CA Colmar, 1re ch. civ. A, 20 janvier 2004, n° 01-01403
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Gross, Mauhin (ès qual.)
Défendeur :
G3B (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Hoffbeck
Conseillers :
Mme Vieilledent, M. Die
Avocats :
Mes Lévy, Laissue-Stravopodis
La SARL G3B exploite à Sélestat, un fonds de commerce de restaurant bar à l'enseigne "Le Tigre".
Le 8 janvier 1998, elle a commandé à M. Raphaël Gross, exerçant une activité de vente, installation, réparation de systèmes de boissons, sous le nom commercial "lntelligence Connectic", une installation de contrôle de débit de boissons, pour un prix de 200 000 F TTC. Le financement de ces appareils devait être assuré par contrat de crédit-bail qui a effectivement été conclu avec la Banque Populaire de la Région Economique de Strasbourg le 30 janvier 1998.
Le 27 janvier 1998, la SARL G3B a signé le procès-verbal de livraison du matériel commandé qui ne lui a, en réalité, été que partiellement fourni les 13 octobre 1998 et 25 novembre 1998, et qui n'a jamais correctement fonctionné.
Le 17 juin 1999, la SARL G3B a fait assigner M. Raphaël Gross à comparaître devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg, chambre commerciale, pour obtenir paiement d'une somme de 100 000 F - portée à 150 000 F dans ses conclusions récapitulatives - en réparation du préjudice subi, outre 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
M. Raphaël Gross a conclu au débouté de la demanderesse et à sa condamnation au paiement d'une somme de 15 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par jugement prononcé le 8 mars 2001, le tribunal a condamné M. Raphaël Gross à payer à la SARL G3B la somme de 60 000 F à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement et exécution provisoire. Il a également condamné M. Raphaël Gross aux dépens et au paiement de la somme de 12 000 F par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Le tribunal a constaté qu'un an après la conclusion du contrat, la SARL G3B n'était toujours pas en possession de l'installation commandée, et qu'en dépit d'une assignation et d'une ordonnance du juge de la mise en état lui enjoignant, sous astreinte de 500 F par jour de retard, de livrer le matériel manquant, M. Raphaël Cross n'avait pas satisfait à son obligation contractuelle. Il a également relevé que la connexion de la machine à cocktail à la caisse et le logiciel de gestion des stocks ne fonctionnaient pas, que loin de répondre aux performances annoncées, l'installation imposait à l'acquéreur de multiples manipulations et pertes de temps. Il a considéré qu'au regard du prix global du matériel, de l'importance des frais financiers supportés par la SARL G3B et du trouble commercial généré par ces dysfonctionnements, le préjudice de la demanderesse pouvait être évalué à 60 000 F.
Suivant déclaration enregistrée au greffe le 20 mars 2001 M. Raphaël Gross a interjeté appel de ce jugement.
Le 3 mars 2003, le Tribunal de grande instance de Strasbourg, chambre commerciale, a prononcé la liquidation judiciaire de M. Raphaël Gross, désigné Maître Jean-Denis Mauhin en qualité de liquidateur judiciaire et a provisoirement fixé la date de cessation des paiements au 30 septembre 2002.
La SARL G3B a déclaré sa créance le 26 mars 2003 et fait assigner Maître Jean-Denis Mauhin, par acte signifié le 22 octobre 2003, à personne présente à l'adresse indiquée dans l'acte.
Maître Jean-Denis Mauhin n'a pas constitué avocat postérieurement à son assignation.
Suivant conclusions récapitulatives avec appel incident du 15 septembre 2003, la SARL G3B demande à la cour :
- de déclarer l'appel irrecevable et en tous cas injustifié ;
- de débouter M. Raphaël Gross représenté par son liquidateur de l'ensemble de ses prétentions ;
- de le condamner aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel, de la procédure d'appel incident, et de la procédure ayant abouti à l'ordonnance du juge de la mise en état du 4 avril 2000 ;
- de prononcer la résiliation du contrat ou la résolution judiciaire et de lui donner acte de ce qu'elle tient à disposition de M. Raphaël Gross le matériel livré à la suite de la commande du 8 janvier 1998 après règlement de la somme de 35 687,45 avec intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir et de la somme de 9 145,94 allouée à titre de dommages et intérêts par le premier juge ;
- de condamner M. Raphaël Gross au paiement des sommes de 35 687,45 avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir et de 9 146,94 avec intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2001 ou de fixer la créance de la SARL G3B à ces montants en disant qu'ils seront inscrits sur l'état des créances de la liquidation judiciaire de M. Raphaël Gross ;
- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à la SARL G3B la somme de 12 000 F (ou 1 829,39) à titre d'indemnité de procédure ;
- de condamner M. Raphaël Gross au paiement d'une somme de 6 710 par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ou de fixer la créance de la SARL G3B à ce montant, en disant qu'il sera inscrit sur l'état des créances de la liquidation judiciaire de M. Raphaël Gross.
