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Décisions

Cass. com., 22 mars 1994, n° 91-19.782

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Microfusion (Sté)

Défendeur :

La Paternelle (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bezard

Rapporteur :

M. Apollis

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, SCP Guiguet, Bachellier, Potier de la Varde

Versailles, du 20 juin 1991 ; Versailles…

20 juin 1991

LA COUR : - Joint les pourvois n° 92-14.156 et 91-19.782 formés par la société Microfusion qui attaquent respectivement un arrêt interprétatif et l'arrêt interprété ; - Attendu, selon les arrêts attaqués (Versailles, 20 juin 1991, interprété le 27 février 1992), qu'un hélicoptère de la société Heli Union a subi des avaries consécutives à une panne de la turbine fabriquée par la société Turboméca ; que celle-ci a imputé cette défaillance au vice caché d'une pale de turbine que lui avait fournie la société Microfusion ; que l'assureur de la société Turboméca, la société d'assurances La Paternelle (La Paternelle), subrogé dans les droits de la société Heli Union pour l'avoir indemnisée en partie de ses préjudices, a assigné en garantie des vices cachés de la chose vendue la société Microfusion, devenue depuis la société Howmet ;

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches du pourvoi n° 92-14.156 : - Attendu que la société Howmet fait grief à l'arrêt interprétatif d'avoir rejeté sa requête en interprétation et en omission de statuer visant l'arrêt du 20 juin 1991, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'une telle rectification, dispensant la compagnie La Paternelle, pour les sommes portées aux deux dernières quittances, d'avoir à établir la réalité de décaissements antérieurs aux 23 avril 1991 et 22 mai 1991, l'arrêt attaqué tranche une question nouvelle, méconnaissant ainsi les articles 461 et 463 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'en des conclusions demeurées sans réponse, tant dans l'arrêt principal que dans l'arrêt rectificatif, la société Howmet avait souligné que les deux quittances dont s'agit avaient été produites bien après l'ordonnance de clôture, intervenue le 20 mars 1991, sans qu'il ait été justifié d'une dérogation à leur irrecevabilité ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant débouté la société Howmet de sa demande tendant à faire fixer le point de départ des intérêts à compter du prononcé de son arrêt ou du jour de la production des quittances subrogatives par La Paternelle, l'arrêt ne peut se voir reprocher d'avoir ajouté à sa décision du 20 juin 1991 ;

