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Décisions

CA Rouen, 1re ch. 1er cabinet, 15 septembre 2004, n° 02-02188

ROUEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Nouvelle Depussay (Sté)

Défendeur :

SCP Guérin Diesbecq (ès qual.), Des Noes (EARL), Humez (SA), Etablissements Soetaert (Sté), De la Sebirerie (EARL), Man (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brunhes

Conseillers :

M. Perignon, Mme Holman-Jourdan

Avoués :

SCP Duval Bart, SCP Gallière Lejeune Marchand Gray, SCP Colin Voinchet Radiguet Enault, SCP Greff Peugniez

Avocats :

Mes Vandenbogaerde, Spagnol, Le Gallou, Agliny, Duteil

TGI Evreux, du 24 mai 2002

24 mai 2002

Selon facture du 24 février 1993 la société nouvelle Depussay (la société Depussay) a acquis de la société britannique Overland Spares Ltd, moyennant le prix de 16 500 livres, un tracteur de marque Massey Ferguson construit en France en 1990 dont le numéro de série était R109034. Cette société lui a remis un document faisant état d'un enregistrement par le service des transports britannique le 12 juin 1990.

La société Depussay a mis le véhicule en vente et le 17 mars 1993 la société des Etablissements Soetaert (la société Soetaert), vendeur et réparateur de machines agricoles, lui en a passé commande, le véhicule étant désigné comme un tracteur Massey Ferguson d'occasion, numéro de série R109034, vendu en l'état pour le prix de 196 000 F hors taxes (29 880,01 euro).

Ce tracteur a été livré à la société Soetaert le 26 mars 1993 ; le même jour elle a signé un document dénommé confirmation de commande, portant sur un tracteur d'occasion vendu en l'état et dont le numéro de série était précisé ; il a également été établi une facture rappelant les numéros de série et du moteur, et que le véhicule était vendu en l'état.

La société Humez, concessionnaire de la marque Massey Ferguson, à laquelle la société Depussay s'était adressée pour l'établissement de la carte grise, lui a adressé ce document par lettre du 26 mars 1993. Cette carte grise, établie le 24 mars 1993 au nom de la société Humez, faisait état d'une date de première mise en circulation le 24 mars 1993 et mentionnait sous la rubrique "n° certificat précédent" : "neuf".

A la suite d'un certificat de vente par la société Humez à la société Depussay en date du 24 mars 1993, le 6 avril 1993 une nouvelle carte grise a été émise au nom de la société Depussay, la date de première mise en circulation du 24 mars 1993 demeurant inchangée.

Selon facture du 31 mars 1993 la société Soetaert a revendu le tracteur au GAEC de la Sebirerie devenu ensuite EARL de la Sebirerie, pour le prix de 240 000 F hors taxes (36 587,76 euro) ; il était précisé sur la facture qu'il s'agissait d'un véhicule d'occasion. La carte grise au nom de ce GAEC a été établie le 30 août 1993, la date de première mise en circulation étant toujours celle du 24 mars 1993.

Le 2 novembre 1996 la société Man, vendeur professionnel de matériel agricole, a vendu au GAEC de la Sebirerie un autre tracteur, le prix de vente étant payé en partie par la reprise de son ancien tracteur.

Le 14 mars 1997 l'EARL Les Noes a passé commande à la société Man du tracteur Massey Ferguson pour le prix de 200 000 F hors taxes (30 489,80 euro) ; une facture a été établie le 9 juin 1997. Sur le bon de commande et la facture il était indiqué que le tracteur datait de 1993.

Fin octobre 1997 l'EARL des Noes a dû faire procéder à un certain nombre de réparations. A cette occasion, le réparateur l'a informée que le véhicule avait été mis en circulation pour la première fois en 1990 et non en 1993, information confirmée par la société Massey Ferguson qui a précisé que ce tracteur avait été fabriqué le 14 avril 1990 et mis en service le 17 mai 1990 auprès d'un concessionnaire anglais qui l'avait vendu à l'un de ses clients.

L'EARL des Noes a sollicité en référé une expertise. L'expert a déposé son rapport le 11 juin 1999.

Au vu de ce rapport l'EARL Les Noes, par acte du 30 juillet 1999, a assigné la société Man devant le Tribunal de grande instance d'Evreux en résolution de la vente sur le fondement des articles 1604 et 1641 du Code civil, restitution du prix de vente et paiement des diverses factures de réparations.