Subsidiairement:
- d'ordonner une expertise judiciaire aux frais avancés de M. Raphaël Gross et de réserver les droits de la SARL G3B à conclure après dépôt du rapport d'expertise.
La SARL G3B fait tout d'abord observer que les factures dont Maître Jean-Denis Mauhin a fait état pour réclamer paiement d'une somme de 19 014,13 ne correspondent à aucune prestation, ne sont pas causées et n'ont pas d'objet. Elles doivent en conséquence être rejetées, étant rappelé que M. Raphaël Gross a été réglé de la totalité du matériel commandé avant même sa livraison.
Elle ajoute que les conclusions du rapport d'expertise auquel elle a fait procéder par M. Steib, confirment l'absence de certains éléments de l'installation (rampe de bouteilles) et les dysfonctionnements et non conformités déjà relevés par le tribunal.
Elle soutient en revanche que le préjudice subi est bien plus important que celui qui a été admis par les premiers juges. Ainsi :
- pour la période d'avril 1998 à octobre 1998 (soit avant toute livraison) : les frais financiers inutiles auxquels elle a dû faire face se sont élevés à 15 479,06 F (soit 2 359,77) ;
- pour la période d'octobre 1998 à décembre 1998 : les frais financiers sur matériel non livrés se sont encore élevés à 8 790,73 F ;
- pour la période de janvier 1999 à la livraison de la rampe : ces frais ont totalisé de 39 558,32 F ;
soit une somme définitive de 106 423,07 F ou 16 224,09 euro si l'on ajoute à cela le manque à gagner qui est résulté des dysfonctionnements de l'installation litigieuse, le préjudice effectivement subi est largement supérieur à 200 000 F (ou 30 489,80 euro). Compte tenu des intérêts écoulés du 4 avril 1998 (date contractuelle prévue pour la livraison) au 15 décembre 2002 (date d'ouverture de la procédure collective à l'égard de M. Raphaël Gross, la créance de la SARL G3B s'élève à 234 094,33 F ou 35 687,45 euro.
Au regard de la carence totale de M. Raphaël Gross, la SARL G3B estime être également en droit de solliciter la résiliation ou la résolution pure et simple du contrat se déclarant prêt à restituer le matériel après paiement de la somme qui lui est due, soit 35 687,45 en sus de la somme de 9 146,94 euro allouée par les premiers juges.
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées au dossier et les mémoires des parues auxquels la cour se réfère pour plus ample exposé de leurs moyens ;
Sur l'appel de M. Raphaël Gross
Lorsque M. Raphaël Gross a interjeté appel, le 20 mars 2001, du jugement prononcé le 8 mars 2001 par la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg, l'appelant était encore in bonis. En effet, le jugement ouvrant la procédure de liquidation judiciaire à son égard date du 3 mars 2003.
A défaut d'autre moyen soulevé par la SARL G3B ou de cause d'irrecevabilité d'ordre public résultant des pièces et/ou de procédure, il y a lieu de déclarer cet appel recevable.
Toutefois, à compter du 3 mars 2003, seul le liquidateur judiciaire avait qualité et pouvoir pour reprendre la procédure déclarée interrompue à la suite du prononcé du jugement d'ouverture. Dans la mesure où, bien que régulièrement assigné, Maître Jean-Denis Mauhin n'a pas constitué avocat devant la cour, l'appel formé par M. Raphaël Gross doit être considéré comme non soutenu.
Sur l'appel incident de la SARL G3B
Il importe de relever :
- en premier lieu, que la SARL G3B a déclaré une créance de 48 596,18 euro au passif de la liquidation judiciaire de M. Raphaël Gross ;
- en second lieu, qu'elle a modulé le fondement juridique de sa demande puisqu'en première instance il ne s'agissait pour la SARL G3B que d'obtenir la livraison complète de l'installation et la réparation du ou des dommages causés par ses dysfonctionnements, alors qu'en appel la demande principale tend à la résolution de la vente.
A cet égard, il apparaît utile de rappeler qu'une telle demande est recevable au regard des dispositions de l'article L. 621-40 du Code de commerce dès lors qu'il ne s'agit pas de solliciter la résolution du contrat pour "défaut de paiement d'une somme d'argent".
