CA Nîmes, ch. civ., 6 mai 2004, n° 02-03451
NÎMES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Crochepierre (Consorts)
Défendeur :
Gabotto (Epoux), Territo, Larguier, Gangolf
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ottavy
Conseillers :
Mmes Brissy-Prouvost, Ponsard
Avoués :
SCP Aldebert-Pericchi, SCP Fontaine-Macaluso Jullien, SCP Pomies Richaud Vajou, SCP Pomies Richaud Vajou, SCP Curat-Jarricot
Avocats :
Mes Petricoul, Harnist, SCP Allheilig Galzin, Selarl Pujol-Lafon-Marty-Cases, SCP Vezon-Raoult
Faits, procédure, prétentions et moyens des parties
Les faits constants
Courant 1954, les époux Tournaire ont fait bâtir une maison d'habitation située commune de Bessèges (30). Le permis de construire et le certificat de conformité délivré par la mairie le 6 septembre 1956 font état d'une fosse étanche.
Ce bien a ensuite subi les mutations suivantes :
- acte du 29 juillet 1986 : échange par les époux Gangolf au profit des époux Territo,
- acte en date des 13 et 19 juillet 1989 : vente par les époux Territo aux consorts Crochepierre au prix de 536 000 F,
- acte du 20 juin 2000 : vente par les consorts Crochepierre aux époux Gabotto pour le prix de 114 336,76 euro,
- acte du 7 mai 2003 : vente par les époux Gabotto aux époux Smit pour la somme de 175 000 euro.
La procédure
Se plaignant d'une absence de fosse septique en dépit des affirmations de leurs vendeurs, les époux Gabotto ont, sur le fondement des articles 1644 et 1648 du Code civil, saisi le tribunal d'une demande en paiement de la somme de 45 635,46 F hors taxes correspondant au coût d'une telle installation.
Par décision du 16 août 2001 "susceptible d'appel sur autorisation du Premier Président", le premier juge a ordonné une expertise et réservé les dépens (jugement 1 - procédure Crochepierre/Gabotto - n° 3451-02).
L'expert Boissier a déposé son rapport le 8 mars 2002. Il a constaté l'existence d'une fosse étanche, qui ne l'est d'ailleurs plus, et qui n'est pas conforme aux règlements en vigueur (arrêté du 3 mars 1987 - règlement sanitaire départemental du 15 septembre 1983). Il a chiffré le coût de l'installation d'une fosse septique à la somme de 8 087,32 euro TTC.
Les consorts Crochepierre ont obtenu, par ordonnance de référé du 25 avril 2002, que les opérations d'expertise soient rendues communes aux ex-époux Territo, leurs vendeurs qu'ils ont appelé en garantie.
Mais, par acte du 26 avril 2002, la jonction des procédures leur a été refusée de sorte que la décision du 25 avril 2002 est demeurée vaine.
Par jugement en date du 6 juin 2002 (jugement 2 - procédure Crochepierre/Gabotto - n° 02-3451), le tribunal, passant outre à la demande de sursis à statuer formulée par les consorts Crochepierre (qui n'avaient pas conclu au fond), a condamné ceux-ci à payer aux époux Gabotto la somme de 6 765 euro correspondant aux frais (diminués) d'installation d'une fosse septique.
Mais, par décision du 8 août 2002 (jugement 3 - procédure Crochepierre/Territo - n° 02-4203), le même tribunal, faisant référence au rapport préliminaire de l'expert indiquant qu'il existe bien une fosse septique, a débouté les consorts Crochepierre de leur appel en garantie contre Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo et les a condamnés à leur verser la somme de 762 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens.
Il convient enfin d'indiquer que le 19 septembre 2002 le tribunal a rendu une décision de désistement d'instance acceptée dans la procédure engagée par Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo contre Elise Pin veuve Gangolf.
