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Décisions

CA Paris, 25e ch. A, 12 mai 1987, n° M12673

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Gartex Spa (Sté)

Défendeur :

Vêtements de Vacances (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Mabilat

Conseillers :

MM. Béteille, Berthéas

Avoués :

SCP Gauzère, Lagourgue, SCP Duboscq Pellerin

Avocats :

Mes Chalannet, Feder

T. com. Paris, 13e ch., du 26 avr. 1985

26 avril 1985

LA COUR,

Statuant sur l'appel interjeté par la société Gartex à l'encontre d'un jugement en date du 26 avril 1985 par lequel le Tribunal de commerce de Paris (13e chambre) l'a condamnée à payer à la société Vêtements de vacances, dite ci-après V de V, la somme de 60 000 F, à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la décision, ainsi que la somme de 2 000 F, en vertu de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, a ordonné l'exécution provisoire à charge par la société V de V de fournir caution, et a mis les dépens à la charge de la société Gartex ;

Considérant que les éléments de la cause et les prétentions des parties peuvent être résumés ainsi qu'il suit :

En 1981, la société V de V, spécialisée dans la fabrication de vêtements de sport, a commandé à la société de droit italien Gartex une importante quantité de tissu de coton, en cinq coloris, comportant des motifs imprimés dorés.

Cette étoffe a été livrée de mars 1981 à janvier 1982 et a servi à la confection de slip et maillots de bain ; après que ces articles aient été commercialisés, de nombreux acheteurs se sont plaints de défectuosités et ont fait retour à la société V de V des vêtements que celle-ci leur avait vendus.

Par télex du 25 mai 1982, la société V de V a fait part de son mécontentement à la société Gartex, en lui indiquant notamment qu'au lavage le tissu déteignait et qu'en outre, la dorure des motifs, très fragile, avait tendance à s'effacer très rapidement, au contact de l'une ou même par simple frottement.

Gartex ayant contesté sa responsabilité, le président du tribunal de commerce a, par ordonnance du 8 septembre 1982, désigné comme expert M. Galiot, lequel a déposé son rapport le 7 décembre 1982.

Au vu de ce document, la société V de V se prévalant des dispositions des articles 1641 et 1648 du Code civil relatif à la garantie des vices cachés, a assigné la société Gartex, le 13 avril 1983, en paiement de la somme de 60 990 F, en réparation de son préjudice financier, et de 50 000 F, en réparation de l'atteinte portée à sa notoriété commerciale.

La société Gartex a soulevé l'incompétence de la juridiction commerciales française, elle a en outre, soutenu que l'action introduite contre elle par V de V était irrecevable comme tardive, subsidiairement qu'elle était mal fondée, la dite société n'ayant pu, à son avis ignorer la fragilité du tissu qu'elle avait commandé.

Après s'être déclaré compétent par un premier jugement du 25 mai 1984, le tribunal, par la décision déférée, a déclaré ladite action recevable et a retenu la responsabilité de Gartex ; adoptant les conclusions de l'expert, il a accordé à V de V une indemnisation de 60 000 F, en rejetant le surplus de sa demande relative à la réparation du trouble commercial qu'elle avait subi ; les premiers juges prenant en considération le fait que la société susnommée avait pris un risque conjointement avec la vendeuse.

Devant la cour, la société Gartex conclut à l'infirmation de ce jugement ; reprenant son argumentation initiale, elle fait valoir que la demande de la société V de V est irrecevable comme tardive, en application de l'article 1648 du Code civil et qu'en outre elle est mal fondée ; l'appelante sollicite donc le débouté de V de V et la condamnation de celle-ci au paiement de la somme de 10 000 F, sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

De son coté, la société V de V conclut à la confirmation de cette même décision ; formant toutefois appel incident, elle demande que la société Gartex soit tenue de lui payer la somme de 20 000 F, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive et celle de 10 000 F, en application de l'article 700 susvisé.

Il est, au surplus, fait référence aux conclusions des parties, lesquelles sont annexées au dossier.

Cela étant exposé :

Sur la recevabilité des demandes de la société V de V

Considérant que la société Gartex soutient que l'action de la société V de V est irrecevable, en premier lieu parce que le tissu sur lequel portent les réclamations a été utilisé alors que, suivant une clause contractuelle, seules peuvent être admises les réserves concernant une marchandise " non-coupée ", en second lieu parce qu'il n'y a pas eu vice caché mais vice apparent couvert par l'acceptation de la livraison, et, en troisième lieu, à supposer qu'il y ait eu vice caché, en raison de ce que la demande n'a pas été introduite dans le bref délai imparti par l'article 1648 du Code civil ;

Considérant, sur le premier point, que la clause selon laquelle l'admission de toute réclamation est subordonnée à la condition que le tissu ne soit pas coupé doit être déclarée sans portée dans le litige, dès lors qu'en matière de confection, les défauts se révèlent à l'usage et que, pour qu'il soit fait usage du tissu, il faut nécessairement le couper pour en faire des vêtements ;

Considérant, sur le second point, que l'argumentation de Gartex ne sera pas retenue puisque la défectuosité concernait, non pas la texture, mais la teinture de l'étoffe et qu'elle n'était décelable qu'après que les vêtements soient portés, aucune anomalie n'étant visible au premier examen ;