Par actes des 21, 24 septembre et 4 octobre 1999 la société Man a appelé en garantie le GAEC de la Sebirerie, les sociétés Depussay, Humez et Soetaert.

La société Man ayant été déclarée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce d'Evreux du 14 octobre 1999, l'EARL des Noes a déclaré sa créance auprès du liquidateur, la SCP Guérin-Diesbecq, et l'a appelé en cause.

L'EARL des Noes a ultérieurement demandé la condamnation in solidum de tous les défendeurs.

Par jugement réputé contradictoire du 18 janvier 2002, rectifié par deux jugements des 29 mars et 24 mai 2002, le tribunal a :

- prononcé la résolution de la vente et mis hors de cause les sociétés Soetaert Man et l'EARL de la Sebirerie,

- condamné in solidum les sociétés Humez et Depussay à payer à l'EARL des Noes

* la somme de 36 770,70 euro au titre du prix de vente,

* la somme de 24 434,71 euro au titre des réparations, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 1998

- donné acte à l'EARL des Noes de ce qu'elle se réservait le droit de demander réparation ultérieure de son préjudice financier et d'immobilisation,

- condamné les sociétés Humez et Depussay à lui payer la somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- condamné la société Depussay à payer à la société Soetaert la somme de 800 euro en réparation de son préjudice moral ainsi que la somme de 2 000 euro pour frais hors dépens, la société Humez étant également condamnée au paiement de cette somme de 2 000 euro,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné les sociétés Humez et Depussay aux dépens, y compris les frais d'expertise.

Le 5 juin 2002 la société Depussay a interjeté appel de ce jugement, intimant l'EARL des Noes, les sociétés Humez et Soetaert.

Par actes du 22 mars 2004 l'EARL des Noes a formé un appel provoqué contre la société Man prise en la personne de son liquidateur et ce dernier ainsi qu'à l'encontre l'EARL de la Sebirerie.

Selon ses dernières conclusions du 1er mars 2004 la société Depussay demande à la cour ;

- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

- en tout état de cause, de déclarer irrecevable et mal fondée l'action de l'EARL des Noes à son encontre, et de l'en débouter,

- de rejeter également les prétentions des sociétés Soetaert et Humez à son encontre,

- de condamner l'EARL des Noes à lui payer la somme de 3 000 euro pour procédure abusive et vexatoire, la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et aux dépens.

Aux termes de ses assignations en appel provoqué et de ses dernières conclusions du 9 avril 2004 l'EARL des Noes demande à la cour :

- de faire droit à son appel incident et à son appel provoqué,

- de déclarer les sociétés Depussay, Humez, Soetaert, Man, la SCP Guérin-Diesbecq ès qualités et l'EARL la Sebirerie responsables de son préjudice,

- en conséquence,

* de les condamner in solidum, à l'exception de la société Man et de son liquidateur, à lui payer :

- la somme de 36 770,70 euro au titre du prix de vente,

- la somme de 24 434,71 euro pour les réparations,

le tout avec intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 1998 outre capitalisation,

* de fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Man aux sommes de 36 770,70 et 24 434,71 euro avec intérêts jusqu'au jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire,

- de confirmer pour le surplus le jugement en ses dispositions non contraires,

- de condamner in solidum les sociétés Depussay, Humez, Soetaert et l'EARL de la Sebirerie à lui régler la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Par dernières conclusions du 28 avril 2004 la société Soetaert demande :

- le rejet de l'appel incident de l'EARL des Noes à son encontre et la confirmation du jugement sur sa mise hors de cause,

- subsidiairement, la condamnation de la société Depussay à la garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées au bénéfice de l'EARL des Noes,

- dans tous les cas, la condamnation de la société Depussay à lui payer la somme de 15 244,91 euro à titre de dommages et intérêts avec intérêts à compter de la décision,

- la condamnation de la société Depussay et, à défaut de l'EARL des Noes, à lui verser la somme de 3 000 euro an application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

En l'état de ses dernières conclusions du 19 janvier 2004 la société Humez demande à la cour :

- de statuer ce que de droit sur l'appel de la société Depussay à l'encontre de l'EARL des Noes,

- de faire droit à son appel incident, de la décharger de toutes condamnations et de prononcer sa mise hors de cause,

- subsidiairement, de condamner la société Depussay à la garantir de toutes condamnations,

- de condamner in solidum l'EARL des Noes et la société Depussay à lui régler la somme de 3 000 euro an application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

La SCP Guérin-Diesbecq, assignée par acte délivré à personne habilitée le 22 mars 2004, n'a pas constitué avoué.

