CJCE, 5e ch., 12 décembre 2002, n° C-324/00
COUR DE JUSTICE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Lankhorst-Hohorst GmbH
Défendeur :
Finanzamt Steinfurt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Wathelet
Avocat général :
M. Mischo
Juges :
MM. Timmermans, Edward, Jann, Rosas
LA COUR (cinquième chambre),
1. Par ordonnance du 21 août 2000, parvenue à la Cour le 4 septembre suivant, le Finanzgericht Münster a posé, en application de l'article 234 CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 43 CE.
2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant la société Lankhorst-Hohorst GmbH (ci-après "Lankhorst-Hohorst"), qui a son siège à Rheine (Allemagne), au Finanzamt Steinfurt, une administration fiscale allemande, au sujet de la liquidation de l'impôt sur les sociétés correspondant aux exercices 1997 et 1998.
Le cadre juridique national
3. Le Körperschaftsteuergesetz (loi relative à l'impôt sur les sociétés), dans sa version en vigueur au cours des années 1996 à 1998 (ci-après le "KStG"), comporte un article 8 bis intitulé "Capitaux empruntés aux actionnaires" qui dispose ce qui suit en son paragraphe 1 :
"Les rémunérations des capitaux externes qu'une société de capitaux soumise sans limitation à l'impôt a obtenus d'un actionnaire ne bénéficiant pas du crédit d'impôt et détenant au cours de l'exercice considéré une importante participation dans le capital de la société doivent être considérées comme des bénéfices occultes distribués,
[...]
2. Dans le cas où la rémunération convenue est calculée en pourcentage du capital et où les capitaux externes dépassent en valeur, au cours de l'exercice, le triple de la participation détenue par l'actionnaire, sauf si la société de capitaux avait la possibilité d'obtenir ces capitaux externes dans des conditions par ailleurs identiques auprès de tiers ou si les capitaux externes représentent un emprunt destiné à financer des opérations bancaires ordinaires. [...]"
4. Il ressort de l'ordonnance de renvoi que, de façon générale, n'ont pas droit au crédit d'impôt, d'une part, les actionnaires non-résidents et, d'autre part, les personnes morales de droit allemand exonérées de l'impôt sur les sociétés, c'est-à-dire les personnes morales de droit public et celles exerçant une activité économique dans un secteur particulier ou assumant des missions qui doivent être encouragées.
Le litige au principal et la question préjudicielle
5. Lankhorst-Hohorst a pour activité la vente d'accessoires pour bateaux, d'articles de sports nautiques, de matériel de loisirs et de bricolage, de vêtements de loisirs et professionnels, d'objets de décoration ainsi que d'articles de quincaillerie et d'autres objets similaires. Son capital social a été porté, en août 1996, à 2 000 000 DEM.
6. Lankhorst-Hohorst a pour actionnaire unique la société Lankhorst-Hohorst BV (ci-après "LH BV"), qui a son siège aux Pays-Bas, à Sneek. L'unique actionnaire de cette dernière société est la société Lankhorst Taselaar BV (ci-après "LT BV") dont le siège est également situé aux Pays-Bas, à Lelystad.
7. Par contrat du 1er décembre 1996, LT BV a consenti à la demanderesse au principal un prêt de 3 000 000 DEM, remboursable sur dix ans par annuités de 300 000 DEM, à compter du 1er octobre 1998 (ci-après le "prêt"). Le taux d'intérêt variable s'élevait jusqu'à fin 1997 à 4,5 %. Les intérêts étaient payables en fin d'année. 135 000 DEM en 1997, puis 109 695 DEM en 1998 ont ainsi été versés à LT BV à titre d'intérêts.
8. Le prêt, qui devait faire office de capital de substitution, a été assorti d'une "Patronatserklärung" (déclaration de cautionnement) par laquelle LT BV renonçait au remboursement si la demanderesse au principal faisait l'objet de poursuites de la part de tiers créanciers.
9. Le prêt a permis à Lankhorst-Hohorst de ramener de 3 702 453,59 à 991 174,70 DEM l'emprunt qu'elle avait contracté auprès d'un établissement de crédit et de réduire ainsi la charge des intérêts qu'elle supportait.
10. Lors des exercices 1996 à 1998, le bilan de la demanderesse au principal a fait apparaître une perte non couverte par des capitaux propres, qui s'est élevée à 1 503 165 DEM pour l'exercice 1998.
