nul puisque l'indication est immédiatement accessible sur des bases de données et ne nécessite aucun déplacement.
58. France Télécom écrit dans ses observations que la prestation de fourniture de la localisation du point d'adduction permettant le raccordement a été expérimentée en 2005 dans la région Bretagne où intervient Solutel, puis généralisée en 2006, à seule fin de répondre à la demande particulière de Solutel. Elle précise qu'avant 2005 cette prestation n'était pas gratuite mais incluse dans la prestation de conseil et d'ingénierie proposée par France Télécom aux maîtres d'ouvrage et que sa fourniture suppose l'accomplissement des tâches énumérées au point 11 de ses observations du 4 mai 2007.
59. France Télécom affirme qu'en tout état de cause un déplacement est toujours nécessaire pour s'assurer que le point d'adduction est adapté au projet et permettra effectivement le raccordement des abonnés. Il s'ensuit, selon elle, que la prestation ne pourrait se confondre avec la demande de renseignements qui peut être effectuée en application du décret n° 91-1147 du 14 octobre 1991 par toute personne qui veut effectuer des travaux au voisinage du réseau téléphonique et veut éviter d'en endommager les installations, et à laquelle la réponse est donnée par la simple transmission d'un relevé cartographique du segment de réseau concerné.
60. France Télécom soutient encore que l'affirmation de Solutel selon laquelle la prestation relève de ses obligations au titre du service universel repose sur une confusion entre, d'une part, la prestation de raccordement au réseau visée à l'article R. 20-30-1 du CPCE, qui est une prestation fournie au client final et non au lotisseur et qui consiste à relier les équipements terminaux du client final au réseau et à activer la ligne, avec une obligation de résultat, et d'autre part, l'aboutement des installations telles que gaines et fourreaux à la chambre de tirage adéquate, ou adduction, qui est une prestation à la charge du maître d'ouvrage et qui a pour but de permettre à France Télécom de déployer ses câbles pour le raccordement des occupants de l'ensemble immobilier.
61. Enfin, France Télécom fait valoir que la prestation ne peut être considérée comme essentielle à l'activité de la société Solutel puisque celle-ci, le plus souvent ne la lui demande pas sans que cela l'empêche de développer son activité. Elle note que, quand bien même elle serait essentielle, ce fait ne justifierait pas qu'elle soit gratuite.
62. Dans son avis rendu au Conseil le 15 février 2007, l'ARCEP estime que France Télécom maîtrise seule la gestion des points d'adduction et détient ainsi une position unique quant à l'information relative à leur localisation. Elle ajoute que cette information est un avantage essentiel sur le marché aval constitué par les services d'ingénierie, de conseil et de contrôle technique des installations téléphoniques et qu'une société telle que Solutel ne peut exercer son activité sans disposer de cette information. Elle conclut donc que la prestation peut, en première analyse, être considérée comme une facilité essentielle et que France Télécom doit faire droit à toute demande d'information pour l'adduction à son réseau dans des conditions objectives, transparentes, non discriminatoires et à des tarifs orientés vers les coûts.
63. Or, l'ARCEP est d'avis que les principes de transparence, d'objectivité, d'orientation vers les coûts et de non discrimination de ce tarif ne sont pas respectés. Elle constate que le périmètre de la prestation a " significativement évolué au cours du temps, depuis sa première communication à Solutel ". Elle s'interroge sur la pratique de France Télécom " consistant à coupler dans une unique prestation " fourniture du point de raccordement " un ensemble de prestations différenciées, alors même que certaines opérations semblent nécessaires à la réalisation globale du raccordement au réseau de France Télécom ", à l'instar de la mise à jour de ses systèmes applicatifs. L'Autorité estime par ailleurs que le niveau tarifaire pratiqué par France Télécom paraît " discutable au regard du principe d'orientation vers les coûts " dès lors qu'" il peut être considéré que France Télécom tire globalement un avantage des travaux d'adduction réalisés par l'aménageur ". Enfin, l'ARCEP constate qu'il " existe des doutes quant à l'application stricte et non discriminatoire du nouveau tarif (...), notamment dans les Unités régionales de Réseau autres que celles de la région Bretagne. ".