L'EARL de la Sebirerie, assignée par acte remis le 22 mars 2004 à son gérant, n'a pas non plus constitué avoué.

Il sera statué par arrêt réputé contradictoire.

Sur ce

Vu les conclusions et les pièces.

Il convient en premier lieu de rappeler que seul le liquidateur de la société Man peut être appelé en cause, que l'appel provoqué formé par l'EARL des Noes contre la société Man prise en la personne de son liquidateur est donc sans objet.

L'EARL des Noes fait valoir qu'elle a engagé une action en garantie des vices cachés, ces vices étant antérieurs à son acquisition du tracteur intervenue le 9 juin 1997 et l'expert ayant mis en évidence les tromperies dont s'étaient rendues coupables les sociétés Humez et Depussay ; qu'elle bénéficie, en qualité de sous-acquéreur d'une action directe contre les différents vendeurs ; elle invoque également les dispositions de l'article 1645 du Code civil.

Rappelant les termes du rapport d'expertise, elle expose que les sociétés Humez et Depussay ont toutes deux contribué à l'établissement de cartes grises mentionnant une date de première mise en circulation du tracteur en 1993 et non 1990 ; elles n'ont jamais corrigé cette fausse mention et se sont abstenues de signaler que le tracteur avait été utilisé de nombreuses années en Grande Bretagne, pays dans lequel il est fréquent, dans les ventes d'occasion, de dissimuler le nombre d'heures réel d'utilisation ; ce faisant, elles se sont rendues coupables de dol dans la mesure où elle a cru acheter un tracteur mis en circulation en 1993 et n'ayant travaillé que 2 800 heures alors que l'expertise a établi qu'il datait de 1990 et avait été utilisé près de 6 000 heures, ce qui a entraîné une usure importante des pièces essentielles ; elle a donc été trompée sur les qualités substantielles du tracteur; grâce à cette tromperie sur l'âge réel du véhicule les différents revendeurs professionnels ont pu réaliser des bénéfices conséquents.

Elle soutient que les sociétés Man et Soetaert, revendeurs professionnels de matériel d'occasion, voient leur responsabilité engagée sur le fondement de l'article 1645 du Code civil, "la responsabilité de l'EARL de la Sebirerie ne pouvant concerner que l'état du tracteur atteint de vices cachés dont l'origine se situe notamment dans un défaut d'entretien qui lui est imputable au moins en partie".

Elle prétend encore que la responsabilité de la société Humez est engagée sur le fondement de l'article 1382 du Code civil puisqu'elle s'est prêtée à l'opération ayant permis la mention d'une première immatriculation en 1993 sur la carte grise.

Elle estime en conséquence que les différents défendeurs à son action sont responsables in solidum car les "sociétés défenderesses" à son action sont tenues à raison de leurs obligations contractuelles, notamment celle de fournir un tracteur exempt de vices, que par ailleurs elles ont toutes concouru à la réalisation de son préjudice.

Il convient de rappeler le contenu du rapport d'expertise sur lequel le tribunal s'est fondé pour faire droit en partie à la demande de l'EARL des Noes (qui invoquait devant lui les articles 1641 et 1604 du Code civil), retenant principalement que cet acheteur pouvait exercer l'action en garantie des vices cachés et l'action en non conformité contre un ou les vendeurs successifs, que l'établissement d'une première carte grise faisant mention d'un véhicule neuf avait été obtenu au moyen de la fausse déclaration faite par la société Humez, que la société Depussay ne pouvait opposer la limitation de garantie prévue lors de la vente à la société Soetaert en raison de sa mauvaise foi et de ses manœuvres dolosives,

L'expert a relevé à l'examen du tracteur, des pièces détachées remplacées par le réparateur et conservées par lui, un entretien insuffisant par le précédent propriétaire, une usure de la rampe des culbuteurs et des culbuteurs sur les queues de soupapes, un début de grippage sur les culbuteurs confirmant un entretien insuffisant et un nombre d'heures d'utilisation important, une usure très prononcée du mécanisme d'embrayage et du disque d'embrayage due à un usage intensif du matériel ou à une utilisation plus importante que celle annoncée à l'EARL des Noes, 2 800 heures selon les déclarations de celle-ci à l'expert, ce qui correspondait au nombre d'heures habituel pour un tracteur de quatre ans.