11. Dans ses avis, datés du 28 juin 1999, de liquidation de l'impôt sur les sociétés correspondant aux exercices 1997 et 1998, le Finanzamt Steinfurt a considéré que les intérêts payés à LT BV étaient assimilables à une distribution de bénéfices occultes au sens de l'article 8 bis du KStG et les a imposés comme telle dans le chef de Lankhorst-Hohorst, au taux de 30 %.
12. Selon la juridiction de renvoi, l'exception prévue à l'article 8 bis, paragraphe 1, point 2, du KStG, pour le cas où la société concernée aurait également pu obtenir les capitaux externes auprès d'un tiers dans des conditions identiques, ne pouvait pas jouer en l'espèce au principal. Compte tenu de l'endettement excessif de Lankhorst-Hohorst et de son incapacité à offrir des garanties, celle-ci n'aurait, en effet, pas pu obtenir auprès de tiers un prêt similaire, accordé sans garantie et couvert par une déclaration de cautionnement.
13. Par décision du 14 février 2000, le Finanzamt Steinfurt a rejeté comme non fondée la réclamation introduite par la demanderesse au principal contre lesdits avis de liquidation de l'impôt sur les sociétés.
14. À l'appui de son recours devant la juridiction de renvoi, Lankhorst-Hohorst a fait valoir que l'octroi du prêt par LT BV constituait une tentative de sauvetage et que le versement des intérêts à celle-ci ne pouvait être qualifié de distribution déguisée de bénéfices. Elle a soutenu, en outre, que l'article 8 bis du KStG était discriminatoire compte tenu du traitement réservé aux actionnaires allemands, qui bénéficient du crédit d'impôt à la différence de sociétés telles LH BV et LT BV ayant leur siège aux Pays-Bas, et, dès lors, contraire au droit communautaire, en particulier à l'article 43 CE.
15. Lankhorst-Hohorst a ajouté qu'il y avait lieu de prendre en considération la finalité de l'article 8 bis du KStG, qui est d'empêcher les cas de fraude à l'impôt dû par les sociétés de capitaux. Or, en l'espèce au principal, le prêt aurait été accordé dans le seul but de minimiser les frais de Lankhorst-Hohorst et de réaliser d'importantes économies sur les intérêts bancaires. La demanderesse au principal a fait valoir, à cet égard, que, avant la modification du crédit bancaire, les intérêts représentaient une charge deux fois plus élevée que celle des intérêts désormais dus à LT BV. Il ne s'agirait donc pas d'un cas où un actionnaire qui n'a pas droit au crédit d'impôt cherche à éviter l'imposition due sur de véritables distributions de bénéfices en se faisant verser des intérêts.
16. Selon le Finanzamt Steinfurt, l'application de l'article 8 bis du KStG peut, certes, avoir pour résultat d'aggraver la situation de sociétés en difficulté, mais le législateur allemand aurait pris en compte cette circonstance en prévoyant à l'article 8 bis, paragraphe 2, troisième phrase, du KStG une dérogation qui n'est toutefois pas applicable en l'espèce au principal. Le Finanzamt Steinfurt a aussi soutenu que le libellé de l'article 8 bis ne permet pas de conclure que la fraude constitue l'une des conditions d'application de cet article, ce que la juridiction de renvoi confirme.
17. Nonobstant cela, le Finanzamt Steinfurt a prétendu que l'article 8 bis du KStG n'est pas contraire au principe communautaire de non-discrimination. De nombreux pays se seraient dotés de dispositions ayant un objectif similaire, notamment en vue de lutter contre les abus.
18. Le Finanzamt Steinfurt a fait valoir aussi que la distinction opérée à l'article 8 bis du KStG entre les personnes bénéficiant du crédit d'impôt et celles qui n'en bénéficient pas ne comporte pas de discrimination déguisée fondée sur la nationalité puisque les dispositions combinées de l'article 5, relatif à l'exonération de l'impôt sur les sociétés, et de l'article 51 du KStG excluraient également plusieurs catégories de contribuables allemands du droit au crédit d'impôt.
19. En outre, le principe d'unicité de l'imposition nationale et la cohérence du système fiscal allemand justifieraient l'application de l'article 8 bis du KStG dans les circonstances de l'espèce au principal.