64. Les représentants de l'ARCEP ont ajouté en séance que la fourniture de la localisation du point d'adduction n'est pas inscrite parmi les prestations que France Télécom est tenue de fournir au titre de ses obligations de prestataire du service universel.
65. En effet, l'article 2 de l'arrêté du 3 mars 2005 portant désignation de l'opérateur chargé de fournir la composante du service universel prévue au 1° de l'article L. 35-1 du Code des postes et des communications électroniques (service téléphonique) dispose que cet opérateur fournit à toute personne qui en fait la demande :
un raccordement à un réseau téléphonique public ;
une offre d'abonnement intitulée, au 1er janvier 2005, "abonnement principal" permettant d'émettre et de recevoir des communications téléphoniques, des communications par télécopie et des communications de données à un débit suffisant pour permettre un accès à internet ;
une offre de communications en provenance et à destination de la métropole, des départements d'outre-mer, des collectivités de Mayotte et de Saint-Pierre-et-Miquelon, de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française, de Wallis-et-Futuna et des Terres australes et antarctiques françaises, ainsi que des pays étrangers.
66. Le même article ajoute que " l'opérateur effectue les raccordements nécessaires dans les meilleurs délais, conformément aux objectifs de qualité de service définis à l'article 7 du présent cahier des charges. Lorsque cette obligation n'est pas respectée, l'abonné bénéficie d'une compensation financière ou commerciale ". Enfin, l'annexe à laquelle renvoie l'article 7 de l'arrêté du 3 mars 2005 prévoit au titre des indicateurs et obligations minimales de qualité de services que le délai de fourniture pour le raccordement initial au réseau est au maximum de 8 jours calendaires et que le taux de défaillance par raccordement est limité à 7,5 %.
67. De fait, il convient d'opérer une distinction entre, d'une part, les travaux d'adduction à la charge des propriétaires, lotisseurs ou promoteurs qui consistent à creuser des tranchées et à déployer les gaines et fourreaux jusqu'au point d'adduction, et d'autre part, le déploiement par France Télécom de la boucle locale de cuivre jusqu'au point de terminaison au domicile des occupants, son raccordement aux équipements terminaux du domicile et l'activation de la ligne. Il ne peut par ailleurs être exclu, à ce stade de l'instruction, que le point d'adduction adéquat, c'est-à-dire celui qui permet de raccorder les clients finals dans les meilleures conditions, soit différent de celui situé " au droit du terrain " ou qu'il existe, " au droit du terrain ", plusieurs points d'adduction qui ne seraient pas tous adéquats. En conséquence, la portée de l'obligation imposée aux lotisseurs par l'article L. 332-15 du Code de l'urbanisme, qui dispose que " les obligations imposées par l'alinéa ci-dessus s'étendent au branchement des équipements propres à l'opération sur les équipements qui existent au droit du terrain sur lequel ils sont implantés " doit encore être précisée, les représentants de l'ARCEP ayant déclaré en séance qu'à leur connaissance, les tribunaux ne s'étaient jamais prononcés sur cette question. France Télécom affirme que le branchement doit être effectué au point d'adduction adéquat et qu'elle assume cette obligation de résultat en s'assurant que ce branchement permet le raccordement au réseau de sorte qu'en désignant le point d'adduction adéquat, elle fournit une prestation spécifique qu'aucun opérateur privé ne peut rendre et que le bénéficiaire du permis de construire doit obligatoirement faire conduire ses travaux d'adduction vers le point ainsi désigné par France Télécom.
68. Il n'en demeure pas moins que si France Télécom ne peut procéder au raccordement des abonnés lorsque le promoteur n'a pas fait effectuer les travaux jusqu'au point d'adduction adéquat, le promoteur ne peut faire effectuer ces travaux si la localisation du point d'adduction adéquat ne lui a pas été donnée. France Télécom indique d'ailleurs elle-même aux promoteurs que la fourniture du point d'adduction est " un préalable indispensable à notre opération de câblage " (courrier du 22 février 2006 adressé à la société Bretagne Sud Habitat).
69. Dans ces conditions, France Télécom est tenue de fournir la localisation de ce point d'adduction adéquat dans des conditions transparentes, objectives et non discriminatoires, et à des conditions tarifaires qui ne faussent pas le jeu de la concurrence. En particulier, si France Télécom facture cette prestation aux promoteurs lorsque ceux-ci ont fait appel à Solutel ou à un autre concurrent pour des prestations de conseil, d'ingénierie et de contrôle technique des installations et ne les facture pas lorsque c'est elle-même qui fournit ces mêmes prestations, alors aucun concurrent n'est en mesure de proposer des tarifs compétitifs par rapport à ceux de France Télécom et de se maintenir durablement sur le marché.