Il a précisé qu'aucune des factures de réparations produites par l'EARL de la Sebirerie ou l'EARL des Noes ne comportait d'indication sur le nombre d'heures d'utilisation du tracteur, que selon les déclarations de l'EARL des Noes le compteur d'heures avait été changé par la société Man peu de temps après la vente à cette EARL.

L'expert a ensuite fait différentes recherches en vue de déterminer les conditions dans lesquelles le véhicule avait été immatriculé pour la première fois en France, noté que la première carte grise avait été obtenue par la société Humez qui avait présenté un certificat de vente faisant mention d'un véhicule neuf, portant un cachet de la société Massey Ferguson et la signature de l'un de ses représentants, ces deux éléments étant faux selon les explications données par la société Massey Ferguson dans une lettre adressée à l'expert le 4 novembre 1998.

Sur la base des renseignements recueillis auprès de la société Massey Ferguson, il a mentionné qu'un tracteur pouvait être employé en Grande Bretagne 600 heures par an en moyenne, que les pneumatiques arrière pouvaient être utilisés 4 500 heures environ.

Au vu de ces éléments, de l'état du tracteur, des réparations faites par I'EAFRL de la Sebirerie et UEARL Les Noes, il a estimé que le nombre d'heures d'utilisation était environ de 6 000 heures, que les divers problèmes rencontrés lors de la réparation effectuée par l'EARL des Noes en novembre 1997 à propos de l'embrayage, la transmission au niveau du pont avant (qui avait déjà donné lieu à des réparations par le GAEC de la Sebirerie en mai 1995 et novembre 1996), la pompe hydraulique, la rampe des culbuteurs, les pignons de prise de force dénotaient une usure très prononcée traduisant un nombre d'heures bien plus important que celui indiqué à l'EARL des Noes au moment de la vente.

Il a mis en doute les déclarations de la société Depussay selon lesquelles le tracteur totalisait 1 210 heures de services lorsqu'elle l'avait réceptionné, ainsi que ses explications sur le changement de pneus auquel elle avait procédé avant la vente à la société Soetaert.

L'expert de la société Soetaert, qui a assisté cette société au cours des opérations d'expertise, a noté dans un dire adressé à l'expert que le tracteur avait fait l'objet en novembre 1997 de réparations importantes portant sur la partie haute du moteur, le pont avant, l'embrayage, le démarreur, les freins, le système hydraulique et la prise de force ; que l'état d'endommagement des pièces témoignait d'une utilisation intensive ou d'un nombre élevé d'heures contredisant les informations recueillies ; que la présence de matière charbonneuse recouvrant les culbuteurs traduisait un défaut de vidanges et de vérifications régulières du moteur.

L'EARL des Noes fait tout à la fois état d'une non conformité entre la date de première mise en circulation du tracteur et sa date réelle de fabrication, d'erreurs substantielles sur le matériel qui lui a été vendu et de l'existence de vices cachés.

Il ressort des explications techniques de l'expert judiciaire, confirmées par l'avis de l'expert de la société Soetaert, que lors de la vente conclue entre la société Man et l'EARL des Noes le véhicule présentait sans conteste un état d'usure ne correspondant pas à celui d'un tracteur présenté comme ayant été mis pour la première fois en circulation en mars 1993, que cet état en diminuait l'usage normalement attendu par l'EARL des Noes qui n'ignorait pas acheter un véhicule d'occasion mais croyait avoir acquis au vu de la carte grise un tracteur fabriqué depuis quatre années et non sept, que l'EARL des Noes ne pouvait déceler lors de la transaction ni l'âge exact du tracteur ni son usure prononcée, que ce tracteur était donc atteint de vices cachés pour lesquels elle était en droit d'exercer l'action en garantie prévue par les articles 1641 et suivants du Code civil et solliciter la résolution de la vente.

Cependant, elle ne peut détenir, en sa qualité de sous acquéreur, plus de droits contre la société Depussay que ceux détenus par la société Soetaert à l'encontre de cette dernière.

