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Décisions

CA Rouen, ch. des appels prioritaires sect. référé prud'homal, 4 avril 2006, n° 05-02958

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Fauquet, Baduel

Défendeur :

Synergie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Planchon

Conseillers :

Mmes La Carpentier, Prudhomme

Avocats :

Mes Ogel, Bailleux de Marisy, Meyer

Cons. prud'h. Dieppe, ord. réf., du 6 ju…

6 juillet 2005

Les faits et la procédure :

Madame Fauquet

Madame Fauquet a été engagée par la société Synergie, société de travail temporaire, en qualité d'assistante commerciale par contrat à durée indéterminée du 24 juin 1996, contenant une clause de non concurrence prévoyant une contrepartie financière en cas de rupture du contrat à l'initiative de l'employeur; elle a été mutée à l'agence d'Eu par avenant du 31 décembre 1996.

Par avenant du 1er janvier 2004, la contrepartie financière a été étendue à tous les cas de rupture du contrat de travail.

Madame Fauquet a donné sa démission par lettre du 28 février 2005 pour le jour même ; par lettre du 9 mars 2005, la société Synergie a pris acte de cette démission en indiquant que le préavis prendrait fin au 31 mars 2005 et qu'elle maintenait la clause de non-concurrence.

Madame Fauquet a été embauchée par contrat à durée indéterminée du 11 avril 2005 par la société Norton Travail Temporaire en qualité d'assistante de l'agence d'Eu.

Madame Baduel

Madame Baduel a été engagée par la société Synergie, société de travail temporaire, en qualité de chargée de mission à l'agence d'Abbeville, par contrat à durée indéterminée du 5 juillet 2000 contenant une clause de non-concurrence prévoyant une contrepartie financière en cas de rupture du contrat à l'initiative de l'employeur ; elle était mutée à l'agence d'Eu par avenant du 1er novembre 2001.

Par avenant du 19 décembre 2002, la contrepartie financière a été étendue à tous les cas de rupture du contrat de travail.

Par avenant du 1er octobre 2003, Madame Baduel a été promue responsable d'agence junior de l'agence d'Eu.

Par lettre du 27 janvier 2005, Madame Baduel a donné sa démission pour le 28 février suivant.

Par lettre du 2 février 2005, la société Synergie a pris acte de cette démission et précisé qu'elle maintenait la clause de non-concurrence prévue au contrat d'une durée de deux ans dans la Seine-Maritime et les départements limitrophes.

Madame Baduel a été embauchée par contrat daté du 14 mars suivant par la société d'intérim Norton Travail Temporaire en qualité de directrice de son agence d'Eu, ouverte à compter du 1er mars ; ce contrat comportait une clause de non-concurrence; par lettre du 15 mars 2005, elle a, avec une motivation juridique, contesté l'existence et la validité de la clause de non-concurrence qui la liait à la société Synergie.

Par requête du 29 avril 2005, la société Synergie a saisi la formation de référé du Conseil de prud'hommes de Dieppe pour qu'il soit notamment enjoint à Madame Baduel et à Madame Fauquet sous astreinte de cesser leur activité concurrente et qu'elles soient condamnées au paiement de l'indemnité contractuelle prévue en cas de violation de la clause de non-concurrence ; Madame Baduel a soutenu que le dernier avenant à son contrat ne faisait pas état d'une clause de non-concurrence ; que dans tous les cas l'employeur ne justifiait pas d'un intérêt légitime qui justifierait une quasi-impossibilité pour elle de retrouver du travail ; Madame Fauquet a soutenu que la nature de son emploi ne justifiait pas l'existence d'une clause de non-concurrence.

Par ordonnance du 6 juillet 2005, la formation de référé sous la présidence du juge départiteur, considérant que la validité des clauses de non-concurrence n'était pas sérieusement contestable, a :

Joint la procédure concernant Madame Baduel à celle concernant Madame Fauquet ;

Ordonné à Mesdames Baduel Maria Paz et Fauquet Francine de cesser leur activité pour le compte de la société Norton Travail Temporaire à compter du jour suivant la signification de la présente ordonnance, et ce, sous astreinte provisoire de 150 euro par jour de retard.