70. Or, France Télécom a mis en place depuis 2005 dans la région Bretagne, et depuis 2006, sur l'ensemble du territoire national, une tarification de 242 euro HT pour des " Prestations de fourniture du point de raccordement avec déplacement pour tout type de demande (ZAC, LOT, immeubles) " afin, comme elle le déclare, de répondre de façon spécifique à la demande de la société Solutel. En revanche, il ne ressort pas des éléments du dossier que France Télécom indique à ses clients, lorsque c'est elle-même qui fournit les prestations de conseil, d'ingénierie et de contrôle technique des installations, que les sommes facturées pour ce type de prestation, soit entre 491 et 883 euro HT selon le nombre de lots, incluent la somme de 242 euro HT, soit la moitié du total pour 3 à 5 lots, pour la seule fourniture du point d'adduction. Trois exemples de conventions proposées par France Télécom à ses clients montrent même que la fourniture du point d'adduction ne figure pas parmi les prestations payantes limitativement énumérées (cf. paragraphe 23).
71. De plus, les sous-directions de Cholet, Nantes et Angers ont continué à répondre positivement et gratuitement aux demandes de fourniture de points d'adduction dans différents dossiers présentés par Solutel, y compris au cours de l'année 2006, soit après la mise en place par France Télécom d'un tarif national pour la fourniture de la localisation du point d'adduction.
72. L'affirmation selon laquelle la société Solutel ne recourrait pas à la prestation puisqu'elle n'adresserait pas de demande de point d'adduction et ne paierait pas le tarif demandé par France Télécom mais aurait tout de même développé son activité doit être relativisée. Même s'il est vraisemblable que la société Solutel ait pu procéder elle-même à la sélection des points d'adduction, il ressort des écritures de France Télécom que seuls ses propres services peuvent garantir qu'il s'agit des points d'adduction adéquats, c'est-à-dire à même de permettre le raccordement des nouveaux abonnés dans les meilleures conditions. De plus, le fait qu'aucune demande de point d'adduction n'ait été adressée à ses services a été invoqué par France Télécom pour, soit réclamer directement aux clients de Solutel le paiement de la fourniture du point d'adduction, voire de prestations plus larges et recouvrant celles effectuées par Solutel, soit justifier l'impossibilité dans laquelle elle se serait trouvée de raccorder les occupants des nouvelles constructions à son réseau, bien que les travaux d'adduction aient été effectués. De ce fait, le recours à un concurrent de France Télécom sur le marché du conseil, de l'ingénierie et du contrôle technique des installations de télécommunications apparaît être source de surcoûts ou de délais excessifs pour le raccordement des abonnés. Le développement de l'activité de la société Solutel, constaté de 2004 à 2006, ne peut se poursuivre dans ces conditions.
73. Il résulte de ce qui précède qu'en l'état de l'instruction la tarification par France Télécom des " Prestations de fourniture du point de raccordement avec déplacement pour tout type de demande (ZAC, LOT, immeubles) " apparaît, d'une part, comme étant appliquée de façon discriminatoire. Elle est d'autre part susceptible d'évincer les entreprises qui, comme la société Solutel, tentent d'entrer sur le marché des services de conseil, d'ingénierie et de contrôle technique des installations de télécommunications. Cette pratique est donc susceptible de constituer un abus de la position de monopole occupée par France Télécom sur le marché du raccordement à la boucle locale, en tant qu'opérateur chargé du service universel, ayant pour objet ou pour effet d'exclure un concurrent sur le marché connexe des services d'ingénierie, de conseil et de contrôle des installations de télécommunications, et d'être prohibée par l'article L. 420-2 du Code de commerce.