Sur le fond, il ressort des motifs du jugement entrepris, mais aussi du rapport d'expertise privé de M. Steib, régulièrement versé aux débats, que "l'installation livrée et installée par Intelligence Connectic n'est pas capable de remplir sa fonction" : non seulement le système ne réalise pas le service des boissons à partir des commandes passées depuis la caisse (comme il est censé le faire), mais en outre, l'absence de rampe de contrôle des 22 bouteilles de sirop et d'alcool sirupeux (jamais livrée) empêche le fonctionnement du système de contrôle de boissons. L'expert privé a également souligné :
- une méconnaissance totale et flagrante des obligations réglementaires relatives aux liaisons équipotentielles (décret n° 88-1056 du 14 novembre 1988) ;
- la non-conformité aux règles de l'art de la liaison informatique qui est à l'origine des importants dégâts causés à l'installation par l'orage du 1er août 2000 (alors que les autres équipements du bar n'ont subi aucune dégradation).
Ces conclusions, corroborées par les constatations de Maître Pierre Schneider, huissier de justice à Sélestat, dans un procès-verbal du 6 juin 2000, rendent toute expertise judiciaire superflue. Elles attestent suffisamment de ce que l'installation litigieuse, non seulement ne peut fonctionner conformément à sa destination en raison du défaut de livraison de l'une de ses éléments (article 1610 du Code civil), mais qu'en outre elle présente des vices incompatibles avec une utilisation normale (article 1641 du Code civil), et ce en dépit des interventions réitérées de l'entreprise Intelligence Connectic.
La demande de résolution est en conséquence suffisamment justifiée et il y a lieu d'y faire droit.
Sur les conséquences de cette décision, l'article 1646 du Code civil dispose :
"Si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix et à rembourser les frais occasionnés par la vente."
En l'espèce, il n'est pas même allégué que M. Raphaël Gross connaissait les vices affectant l'installation, s'agissant d'un matériel neuf présenté comme de haut de gamme par un fournisseur avec lequel les dirigeants de la SARL G3B entretenaient des relations anciennes et "excellentes", et dont il n'est apparu qu'à l'usage qu'il ne répondait pas à sa destination.
Il en résulte qu'outre la restitution du prix, M. Raphaël Gross ne peut être tenu qu'au remboursement des frais occasionnés par la vente, c'est-à-dire au coût du contrat de crédit-bail, qui selon pièce justificative produite s'est élevé à 5 197,65 euro.
La SARL G3B est en revanche mal fondée à réclamer en sus, le versement des dommages et intérêts alloués par le premier juge sur un autre fondement juridique et qui :
- d'une part intégraient déjà en partie les frais financiers qui ont été alloués à la SARL G3B ;
- d'autre part, indemnisaient des dommages dont l'acquéreur n'auraient pu obtenir réparation qu'en rapportant la preuve de la mauvaise foi du vendeur (article 1645 du Code civil).
Au regard de la procédure de liquidation judiciaire en cours, la SARL G3B ne peut obtenir condamnation de M. Raphaël Gross au paiement des sommes allouées mais seulement la fixation de sa créance en vue de son inscription au passif (article L. 621-41 du Code de commerce).
Il y a également lieu de donner acte à l'appelante de son engagement à restituer le matériel après obtention des fonds qui lui sont dus, tout en observant que cette obligation n'est que la conséquence de la résolution du contrat qu'elle a sollicitée.
Il appartient à M. Raphaël Gross qui succombe de supporter les dépens de première instance et d'appel. Il est également justifié de faire droit aux prétentions de la SARL G3B fondées sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Une somme de 2 000 lui sera allouée de ce chef.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, et par arrêt par défaut, après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare l'appel principal et l'appel incident réguliers et recevables en la forme ; Au fond : Réforme le jugement entrepris ; Et statuant à nouveau : Prononce la résolution du contrat conclu le 8 janvier 1998 entre la SARL G3B et M. Raphaël Gross exploitant sous le nom commercial Intelligence Connectic ; Fixe le montant de la créance de la SARL G3B à l'égard de M. Raphaël Gross liquidation judiciaire à la somme de 35 687,45 euro (trente cinq mille six cent quatre vingt sept euro et quarante cinq centimes) avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; Donne acte à la SARL G3B de son engagement de restituer le matériel qui lui a été livré par M. Raphaël Gross en exécution du contrat dont la résolution a été prononcée, dès réception des fonds qui lui sont dus ; Dit que l'intégralité des dépens de première instance et d'appel sont à la charge de M. Raphaël Gross, et qu'ils seront considérés comme frais privilégiées de la procédure collective ; Fixe à 2 000 euro(deux mille euro) la créance de la SARL G3B à l'égard de M. Raphaël Gross, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.