Attendu, d'autre part, qu'une juridiction saisie en vertu des articles 461 et 462 du nouveau Code de procédure civile ne peut, sous couvert d'interprétation ou de rectification, modifier la décision initiale ni procéder à une nouvelle appréciation des éléments qui ont conduit à celle-ci ; que dès lors il ne peut être fait grief à la cour d'appel d'avoir omis de répondre à des conclusions tendant à modifier le point de départ des intérêts des sommes allouées tel qu'elle l'avait fixé dans une précédente décision ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le premier moyen, pris en ses trois branches et sur le deuxième moyen, pris en ses deux branches du pourvoi n° 91-19.782, réunis : - Attendu que la société Howmet fait grief à l'arrêt confirmatif du 20 juin 1991 d'avoir accueilli la demande de La Paternelle, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'ainsi il résulte de l'entier dossier, et de l'exposé des premiers juges, auquel l'arrêt renvoie expressément "pour une relation des faits plus détaillées", M. Barbier, auteur du rapport du 19 mars 1986 n'était aucunement l'expert de la société Howmet non encore informée du sinistre, mais celui, exclusif, de la société acheteuse Turbomeca ; que, et tout au contraire, M. Moreau, expert de la société venderesse Howmet, intervenu, lui, les 5 septembre et 5 novembre 1986, avait situé la cause du sinistre non dans le vice de la chose, mais dans une carence ultérieure de sa détection par Turbomeca, au cours de l'usinage par elle de la pièce ; qu'en attribuant les conclusions de l'expert de l'acheteur à celui du vendeur, pour en tirer une reconnaissance initiale de responsabilité que celui-ci n'a jamais faite, l'arrêt a privé sa décision de motifs, violant l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, que lorsque des parties sont impliquées dans un sinistre, l'aveu d'une dette de garantie, ou l'existence de pourparlers d'accord amiable sur le fond de la responsabilité, laquelle se distingue d'ailleurs de la recherche de la cause matérielle de survenance, ne peut être retenu qu'à la condition d'être prouvé dûment ; qu'en se référant seulement à une prétendue acceptation de responsabilité faite par la société Howmet sous la réserve expresse de la réception du rapport de son expert, et à une prolongation de discussions techniques entre experts, lesquels n'ont d'ailleurs qualité pour œuvrer à une convention sur la responsabilité que s'ils sont mandatés à cette fin, l'arrêt, a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 1134 et 1315 du Code civil ; alors, en outre, que l'acheteur doit intenter l'action rédhibitoire dans un bref délai, à compter du jour où le vice lui est connu ; que si les juges, à raison des circonstances spécifiques à la cause, apprécient souverainement la date de départ et la durée du délai pour agir, ils ne peuvent méconnaître les conséquences légales de leurs constatations ; qu'il résulte du jugement confirmé, et de l'arrêt si l'on redresse ses interversions d'experts, que le vice était connu, dans sa nature et son amplitude par la société La Paternelle, depuis le 19 mars 1986 ; qu'en retenant, pour dire non tardive l'assignation au fond introduite le 8 février 1988, d'un côté une situation aucunement établie en l'espèce, de négociation amiable sur le droit, et d'un autre côté, une argumentation développée à la barre des référés, l'arrêt a violé, par refus d'application, l'article 1648 du Code civil ; alors, encore que les juges sont tenus de trancher le litige conformément au droit applicable ; qu'aux termes des articles 232 et 233 du nouveau Code de procédure civile, l'expert commis par eux pour les éclairer sur une question technique ne doit jamais porter d'appréciations d'ordre juridique ; qu'il est du seul pouvoir et devoir des juges d'apporter, aux faits retenus des investigations expertales, les conséquences de droit qu'elles paraissent appeler ; qu'en retenant, pour écarter toute obligation de la société Turbomeca à supporter les conséquences du sinistre, que les experts n'avaient pas conclu à sa responsabilité formelle, l'arrêt a violé l'article 12 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'est en faute l'acheteur professionnel d'un matériau destiné à la revente après sa transformation, et qui s'abstient d'un contrôle normalement apte à faire apparaître le vice que seul l'usinage qu'il en fait peut révéler ; qu'en refusant de dire fautive, indépendamment des huypothèses marginales d'inopérance, l'abstention de Turbomeca à soumettre à ressuage la pièce au temps de son usinage, précaution que lui imposait tant son état de professionnel que la nature et la destination de sa fabrication, l'arrêt a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1137 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que s'il relève que la cause de la panne du 26 février 1986 a été détectée rapidement, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que le bref délai de l'action en garantie des vices cachés a été suspendu dès lors que, jusqu'à l'assignation en référé du 24 juin 1987, la société Howmet a laissé croire que le litige pourrait être réglé à l'amiable, qu'elle a tout d'abord mis cinq mois à faire connaître le nom de son assureur, qu'ensuite l'expert de cette société, a sollicité une étude du centre de recherches de Saclay dont le résultat n'a été connu que le 5 novembre 1986, qu'ensuite cet expert a demandé une nouvelle réunion d'expertise qui s'est tenue le 13 mars 1987, que le 16 avril 1987 ce même expert a contesté les résultats de la précédente réunion dont il avait cependant visé le compte rendu, et, enfin, que ces atermoiements ont eu pour conséquence l'inaction de la société Turboméca et de La Paternelle qui espéraient éviter d'engager une procédure ; qu'ainsi la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;

Attendu, en second lieu, que, pour décider que la société Howmet était seule responsable des dommages subis par la société Heli Union, l'arrêt retient souverainement des éléments de preuve qui lui ont été soumis que le défaut de la pale fournie par la société Microfusion n'était pas décelable par la société Turboméca ; que, sans méconnaître l'objet du litige, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses branches ;

Et sur le troisième moyen de ce pourvoi, pris en ses deux branches : - Attendu que la société Howmet fait enfin grief à l'arrêt d'avoir calculé les intérêts légaux à partir du 8 février 1988 et d'avoir alloué à La Paternelle des dommages-intérêts complémentaires, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les dommages-intérêts légaux ou complémentaires ne sont dus que du jour de l'apparition du préjudice particulier qu'ils réparent ; qu'en s'abstenant de rechercher le moment auquel La Paternelle avait indemnisé les sociétés Heli-Union et Turbomeca, refusant de prendre en considération les dates des reçus d'indemnité produits par elle, soit les 23 avril 1991 et 22 mai 1991, l'arrêt a violé les principes généraux de la responsabilité civile et, en tant que de besoin l'article 1149 du Code civil, et alors, d'autre part, que si l'assureur de dommage peut faire état d'un préjudice propre, déduit de la période pendant laquelle il a servi les sommes à l'assuré aux droits duquel il vient, encore faut-il qu'il établisse la date à laquelle il a effectivement versé lesdites indemnités ; qu'en refusant, sans s'en expliquer, de considérer que 360 150 francs et 1 133 516 francs avaient été déboursés par La Paternelle les 23 avril 1991 et 22 mai 1991, date respectives des reçus produits par elle, l'arrêt a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1315 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, qu'en fixant à une date autre que celle de sa décision le point de départ des intérêts, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche prétendument omise, n'a fait qu'user de la faculté remise à sa discrétion par l'article 1153-1 du Code civil ;

Attendu, d'autre part, que, sous couvert de grief non fondé de défaut de base légale, le pourvoi ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'évaluation du préjudice de La Paternelle à laquelle les juges du fond ont procédé dans l'exercice de leur pouvoir souverain ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Par ces motifs : Rejette les pourvois.