C. SUR LA PROPOSITION D'ENGAGEMENTS DE LA SOCIÉTÉ FRANCE TÉLÉCOM
74. Le 13 avril 2007, France Télécom a proposé des engagements visant, d'une part, à abaisser le tarif de la prestation de fourniture du point d'adduction à 143,66 euro HT au lieu de 242 euro HT, soit une baisse de 40,7 % et d'autre part, de répondre aux demandes de fourniture des points d'adduction dans un délai maximum d'un mois à compter de la réception de son devis signé. Ce nouveau tarif correspondrait à une heure et demie de travail d'un agent à laquelle s'ajouterait un déplacement, jugé obligatoire, sur le site dans un rayon pouvant aller jusqu'à 100 km. En séance, France Télécom a fait savoir qu'elle était disposée à revoir encore à la baisse le tarif de la prestation de fourniture du point d'adduction permettant le raccordement et qu'elle avait donné des " instructions fermes " pour faire cesser les pressions exercées par ses services sur Solutel ou ses clients.
75. Faisant application du pouvoir d'appréciation que lui confère l'article L. 464-2 du Code de commerce, le Conseil a informé France Télécom, à l'issue d'une suspension de la séance, de sa volonté de ne pas faire application de la procédure d'engagement. Après en avoir délibéré, le Conseil considère en effet que les problèmes de concurrence soulevés dans le cadre de la présente affaire ne peuvent être résolus par la procédure d'engagements prévue au I de l'article L. 464-1 du même Code qui permet de clôturer une saisine sans contester une infraction ni prononcer une sanction. En effet, aucun engagement n'a été proposé s'agissant des pratiques de dénigrement, de pression et de rétorsions à l'égard de Solutel, France Télécom considérant le problème réglé compte tenu des directives données à son unité régionale de Bretagne alors que les faits décrits aux paragraphes 47 à 49 ci-dessus montrent que ce type de pratique se poursuivait en avril dernier. De plus, s'agissant du niveau du tarif de la prestation de fourniture du point d'adduction, le montant proposé par France Télécom ne peut être considéré comme résolvant les problèmes de concurrence exposés ci-dessus dans la mesure où le coût supporté par l'opérateur pour la fourniture de cette prestation n'est pas connu à ce stade de l'instruction et où les éléments du dossier font apparaître que France Télécom ne tarifie pas cette prestation à ses clients sur le marché du conseil, de l'ingénierie et du contrôle technique des installations de télécommunications.
III. Sur la demande de mesures conservatoires
76. La société Solutel demande, à titre conservatoire, qu'il soit enjoint à France Télécom une série de mesures de nature, selon elle, à faire cesser l'atteinte grave et immédiate qu'elle dénonce : " Enjoindre à France Télécom et à son Unité Régionale de Réseau de Bretagne, de suspendre l'application du tarif interne sur l'octroi du point de raccordement jusqu'à la décision que le Conseil de la Concurrence rendra sur le fond et, dans l'immédiat, cesser ses pratiques d'abus de position dominante et notamment son entreprise de dénigrement et de déstabilisation de la Société Solutel ".
77. Selon l'article L. 464-1 du Code de commerce, " le Conseil de la concurrence peut (...) prendre les mesures conservatoires qui lui sont demandées ou celles qui lui apparaissent nécessaires. Ces mesures ne peuvent intervenir que si la pratique dénoncée porte une atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt du consommateur ou à l'entreprise plaignante (...) Elles doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence ". Par ailleurs, dans son arrêt du 29 juin 2004, la Cour d'appel de Paris a rappelé que " si l'autorité compétente n'est pas tenue de constater prima facie une infraction aux règles de la concurrence avec le même degré de certitude que celui requis pour la décision sanctionnant un tel manquement, elle doit être, pour prononcer de telles mesures, convaincue de l'existence d'une présomption d'infraction raisonnablement forte, à savoir une entente ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ou l'exploitation abusive d'une position de domination sur le marché ; qu'à tout le moins, les faits dénoncés et dont le Conseil s'estime valablement saisi au fond doivent être suffisamment caractérisés pour être tenus comme la cause directe et certaine de l'atteinte relevée. "
A. SUR LA GRAVITÉ ET L'IMMEDIATETE DE L'ATTEINTE
78. La société Solutel fait valoir que les pratiques de France Télécom qu'elle dénonce dans sa saisine ont gravement entravé son développement et affirme que l'exigence du paiement pour la fourniture du point d'adduction entraînera sa " disparition inévitable ".