20. Le Finanzgericht Münster émet des doutes, au vu de la jurisprudence de la Cour, sur la compatibilité de l'article 8 bis du KStG avec l'article 43 CE (voir, notamment, arrêts du 28 janvier 1986, Commission/France, 270-83, Rec. p. 273; du 29 avril 1999, Royal Bank of Scotland, C-311-97, Rec. p. I-2651, et du 26 octobre 1999, Eurowings Luftverkehr, C-294-97, Rec. p. I-7447). Il rappelle, à cet égard, que, selon la jurisprudence de la Cour, le ressortissant d'un État membre qui détient dans le capital d'une société établie dans un autre État membre une participation lui conférant une influence certaine sur les décisions de la société exerce son droit d'établissement (arrêt du 13 avril 2000, Baars, C-251-98, Rec. p. I-2787).
21. Selon la juridiction de renvoi, il existe une atteinte à la liberté d'établissement lorsqu'une filiale se voit moins bien traitée du point de vue fiscal en raison du seul fait que la société mère a son siège dans un État membre autre que celui où la filiale est établie, sans que cela ne repose sur aucune justification objective.
22. Le Finanzgericht observe, à cet égard, que la règle prévue à l'article 8 bis du KStG n'est pas directement liée à la nationalité, mais à la possibilité pour le contribuable de bénéficier du crédit d'impôt.
23. La juridiction de renvoi indique que, dans ces conditions, un actionnaire qui a son siège hors d'Allemagne est systématiquement soumis à la règle de l'article 8 bis du KStG, tandis que, parmi les actionnaires domiciliés en Allemagne, seule une catégorie bien déterminée de contribuables est exonérée de l'impôt sur les sociétés et n'a, par conséquent, pas droit au crédit d'impôt. Or, cette dernière catégorie de personnes morales ne se trouverait pas dans une situation comparable à celle de la société mère de la demanderesse au principal.
24. Quant à la justification de l'article 8 bis du KStG, la juridiction de renvoi observe que les raisons liées à la cohérence du régime fiscal ne peuvent être invoquées que lorsqu'il existe un lien direct entre l'avantage fiscal concédé à un contribuable et l'imposition du même contribuable (arrêt du Bundesfinanzhof du 30 décembre 1996, I B 61-96, BStBl. II 1997, 466, et arrêt de la Cour Eurowings Luftverkehr, précité, point 42). En l'espèce au principal, il n'existerait pas de lien de ce type.
25. Compte tenu de ce qui précède, le Finanzgericht Münster a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
"Faut-il interpréter le principe de liberté d'établissement des ressortissants d'un État membre dans le territoire d'un autre État membre, prévu à l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne dans sa version du 10 novembre 1997, comme faisant obstacle à l'application de la règle contenue à l'article 8 bis du Körperschaftsteuergesetz?"
Réponse de la Cour
26. Il convient de rappeler à titre liminaire que, selon une jurisprudence constante, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer celle-ci dans le respect du droit communautaire et, en particulier, s'abstenir de toute discrimination fondée sur la nationalité (arrêts du 11 août 1995, Wielockx, C-80-94, Rec. p. I-2493, point 16 ; du 27 juin 1996, Asscher, C-107-94, Rec. p. I-3089, point 36 ; Royal Bank of Scotland, précité, point 19 ; Baars, précité, point 17, et du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a., C-397-98 et C-410-98, Rec. p. I-1727, point 37).
Sur l'existence d'une entrave à la liberté d'établissement
27. Il convient de constater que l'article 8 bis, paragraphe 1, point 2, du KStG ne s'applique qu'aux "rémunérations des capitaux externes qu'une société de capitaux soumise sans limitation à l'impôt a obtenus d'un actionnaire ne bénéficiant pas du crédit d'impôt". Une telle restriction introduit, en ce qui concerne l'imposition des intérêts versés par des filiales à leurs sociétés mères en rémunération de capitaux externes, une différence de traitement entre filiales résidentes selon que leur société mère a ou non son siège en Allemagne.
28. En effet, les sociétés mères résidentes bénéficient, dans la grande majorité des cas, du crédit d'impôt, alors que, en règle générale, les sociétés mères étrangères n'en bénéficient pas. Ainsi qu'indiqué au point 4 du présent arrêt, les personnes morales de droit allemand exonérées de l'impôt sur les sociétés et, partant, exclues du droit au crédit d'impôt sont essentiellement des personnes morales de droit public et celles exerçant une activité économique dans un secteur particulier ou assumant des missions d'intérêt général. La situation d'une société, telle la société mère de la demanderesse au principal, exerçant une activité économique à but lucratif et soumise à l'impôt sur les sociétés ne saurait valablement être comparée à celle de cette dernière catégorie de personnes morales.
