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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 22 février 2007, n° 07-00236

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

DHL Danzas Air et Océan France (SAS)

Défendeur :

Outiror (SA), Michel (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Remery

Conseillers :

Mme Magdeleine, M. Garnier

Avoués :

SCP Laval-Lueger, Me Garnier

Avocats :

Mes Lefebvre, Luciani

T. com. Tours, du 26 janv. 2007

26 janvier 2007

Exposé du litige

La société anonyme Outiror, dont le siège est à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire), a pour activité essentielle la vente itinérante, dans des camions-magasins, de marchandises, notamment de produits de quincaillerie, bricolage et jardinage et, depuis environ cinq ans (à partir de février 2002), pour ceux qu'elle achète en Asie du Sud-Est, utilise, dans des conditions cependant discutées entre parties, les services de transport et dédouanement de la société DHL Danzas Air et Océan (ci-après société Danzas) en qualité de commissionnaire. La société Outiror ayant connu certaines difficultés dues, en particulier, aux nouvelles conditions de distribution de son catalogue, le vice-président du Tribunal de commerce de Tours, par ordonnance du 4 avril 2006, a désigné Me Michel en qualité de mandataire ad hoc, conformément aux dispositions de l'article L. 611-3 du Code de commerce, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, avec mission de " négocier avec les partenaires bancaires le maintien de leurs concours ".

Par application de dispositions nouvelles introduites dans l'article L. 441-6 du Code de commerce par la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 de sécurité et développement des transports, la société Danzas, qui fait notamment l'avance des droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée pour le compte de son client Outiror, facture à ce dernier ses prestations avec un nouveau délai de règlement à 30 jours, délai maximum de paiement à compter de l'émission de la facture pouvant légalement être convenu pour le transport routier, la commission de transport, les activités de transitaire, d'agent maritime et de fret aérien, de courtier de fret et de commissionnaire en douane. Il restait dû, à la fin de l'année 2006 et au début de l'année 2007, à la société Danzas, au titre de ses prestations non réglées de commissionnaire de transport et en douane, faisant l'objet d'un ensemble de factures émis entre le 16 mai et le 27 décembre 2006, une somme d'environ 1 300 000 euro. Estimant que sa créance était en péril, la société Danzas a alors, exercé, en décembre 2006, sur 130 conteneurs de marchandises encore sous son contrôle au port du Havre et dans ses entrepôts à Tours, son droit de rétention jusqu'à paiement de sa créance.

L'exercice du droit de rétention du commissionnaire de transport a provoqué, en réaction, sur la demande de la société Outiror et d'une société liée, la société Les Minis-marchés mobiles, l'ouverture, par ordonnance du 28 décembre 2006, d'une procédure de conciliation dans les termes des articles L. 611-4 et suivants du Code de commerce, Me Michel devenant conciliateur.

Saisi par la société Outiror d'une assignation en référé autorisée d'heure à heure, le juge des référés du Tribunal de commerce de Tours a rendu, le 11 janvier 2007, une première ordonnance (frappée d'appel par la société Danzas, selon déclaration du 30 janvier 2007, enregistrée sous le n° 263-2007, mais qui n'est pas l'objet de la présente instance) par laquelle, au visa de l'article L. 611-7 du Code de commerce, il a accordé à la société Outiror, pour le règlement de la créance de la société Danzas, un délai de paiement en 24 mensualités, du 31 janvier 2007 au 31 janvier 2009, et ordonné "à la société Danzas de faire cesser son droit de rétention passé le troisième jour après le prononcé de l'ordonnance" sous peine d'une astreinte de 15 000 euro par jour de retard. La société Danzas a alors mis le stock de marchandises retenues à disposition de la société Outiror, mais celle-ci a demandé que son commissionnaire fasse, pour la libération effective des marchandises, l'avance des frais de dédouanement correspondants et des frais de manutention et transport, le cas échéant en sous-traitance, à destination de l'Indre-et-Loire, pour une somme d'environ 1 700 000 euro. La société Danzas a refusé.