Les prétentions et moyens des parties
Les 26 juin 2002 et 25 septembre 2002, les consorts Crochepierre ont interjeté appel des jugements 1 et 2 puis 3 en faisant valoir :
- que leur appel du jugement 1 est recevable puisque toutes les correspondances échangées entre avocats sont couvertes par le secret professionnel, et donc celle en date du 17 septembre 2001 invoquée par les époux Gabotto pour établir leur acquiescement à cette décision,
- que l'acte de vente du 20 juin 2000 comporte une clause de non-garantie parfaitement légale et qu'il appartient aux acquéreurs de prouver que s'ils avaient appris la non-conformité de la fosse septique, ils auraient payé un moindre prix,
- que les époux Gabotto ont, sans avoir fait réparer la fosse septique, cédé leur immeuble à un prix supérieur à celui d'acquisition et que l'acte de vente ne porte pas mention du procès en cours.
Ils prient la cour :
* à titre principal :
- d'ordonner la jonction des trois appels (dossier n° 02-3451 et dossier n° 02-4203),
- de déclarer appelables les jugements 1 et 2,
- de réformer les trois décisions entreprises et débouter les époux Gabotto de leur demande,
- de les condamner à payer une somme de 2 300 euro à titre de dommages - intérêts pour procédure abusive,
* à titre subsidiaire :
- de dire que Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo devront les relever garantir de toutes condamnations prononcées à leur encontre au profit des époux Gabotto,
- de condamner les époux Gabotto à payer une somme de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles, ainsi que les entiers dépens dont les frais d'expertise, les dépens d'appel étant distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Les époux Gabotto répondent :
- que le jugement 1, dans lequel il était déclaré que les articles 1641 et 1644 du Code civil étaient applicables à l'espèce, est devenu définitif puisque les appelants y ont acquiescé expressément par courrier du 17 septembre 2001 valant acte de procédure et ont exécuté sans réserve la mesure d'expertise,
- que les développements des consorts Crochepierre dans la procédure n° 02-4203 n'ont rien à voir avec le problème les concernant,
- que l'expert Boissier a formellement indiqué qu'il n'existe pas de fosse septique mais une fosse initialement étanche qui ne l'est plus puisque les effluents se rejettent dans le sous-sol sans dispositif contrôlable et sans aucun traitement préalable,
et prient la cour de :
- dire que les appels ne seront pas joints,
- confirmer le jugement 2 sauf à augmenter leur indemnité à la somme de 8 087,32 euro avec intérêts de droit à compter du jour du dépôt du rapport de l'expert, soit le 8 mars 2002,
- condamner les consorts Crochepierre à payer la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et les entiers dépens (dont les frais d'expertise), ceux d'appel distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.
Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo concluent :
- in limine litis, et s'agissant d'une action en garantie d'un vice caché affectant un bien immobilier, à l'incompétence du tribunal d'instance au profit du Tribunal de grande instance d'Ales,
- à titre principal, à confirmation du jugement 3 compte tenu tant de la clause de non-garantie des vices cachés contenue dans l'acte notarié des 13 et 19 juillet 1989 que de la vétusté affectant la fosse litigieuse, et à la condamnation des consorts Crochepierre à paiement de la somme de 2 500 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et des entiers dépens,
- à titre subsidiaire, à la garantie par Madame Gangolf, appelée en intervention forcée devant la cour, de toutes condamnations prononcées à leur encontre et à sa condamnation à paiement de la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que des entiers dépens.
Enfin, Elise Gangolf fait remarquer que, tenue dans l'ignorance des prétentions des époux Gabotto, elle ne peut utilement se défendre au fond et demande à la cour :
- de déclarer irrecevable, en l'absence d'évolution du litige postérieurement aux jugements déférés, l'assignation en intervention forcée dirigée contre elle,
- subsidiairement, de se déclarer incompétente, s'agissant d'une action de nature immobilière, et, en l'état tant de la clause contractuelle de non- garantie que de la vétusté de l'installation dont elle n'est plus propriétaire depuis 16 ans, de débouter les ex-époux Territo de leur demande, de les condamner à payer la somme de 2 000 euro à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive outre celle de 1 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.
