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Décisions

CA Paris, 2e ch. A, 9 septembre 1992, n° 91-005191

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Imoclair (Sté)

Défendeur :

Elysées Pierre 3 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Honorat

Conseillers :

Mmes Timsit, Gouvernel

Avoués :

SCP Regnier, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay

Avocats :

Mes Nusimovici, Archer

TGI Paris, du 12 déc. 1990

12 décembre 1990

Statuant sur l'appel relevé par la SA Imoclair d'un jugement rendu le 12 décembre 1990 par le Tribunal de grande instance de Paris qui a :

- déclaré la société Elysées Pierre 3 fondée à invoquer l'application des dispositions des articles 1641, 1644 et 1645 du Code civil, relatives à la garantie pour défauts de la chose vendue, ayant opté pour l'action estimatoire ;

- dit que la société Imoclair connaissait les vices de la chose vendue et que l'acquéreur est fondé à obtenir des dommages-intérêts outre la restitution d'une partie du prix ;

- débouté la société Elysées Pierre 3 de sa demande de condamnation provisionnelle ;

- sursis à statuer sur le montant de ladite restitution et des dommages-intérêts jusqu'au résultat de la mesure d'instruction ordonnée ;

- commis Monsieur Jean-Paul Fournié expert, demeurant à Paris 8e, 31 rue de Suresnes, avec mission :

* de rechercher la nature exacte et l'affectation régulière des biens vendus, au regard de la règlementation applicable

* rechercher notamment si les locaux dont s'agit sont à usage de bureaux commerciaux ;

* dans la négative, chiffrer, compte tenu de leur affectation exacte, la valeur de l'immeuble, en tenant compte des conditions de la vente, et notamment de la garantie de loyer prévue à l'acte de vente ;

* chiffrer la partie excédentaire de prix payé par Elysées Pierre 3 et son préjudice complémentaire, notamment pour avoir dû indemniser son locataire.

La société Imoclair poursuit la réformation de la décision entreprise demandant qu'il soit dit qu'elle a agi de bonne foi, croyant vendre à l'intimée des locaux commerciaux et qu'il n'y a lieu d'allouer à celle-ci des dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1645 du Code civil.

La société Civile Elysées Pierre 3 conclut dans le dernier état de ses écritures d'appel :

- au débouté de l'appelante ;

- à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a admis le bien fondé de sa demande de dommages-intérêts et de restitution d'une partie du prix en raison de la mauvaise foi de l'appelante ;

- à l'infirmation du même jugement en ce qu'il a ordonné une expertise ;

- à ce qu'il soit dit qu'Imoclair en sa qualité de marchand de biens donc de professionnelle de l'immobilier est présumée avoir connu les vices de la chose vendue ;

- à la condamnation en conséquence d'Imoclair à lui payer la somme de 4 millions de francs au titre de la réfaction du prix de vente ;

- à ce qu'il soit dit que le préjudice par elle subi doit être évalué à la date de l'arrêt à intervenir ;

- à ce que la société Imoclair soit condamnée à lui payer à ce titre la différence entre la valeur vénale actuelle de l'immeuble s'il était affecté à usage de bureaux commerciaux et sa valeur à usage professionnel soit 6 millions de francs, somme de laquelle sera déduit le montant de la somme allouée au titre de la réfaction du prix ;

- à la condamnation d'Imoclair à lui payer la somme de 650 000 F en remboursement de l'indemnité par elle versée à la société MDCA, la somme de 150 000 F à titre de perte de loyer et la différence entre le loyer affectif et le loyer qui aurait été obtenu de 1 mai 1990 jusqu'au forfait de l'indemnité de 650 000 F, soit 150 000 F par an du 1er mai 1990 jusqu'au parfait paiement de cette indemnité.

Sur ce, LA COUR,

Qui se réfère expressément pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties à leurs écritures d'appel

Considérant que acte de Maître Duval Fleury, notaire associé à Paris, du 30 décembre 1986, la société Imoclair a vendu à la société Elysées Pierre 3 les lots n° 15 et 18 de l'immeuble en copropriété sis 19 bis Boulevard Deleasert à Paris 16e moyennant le prix de 9 000 000 F payé comptant ;

Considérant qu'en ce qui concerne la commercialité des locaux, en pages 5 et 6, la venderesse déclarait qu'il résultait :

- d'une lettre annexée et littéralement repostée en date du 26 juin 1986 de la Préfecture, de Paris - Direction de l'Urbanisme, et des Equipements que l'affectation commerciale ou de bureaux commerciaux ne soulevait pas d'objection eu égard à l'application des dispositions de l'article 4631-7 du Code de la construction et de l'habitation réglementant les changements d'affectation de locaux, d'une lettre du même 26 juin de la ville de Paris - Direction de la Construction et du Logement, que l'affectation des biens en cause à usage de bureaux commerciaux avait déjà fait l'objet du paiement de la redevance prévue aux articles R. 520-1 et suivants du Code de l'urbanisme et que dès lors ces biens n'étaient plus passibles des dispositions relatives à cette redevance.