C'est dans ces conditions que, par une seconde ordonnance, du 26 janvier 2007, qui est celle déférée à jour fixe à la cour dans la présente instance, sous le n° d'appel 236-2007, le juge des référés commerciaux de Tours a retenu que, depuis l'origine de leurs relations, la société Danzas effectuait ou organisait pour le compte de la société Outiror, non seulement les prestations physiques de transport et manutention, mais aussi toutes les opérations douanières d'importation, en avançant les droits de douane et la TVA et que son refus de poursuivre ces avances équivalait à un refus de libération des marchandises, donc à un maintien de l'exercice du droit de rétention, en violation de la première ordonnance de référé. En conséquence, la décision entreprise toujours au visa de l'article L. 611-7 du Code de commerce et des textes du Code civil auxquels il renvoie, a prescrit à la société Danzas de maintenir pendant 12 mois l'intégralité de ses prestations antérieures, incluant " le suivi quotidien du trafic, les formalités douanières (en ce compris l'avance des frais de douane), les formalités TVA (en ce compris l'avance de ladite TVA), le transport terrestre de ses entrepôts à ceux d'Outiror, ces prestations étant payables à 30 jours de la date de la facture (conditions actuelles)". S'agissant des marchandises actuellement stockés par la société Danzas, celle-ci était condamnée, sous astreinte journalière de 20 000 euro courant immédiatement, à exécuter les prestations décrites ci-dessus, un nouveau délai de paiement du coût de ces prestations, estimé à la somme déjà évoquée d'environ 1 700 000 euro, étant accordé à la société Outiror sur une durée de 24 mois jusqu'au 31 janvier 2009, mais avec un différé de six mois jusqu'au 31 août 2007.

Appel de cette seconde ordonnance de référé a été interjeté par la société Danzas, les parties formant, devant la cour d'appel, les demandes et exposant les moyens qui seront présentés en même temps que leur discussion dans les motifs du présent arrêt.

L'appel ayant été autorisé à jour fixe, aucune ordonnance de clôture de l'instruction n'a été prononcée.

Les débats ont eu lieu le jeudi 15 février 2007, à l'issue desquels le président a informé les parties que l'arrêt serait rendu le jeudi 22 février 2007, à 14 heures.

Motifs de l'arrêt

Sur les demandes de la société Outiror:

Attendu, d'abord, qu'il n'y a pas lieu de discuter ici, comme le fait la société Danzas qui allègue que la société Outiror se trouvait et se trouve en état de cessation de ses paiements, du point de savoir si elle pouvait bénéficier d'une procédure de conciliation, dès lors que la cour n'est pas saisie d'un recours contre la décision d'ouverture de cette procédure et ne pourrait, au demeurant, l'être, un tel recours étant expressément interdit par l'article L. 611-6, alinéa 4 du Code de commerce ;

Attendu, sur le fond, qu'à l'examen des conclusions des parties et des explications orales qui, lors des débats, ont été fournies par leurs conseils à la cour sur sa demande, il apparaît que la question essentielle à trancher n'est pas celle du maintien pour l'avenir, à l'occasion de nouvelles opérations d'importation, de relations contractuelles entre la société Outiror et la société Danzas en forçant celle-ci à continuer de faire l'avance pendant 12 mois des droits de douane, de la TVA et des frais de transport terrestre à destination des entrepôts de la société Outiror, mais de dénouer les opérations actuellement en cours, la société Outiror s'engageant, pour toute nouvelle opération, à acquitter, si elle devait encore faire appel à la société Danzas pour des opérations futures - ce qui n'est pas certain, son concurrent Geodis ayant été approché -, ses factures de frais divers avancés dans les 30 jours de leur émission pour tout délai et sans nouveau moratoire;

Qu'il convient, néanmoins, de constater que l'encours global de la société Outiror dans les livres de la société Danzas s'élève, aux termes des deux ordonnances de référé, à la somme globale de 3 000 000 euro qui ne lui sera réglée que par échéances mensuelles et même, pour la somme de 1 700 000 euro dont 60 % représentent des droits de douane et de la TVA dus à l'Etat, avec un différé de six mois avant tout remboursement, le tout sans aucune garantie, puisqu'elle a été contrainte, en justice, de se dessaisir des marchandises qu'elle retenait; que, tandis que la procédure de prévention a commencé avec le mandat ad hoc le 4 avril 2006, soit il y a bientôt un an, il est légitime pour le principal fournisseur de service de l'entreprise intéressée, qui s'est déjà vu imposer un atermoiement pour une créance qui, à ce jour, est échue à concurrence d'environ 1 300 000 euro, de ne pas encore augmenter l'encours, en se voyant obligé de payer lui-même, sans aucun remboursement avant six mois, tous les droits et taxes dus à l'État et tous les frais d'acheminement des marchandises, pour permettre à la société Outiror de prendre possession de celles-ci, alors qu'il résulte de la décision déférée qu'elle n'est pas en mesure de lui payer immédiatement, ou au maximum dans les 30 jours, ces nouvelles avances de frais ; qu'on peut comprendre, dans ces conditions, que la société Danzas, à qui l'on fait manifestement ici financer en grande partie la poursuite de l'exploitation et de la procédure de conciliation, refuse d'accroître ainsi sa créance;