Comme le fait valoir la société Depussay, sur le bon de commande manuscrit en date du 17 mars 1993, il était indiqué que le tracteur était un tracteur d'occasion, vendu en l'état et sans garantie. Le numéro de série était aussi précisé, ce numéro, également mentionné sur la plaque constructeur, correspondant à une date de fabrication en avril 1990.

Ce numéro de série était rappelé sur le document intitulé confirmation de commande, lui aussi daté du 17 mars 1993, portant la mention "matériel vendu dans l'état tel que vu et agréé par l'acheteur" et revêtu de la signature de la société Soetaert.

Il figurait encore sur la facture du 26 mars 1993, sur laquelle il était de nouveau noté que le tracteur était vendu "dans l'état".

La société Soetaert, professionnel de la vente de matériels agricoles, savait parfaitement qu'elle avait acquis de la société Depussay le 17 mars 1993 un véhicule d'occasion non garanti et, ainsi que l'observe la société Depussay, elle connaissait la signification du numéro de série porté sur le bon de commande, sur la confirmation de commande et la facture d'achat.

La première carte grise, mentionnant une date de première mise en circulation inexacte, a été établie le 24 mars 1993, soit postérieurement à la vente conclue entre ces deux sociétés.

La société Soetaert a réglé une somme de 29 880,01 euro en contrepartie de son acquisition. Elle a perçu, à l'occasion de la vente au GAEC de la Sebirerie intervenue moins de quinze jours après son achat, une somme de 36 587,76 euro hors taxes (240 000 F) alors que, selon son propre expert, un tracteur neuf valait en juin 1990 environ 43 734,71 euro hors taxes (300 000 F) et en mars 1993 50 308,18 euro (330 000 F), valeurs dont elle était nécessairement informée compte-tenu de sa qualité de revendeur professionnel.

Si, comme elle soutient, elle ignorait l'inexactitude de la date de première mise en circulation portée sur la carte grise établie au nom de la société Humez puis de la société Depussay et s'y serait fiée de bonne foi, elle n'aurait pas manqué alors de réclamer à son acheteuse le prix représentant celui d'un tracteur neuf, non un prix inférieur de 13 720,41 euro à la valeur d'un véhicule neuf.

Son propre expert a d'ailleurs admis que si le millésime 1990 n'était pas indiqué sur la facture de la société Depussay, il n'y avait jamais eu de discussion sur ce point.

Même si la société Depussay a, pour des motifs confus, tenant selon elle à la difficulté de bénéficier rapidement à l'époque d'un certificat d'immatriculation pour un véhicule importé, recouru aux services de la société Humez pour obtenir un tel certificat et n'a pas fait le nécessaire pour rectifier l'erreur qu'il comportait, il n'en demeure pas moins qu'elle n'a jamais prétendu avoir vendu à la société Soetaert un tracteur fabriqué en 1993 et que celle-ci a bien entendu lui acheter un véhicule d'occasion.

Par ailleurs, le tracteur a été vendu à la société Soetaert sans garantie, il ne ressort pas du rapport d'expertise qu'au moment de la vente il présentait un état d'usure supérieur à celui que pouvait en déduire la société Soetaert à travers les éléments portés à sa connaissance par son vendeur et qu'elle n'aurait pas été en mesure de déceler en dépit de ses compétences en la matière. Il n'était donc pas atteint de vices cachés lors de cette vente.

Par conséquent, l'EARL des Noes ne peut, en sa qualité de sous acquéreur, rechercher la garantie de la société Depussay pour les vices cachés.

Ainsi que le fait valoir la société Humez, elle n'a jamais eu la qualité de vendeur du tracteur et l'EARL des Noes ne pourrait rechercher sa responsabilité qu'à raison d'une faute lui ayant occasionné un préjudice.

Si l'EARL des Noes a pu légitimement penser, sur la base des indications erronées mentionnées sur la carte grise établie par l'intermédiaire de la société Humez à la demande de la société Depussay, que le véhicule acheté datait de 1993, la société Humez souligne justement que la société Soetaert ne pouvait se méprendre sur l'âge réel de ce tracteur.

C'est cette société et la société Man, toutes deux professionnelles de la vente de matériel agricole, tenues en application de l'article 1645 du Code civil, de connaître les vices cachés affectant le tracteur, qui ont vendu à leurs clientes respectives un véhicule plus ancien que celui que leurs clientes croyaient acquérir, présentant un état d'usure sans comparaison avec celui normalement attendu d'un tracteur construit en mars 1993 et à l'origine des défauts mis en évidence au cours de l'expertise.

