CA Paris, 5e ch. B, 26 octobre 2006, n° 03-13531
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Reijane (Sté), Jun (ès qual.)
Défendeur :
Laboratoire Mediligne (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pimoulle
Conseillers :
M. Remenieras, Mme Le Bail
Avoués :
SCP Roblin-Chaix de Lavarene, SCP Fisselier-Chiloux-Boulay
Avocats :
Mes Bellet, de Balmann
LA COUR,
Vu l'appel relevé par M. Jun, ès qualités de mandataire à la liquidation judiciaire de la SARL Reijane, du jugement du Tribunal de commerce de Paris (8e chambre, n° de RG 2000099639), prononcé le 10 juin 2003;
Vu les dernières conclusions de l'appelant (22 mai 2006);
Vu les dernières conclusions (12 septembre 2006) de la SA Laboratoires Mediligne (ci-après Mediligne) intimée;
Sur quoi,
Considérant que Reijane a conclu avec Mediligne, le 31 mai 1999, un contrat de franchise lui permettant, après paiement d'un droit d'entrée, de divers frais d'installation et moyennant le paiement de redevances mensuelles, d'exploiter en franchise un centre d'amincissement " Physiomins " à Dax; que les résultats de cette activité furent tels que Reijane, estimant que le fonds de commerce ainsi créé n'était pas viable, a assigné Mediligne en novembre 2000 en remboursement de ses investissements et paiement de dommages-intérêts sur le fondement, à titre principal, de la nullité du contrat pour non-respect des prescriptions légales sur les informations précontractuelles, subsidiairement, du manque de loyauté de Mediligne dans son exécution; que, la liquidation judiciaire de Reijane ayant été prononcée le 21 novembre 2001, M. Jun, désigné en qualité de mandataire liquidateur, est intervenu volontairement ; que Mediligne a reconventionnellement demandé la résiliation judiciaire du contrat aux torts de Reijane et la fixation de sa créance au passif de celle-ci ; que le tribunal, par le jugement dont appel, a débouté M. Jun, ès qualités, de toutes ses demandes, constaté la résiliation à ses torts du contrat de franchise et fixé la créance de Mediligne au passif de Reijane;
I. Sur la demande d'annulation du contrat:
Considérant que M. Jun fait valoir que Mme Duclaud, signataire du contrat de franchise en qualité de gérante de Reijane, aurait été trompée par l'insuffisance ou l'inexactitude des informations données par Mediligne, laquelle aurait ainsi manqué aux obligations mises à la charge du franchiseur par les articles L. 330-3 du Code de commerce et 1er du décret n° 91-337 du 4 avril 1991, concernant spécialement la présentation "de l'état général et local du marché des produits et services devant faire l'objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché " (art. 1er, 4°, alinéa 2 du décret), celle " du réseau d'exploitants " (art. 1er, 5°, du décret) et la fourniture d'un compte d'exploitation prévisionnel irréaliste;
Considérant que Mediligne a remis à Reijane un document d'information précontractuel comportant, dans le chapitre I " Informations sur l'entreprise du franchiseur ", une IIe partie " Présentation du réseau d'exploitation du franchiseur " divisée en quatre sous-parties "A : Evolution du réseau d'exploitants, B : Entreprises appartenant au réseau d'exploitants, C : Entreprises appartenant au réseau en vertu d'un contrat de même nature que celui qui est proposé, D : cessations des relations contractuelles ";
Que M. Jun, ès qualités, critique ce document en ce qu'il ne serait conforme aux prescriptions de l'article 1er, 5°, d), du décret du 4 avril 1991, selon lesquelles la présentation du réseau d'exploitants doit comporter : "le nombre d'entreprises qui, étant liées au réseau par des contrats de même nature que celui dont la conclusion est envisagée, ont cessé de faire partie du réseau au cours de l'année précédant celle de la délivrance du document. Le document doit préciser si le contrat est venu à expiration ou s'il a été résilié ou annulé ";
Considérant, en effet, que le document litigieux ne fait mention que de deux résiliations;