Attendu que, contrairement à ce que soutient la société Outiror, la libération des marchandises, après la perte judiciaire par la société Danzas de son droit de rétention, impose seulement au commissionnaire de mettre à disposition de son client les marchandises qu'il retenait, c'est-à-dire de ne plus s'opposer à leur remise ordonnée en justice ; que cette libération n'implique pas, en outre, qu'il fasse l'avance, dans les conditions prévues par la seconde ordonnance, de tous les frais qu'elle entraîne et dont, en tout état cause, l'importateur reste le débiteur final, étant rappelé que la rétention avait pour objet de garantir le paiement de la créance de 1 300 000 euro et non évidemment, celle de 1 700 000 euro;

Attendu que cette nouvelle charge financière ne résulte pas, non plus, de l'interdiction faite au fournisseur de services par l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, texte invoqué par la société Outiror, de ne pas rompre brutalement une relation commerciale établie avec son client ; qu'en effet, d'une part, ce texte réserve au fournisseur la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, et d'autre part, si l'on estime que la société Outiror satisfait à son obligation de payer la contrepartie financière des services rendus parce qu'elle a été autorisée à en échelonner ou différer l'exécution, le maintien forcé des relations contractuelles, au besoin ordonné en référé, que permet le texte, doit, en principe, avoir lieu aux conditions antérieures, sans aggravation de la situation du fournisseur et en prenant en considération l'évolution de la situation du débiteur cocontractant ; que, dès lors, si l'on peut admettre, au vu des relations suivies depuis environ cinq ans, que la société Danzas avait accepté, en tant que commissionnaire agréé en douane, de faire l'avance de la TVA et des diverses taxes douanières sans provision préalable de son client Outiror, de sorte qu'il peut être jugé qu'un contrat s'est noué sur ce point entre les parties obligeant le commissionnaire à poursuivre sa prestation de dédouanement, contrairement à ce qu'il plaide, il ne peut y être normalement tenu, sur le fondement de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, que dans les conditions contractuelles antérieures et aussi légales, c'est-à-dire sous réserve d'un remboursement de ses frais dans les trente jours, délai légal maximum que l'article L. 441-6 du même Code, dans sa rédaction de la loi du 5 janvier 2006, autorise un commissionnaire de transport et en douane à consentir à son client, ce qui n'est plus le cas en l'espèce ; que, sous couvert d'un simple maintien des relations contractuelles antérieures, demandé par la société Outiror, l'ordonnance de référé entreprise, en tout cas pour les opérations à dénouer - les opérations futures, s'il y en a, seront, pour leur part, effectivement soumises, aux conditions contractuelles et légales applicables aujourd'hui - , a, en réalité, imposé à la société Danzas de poursuivre ses relations à des conditions qui sont sans rapport avec celles observées antérieurement, ce qui n'entre pas dans les prévisions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, texte qui ne peut lui-même servir de base à l'octroi de délais de paiement non conformes aux conditions antérieures ;

Que, justifiant, en outre, en l'espèce, sinon d'une solvabilité douteuse de son client, au moins de retards de paiement indiscutables, la société Danzas était fondée, même en l'absence de clause contractuelle en ce sens, à refuser d'effectuer de nouvelles avances, fût-ce pour des opérations encours, et est fondée à critiquer une décision qui l'oblige encore à aggraver son encours à ce titre d'un montant de 1 700 000 euro, dont 1 000 000 euro de droits et taxes immédiatement dus à l'Administration des douanes, en contrepartie d'un hypothétique remboursement n'intervenant au mieux qu'à tempérament et pas avant six mois ; qu'il est peu admissible de forcer, sous astreinte, un commissionnaire en douane, quel qu'il soit, dont le poste d'avances est très lourd sur le plan financier, à augmenter sa créance dans une telle proportion et à l'obliger à dédouaner sans aucune provision préalable, uniquement pour favoriser le succès d'une procédure de conciliation, dont la réussite ne justifie pas, à ce point, un tel sacrifice des intérêts du principal fournisseur de service;

