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Décisions

CA Dijon, ch. civ. B, 12 octobre 2006, n° 05-01615

DIJON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Procork (Sté)

Défendeur :

Chubb Insurance Company of Europe (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Littner (faisant fonction)

Conseillers :

MM. Richard, Jacquin

Avoués :

SCP Avril & Hanssen, Me Gerbay

Avocats :

Mes Pinatel, Varenne

T. com. Beaune, du 25 févr. 2005

25 février 2005

Exposé de l'affaire

Le 30 juin 1999, la Société Française du Liège (Sofrali) a livré à la Maison Bouchard Père et Fils 120 000 bouchons fournis par sa filiale portugaise, la société Procork.

Le 16 décembre 1999, la maison Nicolas de Thiais a retourné 876 bouteilles en raison d'un goût de bouchon.

La société Sofrali a déclaré le sinistre à sa compagnie d'assurances et une expertise amiable a été diligentée, au terme de laquelle l'eau utilisée par la société Procork a été mise en cause.

La société Chubb Insurance Company of Europe (société Chubb), assureur de la société Sofrali a réglé 311 616,46 euro à la société Bouchard et 14 223,49 euro à son assurée puis a assigné devant le Tribunal de commerce de Beaune la société Procork aux fins d'obtenir remboursement de ces sommes.

Par jugement du 25 février 2005, le tribunal a condamné la société Procork à payer les sommes réclamées, avec intérêts à compter du 5 juin 2001, ainsi que 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Procork a fait appel.

Dans ses dernières écritures, en date du 18 mai 2006, auxquelles il est fait référence par application de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile, elle soutient principalement que l'action est irrecevable dès lors que les conditions de la subrogation ne sont pas réunies.

A titre subsidiaire, elle fait valoir que l'action n'a pas été engagée à bref délai et qu'aucun vice caché antérieur à la vente n'est démontré, ce qui doit conduire au rejet des demandes.

Elle souhaite obtenir 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Chubb, par conclusions du 6 mars 2006, auxquelles il est pareillement fait référence, répond que son action est recevable, que la reconnaissance de responsabilité s'oppose à la prescription et que le vice caché a été établi lors des opérations d'expertise.

Elle souhaite la confirmation du jugement, sauf à ajouter la capitalisation des intérêts qui a été omise dans le dispositif et à lui accorder 15 000 euro en remboursement de ses frais irrépétibles.

Motifs de la décision

1. Sur la recevabilité de la demande

Attendu que la société appelante soutient que les conditions de la subrogation prévues par les articles L. 111-12 du Code des assurances et 1251 du Code civil ne sont pas remplies dès lors que la subrogation n'est possible qu'à l'encontre du tiers responsable et que la qualité d'assuré exclut celle de tiers;

Qu'elle considère que l'action de la société Chubb est dirigée contre son propre assuré puisque la société Procork est sa filiale et qu'elle bénéficie de la police souscrite par la maison-mère;

Mais attendu en premier lieu que la lecture de la police responsabilité civile générale n° 600 561 signée par la société Sofrali prévoyait que le souscripteur était la société Sofrali, agissant pour son compte et pour le compte de sa filiale Melan Moutet, ainsi que "toutes autres sociétés filiales ou affiliées, quelle qu'en soit la forme, Groupement d'intérêt économique, associations, fondations, sous réserve qu'ils donnent lieu à déclaration de chiffre d'affaires dans la mesure où ils en ont un";

Attendu que cette dernière condition relative à la déclaration de chiffre d'affaires n'étant pas remplie, la société Procork ne peut être considérée comme l'assuré, ce qui est confirmé par l'avenant n° 5 du 12 avril 2001 prévoyant que la filiale portugaise Procork est assurée à compter du 1er avril 2001;

Attendu que la société Chubb, laquelle est au surplus subrogée dans les droits de la victime, est dès lors recevable à agir à l'encontre de la société Procork pour les sommes versées à la société Bouchard;

Attendu ensuite qu'en ce qui concerne l'action engagée à l'encontre de la société portugaise pour les sommes versées à la société Sofrali, la société appelante considère que la société Sofrali n'a aucun intérêt à agir à l'encontre de sa filiale;