Réservé la compétence de la présente juridiction pour la liquidation éventuelle de l'astreinte.

Condamné Mesdames Baduel Maria Paz et Fauquet Francine à payer à la société Synergie une indemnité de 300 euro au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Débouté les parties de leurs autres demandes.

Condamné Mesdames Baduel Maria Paz et Fauquet Francine aux dépens.

Madame Baduel et Madame Fauquet ont interjeté appel de cette décision ; elles ont été licenciées par la société Norton Travail Temporaire par lettre du 15 septembre 2005 avec dispense d'exécuter le préavis compte tenu de l'ordonnance de référé.

La société Synergie avait aussi saisi au fond le Conseil de prud'hommes de Dieppe et celui-ci par deux jugements du 9 février 2006 :

> concernant Madame Baduel au motif que l'avenant du 1er octobre 2003 ne faisait pas mention d'une clause de non-concurrence et que la société Synergie ne faisait pas la démonstration d'une quelconque concurrence déloyale de la part de Madame Baduel, a :

- débouté la société Synergie de ses demandes de résiliation du contrat de travail de Madame Baduel chez la société Norton Travail Temporaire et de paiement de l'indemnité contractuelle et

- condamné la société Synergie à payer à Madame Baduel la somme de 10 000 euro sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

> concernant Madame Fauquet, au motif qu'elle n'était pas en contact avec les clients employeurs au sein de la société Synergie et que la clause de non-concurrence ne se justifiait donc pas et que la preuve d'un préjudice causé par le nouveau travail de Madame Fauquet n'était pas rapportée par la société Synergie a débouté la société Synergie de ses demandes et l'a condamnée au paiement de la somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts et 1 000 euro en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

La société Synergie a interjeté appel de ces décisions.

Les prétentions des parties :

Aux termes de ses écritures et de ses observations orales, Madame Baduel demande à la cour de :

Vu les articles R. 516-30 et R. 516-31,

Vu la convention collective du travail temporaire,

- Infirmer l'ordonnance dont appel en ce qu'elle a enjoint Madame Baduel à cesser son activité pour le compte de la société Norton Temporaire sous astreinte de 150 euro par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance.

- Dire la formation de référé incompétente.

- Inviter la société Synergie à mieux se pourvoir.

- Pour le surplus, confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a débouté la société Synergie de ses autres demandes.

- Débouter la société Synergie de l'intégralité de ses demandes.

- Condamner la société Synergie à régler à Madame Baduel la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du NCPC

- Condamner la société Synergie aux entiers dépens.

Aux termes de ses écritures et de ses observations orales Madame Fauquet demande à la cour de :

- de réformer l'ordonnance de référé du 6 juillet 2005 du Conseil de prud'hommes de Dieppe,

- de condamner la société Synergie à régler à Madame Fauquet les salaires qu'elle aurait dû percevoir durant la période où elle n'a pas été en mesure de travailler,

- de condamner la société Synergie à régler à Madame Fauquet la somme de 1 500 euro au titre de l'article 700 du NCPC et les dépens.

Aux termes de ses écritures et observations orales, la société Synergie demande à la cour de :

Vu le contrat de travail de Madame Marie-Paz Baduel régularisé le 5 juillet 2000.

Vu l'avenant au contrat de travail en date du 19 décembre 2002.

Vu le contrat de travail de Madame Fauquet du 24 juin 1996.

Vu l'avenant du 1er janvier 2004.

Vu la violation de la clause de non-concurrence,

Vu les actes de concurrence déloyale,

Vu l'article R. 516-31 du Code du travail,

Vu le trouble manifestement illicite,

Confirmer l'ordonnance de référé du 6 juillet 2005 en ce qu'elle a ordonné la cessation d'activité des Mesdames Baduel et Fauquet, à compter du jour suivant la signification de l'ordonnance de référé et ce sous astreinte provisoire de 150 euro par jour de retard,

Réformer l'ordonnance de référé en ce en ce qu'elle n'a pas fait droit à la demande de condamnation sollicitée par la société Synergie et tendant au paiement de l'indemnité contractuelle,

En conséquence,

Condamner Madame Baduel à payer à la société Synergie la somme de 29 271,60 euro correspondant à l'indemnité contractuelle prévue en cas de violation de la clause de non-concurrence et la somme de 3 038,96 euro égale à dix pour cent du salaire annuel moyen par semaine, à compter du jour de la constatation de celle-ci, par acte extra-judicaire, soit pour la période du 19 avril 2005 au 23 mai 2005.