Motifs de l'arrêt
Sur la demande de jonction des procédures 02-3451 et 02-4203
Attendu que ces procédures présentent entre elles des liens tels qu'il convient, dans un souci de logique et de bonne administration de la justice, de statuer par un seul arrêt ;
Qu'en conséquence, il convient d'ordonner leur jonction sous le numéro 02-3451 ;
Sur la qualification du jugement en date du 16 août 2001 (jugement 1 - procédure 3451-02) et la recevabilité de l'appel de ce jugement par les consorts Crochepierre
Attendu, en droit, qu'il ne peut être tenu compte, pour l'application des textes du nouveau Code de procédure civile sur l'appel immédiat des jugements avant dire droit, de dispositions qui, eussent-elles présenté un caractère décisoire, n'étaient pas comprises dans le dispositif lui-même ;
Attendu, en l'espèce, qu'en dépit du fait que, dans les motifs de sa décision, le premier juge ait indiqué que les dispositions des articles 1641-1644 du Code civil étaient applicables, l'énoncé du dispositif ainsi rédigé : "par jugement susceptible d'appel sur autorisation du Premier Président, ordonne une expertise..., dit que le technicien... Dit que les défendeurs... Réserve les dépens" ne laisse aucun doute sur la qualification de décision avant dire droit ;
Qu'il en résulte que ce jugement 1 est appelable en même temps que celui rendu sur le fond (jugement 2) ;
Attendu que dans leurs conclusions (comportant des contradictions sur ce premier point), les époux Gabotto invoquent, en violation du secret professionnel édicté par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1991, un acquiescement des consorts Crochepierre à ce jugement contenu dans un courrier du 17 septembre 2001 adressé par l'avocat les ayant représentés devant le tribunal d'instance à leur propre conseil ;
Que, selon une jurisprudence établie, il ne saurait être davantage considéré que la participation des consorts Crochepierre aux opérations d'expertise vaut acquiescement au jugement 1 ;
Attendu, en définitive, que l'unique appel interjeté par les susnommés à l'encontre du jugement 1 ayant seulement ordonné expertise et du jugement 2 sur le fond doit être déclaré recevable ;
Sur l'action en garantie des vices cachés intentée par les époux Gabotto contre les consorts Crochepierre (procédure 02-3451)
Attendu, en droit, qu'une clause de non-garantie des vices cachés ou apparents incluse dans un acte de vente n'est pas exorbitante du droit commun ;
Qu'il faut seulement que le vendeur ne soit pas de mauvaise foi c'est-à-dire qu'il n'ait pas connu le vice affectant la chose et dont il se serait gardé d'avertir son contractant ;
Qu'une simple erreur ou négligence de la part du vendeur n'est pas assimilable à la mauvaise foi dont la preuve incombe à l'acquéreur qui doit aussi établir le vice caché et ses différents caractères ;
Attendu, selon l'acte de vente du 20 juin 2000 (page 6), que la mutation a lieu sous la condition suivante "prendre le bien dans son état au jour de l'entrée en jouissance sans recours contre l'ancien propriétaire pour quelque cause que ce soit ; et notamment... ; comme aussi sans recours contre l'ancien propriétaire.... ; pour les vices de toute nature, apparents ou cachés ;..."; qu'il s'agit donc d'une clause extensive de non-garantie qui couvre les éléments d'équipement tel qu'une fosse ;
Attendu, selon le rapport d'expertise non critiqué par les parties, que les vendeurs ont indiqué verbalement qu'il existait une fosse septique alors qu'existe seulement une fosse, autrefois étanche, ce système d'évacuation des eaux usées ou vannes n'étant pas conforme à la réglementation en vigueur depuis 1982 ;
Mais attendu qu'il ressort de la correspondance échangée entre les parties avant la procédure que Monsieur Gabotto, ancien expert, a visité la maison à deux reprises avant l'achat ; qu'il n'a pas estimé utile de faire mentionner dans l'acte de vente l'existence d'une fosse septique au sujet de laquelle il n'a demandé aucun renseignement à son vendeur ; que, d'ailleurs, il a utilisé la maison telle qu'acquise, avant sa revente, largement bénéficiaire, et n'a pas remédié à ce problème ;
Attendu, par ailleurs, que de cette même correspondance, il résulte que Monsieur Crochepierre, ancien boulanger, ignorant l'emplacement de la fosse septique, a spontanément contacté l'ancien propriétaire dont il a fourni l'adresse à Monsieur Gabotto ; que ces courriers révèlent également une importante différence de culture entre les parties au profit de l'acquéreur; qu'en toute bonne foi, Monsieur Crochepierre, reprenant les déclarations verbales de son propre vendeur (cf. conclusions des consorts Crochepierre), a pu ignorer la différence entre une fosse étanche et une fosse septique ;