29. Il apparaît ainsi que, en vertu de l'article 8 bis, paragraphe 1, point 2, du KStG, les intérêts versés par une filiale résidente en rémunération de capitaux externes provenant d'une société mère non-résidente sont imposés comme des dividendes occultes au taux de 30 %, alors que, s'agissant d'une filiale résidente dont la société mère, bénéficiaire du crédit d'impôt, est également résidente, les intérêts versés sont traités comme des dépenses et non comme des dividendes occultes.
30. En réponse à une question posée par la Cour, le gouvernement allemand a indiqué que les intérêts versés par une filiale résidente à sa société mère également résidente, en rémunération des capitaux externes reçus de cette dernière, sont également traités fiscalement comme des dividendes occultes dans le cas où la société mère a fourni une déclaration de cautionnement.
31. Cette circonstance n'est cependant pas de nature à remettre en question l'existence d'un traitement différencié en fonction du siège de la société mère. En effet, la qualification d'un versement d'intérêts en tant que distribution occulte de bénéfices découle, s'agissant d'une filiale résidente ayant bénéficié d'un prêt d'une société mère non-résidente, directement et uniquement de l'application de l'article 8 bis, paragraphe 1, point 2, du KStG, indépendamment de l'existence ou non d'une déclaration de cautionnement.
32. Une telle différence de traitement entre filiales résidentes en fonction du siège de leur société mère constitue une entrave à la liberté d'établissement, en principe interdite par l'article 43 CE. La mesure fiscale en cause au principal rend moins attrayant l'exercice de la liberté d'établissement par des sociétés établies dans d'autres États membres, lesquelles pourraient en conséquence renoncer à l'acquisition, à la création ou au maintien d'une filiale dans l'État membre qui édicte cette mesure.
Sur la justification de l'entrave à la liberté d'établissement
33. Il convient encore de vérifier si une mesure nationale telle que celle contenue à l'article 8 bis, paragraphe 1, point 2, du KStG poursuit un objectif légitime compatible avec le traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général. Encore faudrait-il, dans une telle hypothèse, qu'elle soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, notamment, arrêts du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer, C-250-95, Rec. p. I-2471, point 26, et du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35-98, Rec. p. I-4071, point 43).
34. En premier lieu, les gouvernements allemand, danois et du Royaume-Uni ainsi que la Commission soutiennent que la mesure nationale en cause au principal est destinée à lutter contre l'évasion fiscale à laquelle aboutirait le recours au mécanisme dit "de la sous-capitalisation" ou "de la capitalisation dissimulée". Toutes choses étant égales par ailleurs, il serait fiscalement plus avantageux d'assurer le financement d'une filiale par l'emprunt plutôt que par des apports en capital. Dans ce cas, en effet, les bénéfices de la filiale sont transférés à la société mère sous la forme d'intérêts déductibles lors du calcul des bénéfices imposables de la filiale, et non sous la forme de dividendes non déductibles. Dans la mesure où la filiale et la société mère ont leur siège dans différents pays, la dette fiscale est alors susceptible d'être transférée d'un pays à l'autre.
35. La Commission ajoute que l'article 8 bis, paragraphe 1, point 2, du KStG prévoit, certes, une exception pour le cas où la société établit qu'elle aurait pu obtenir les capitaux externes auprès d'un tiers dans des conditions identiques et fixe la proportion admissible de capitaux externes par rapport aux capitaux propres. Toutefois, la Commission relève, en l'occurrence, un risque de double imposition dans la mesure où la filiale allemande est soumise à l'impôt allemand au titre des intérêts versés alors que la société mère non-résidente doit encore déclarer aux Pays-Bas, en tant que recettes, les intérêts qu'elle a perçus. Le principe de proportionnalité exigerait que les deux États membres concernés se concertent afin d'éviter une double imposition.
36. À titre liminaire, il convient de rappeler la jurisprudence constante selon laquelle la réduction de recettes fiscales ne constitue pas une raison impérieuse d'intérêt général pouvant justifier une mesure en principe contraire à une liberté fondamentale (voir arrêts du 16 juillet 1998, ICI, C-264-96, Rec. p. I-4695, point 28 ; Verkooijen, précité, point 59 ; Metallgesellschaft e.a., précité, point 59, et du 21 septembre 1999, Saint-Gobain ZN, C-307-97, Rec. p. I-6161, point 51).