79. De son côté, France Télécom estime, dans ses observations, que l'urgence n'est pas caractérisée car la situation économique de Solutel " se caractérise, au jour de la saisine, par une progression forte et continue de son chiffre d'affaires et par un niveau positif et une forte progression de son résultat d'exploitation, de sa marge d'exploitation et de ses bénéfices ". Elle ajoute que la mesure consistant à suspendre l'application du tarif mis en place pour la prestation de fourniture du point d'adduction serait disproportionnée et affecterait de manière excessive les prérogatives de France Télécom dans la mesure où elle encourt des coûts pour la fourniture de cette prestation et où la société Solutel se dispense de demander cette prestation, se contentant de procéder à une demande de renseignements au titre du décret n° 91-1147 du 14 octobre 1991 pour obtenir une carte du tracé du réseau.
80. Toutefois, les pratiques exposées ci-dessus sont de nature à compromettre gravement la poursuite de l'activité de la société Solutel. Il ressort en effet des faits détaillés aux paragraphes 32 à 49 ci-dessus que des pressions ont été exercées par les services de France Télécom directement sur les clients de Solutel pour les convaincre de recourir à ses propres prestations de conseil, d'ingénierie et de contrôle technique des installations, incluant la fourniture du point d'adduction et que, nonobstant le fait que ces clients avaient contracté avec Solutel pour ces prestations, il leur a été facturé une somme au titre de la fourniture du point d'adduction, voire au titre de prestations identiques à celles déjà réalisées par la société Solutel. De plus, les nouveaux occupants des lotissements pour lesquels il a été fait appel aux services de Solutel se voient imposer des délais de plusieurs semaine, voire plusieurs mois, pour être raccordés au réseau, les services de France Télécom ne cachant pas à cette occasion que ces délais sont imputables à l'intervention de Solutel dans les dossiers concernés. Ces pratiques sont de nature à dissuader les promoteurs, lotisseurs ou cabinets de géomètres mandatés par eux de faire appel aux services de Solutel et d'ores et déjà, certains d'entre eux, tels Bretagne Sud Habitat (§ 43) ou le cabinet Huiban (§ 48) ont informé la société Solutel qu'ils ne feraient plus appel à elle si ce type de problème persistait. De plus, ces pratiques se sont poursuivies, dans le cas précité de l'agence Citer à Lanester, en dépit des " instructions fermes " visant à y mettre un terme que France Télécom a affirmé, en séance, avoir transmis à son unité régionale de Bretagne.
81. Les développements, exprimés en pourcentages, du chiffre d'affaires de la société Solutel sur ses deux premières années d'activité et de ses résultats doivent être interprétés en tenant compte des montants faibles de ces grandeurs. Le chiffre d'affaires de Solutel s'élevait, pour l'exercice clos le 30 juin 2006 à 27 157 euro et pour celui clos au 30 juin 2005 à 12 429 euro, et le résultat net comptable de la société au 30 juin 2006 s'élevait à 3 569 euro. Ces résultats ne peuvent faire préjuger de la rentabilité de l'entreprise comme le confirme le fait que les deux gérants ne se sont versés aucune rémunération et continuent à financer la société par des apports en compte courant depuis 2004. En outre, les difficultés rencontrées par les clients de Solutel et évoquées ci-dessus sont récentes, ayant été constatées à partir du moment où les lotissements ont été terminés et où les demandes de raccordement ont été effectuées.
82. S'agissant du tarif fixé par France Télécom pour la prestation " de fourniture du point de raccordement avec déplacement pour tout type de demande (ZAC, LOT, immeubles) ", la société Solutel s'est en effet dispensée de recourir à cette prestation parce qu'elle jugeait ce tarif excessif. C'est parce que cette prestation n'avait pas été demandée que les services de France Télécom l'ont facturée directement aux clients et n'ont pas procédé, dans les délais réglementaires, au raccordement des clients finals. De plus, dans la mesure où, à ce stade de l'instruction, il ressort du dossier que France Télécom ne s'applique pas à elle-même ce tarif et où ce tarif représente jusqu'à la moitié du tarif hors taxes qu'elle facture pour l'ensemble de la prestation de conseil, d'ingénierie et de contrôle technique des installations de télécommunications dans les lotissements, il peut être raisonnablement estimé que ni la société Solutel, ni aucun autre entrant, ne pourrait proposer sur ce marché des tarifs compétitifs par rapport à ceux de France Télécom. Le tarif excessif de la prestation de désignation du point d'adduction permettant le raccordement apparaît ainsi comme la cause directe et certaine empêchant tout concurrent de France Télécom opérant sur le marché de l'ingénierie, du conseil et du contrôle technique des installations d'entrer ou de se maintenir durablement sur ce marché si ce tarif était appliqué en l'état.