Qu'enfin, le défaut de conformité aux règlements en vigueur, n'est pas en tant que tel un vice caché ;
Qu'au vu de ces éléments, il convient donc de considérer que la mauvaise foi alléguée à l'encontre des consorts Crochepierre n'est pas établie étant ajouté que, si tel était le cas, ceux-ci ne reconnaîtraient pas, dans la présente instance, avoir fait état d'une fosse septique lors de la vente puisque cette indication est demeurée verbale ;
Attendu, dans ces conditions, que les jugements 1 - 2 seront infirmés et que les époux Gabotto seront déboutés de leur action en garantie des vices cachés diligentée contre les consorts Crochepierre ;
Que ceux-ci ne justifient pas d'un préjudice distinct de celui qui sera réparé par l'allocation de sommes au titre des frais irrépétibles et qu'ils n'établissent pas que les époux Gabotto ont agi en justice avec une intention malveillante à leur égard ; qu'ils seront donc déboutés de leur demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
Attendu que les entiers dépens de première instance et d'appel de la procédure 02/3451, dont les frais d'expertise, seront supportés par les époux Gabotto qui succombent ; qu'il s'avère équitable d'allouer aux consorts Crochepierre une somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur l'appel en garantie diligenté par les consorts Crochepierre à l'encontre de Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo (procédure n° 02-4203)
Attendu que de l'économie de cette décision il ressort que l'appel en garantie des consorts Crochepierre à l'encontre de Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo n'est pas fondé ; que le jugement 3 sera donc confirmé ;
Que les dépens d'appel afférents à cet appel en garantie seront supportés par les consorts Crochepierre ; qu'il s'avère équitable de condamner les susnommés à verser à Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo une somme de 1 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
Sur l'assignation en intervention forcée d'Elise Gangolf par (Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo (procédure 02-4203)
Attendu, en droit, que peuvent être appelées devant la cour des personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité quand l'évolution du litige implique leur mise en cause ;
Attendu, en l'espèce, que devant le tribunal, après avoir assigné en garantie Elise Gangolf, Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo se sont désistés de cette instance lequel désistement a été accepté par celle-ci ;
Qu'il s'ensuit qu'Elise Gangolf ayant été partie en première instance, l'assignation en intervention forcée doit être déclarée irrecevable ;
Attendu, par contre, que cette dernière n'établit pas le caractère abusif de la procédure diligentée contre elle et ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui qui sera réparé au titre des frais irrépétibles ;
Que les dépens relatifs à cette assignation en intervention forcée seront supportés par Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo ; qu'il s'avère équitable de les condamner aussi à payer à Elise Gangolf la somme de 1 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile;
Par ces motifs, LA COUR, Après en avoir délibéré, conformément à la loi, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, - ordonne la jonction des procédures n° 02-3451 et 02-4203 sous le numéro 02-3451, - déclare les appels des consorts Crochepierre réguliers en la forme et recevables, - infirme les jugements rendus par le Tribunal d'instance d'Ales les 16 août 2001 et 6 juin 2002, - confirme le jugement rendu par le Tribunal d'instance d'Alès le 8 août 2002, Statuant à nouveau sur les décisions infirmées, - déboute les époux Gabotto de leur action en garantie des vices cachés diligentée contre les consorts Crochepierre, - les condamne à verser aux consorts Crochepierre la somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - les condamne aux entiers dépens de cette action, dont les frais d'expertise, ceux d'appel étant distraits conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, - condamne les consorts Crochepierre à verser à Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo la somme de 1 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - les condamne aux entiers dépens exposés devant la cour pour cet appel en garantie dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Y ajoutant, - déclare la demande d'intervention forcée d'Elise Gangolf par Calogéro Territo et Danielle Larguier ex-épouse Territo irrecevable, - les condamne à lui verser la somme de 1 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, - les condamne aux dépens de cette procédure en appel dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, - rejette le surplus des demandes.