- d'une lettre du 12 décembre 1986 de la Préfecture de Paris - Direction de l'urbanisme et des Actions de l'Etat que la totalité des locaux formant les lots 15 et 18 étaient bien à l'usage de bureaux commerciaux.

- d'une attestation de Jacques Guillot, gérant de la SARL Architrav, architecte que l'utilisation en bureaux commerciaux du rez-de-chaussée et d'une partie du 1er sous-sol de l'immeuble se faisait en accord avec la copropriété.

Considérant qu'en page 10 le vendeur garantissait pendant un an à l'acquéreur un montant minimum annuel de loyer de 780 000 F hors TVA et hors taxes, s'engageant à lui verser si ce chiffre n'était pas atteint :

- la différence entre la somme perçue et la somme de 780 000 F hors taxe et hors charges

- le montant de la TVA au taux en vigueur lors de chaque versement

- le montant des charges dues définies au projet de bail "ci-après énoncé".

Considérant qu'en page 11 l'acquéreur donnait mandat au vendeur pour une durée d'un an de rechercher tout locataire et de conclure tout bail correspondant à un loyer hors taxes et hors charges de 780 000 F.

Considérant qu'en page 12 sous le titre "conditions générales" il était stipulé que l'acquéreur s'engageait à prendre les biens vendus dans l'état où ils se trouveront lors de l'entrée en jouissance sans aucune garantie du vendeur sauf en ce qui concerne les garanties dues par ce dernier "en raison de son activité professionnelle et des travaux de réfection par lui effectués".

Considérant que la société Imoclair critique le jugement déféré en ce qu'il a été jugé qu'elle connaissait les vices de la chose vendue et que l'acquéreur était donc fondé à obtenir des dommages-intérêts outre la restitution d'une partie du prix ;

Considérant qu'elle invoque sa bonne foi qui résulterait selon elle des ventes successives des biens depuis 1983 précédant son acquisition du 30 décembre 1986, ventes desquelles il ne pouvait pour elle résulter aucun doute sur l'usage commercial desdits biens ;

Considérant qu'elle soutient que le tribunal ne pouvait retenir sa mauvaise foi tout en ordonnant une expertise pour déterminer la nature commerciale ou non des biens par elle vendus; qu'il n'est pas établi qu'elle connaissait le vice de la chose, qu'il n'y a donc lieu d'octroyer des dommages-intérêts à l'intimée sur le fondement de l'article 1645 du Code civil, que le tribunal pour retenir sa mauvaise foi s'est fondé sur la différence du prix de 4 600 000 F par elle payé à la société Clergy Immobilier avec celui de 9 000 000 F de la vente par elle à Elysées Pierre 3 sans tenir compte des frais importants par elle supportés qui réduisaient son bénéfice, le chiffre de 4 400 000 F retenu à ce titre par le tribunal étant inexact.

Considérant qu'il est reconnu par la société Imoclair que le 3 avril 1989 la société Elysées 3 était informée par la Préfecture de Paris que l'acte de vente du 30 décembre 1986 reposait en ce qui concerne l'affectation des biens vendus à usage de bureaux commerciaux sur des documents administratifs reconnus faux par un jugement de la 13e Chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris en date du 10 février 1989 qu'elle ne critique le jugement entrepris qu'en ce qu'il a dit qu'elle connaissait les vices de la chose vendue et que la société Elysées Pierre 3 était fondée à obtenir des dommages et intérêts.

Considérant dans ces conditions que n'étant pas contesté par Imoclair le vice caché prévu par l'article 1641 du Code civil affectant les locaux à elle vendus, la société Elysées Pierre 3 avait conformément à l'article 1644 du même Code dont l'application n'est pas non plus contestée le choix de rendre le bien et de se faire restituer le prix ou de le garder et de se faire rendre une partie du prix "telle quelle sera déterminée par experts".

