CA Aix-en-Provence, 2e ch., 26 juin 2006, n° 05-00532
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Conceptica (SARL)
Défendeur :
Saveurs et Couleurs (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Simon
Conseiller :
MM
Avoués :
SCP Blanc Amsellem-Mimran Cherfils, SCP Jourdan-Wattecamps
Avocat :
SCP Magnan-Antiq-Moller
Faits, procédure et prétentions des parties
Par jugement contradictoire en date du 3 novembre 2004, le Tribunal de grande instance de Digne Les Bains, statuant en matière commerciale, a annulé le contrat de vente portant sur un appareil à torréfier le café aux torts du vendeur, la SARL Conceptica et a condamné cette dernière à restituer à l'acheteur, la SARL Saveurs et Couleurs, la somme de 2 391 euro versée à titre d'acompte et à lui payer en outre la somme de 500 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
La SARL Conceptica a régulièrement fait appel de cette décision dans les formes et délai légaux.
Vu les dispositions des articles 455 et 954 du nouveau Code de procédure civile, dans leur rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 ;
Vu les prétentions et moyens de la SARL Conceptica dans ses conclusions au fond en date du 31 mars 2005 tendant à faire juger :
- qu'elle n'a commis aucun agissement avéré constitutif de dol au détriment de la SARL Saveurs et Couleurs et qui auraient amené cette dernière à acquérir " une unité de torréfaction artisanale ",
- que la SARL Saveurs et Couleurs ne fait pas la preuve qu'elle a subi des manœuvres illicites qui ont vicié son consentement et notamment qu'elle a été trompée sur la nécessité de prévoir l'évacuation d'airs chauds et de fumées du torréfacteur par un conduit qui figurait sur la notice technique de présentation du matériel et sur des photographies,
- que les dispositions de l'article L. 111-1 du Code de la consommation sont inapplicables à la vente en question, l'achat d'un torréfacteur par un commerçant exerçant une activité d'épicerie fine étant fait pour les besoins de son commerce et ayant un rapport direct avec son activité commerciale et, au surplus, la vente ayant été conclue par une personne morale.
- que la SARL Saveurs et Couleurs ne pouvait refuser l'installation du matériel commandé et ne peut donc échapper à l'exécution du contrat de vente impliquant le paiement du prix convenu, outre celui de la majoration de 15 % à titre de clause pénale ;
Vu les prétentions et moyens de la SARL Saveurs et Couleurs dans ses conclusions en date du 24 mai 2005 tendant à faire juger :
- qu'elle est fondée à obtenir la nullité de la vente pour dol caractérisé de la part de la déléguée commerciale de la SARL Conceptica découlant de sa réticence à informer sa co-contractante de la nécessité de prévoir un dispositif d'évacuation des airs chauds et des fumées et de son "démarchage très agressif" également pratiqué de manière habituelle au détriment d'autres commerçants,
- qu'elle a agi en qualité de non-professionnelle et, simple consommatrice, peut revendiquer l'application des dispositions du Code de la consommation notamment de celles mettant à la charge du vendeur une obligation générale d'information et de conseil,
- que l'acquisition d'un appareil à torréfier le café est sans rapport avec l'activité d'épicerie fine exercée et qu'elle se trouvait dans la même situation d'ignorance qu'un acheteur profane
L'ordonnance de clôture de l'instruction de l'affaire a été rendue le 17 mai 2006.
Motifs et décision
Attendu que la SARL Saveurs et Couleurs se borne à invoquer les dispositions de l'article L. 111-1 du Code de la consommation afférentes à l'obligation d'information (ou de renseignement) dont tout vendeur professionnel de biens est redevable à l'égard des "consommateurs " quant aux caractéristiques essentielles du bien vendu (et n'invoque pas celles de l'article L. 121-22 4° du même Code afférentes à la réglementation du démarchage) ; que le premier article visé ci-dessus institue une obligation d'information ou de renseignement, qualifiée de "générale ", qui rejoint l'obligation fondée sur les principes généraux du droit civil quant à la bonne foi devant présider à la conclusion des contrats et quant à l'information suffisante devant être donnée à l'acheteur qu'il soit professionnel ou profane ; que le défaut d'information ou de renseignement doit être sanctionné selon les principes dégagés par les articles 1135, 1147 et 1615 du Code civil ;
Attendu notamment que selon l'article 1615 du Code civil, il incombe au vendeur professionnel l'obligation connexe à la vente, d'informer ou de renseigner l'acheteur quant aux conditions d'installation et d'utilisation du matériel acquis ; que c'est sur le vendeur professionnel que pèse la charge de prouver qu'il a rempli cette obligation connexe d'information ou de renseignement ; que, enfin, un acheteur professionnel est créancier de cette obligation s'il est avéré que sa compétence technique ne le met pas en mesure d'apprécier la portée exacte des caractéristiques du bien d'équipement dont s'agit ; qu'en l'espèce la SARL Saveurs et Couleurs a passé commande à la SARL Conceptica, le 19 septembre 2003, d'une unité de torréfaction de cafés de type FM3 " avec pose" ; que le jour de l'installation, le 3 octobre 2003, le technicien de la SARL Conceptica n'a pu l'effectuer faute à défaut "d'une évacuation des airs chauds et des fumées " produits par l'unité de torréfaction ;
