CA Aix-en-Provence, 1re ch. A, 27 mars 2007, n° 06-08112

Faits et procédure

Vu le jugement rendu contradictoirement le 13 avril 2006 par le Tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence dans le litige opposant David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre à Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet et à la SCP Cholley et Charles ;

Vu la déclaration d'appel déposée par Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet le 2 mai 2006 ;

Vu les conclusions déposées par Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet le 19 juin 2006 ;

Vu les conclusions déposées par la SCP Cholley et Charles le 12 octobre 2006 ;

Vu les conclusions récapitulatives déposées par David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre le 25 janvier 2007 ;

Sur la genèse du litige

Suivant acte authentique en date du 1er mai 1999, dressé par Maître Cholley, David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre ont vendu à Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet un terrain à bâtir sis sur la commune de Saint Chamas, composé de la parcelle 5127 pour 21 centiares et de la parcelle 5129 pour 4 ares et 79 centiares, pour le prix de 242 740 F.

Aux termes de cet acte, il est précisé que ce terrain provenait de la division d'une propriété de plus grande contenance appartenant aux vendeurs, réalisée par document d'arpentage établi par Monsieur Gondoin, géomètre expert, le 2 avril 1999, la parcelle 5127 résultant de la division de la parcelle 1962 et la parcelle 1529 de la division de la parcelle 3270, Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet demeurant propriétaires du surplus cadastré respectivement sous les n° 5126 et 5128.

Par ailleurs, en page 12, figure un chapitre intitulé "Rappel de servitude" dans lequel il est indiqué :

" l'immeuble objet des présentes était concerné par les servitudes résultant :

1°) d'un acte reçu par maître Nicolas, notaire susnommé, le 30 septembre 1975, dont une copie authentique a été publiée au deuxième bureau des hypothèques d'Aix-en-Provence, le 21 octobre 1975, volume 1277 n° 2,

2°) d'un acte reçu par maître Nicolas, notaire susnommé, le 30 octobre 1982, dont une copie demeurera annexée aux présentes après mention.

Précision est ici faite que compte tenu de la division constatée aux présentes, la parcelle présentement vendue n'est pas concernée par les servitudes rappelées en annexe. "

En fait, nonobstant ces mentions, le fonds acquis par David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre est resté grevé d'une servitude desservant à présent un lotissement créé par Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet sur des parcelles demeurées leur propriété qui passe en bordure de la villa édifiée par ceux-ci.

David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre ont fait assigner Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet ainsi que la SCP Cholley et Charles en dommages et intérêts, les premiers sur le fondement de l'existence de manœuvres dolosives ayant vicié leur consentement et la seconde sur le fondement d'une légèreté coupable ayant permis la réalisation de ce dol.

Le premier juge a fait droit à leur demande en condamnant Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet à leur verser la somme de 20 000 euro à titre de dommages et intérêts et la SCP Cholley et Charles celle de 10 000 euro au même titre.

Sur la demande de David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre à l'encontre de Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet

Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet soutiennent que David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre étaient parfaitement informés de l'existence de la servitude en cause qui était déjà en place à l'époque et desservait alors 4 habitations.

Il convient cependant de retenir comme l'a fait justement le premier juge que la formulation de l'acte de vente, ratifié et signé par les vendeurs, permettait à David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre d'être légitimement convaincus que cette servitude avait vocation à disparaître de leurs fonds pour s'exercer sur la parcelle conservée par les vendeurs et débouchant sur la même voie.

L'attestation établie par Monsieur Gondoin, géomètre expert, chargé de l'établissement du plan et des documents d'arpentage rendus nécessaires par la division des parcelles dont sont issues celles vendues aux David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre confirme d'ailleurs que les parties " avaient convenu du déplacement de la servitude ".

Cependant, il apparaît que cet accord n'a pas été formalisé par écrit et que postérieurement à la vente, Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet ont pu se croire autorisés à considérer qu'il était non avenu malgré les termes mêmes de l'acte de vente, pourtant sans ambiguïté sur le fait que le fonds acquis ne devait plus être concerné par l'existence de l'ancienne servitude qui le grevait.

Il en résulte à l'évidence que les vendeurs en laissant croire aux acquéreurs qu'ils procéderaient volontairement au déplacement de celle-ci ont délibérément vicié leur consentement.

Le préjudice subi par David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre, aggravé par le fait qu'ils ont fait choix de l'implantation de leur villa, en totale ignorance de cause, au ras de la servitude dont l'utilisation a été rendue plus fréquente par la construction d'un lotissement, a été justement évalué par le premier juge, celui-ci devant s'apprécier eu égard au prix payé pour l'acquisition de la parcelle.

Sur la demande de David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre à l'encontre de la SCP Cholley et Charles

Il appartient au notaire, rédacteur d'un acte, de procéder à la vérification des faits et des conditions nécessaires pour assurer l'efficacité de celui-ci.

En l'espèce, il appartenait particulièrement à la Maître Cholley de vérifier les déclaration des vendeurs quant au fait que la parcelle vendue ne serait plus concernée par les servitudes grevant celle-ci et rappelées dans l'acte. Pour ce faire, il devait rechercher si le déplacement de la servitude existante avait été effectivement convenu aux termes d'un acte régulièrement signé par les parties. En omettant de le faire, il a incontestablement agi avec légèreté, engageant sa responsabilité vis-à-vis des acquéreurs qui ne sont en possession d'aucun document contractuel susceptible d'être opposé à leurs vendeurs sur ce point.

Il apparaît donc que c'est à juste titre que le premier juge a pu retenir la responsabilité de la SCP Cholley et Charles à l'égard de David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre et condamné ce dernier à lui verser la somme de 10 000 euro en réparation du préjudice subi du fait de ce défaut de conseil.

Sur l'appel en garantie formé par Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet contre la SCP Cholley et Charles

Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet demandent à être relevés et garantis des condamnations qui seraient prononcées à leur encontre par la SCP Cholley et Charles estimant que le notaire avait tous les éléments en sa possession pour apprécier l'existence de la servitude.

Il convient de rappeler qu'ils sont par leurs manœuvres dolosives à l'origine de la mention erronée portées dans l'acte qu'ils ont par ailleurs parfaitement ratifiée. Ils sont donc particulièrement mal fondés à se prévaloir d'une faute du notaire qu'ils ont eux-mêmes provoquée.

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Il convient d'allouer, uniquement à David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre, à la charge de Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet, la somme de 3000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet, appelants qui succombent, supporteront les entiers dépens d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et en matière civile, En la forme, Vu les appels, Au fond, Confirme le jugement du 13 avril 2006 en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet à verser à David Pierre et Valérie Esquirol épouse Pierre la somme de 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne Franck Doublet et Delphine Grau épouse Doublet aux entiers dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.