Attendu que la cour rappellera aussi que la conciliation, dans la loi de sauvegarde, ainsi que l'énonce l'article L. 611-7 du Code de commerce, dans son premier alinéa, vise à favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers - comme la société Danzas en l'espèce - ainsi que ses cocontractants habituels - comme la société Danzas encore - d'un accord amiable, et qu'imposer au principal fournisseur de services, dans le cadre ou en marge d'une procédure de conciliation, un tel niveau de contrainte n'est pas conforme à la volonté du Législateur et détourne de sa finalité une procédure de traitement des difficultés des entreprises qui a été fondamentalement conçue comme une procédure contractuelle, où la solution se dégage peu à peu d'une discussion entre partenaires invités à une table de négociation;

Que l'alinéa 5 de l'article L. 611-7 du Code de commerce n'a d'ailleurs autorisé, au cours de la procédure de conciliation, le juge qui a ouvert celle-ci, à prendre, en faveur du débiteur, les mesures prévues aux articles 1244-1 à 1244-3 du Code civil (report ou échelonnement des dettes, réduction du taux d'intérêt, imputation prioritaire des paiements sur le capital), que dans le seul cas de poursuite du débiteur par un créancier ce qui pouvait, le cas échéant, justifier l'atermoiement de la créance de 1 300 000 euro exigible à ce jour, tel qu'il a été décidé par la première ordonnance de référé, mais pas la seconde décision, la société Danzas, qui n'a engagé aucune poursuite pour le paiement de la somme de 1 700 000 euro, ne voulant justement pas augmenter d'autant sa créance et n'exerçant donc aucune poursuite, au sens du texte, pour le paiement d'une dette n'existant qu'en germe, puisqu'elle ne pourrait naître que de la confirmation de l'ordonnance entreprise;

Qu'il résulte de tout ce qui précède qu'à l'exception de la partie de son dispositif obligeant la société Danzas à maintenir pendant un an les prestations assumées antérieurement au profit de la société Outiror, mais sous la réserve, décidée par la cour, d'une provision préalable, l'ordonnance de référé entreprise sera infirmée dans toutes ses autres dispositions, y compris en ce qui concerne l'astreinte de 20 000 euro, dont il y a lieu de comprendre, contrairement à ce qu'implique le motif ambigu de la page 5 de l'ordonnance, qu'il ne s'agit pas de l'augmentation de celle de 15 000 euro prévue par la première ordonnance, pour mettre un terme au droit de rétention, mais bien d'une astreinte destinée, en propre, à contraindre la société Danzas à effectuer à ses frais avancés le dédouanement et le transport terrestre des marchandises;

Sur la demande reconventionnelle de la société Danzas:

Attendu que sa demande a pour objet de contraindre la société Outiror à prendre, sous astreinte, livraison de ses marchandises à ses frais, afin de libérer les sites de stockage de la société Danzas ; que, dans son principe, cette demande sera accueillie, mais avec un long différé pour permettre à la société Outiror de prendre ses dispositions et moyennant une astreinte réduite ;

Sur les demandes accessoires:

Attendu que les dépens d'appel seront à la charge de la société Outiror, sans qu'il y ait lieu de prévoir le remboursement des frais hors dépens;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, en matière de référé : Infirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a prescrit à la société DHL Danzas Air et Océan de maintenir pendant douze mois les prestations qu'elle assumait au profit de la société Outiror et que l'ordonnance détaille, mais à la condition, pour l'accomplissement des formalités douanières et relatives à la TVA et notamment l'avance des droits et taxes, qu'elle ait reçu provision préalable de son client; Juge que la société DHL Danzas Air et Océan n'a pas, pour les marchandises actuellement stockées sur ses sites du Havre et de Tours pour le compte de la société Outiror, à faire l'avance, sous astreinte journalière de 20 000 euro ni autrement, des frais et droits divers exigibles pour que la société Outiror puisse effectivement prendre livraison de ses marchandises et Dit, en conséquence, sans objet, la demande de la société Outiror, tendant à obtenir l'étalement de la dette correspondante de remboursement d'avances sur 24 mois (d'un montant estimé à environ 1 700 000 euro) avec un différé de 6 mois; Ordonne à la société Outiror de venir prendre, à ses frais, livraison des marchandises stockés sur les sites du Havre et de Tours de la société DHL Danzas Air et Océan, dans un délai de six mois à compter de la signification du présent arrêt, sous peine d'une astreinte de 2 000 euro par jour de retard; Dit que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par la société Outiror, mais Rejette toute demande de remboursement de frais hors dépens; Accorde à la SCP Laval-Lueger, titulaire d'un office d'avoué près la cour d'appel d'Orléans, le droit à recouvrement direct reconnu par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.