83. Il existe aujourd'hui un risque sérieux de disparition de la société Solutel, actuellement seule concurrente de France Télécom sur le marché en cause. Ce marché est d'une taille réduite et les pratiques dénoncées sont limitées à la région Bretagne, région sur laquelle Solutel a pour le moment concentré son activité. Elles sont toutefois de nature à signaler à d'autres entrants potentiels que l'entrée sur des marchés sur lesquels FT exerce un monopole de fait est difficile. Les pratiques dénoncées font obstacle au développement de toute concurrence sur ce marché et sont de nature à y maintenir un monopole de fait de France Télécom, au détriment des consommateurs.
B. SUR LES MESURES CONSERVATOIRES
84. En application des dispositions de l'article L. 464-1 du Code de commerce, les mesures conservatoires que le Conseil peut prononcer doivent rester strictement limitées à ce qui est nécessaire pour faire face à l'urgence.
85. L'atteinte grave et immédiate établie ci-dessus ne peut être prévenue que par la cessation des pratiques de dénigrement et des pratiques de discrimination de France Télécom à l'encontre de Solutel.
86. S'agissant du tarif de la prestation " de fourniture du point de raccordement avec déplacement pour tout type de demande (ZAC, LOT, immeubles) " dans son " Recueil des prestations - domaine Immobilier ", les éléments du dossier permettent de constater que ce tarif est très élevé au regard de la valeur globale de la prestation de conseil, d'ingénierie et de contrôle, mais ne permettent pas, en l'état de l'instruction, d'évaluer les tâches que les services de France Télécom doivent réaliser pour cette fourniture et les coûts moyens afférents qu'elle supporte lorsqu'elle fournit cette prestation dans le cadre de celle, plus large, de conseil, d'ingénierie et de contrôle technique des installations de télécommunications sur des terrains privés. Il y a donc lieu de suspendre l'application de ce tarif jusqu'à ce que le Conseil délibère sur le fond.
87. Il y a lieu également d'enjoindre France Télécom de fournir à Solutel le point d'adduction adéquat de nature à permettre le raccordement conformément aux obligations de résultat prévues par le CPCE dans les 15 jours suivant sa demande, d'effectuer le raccordement des utilisateurs finals sur les sites où Solutel est intervenue dans le respect du délai légal qui s'impose à elle en sa qualité d'opérateur chargé du service universel et de ne pas réclamer aux clients de Solutel ou aux résidents des sites où elle est intervenue, le paiement des prestations que Solutel a déjà réalisées.
DÉCISION
Article 1er : Il est enjoint à France Télécom de faire cesser toute pratique de dénigrement à l'encontre de la société Solutel et de s'assurer, par tout moyen, du respect de cette injonction par ses unités régionales de réseau.
Article 2 : Il est enjoint à France Télécom de suspendre, à titre conservatoire, l'application du tarif de la prestation appelée "fourniture de PR avec déplacement " dans son " Recueil des prestations - domaine Immobilier ", jusqu'à la décision au fond que prendra le Conseil.
Article 3 : Il est enjoint à France Télécom de répondre aux demandes de communication du point d'adduction permettant le raccordement que lui adressera Solutel dans les 15 jours suivant la transmission par cette dernière du plan de situation, du plan de masse et du descriptif succinct des opérations projetées ; de procéder au raccordement au réseau ouvert au public des résidents des sites sur lesquels est intervenue Solutel dans les 8 jours calendaires à compter de la date de la demande de branchement, dès lors que Solutel aura transmis à France Télécom le plan de récolement des ouvrages et leur certificat de conformité ; de faire cesser toute pratique consistant à réclamer aux clients de Solutel ou aux résidents des sites sur lesquels Solutel est intervenue, le paiement de prestations déjà réalisées par cette dernière et de s'assurer, par tout moyen, du respect de cette injonction par ses unités régionales de réseau.