Attendu que la SARL Saveurs et Couleurs qui adjoignait à son activité d'épicerie fine, une activité de torréfaction de cafés n'avait pas la capacité ou les compétences techniques, s'agissant d'une nouvelle activité commerciale annexe, pour apprécier les contraintes liées à l'installation du matériel de torréfaction qu'elle avait choisi suite au démarchage professionnel dont elle avait été la cible de la part d'une déléguée commerciale de la SARL Conceptica ;
Attendu que la SARL Conceptica ne fait pas la preuve qu'elle a donné à la SARL Saveurs et Couleurs, acheteur certes professionnel mais profane, toutes les informations requises quant aux sujétions liées à l'installation du matériel de torréfaction dans ses locaux commerciaux exigus dont elle avait pu apprécier l'adéquation ou l'inadéquation à recevoir un tel matériel ; que, notamment, la SARL Conceptica, fabricant et vendeur du matériel litigieux, ne démontre pas qu'elle a remis, lors de la formation du contrat de vente, une "notice d'utilisation " mentionnant la nécessité, lors de la "mise en place " dudit matériel, de " raccorder la cheminée du pelliculier à une évacuation extérieure, par l'installation d'une tubulure ou gaine de diamètre 100" ; que la SARL Conceptica ne justifie pas avoir informé la SARL Saveurs et Couleurs, soit par la remise effective de documents techniques ou verbalement, par l'entremise de sa déléguée commerciale de cette nécessité (contrainte) technique qu'elle avait recensée dans sa notice d'utilisation ; qu'au contraire, la SARL Saveurs et Couleurs verse au débat deux attestations de ses salariés ayant assisté au démarchage mentionnant qu'à aucun moment la déléguée commerciale n'a fait allusion à la nécessité de réaliser une évacuation extérieure branché sur le matériel litigieux présentant un "encombrement" réduit -moins d'un m²- et pourvu de roues pour son déplacement ; que les remises par la SARL Conceptica à la SARL Saveurs et Couleurs d'un document publicitaire de présentation du matériel avec sa photographie et du bon de commande muet quant à toutes préconisations d'installation ne permettaient pas à l'acheteur de se convaincre de la nécessité d'effectuer un branchement ou une adaptation de ses locaux commerciaux (magasin pour une épicerie fine et non atelier ou laboratoire) ; que l'observation de la photographie (tube dépassant la bonde entonnoir) ne pouvait pas donner à penser à un acheteur non qualifié qu'il convenait de relier ce tube à un dispositif d'évacuation ;
Attendu que la SARL Conceptica ne démontre pas qu'elle a satisfait à l'obligation de renseignement ou d'information qui pesait sur elle au moment de la formation du contrat de vente en s'abstenant d'indiquer à la SARL Saveurs et Couleurs la nécessité, non évidente pour un acheteur profane, de relier l'unité de torréfaction de faible poids (110 kg) et de faible encombrement (moins d'un mètre²) pourvue de roues, à un dispositif d'évacuation d'airs chauds et de fumées ;
Attendu surabondamment que le dol, cause de nullité de la convention lorsque des manœuvres dolosives ont été pratiquées par une partie et ont amené une autre à contracter, ne se présume pas et doit être prouvé ; que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son co-contractant une circonstance qui, connue de lui, l'aurait amené à ne pas contracter ; que la réticence à délivrer l'information complète n'est dolosive que si elle est intentionnelle et a déterminé la partie invoquant le dol, à conclure le contrat ; qu'en l'espèce, la SARL Saveurs et Couleurs démontre qu'elle n'a pas reçu de la SARL Conceptica une information complète quant à une caractéristique essentielle du matériel qu'elle acquérait ; que le fait de savoir qu'il lui appartiendrait de mettre en place à demeure un dispositif d'évacuation dans un local dont elle n'était que locataire dans une co-propriété l'aurait amené à prendre une autre position ; que cette réticence déterminante a été intentionnelle comme procédant de manœuvres délibérées propres à amener la SARL Saveurs et Couleurs à contracter en dépit de l'inconvénient représenté par la nécessité d'effectuer des travaux d'adaptation des locaux ;
Attendu que le jugement mérite confirmation pour les motifs exposés ci-dessus et ceux non contraires des premiers juges ;
Attendu que l'équité commande de faire application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que la partie tenue aux dépens devra payer à l'autre la somme de 800 euro au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Reçoit l'appel de la SARL Conceptica comme régulier en la forme. Au fond, confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions. Y ajoutant, condamne la SARL Conceptica à porter et payer à la SARL Saveurs et Couleurs la somme de 800 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne la SARL Conceptica aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP d'avoués associés Jean-François-Jourdan & Pierre-Gilles Wattecamps, sur son affirmation de droit, en application de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.