37. En ce qui concerne plus spécifiquement la justification fondée sur le risque d'évasion fiscale, il importe de souligner que la législation en cause au principal n'a pas pour objet spécifique d'exclure d'un avantage fiscal les montages purement artificiels dont le but serait d'échapper à l'emprise de la législation fiscale allemande, mais vise, de manière générale, toute situation dans laquelle la société mère a son siège, pour quelque raison que ce soit, en dehors de la République fédérale d'Allemagne. Or, une telle situation n'implique pas, en elle-même, un risque d'évasion fiscale, une telle société étant en tout état de cause soumise à la législation fiscale de l'État où elle est établie (voir, en ce sens, arrêt ICI, précité, point 26).
38. Du reste, selon les constatations de la juridiction de renvoi elle-même, aucun abus n'a été établi en l'occurrence, le prêt étant effectivement intervenu pour réduire, en faveur de la demanderesse au principal, la charge des intérêts financiers résultant de son crédit bancaire. En outre, il ressort du dossier que Lankhorst-Hohorst était, pour les exercices 1996 à 1998, en perte, et ce pour des montants largement supérieurs aux intérêts versés à LT BV.
39. En second lieu, les gouvernements allemand et du Royaume-Uni soutiennent que l'article 8 bis, paragraphe 1, point 2, du KStG est également justifié par la nécessité de garantir la cohérence des régimes fiscaux applicables. Plus précisément, cette disposition serait conforme au principe de pleine concurrence, internationalement reconnu, en vertu duquel les conditions dans lesquelles des capitaux externes sont mis à la disposition d'une société doivent être comparées avec celles auxquelles la société aurait pu se procurer de tels capitaux auprès de tiers. L'article 9 de la convention modèle de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) traduirait cette préoccupation en prévoyant la réintégration de bénéfices à des fins fiscales, lorsque des transactions sont conclues à des conditions qui ne sont pas celles du marché entre des sociétés liées.
40. À cet égard, il y a lieu de relever que, dans ses arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204-90, Rec. p. I-249), et du 28 janvier 1992, Commission/Belgique (C-300-90, Rec. p. I-305), la Cour a en effet considéré que la nécessité d'assurer la cohérence d'un régime fiscal peut justifier une réglementation de nature à restreindre la libre circulation des personnes.
41. Tel n'est cependant pas le cas de la réglementation en cause au principal.
42. En effet, tandis que, dans les affaires à l'origine des arrêts précités Bachmann et Commission/Belgique, un lien direct existait, s'agissant d'un seul et même contribuable, entre la déductibilité des cotisations versées dans le cadre de contrats d'assurance contre la vieillesse et le décès et l'imposition des sommes perçues en exécution desdits contrats, lien qu'il fallait préserver en vue de sauvegarder la cohérence du système fiscal en cause, aucun lien direct de cette nature n'existe lorsque, comme en l'espèce au principal, la filiale d'une société mère non-résidente subit un traitement fiscal défavorable, sans qu'un quelconque avantage fiscal susceptible de compenser dans son chef un tel traitement ait été invoqué par le gouvernement allemand (voir, en ce sens, arrêts Wielockx, précité, point 24 ; du 14 novembre 1995, Svensson et Gustavsson, C-484-93, Rec. p. I-3955, point 18 ; Eurowings Luftverkehr, précité, point 42; Verkooijen, précité, points 56 à 58, et Baars, précité, point 40).
43. En troisième lieu, le gouvernement du Royaume-Uni, se référant au point 31 de l'arrêt Futura Participations et Singer, précité, fait valoir que la mesure nationale en cause au principal pourrait se justifier par le souci de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux.
44. Il suffit de constater, à cet égard, qu'aucun argument visant à établir en quoi la règle de qualification contenue à l'article 8 bis, paragraphe 1, point 2, du KStG est de nature à permettre aux autorités fiscales allemandes de contrôler le montant des revenus imposables n'a été invoqué devant la Cour.
45. Compte tenu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi que l'article 43 CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une mesure telle que celle contenue à l'article 8 bis, paragraphe 1, point 2, du KStG.
Sur les dépens
46. Les frais exposés par les gouvernements allemand, danois et du Royaume-Uni, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.
Par ces motifs,
LA COUR (cinquième chambre),
Statuant sur la question à elle soumise par le Finanzgericht Münster, par ordonnance du 21 août 2000, dit pour droit :
L'article 43 CE doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une mesure telle que celle contenue à l'article 8 bis, paragraphe 1, point 2, du Körperschaftsteuergesetz (loi relative à l'impôt sur les sociétés).