Considérant, sur le troisième pont, que la condition de bref délai exigée par l'article 1648 du Code civil doit être tenue pour respectée, dès lors que le juge des référés a été saisi le 8 juillet 1982, aussitôt que les clients mécontents se sont manifestés, les défauts n'ayant été constatés qu'à ce moment-là et dès lors que l'assignation au fond a été délivrée le 13 avril 1983, soit quatre mois seulement après le dépôt du rapport d'expertise, avant lequel la société V de V n'était pas en mesure de connaître la cause de ces défauts ;

Considérant que les fins de non-recevoir soulevées par la société Gartex seront donc rejetées ;

Sur la responsabilité

Considérant que les 8 500 mètres de tissu de coton livrés par Gartex ont servi en presque totalité - seul restant un reliquat de 60 mètres - à la confection de 11 342 pièces de vêtements, dont 8 200 maillots de bain, le reste étant composé de chemises, short ou polos ;

Considérant que la société V de V fait essentiellement grief à ce tissu, d'une manière générale, de n'être pas lavable, et, plus particulièrement, quand il s'agit de maillots de bain, de déteindre au contact de l'eau de mer, ce qui provoque notamment l'effacement des motifs décoratifs dorés imprimés dans l'étoffe ;

Considérant qu'après avoir procédé à des examens de laboratoire, l'expert Galiot a constaté qu'effectivement, deux coloris sur cinq déteignaient et qu'un troisième était à la limite de l'acceptable, seul le bleu et le vert gardant un aspect correct ;

Considérant que la qualité insuffisante de la teinture utilisée explique que, plongés soit dans l'eau de mer, soit sans une eau de lavage ordinaire, les vêtements confectionnés avec un tel tissu perdent leur couleur, ce qui suscite le mécontentement des acquéreurs ;

Considérant que la société V de V rejette les torts sur son fournisseur qui lui aurait vendu une étoffe manquant de solidité ;

Mais considérant que cette société, qui est un professionnel de la confection, avait l'obligation, avant de commander une importante quantité de tissu, de s'assurer, par des essais préalables, que celui-ci était approprié à l'usage spécifique qu'elle voulait en faire ;

Or, considérant que la société V de V s'est abstenue de procéder de la sorte et qu'elle a omis de contrôler, sur les échantillons qu'elle avait reçus, le caractère lavable ou non de cette étoffe, alors que son attention aurait dû être mise en éveil par la présence de la mention " nettoyage à sec " (dry cleaning) ;

Considérant que la société susnommée, dont l'expert dit qu'elle a accepté un risque, a commis ainsi une faute d'imprudence ;

Mais considérant que, de son côté, la société Gartex, qui était en relations d'affaires avec V de V depuis cinq ans, et qui connaissait les besoins de cette société, n'a pas donné sur le tissu fabriqué par elle des informations exactes et complètes ;

Considérant qu'elle s'est gardée d'aviser sa cocontractante de la fragilité de ses coloris, nécessairement connue d'elle, et des soins qu'il fallait prendre pour conserver la teinture dorée des motifs ;

Considérant qu'au lieu de confirmer que le tissu devait être nettoyé à sec, elle s'est laissée à écrire qu'à la rigueur il pouvait être lavé à l'eau tiède, sous la recommandation, qui devait s'avérer d'ailleurs inefficace, de frotter très doucement ;

Considérant qu'en agissant ainsi, la société Gartex a manqué à l'obligation de conseil et d'information dont elle était contractuellement tenue envers V de V, laquelle, confectionnant seulement des vêtements, n'avait pas une compétence particulière en matière de textile ;

Mais considérant qu'en raison du comportement fautif, analysé ci-dessus, de la société V de V, la société Gartex n'a engagé sa responsabilité que dans une proportion que la cour, tenant compte de l'avis de M. Geliot selon lequel chacune des sociétés est " responsable conjointement ", fixe à 50 % ;

Considérant que cette société devra réparer la moitié du préjudice subi par V de V ;

Sur le préjudice de la société V de V :

Considérant qu'il résulte du rapport d'expertise que V de V a été contrainte, en raison des défauts sus-indiqués, de solder non seulement les maillots de bain, mais tous les vêtements confectionnés avec le tissu litigieux, et ce dans tous les coloris, ce qui lui a occasionné un manque à gagner de 60 000 F ;

Considérant que ce chiffre, qui a été correctement calculé, sera retenu ; qu'il doit y être ajouté, toutefois, la valeur de solde de 60 mètres du stock inutilisé et la réparation du préjudice commercial certain résultant de l'atteinte portée à la notoriété de V de V, soit 5 000 F ;

Considérant que le préjudice de ladite société s'établit ainsi à 65 000 F ;

Considérant que la société Gartex devra donc payer à la société V de V, à titre de dommages-intérêts, la somme de 32 500 F, avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt ;

Considérant que V de V sera déboutés de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive, la défense de Gartex étant partiellement fondée ;

Considérant que chacune des parties succombant partiellement dans ses prétentions, les dépens de première instance et d'appel seront partagés entre elles par moitié ;

Considérant que l'équité ne conduit pas à l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au bénéfice de l'une ou l'autre de ces parties ;

Par ces motifs, déclare recevable les demandes de la société " Vêtements de Vacances " ; Réforme le jugement entrepris et statuant à nouveau, Condamne la société Gartex à payer à la société " Vêtements de Vacances ", à titre de dommages-intérêts, la somme de 32 500 F, avec intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt ; Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ; Dit que les dépens de première instance en ce compris les frais d'expertise, et les dépens d'appel seront supportés, pour moitié, par chacune des parties ; Autorise les avoués de la cause à recouvrer, chacun pour ce qui la concerne, les dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.