Condamner Madame Fauquet à payer à la société Synergie la somme de 17 565,48 euro correspondant à l'indemnité contractuelle prévue en cas de violation de la clause de non-concurrence et la somme de 1 857,15 euro égale à dix pour cent du salaire annuel moyen par semaine, à compter du jour de la constatation de celle-ci, par acte extra judicaire, soit pour la période du 19 avril 2005 au 23 mai 2005.

Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans le Journal Paris Normandie, journal professionnel et ce dans la limite de 300 euro et aux frais avancés de la société Synergie.

Débouter Mesdames Baduel et Fauquet de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.

Condamner les défenderesses à payer à la société Synergie conjointement et solidairement la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Condamner Mesdames Baduel et Fauquet aux entiers dépens.

Sur ce,

Attendu qu'en appel d'une décision de référé, la cour doit se placer à la date à laquelle elle statue pour apprécier si les conditions du référé sont réunies ;

Attendu que la cour ne peut donc que constater que les décisions au fond du 9 février 2006 du conseil de prud'hommes permettent à Mesdames Baduel et Fauquet de faire valoir que les demandes fondées sur l'existence de clauses de non-concurrence qui ont été déclarées inexistantes ou irrégulières, se heurtent à une contestation sérieuse ;

Attendu que le juge des référés peut cependant, aux termes des dispositions de l'article R. 516-31 du Code du travail, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ;

Attendu que la société Synergie soutient qu'il existe un trouble illicite qui continue à justifier sa demande ;

Attendu qu'il est certain que tout salarié, même en l'absence d'une clause spécifique, est soumis à l'obligation générale de ne pas effectuer d'actes de concurrence déloyale à l'égard de son ancien employeur ;

Attendu que la société Synergie reproche à Madame Baduel et Madame Fauquet d'avoir contacté, d'une part les intérimaires qui étaient inscrits à la société Synergie pour qu'ils s'inscrivent auprès de la société Norton Travail Temporaire, leur nouvel employeur et d'autre part les clients de la société Synergie et d'avoir proposé à ces derniers les intérimaires qui avaient l'habitude de travailler chez eux mais à des tarifs plus intéressants ;

Attendu qu'il résulte de trois attestations concordantes d'intérimaires inscrits dans les fichiers de la société Synergie que Madame Baduel les a effectivement contactés pour qu'ils s'inscrivent à la société Norton Travail Temporaire et leur a immédiatement proposé un travail temporaire dans les sociétés pour lesquelles ils travaillaient régulièrement ; que les attestations postérieures selon lesquelles Madame Baduel et Fauquet auraient obtenu les coordonnées par l'ANPE apparaissent dans ces conditions peu crédibles ;

Attendu qu'un tel démarchage est manifestement fautif et constitutif d'un trouble illicite :

Que la mesure provisoire ordonnée qui permet d'y mettre fin sera donc maintenue ;

Attendu que la cour n'est pas compétente pour statuer sur la demande de Madame Fauquet en paiement de salaires ;

Attendu que la demande de publication de la décision n'est pas fondée ;

Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais exposés en marge des dépens en cause d'appel ; qu'il y a donc lieu de les débouter de leurs demandes fondées sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu qu'il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties qui succombe partiellement, ses propres dépens d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Déclare l'appel recevable en la forme ; Au fond : Déclare la juridiction des référés incompétente pour statuer sur la demande de la société Synergie au paiement de l'indemnité contractuelle s'agissant d'une contestation sérieuse ; Confirme l'ordonnance entreprise en ses autres dispositions ; Déclare la juridiction des référés incompétente pour statuer sur la demande de Madame Fauquet en paiement de salaires ; Déboute la société Synergie de sa demande de publication de l'arrêt ; Déboute les parties de leurs demandes respectives en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; Laisse à la charge de chacune des parties ses propres dépens d'appel.