Considérant qu'ayant choisi, non l'action rédhibitoire mais l'action estimatoire comme l'article 1644 lui en donnant la possibilité, donc de se faire restituer une partie du prix de 9 000 000 F par elle payé le 30 décembre 1886, elle ne saurait dans le cadre de cette action, d'une part prétendre comme elle le fait se soustraire à l'estimation par expert expressément imposée par cet article en cas d'un tel choix, d'autre part réclamer la restitution d'autre chose que de la partie du prix qu'elle n'aurait pas payé si à la date de la vente le vice de la chose avait été connu d'elle, la partie du prix à restituer devant être fixée à la différence entre le prix de la vente du 30 décembre 1986 soit 9 000 000 F et le prix qui aurait dû être à la même date par elle payé pour les mêmes locaux tels qu'ils étaient à usage professionnel seulement.

Considérant qu'il n'y a donc lieu de faire droit aux demandes de la société Elysées Pierre 3 tendant au rejet de l'expertise et à ce que la société Imoclair soit condamnée " de piano " à lui payer la somme de 4 millions de francs au titre de la réfection du prix ;

Considérant qu'il y a lieu dans ces conditions de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné une expertise dans le cadre de l'action estimatoire, y ajoutant de dire que la différence de valeur doit être appréciée au 30 décembre 1986 jour de la vente, de le réformer en ce qu'il a donné mission à l'expert de rechercher la nature exacte et l'affectation régulière des biens vendus au regard de la réglementation applicable et si les locaux dont s'agit sont à usage commercial alors qu'il n'est pas contesté qu'il ne le sont pas et que le premier juge a d'ailleurs dit la société Elysées Pierre fondée à invoquer les dispositions des articles 1641, 1644 et 1645 au motif, sur l'application de ce dernier article qu'il considère comme suffisamment établi que le vendeur connaissait le vice de la chose vendue, vice qui est le caractère non commercial des locaux vendus.

Considérant sur les dommages et intérêts demandés par Elysées Pierre 3 qu'il n'est pas contesté que le bien immobilier en cause a été vendu le 27 octobre 1983 par la SA de Participation et de Gestion Immobilière (SPGI) à Unibail qui est une SICOMI et donné en crédit-bail le même 27 octobre 1983 par Unibail à SPGI, que le contrat de Crédit-bail a été résilié pour le 1er mai 1986, que le 6 octobre 1986 Unibail a vendu le bien à la société Clergy Immobilier, laquelle le 13 novembre 1986 l'a revendu au prix de 4 600 000 F à Imoclair, qu'elle même l'a revendu à Elysées Pierre 3 au prix de 9 000 000 F le 30 décembre 1986.

Considérant qu'en application de l'article 1645 du Code civil l'acquéreur en cas de vice caché peut outre l'exercice par lui de l'action soit rédhibitoire, soit estimatoire comme en l'espèce prévue par l'article 1644, demander au vendeur, si ce dernier connaissait le vice, des dommages-intérêts en réparation des préjudices distincts qu'il aurait subi du fait de ce vice.

Considérant que le vendeur professionnel doit être assimilé à un vendeur de mauvaise foi, qu'il pèse sur lui une obligation de résultat dont il ne peut se dégager en invoquant son absence de faute, que le caractère pour lui indécelable du vice ne l'exonère pas mais seulement la cause étrangère extérieure de la chose vendue.

Considérant qu'en matière immobilière sont considérés comme vendeurs professionnels les marchands de biens et les agents immobiliers, qu'en l'espèce la SA Imoclair étant marchand de biens est donc un vendeur professionnel qui doit être assimilé à un vendeur de mauvaise foi, qu'elle ne saurait donc prétendre comme elle le fait se dégager de cette présomption en invoquant sa bonne foi, son ignorance du vice puisqu'en sa seule qualité de vendeur professionnel elle était tenu de connaître le vice, les ventes successives du bien par elle invoquées ne pouvant constituer aucunement une cause étrangère extérieure à la chose vendue.