Considérant que l'appelant fait valoir que, alors que le contrat de franchise a été signé fin juillet 1999, 26 centres avaient cessé d'exploiter l'enseigne " Physiomins " fin 1998, soit les centres d'Aix-en-Provence, Agen, Avignon, Carpentras, Caen, Le Havre, Marseille, Meaux, Montpellier, Montbrison, Nîmes, Niort, Paris 8e, Paris 14e, Paris 15e, Perpignan, Poitiers, Roanne, Rennes, Saint-Brieuc, Saint-Malo, Savigneux, Sète, Tarbes, Toulon et Vannes;
Qu'il ajoute que, en juin 1999, au moment de la remise à Reijane du document d'information précontractuel, le réseau " Physiomins" avait été affecté par 34 fermetures récentes;
Considérant que Mediligne ne répond pas précisément à ce grief;
Que l'intimée s'empare de ce que, dans plusieurs procédures de même nature l'ayant opposée à d'autres franchisés, ces derniers, pour démontrer l'importance du " turn over " du réseau, avaient produit une liste de 147 centres "Physiomins " supposés avoir cessé leur exploitation dans les cinq années précédentes dont elle critiquait l'exactitude et la pertinence, relevant notamment que certains des centres visés existaient encore et que les causes de la cessation d'activité pouvaient être diverses et relever, non pas seulement de la déconfiture, mais de la maladie, de la retraite, ou du désir de changement du franchisé;
Mais considérant que ces critiques ne remettent pas en cause et ne justifient pas l'omission, alléguée à juste titre par l'appelant, dans le document d'information précontractuel remis à Reijane en juin 1999, de toute indication au sujet de la vingtaine de fermetures de centres " Physiomins" dans les douze mois précédents ; que, précisément, les prescriptions réglementaires précédemment rappelées prévoient qu'il appartient au franchiseur d'indiquer, le cas échéant, si le contrat est venu à expiration, ou s'il a été résilié ou annulé;
Considérant que de telles informations, alors que la liste des centres en activité figurant dans le même document ne comprenait que 56 articles, aurait révélé à Reijane, et particulièrement à sa gérante, que la proportion des cessations d'exploitation dans les douze mois précédents s'était élevée à plus d'un tiers des centres en activité, ce qui aurait été de toute évidence un élément indispensable pour éclairer sa réflexion sur la nature du risque commercial auquel elle s'exposait en intégrant ce même réseau;
Considérant, tout au contraire, qu'il est aisé de voir l'intérêt de Mediligne à dissimuler cette caractéristique de son réseau, de nature à décourager des franchisés potentiels;
Considérant, dès lors, que cette omission, qui s'analyse en un manquement à l'obligation de sincérité mise à la charge du franchiseur par l'article L. 330-3, alinéa 1, du Code de commerce, spécialement sur un élément d'information déterminant pour le candidat franchisé qui doit être mis loyalement en mesure d'apprécier le degré de stabilité, de performance et de rentabilité du réseau dans lequel il s'apprête à risquer partie de sa fortune, constitue une réticence dolosive ; que, ainsi trompé sur une composante essentielle de sa décision, le franchisé est fondé à soutenir que son consentement a été vicié et que le contrat doit être annulé;
Considérant, en l'espèce, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la pertinence des moyens de nullité tirés d'une insuffisance de l'information sur le marché local des produits et services faisant l'objet du contrat ou du caractère irréaliste du compte d'exploitation produit, qu'il doit être fait droit à la demande d'annulation du contrat de franchise en cause ; que le jugement entrepris sera en conséquence infirmé; qu'il devient sans intérêt de rechercher, en vue de la résiliation éventuelle du contrat, si les parties ont satisfait aux obligations nées de celui-ci;
Sur les conséquences de l'annulation:
Considérant que M. Jun, ès qualités, ne démontre pas qu'il aurait un intérêt légitime ou qualité pour demander la condamnation de Mediligne à lui payer 1 405 euro au titre de sommes versées en compte courant par Mme Duclaud; que sa demande à ce titre ne peut être reçue ;
Considérant, en conséquence de l'annulation du contrat de franchise, qu'il y a lieu de remettre les parties dans la situation qui aurait été la leur si elles n'avaient pas contracté, sans préjudice de l'indemnité qui peut être allouée en réparation du dommage causé au cocontractant victime d'un dol;
Qu'il en résulte que Mediligne doit reverser à M. Jun, ès qualités toutes les sommes qu'elle a reçues en exécution du contrat, soit le droit d'entrée et les redevances versées;
Que Mediligne doit encore rembourser à M. Jun, ès qualités, les dépenses se rapportant aux travaux d'agencement et investissements spécifiques non amortis, sans lesquelles le contrat de franchise avec Mediligne n'aurait pu être conclu ; que le montant de ces dépenses ne peut toutefois comprendre les frais de constitution de la société, ni la totalité des immobilisations corporelles;
Considérant que le franchisé est un commerçant indépendant et responsable de sa gestion; que Mediligne ne peut être tenue, pour responsable de la totalité des pertes d'exploitation et du passif social ; qu'elle doit seulement indemniser Reijane pour la chance perdue d'avoir fait un meilleur emploi économique de ses ressources;
Considérant que la cour, usant à cet égard de son pouvoir souverain d'appréciation, estime qu'elle dispose des éléments lui permettant d'évaluer à 60 000 euro, toutes causes confondues, le préjudice subi par Reijane du fait des manœuvres dolosives employées à son égard par Mediligne ;
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 1153-1 du Code civil que la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal qui, sauf disposition contraire de la loi dont il n'est pas ici question, courent à compter de la décision qui la prononce; qu'il n'y a pas lieu d'en décider autrement pour accueillir la demande présentée par M. Jun, ès qualités, tendant à ce que ces intérêts soient calculés à compter de l'assignation introductive d'instance;
Considérant, en revanche, que rien ne s'oppose à la demande de M. Jun, ès qualités, tendant à l'application, à ces mêmes intérêts, des dispositions de l'article 1154 du Code civil;
Sur la créance de Mediligne:
Considérant que M. Jun, ès qualités, admet qu'il conviendra de compenser avec le montant de l'indemnité qu'il réclame les factures de marchandises impayées à Mediligne; que, ce faisant, il s'abstient de contester la créance déclarée à ce titre par Mediligne au passif de Reijane;
Considérant qu'il y a lieu en conséquence de faire droit à la demande, présentée par Mediligne, tendant avoir fixé sa créance au passif de la liquidation judiciaire de Reijane à 12 080,74 euro; que, n'étant pas allégué que cette créance serait assortie d'un privilège celle-ci sera fixée à titre chirographaire;
Considérant que le principe de l'égalité des créanciers s'oppose à la compensation demandée par les parties entre la créance contractuelle de Mediligne et celle, de nature indemnitaire, de Reijane, leurs obligations réciproques n'étant pas connexes;
Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Déclare nul, pour dol, le contrat de franchise conclu entre la SA Laboratoires Mediligne et l'EURL Reijane, Condamne en conséquence la SA Laboratoires Mediligne à payer à M. Jun, ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation de l'EURL Reijane 60 000 euro, toutes causes confondues, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et application sur ceux-ci de l'article 1154 du Code civil, Fixe la créance de la SA Laboratoires Mediligne au passif de l'EURL Reijane à 12 080,74 euro à titre chirographaire, Dit n'y avoir lieu à compensation entre ces sommes, Rejette toute demande contraire à la motivation, Condamne la SA Laboratoires Mediligne aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.