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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 23 décembre 2004, n° 03-02757

ORLÉANS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Etablissements Pierre Maury (SARL)

Défendeur :

Trimat (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Remery

Conseillers :

Mme Magdeleine, M. Garnier

Avoués :

SCP Desplanques-Devauchelle, SCP Laval-Lueger

Avocats :

SCP Palazy-Bru, SCP Soucaze, Associés

T. com. Montargis, du 23 mai 2003

23 mai 2003

Par jugement du 23 mai 2003, le Tribunal de commerce de Montargis a notamment débouté la SARL Société d'Exploitation des Etablissements Pierre Maury de sa demande de résolution judiciaire, sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, de la vente d'une nacelle automotrice d'occasion, intervenue en novembre 2001, et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de procédure de 500 euro au bénéfice de la SARL Trimat.

La SARL Société d'Exploitation des Etablissements Pierre Maury a interjeté appel de cette décision.

Vu les dernières écritures signifiées à la requête de la SARL Société d'Exploitation des Etablissements Pierre Maury (société Maury) le 6 novembre 2003 et de la SARL Trimat le 24 mai 2004.

Sur ce, LA COUR,

Attendu que pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision entreprise et aux conclusions déposées ;

Qu'il sera seulement rappelé que, dans le courant du mois de novembre 2001, la SARL Maury a acquis auprès de la société Trimat une nacelle automotrice d'occasion de marque Grove pour le prix de 87 000 F HT ;

Que, se plaignant de défectuosités et dysfonctionnements, dès le jour de la livraison, elle a obtenu, par ordonnance de référé du 21 juin 2002, la désignation en qualité d'expert, de Didier Despres qui a clos son rapport le 7 novembre 2002 ;

Attendu que la société Pierre Maury poursuit la résolution de la vente sur les fondements de la non-conformité aux stipulations contractuelles et des vices cachés ;

Que la société Trimat les conteste et lui oppose sa qualité d'acheteur professionnel ;

Attendu qu'un acheteur a la qualité de professionnel, non pas à raison du fait qu'il est usager régulier d'un matériel déterminé, mais lorsque le bien qu'il achète relève de sa spécialité et de ses compétences techniques ;

Que la SARL Pierre Maury est spécialisée dans la chaudronnerie, la serrurerie et la construction de charpentes métalliques, activités distinctes de la construction d'engins de travaux publics, notamment d'engins de levage et de nacelles dans le domaine desquels ses compétences techniques restent limitées ; qu'elle ne peut donc être considérée comme un acheteur professionnel apte à déceler les vices affectant la chose vendue ;

Que, si lors de l'achat d'un matériel d'occasion l'acquéreur doit faire preuve d'un minimum d'attention, il n'en demeure pas moins qu'il ne saurait être tenu de procéder à des investigations complexes ; qu'en l'espèce, préalablement à l'achat de la machine, le 2 novembre 2001, la société Maury s'est déplacée dans les locaux de la société Trimat pour voir fonctionner la nacelle ; que l'essai n'a pu durer que quinze minutes pour des raisons météorologiques mais a permis de tester les mouvements d'avance sur le sol, de levage et rotation sans que n'apparaisse aucune anomalie ;

Qu'ainsi, l'appelante a satisfait à son obligation de vérification préalable, de sorte qu'aucune carence ne peut lui être reprochée sur ce point ;

Attendu qu'il est établi par les pièces produites aux débats que, depuis l'achat du matériel litigieux, la société Maury a dû recourir à différentes sociétés pour réaliser des interventions de dépannage (dépannage de module électrique, direction des roues, rotation de la tourelle) qui se sont avérées vaines ; que la société Norisko, sollicitée pour un contrôle de la nacelle a conclu à la mise à l'arrêt de l'engin ; que l'expert judiciaire a relevé:

- des dysfonctionnements relatifs au démarreur du moteur

- l'heuromètre arrêté à 2 648 heures

- une nacelle très détériorée

- un jeu excessif dans le réducteur d'orientation de la nacelle

- une déficience dans la direction des roues directrices

- l'absence de pictogrammes et fonctions sur le tableau de commande de la nacelle

- l'inefficacité globale du système de sécurité

- une date de première utilisation antérieure à celle figurant dans la facture de vente, soit début 1991 mais en aucun cas 1992 comme indiqué sur ladite facture ;