Mais attendu que cette affirmation n'est pas fondée, les deux sociétés ayant la personnalité morale et un patrimoine distinct;

Qu'au surplus le responsable de la société Sofrali a, le 30 mai 2000, expressément autorisé la compagnie Chubb à exercer un recours à l'encontre de la société Procork "après avoir procédé à l'indemnisation du préjudice subi par les Etablissements Bouchard, et ce dans la mesure où la responsabilité de la société Procork est dûment établie";

Attendu que l'action engagée pour obtenir du responsable remboursement des sommes versées à la société Sofrali est donc bien recevable;

2. Sur la garantie des vices cachés

Attendu que la société appelante affirme d'une part que l'action n'a pas été engagée à bref délai, d'autre part que l'existence d'un vice caché antérieur à la vente n'est pas démontrée;

Attendu qu'en ce qui concerne le délai, elle fait valoir que le vice a été connu au mois de décembre 1999, que les opérations d'expertise n'ont quasiment consisté qu'en la recherche d'une solution de sauvetage des vins et d'une évaluation du préjudice subi et que l'assignation n'ayant été délivrée qu'à la date du 9 juillet 2002, le bref délai imposé par l'article 1648 du Code civil n'a pas été respecté;

Mais attendu que la société Chubb fait valoir à juste titre que la prescription est interrompue par une reconnaissance de responsabilité et qu'il y a ensuite interversion de la prescription;

Attendu qu'il résulte des pièces versées aux débats que la société Procork est intervenue lors des opérations d'expertise puisqu'elle était représentée lors de la réunion du 6 juin 2000 par M. Guillot et que ce dernier, selon la lettre de l'expert en date du 7 juin 2000, a bien confirmé à Bouchard que l'origine de la contamination était imputable à la qualité variable de l'eau dans l'usine Procork de Pacos de Brandao et qu'il allait dorénavant mettre en place un système de contrôle qualité renforcé sur ce point";

Que le représentant de la société Procork a signé le procès-verbal de constatations relatif aux causes et circonstances et à l'évaluation des dommages mentionnant que la cause de ce sinistre est imputable à la présence dans certains bouchons du lot T25 de molécules organochlorées dont la présence serait liée à la variation de la qualité de l'eau du réseau distribué sur la commune de Pacos de Brandao;

Attendu que les éléments ainsi recueillis lors de l'expertise constituaient une reconnaissance de responsabilité suffisante dispensant la victime et son assureur d'agir à bref délai dès lors qu'il n'y avait plus à sauvegarder les preuves;

Attendu que l'action est donc bien recevable;

Attendu qu'en ce qui concerne la cause des désordres, outre la reconnaissance de responsabilité du représentant de la société Procork, qui a donné sur les variations de la qualité de l'eau à Pacos de Brandao des informations que lui seul pouvait connaître, les investigations réalisées par les experts ont permis d'exclure avec certitude une quelconque incidence de la vinification, de l'élevage ou du traitement des vins;

Que les opérations de dépoussiérage, de marquage et de siliconage réalisées chez Sofrali ne permettent également pas de générer une quelconque contamination par des composés chlorés;

Qu'une analyse de l'eau deux années plus tard n'aurait évidemment rien apporté;

Attendu que l'existence de vices cachés affectant les bouchons vendus par la société Sofrali à la Maison Bouchard est ainsi démontrée, l'importance des travaux effectués par les experts pour déterminer la cause du sinistre permettant d'affirmer que les vices étaient cachés, même pour des professionnels;

Attendu que le tribunal a dès lors justement condamné la société Procork à régler à la compagnie d'assurances les sommes avancées par elle et dont le montant, qui correspond au préjudice subi, n'est pas discuté;

Qu'il y a donc lieu à confirmation du jugement, sauf à ajouter la capitalisation des intérêts, omise par le tribunal dans son dispositif;

Attendu que la société intimée doit recevoir une somme supplémentaire de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que la société appelante, qui succombe, ne peut bénéficier de ce texte;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Ajoutant, Dit que les intérêts se capitaliseront conformément à l'article 1154 du Code civil, Condamne la société Procork à payer à la société Chubb Insurance Company of Europe la somme de 5 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne aux dépens d'appel.