C'est donc à tort que le tribunal a jugé que la société Humez devait être condamnée à indemniser l'EARL des Noes du prix de vente et du coût des réparations nécessitées par les vices cachés affectant le tracteur, et qu'il a mis hors de cause la société Soetaert et la société Man.

En raison de l'infirmation des condamnations prononcées contre la société Humez, sa demande subsidiaire de garantie par la société Depussay est sans objet.

C'est en revanche à bon droit que le tribunal a mis hors de cause l'EARL de la Sebirerie.

En effet, il ressort des énonciations qu'elle a portées en barrant la carte grise du tracteur lors de sa vente à la société Man qu'elle a déclaré vendre le véhicule en l'état où il se trouvait.

N'étant pas une professionnelle de la vente de matériel agricole d'occasion et n'étant pas en mesure, compte-tenu des éléments précédemment exposés, de connaître l'état d'usure avancé du tracteur tant lors de son acquisition que de sa cession à la société Man, elle pouvait parfaitement s'exonérer de la garantie des vices cachés affectant le véhicule lors de la vente, l'expertise ne permettant pas de conclure que l'usure anormale du tracteur aurait été favorisée par un défaut d'entretien de sa part.

La société Soetaert doit donc être condamnée à payer à l'EARL des Noes le prix de vente du véhicule TTC (36 770,70 euro) et, à titre de dommages et intérêts, le montant des réparations exposées par cet EARL en raison des vices cachés affectant le tracteur et dont le montant n'est pas contesté (24 434,71 euro, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 1999, date de l'assignation au fond, outre capitalisation à compter du 2 mai 2003, date des premières conclusions comportant cette demande.

La société Man étant en liquidation judiciaire, il n'y a lieu qu'à fixation de créance à son égard.

L'EARL des Noes a déclaré sa créance pour le prix de vente TTC, soit 36 770,70 euro, pour la somme de 9 983,02 euro (65 484,34 F) au titre des réparations, les intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 1998, les autres sommes étant portées pour mémoire, sauf les frais d'expertise. Sa créance doit donc être fixée à la somme de 46 753,72 euro majorée des intérêts au taux légal du 30 juillet 1999 au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective.

La société Soetaert ne peut, pour les raisons déjà exposées, demander à être garantie par la société Depussay des condamnations prononcées contre elle.

Elle ne peut davantage lui réclamer des dommages et intérêts en réparation d'un préjudice qu'elle aurait subi de son fait ; le jugement sera également infirmé sur ce point.

La société Depussay ne caractérise pas un abus de procédure de la part de l'EARL des Noes ; elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre,

Compte-tenu de l'issue du litige, le jugement doit être infirmé sur les condamnations aux dépens et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Soetaert et la SCP Guérin-Diesbecq, prise en sa qualité de liquidateur de la société Man, seront condamnées aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise.

La société Soetaert devra également payer une somme de 3 000 euro à l'EARL des Noes pour ses frais hors dépens, et elle sera déboutée de sa demande à ce titre.

L'équité ne commande pas que l'EARL des Noes soit condamnée à indemniser la société Depussay et la société Humez de leurs frais hors dépens.

Enfin, compte-tenu de l'infirmation du jugement sur les condamnations prononcées contre la société Depussay, la société Humez doit être déboutée de sa demande contre elle sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs, Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, Reçoit les appels, Confirme le jugement en ce qu'il a prononcé la résolution de la vente et donné acte à l'EARL des Noes de ses réserves, L'infirme pour le surplus, Condamne la société Soetaert à payer à l'EARL des Noes les sommes de 36 770,70 euro et 24 434,71 euro avec intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 1999, outre capitalisation dans les conditions fixées par l'article 1154 du Code civil, le point de départ des intérêts capitalisés étant le 2 mai 2003, Fixe la créance de l'EARL des Noes au passif de la liquidation judiciaire de la société Man à la somme de 46 753,72 euro avec intérêts au taux légal à compter du 30 juillet 1999 jusqu'au jour du jugement prononçant la liquidation judiciaire, Condamne la société Soetaert à payer à l'EARL des Noes la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Soetaert et la SCP Guérin-Diesbecq, en sa qualité de liquidateur de la société Man, aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais d'expertise ; accorde aux avoués de la cause droit de recouvrement dans les conditions prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.