Qu'il en conclut après avoir répondu aux dires des parties que la nacelle ne peut se mouvoir qu'avec de graves déficiences et ne répond, en l'état, à aucune réglementation du fait de la déficience du système de sécurité ;

Attendu que l'état de la nacelle (détériorée et craquée) ainsi que le caractère incomplet de son tableau de commande sont des vices apparents lors de l'acquisition, que la société Maury a, en conséquence, acceptés sans réserve ;

que, par contre, alors qu'elle a acquis un engin mis en service pour la première fois en 1992, il lui a été livré une nacelle dont la fabrication remonte à 1990 et la première utilisation au plus tard au début de l'année 1991 que, de ce chef, la société Trimat a manqué à son obligation de délivrance conforme, quand bien même cette non-conformité n'aurait eu aucune conséquence sur le prix, ce qui reste à démontrer dès lors que, s'agissant d'engins de chantier, une année de travail supplémentaire influe nécessairement sur la durée d'usage que l'acquéreur pouvait espérer en obtenir, et porte donc sur une qualité substantielle de la chose vendue ;

Qu'en application des dispositions de l'article 1610 du Code civil, la société Maury est donc recevable en sa demande de résolution de la vente, de ce chef ;

Attendu que les vices cachés ont ceci de particulier qu'ils ne sont pas décelables immédiatement, ni pendant des essais, peuvent apparaître en cours d'utilisation, mais trouvent leur origine dans un défaut affectant la chose antérieurement à la vente ;

que tel est bien le cas des dysfonctionnements relatifs au démarreur du moteur, de l'arrêt de l'heuromètre à 2 648 heures, non décelable sur 15 minutes d'essais, du jeu excessif dans le réducteur d'orientation de la nacelle, des déficiences des roues directrices interdisant toute manœuvre, et de l'inefficacité du système de sécurité ;

Que le fait que le matériel litigieux ait été acquis d'occasion est insuffisant à justifier de tels désordres dont les conséquences conduisent à une absence de délivrance dès lors qu'il n'a jamais pu rendre le service pour lequel il a été vendu, et alors que son prix n'est pas celui d'une épave ;

Qu'il n'est, par ailleurs, pas démontré que l'acquéreur ait commis une faute dans son utilisation ;

Attendu qu'il convient en conséquence de faire droit à la demande de résiliation de la vente ;

Que la société Trimat devra donc rendre le prix hors taxe de 87 000 F (13 263,06 euro) contre restitution de la nacelle ;

Attendu que la société Trimat, vendeur professionnel est présumée avoir connu les vices affectant l'engin vendu et doit donc toutes réparations inhérentes à ce sinistre ;

que la société Maury justifie avoir, à deux reprises, été dans l'obligation de louer une nacelle de substitution pour un prix constaté par l'expert de 1 469,92 euro HT ; qu'elle a également vainement tenté de la faire réparer et a produit à l'expertise trois factures d'un coût total de 1 089,37 euro HT :

Qu'aucun autre préjudice n'est démontré, de sorte que la société Trimat devra verser à la société Maury la somme de 2 559,29 euro à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que la société Trimat, qui succombe, sera déboutée de l'ensemble de ses demandes ;

Que l'équité commande d'allouer à la société Trimat l'indemnité de 1 500 euro sollicitée ;

Par ces motifs, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Reçoit la société Pierre Maury en son appel, l'y Déclare bien fondée ; Infirme en toutes ses dispositions la décision déférée et, statuant à nouveau, Prononce la résolution de la vente intervenue le 13 novembre 2001 ; Condamne la société Trimat à rembourser à la société Pierre Maury la somme de 13 263,06 euro HT (treize mille deux cent soixante trois euro six centimes) correspondant au prix de vente et ce, contre restitution de la nacelle ; Condamne la société Trimat à verser à la société Pierre Maury la somme de 2 559,29 euro (deux mille cinq cent cinquante neuf euro vingt neuf centimes) à titre de dommages-intérêts ; Condamne la société Trimat à verser à la société Pierre Maury une indemnité de procédure de 1 500 euro (mille cinq cent euro) ; Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires ; Condamne la société Trimat aux dépens de première instance et d'appel ; Accorde à la SCP Desplanques Devauchelle, avoué, le droit prévu à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.