Considérant que la société Imoclair se fonde sur le fait que le 27 octobre 1983 le bien a été vendu par SGPI à Unibail qui est une SICOMI laquelle l'a donné en crédit-bail le même jour à sa venderesse en vertu de dispositions légales particulières à caractère commercial et que les deux sociétés qui sont commerciales ne pouvaient disposer que de locaux commerciaux, ce qui toutefois ne saurait, pour un professionnel averti de l'immobilier suffire à établir que l'appartement objet de ces conventions était régulièrement affecté à usage commercial ;

Considérant qu'une déclaration d'intention d'aliéner qui est dressée par le vendeur ne saurait en aucun cas suffire à établir la nature des biens, que l'acte de vente du 6 octobre 1986 à Clergy Immobilier au prix de 4 600 000 F ne comporte pas de précision sur la nature des locaux vendus, que l'acte de vente du 13 novembre 1986 de Clergy Immobilier à Imoclair au même prix de 4 600 000 F indique seulement qu'il s'agit de locaux à usage de bureaux sans autre précision, que c'est seulement à l'acte de vente du 30 décembre 1986 d'Imoclair à Elysées Pierre 3 au prix de 9 000 000 F qu'il est précisé que les locaux vendus sont à usage de bureaux commerciaux.

Considérant en outre qu'il convient de relever d'une part qu'à l'acte du 30 décembre 1986 est expressément exclu (page 5) de la renonciation de l'acquéreur à un recours contre le vendeur en raison des dispositions et limitations administratives contenues aux documents cités en début d'acte, ce qui concerne l'usage de bureaux commerciaux des locaux, d'autre part est non seulement affirmée par la société Imoclair représentée par Monsieur Courtenoble la commercialité des locaux mais encore fait expressément état par elle pour étayer cette affirmation de documents administratifs dont il ressort du jugement correctionnel du Tribunal de grande instance de Paris du 10 février 1989 que certains étaient des faux.

Considérant qu'il était relevé dans les motifs dudit jugement que des marchands de biens dont Monsieur Courtenoble, qui a l'acte du 30 décembre 1986 agissant en qualité de président du conseil d'administration représentait la société Imoclair, "achetaient des appartements ou des immeubles entiers aux prix pratiqués pour des locaux bourgeois et les revendaient ou tentaient de les revendre grâce aux fausses attestations pour des sommes colossales".

Considérant sur les demandes de dommages-intérêts de la société Elysées Pierre 3, que cette dernière pouvait prétendre en sus de la restitution d'une partie du prix à des dommages et intérêts qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déclaré fondée à invoquer outre l'application des articles 1641 et 1644, celle de l'article 1645 du Code civil ;

Considérant sur le montant du préjudice de la société Elysées Pierre 3, que celle-ci qui sur le fondement de l'article 1644 obtient la restitution de la différence entre la valeur réelle qu'avait au jour de la vente le 30 décembre 1986 le bien affecté de vice par elle acquis et le prix par elle payé le même jour ne saurait à titre de dommages et intérêts prétendre obtenir le paiement de la différence entre la valeur actuelle réelle du bien à usage professionnel et de ce qui aurait été sa valeur actuelle à usage commercial même déduction faite de la partie du prix qui lui sera restituée à titre de réfection, n'établissant ni même ne prétendant que la différence de valeur entre les locaux à usage professionnel et les locaux à usage commercial déjà prise en compte à la date de la vente le 30 décembre 1986 dans le cadre de l'action estimatoire par elle exercée se soit accrue depuis cette date.

Considérant qu'en ce qui concerne tant le remboursement de la somme de 650 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 1er février 1989, somme qui correspond à l'indemnité versée par Elysées Pierre 3 à sa locataire commerciale la société MDCA que les autres demandes de l'intimée il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a demandé à l'expert de chiffrer le préjudice complémentaire de Elysées Pierre 3 notamment pour avoir indemnisé son locataire.

Considérant qu'il n'apparait ni inéquitable ni injustifié par la situation économique des parties de laisser à la charge de la société Elysées Pierre 3 les frais irrépétibles par elle exposées.

Par ces motifs, Réforme le jugement entrepris en ce qu'il a donné mission à l'expert de rechercher la nature exacte et l'affectation régulière des biens vendus au regard de la réglementation applicable notamment si les locaux dont s'agit sont à usage de bureaux commerciaux, Le confirme pour le surplus y ajoutant dit que les valeurs du bien considéré d'une part comme à usage professionnel d'autre part comme à usage commercial et donc la partie excédentaire du prix, doivent être appréciées au 30 décembre 1986 date de la vente affectée du vice, Rejette les demandes autres et contraires des parties ; Condamne la société Imoclair aux dépens d'appel ; Autorise la SCP Fisselier-Chillous-Boulay à recouvrer directement ceux de ces deniers dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.