CA Limoges, ch. corr., 21 février 2007, n° 06-00686
LIMOGES
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bazot
Conseillers :
Mmes Renon, Dubillot-Bailly
Avocat :
Me Parleani
Décision dont appel
Sur l'action publique:
Par jugement n° 899-2006 en date du 2 juin 2006, le Tribunal correctionnel de Limoges a rejeté l'exception de nullité des citations délivrées aux prévenus, a déclaré Y Christophe, Z Jean-Claude, W Stéphane et SA X coupable des faits reprochés, a condamné :
- Y Christophe à une peine d'amende de 2 000 euro
- Z Jean-Claude à une peine d'amende de 3 000 euro
- W Stéphane à 2 000 euro d'amende
- la SA X à la peine d'amende de 80 000 euro,
a dit qu'il sera fait application de l'article 470-1 du Code de commerce selon lequel la juridiction peut condamner solidairement les personnes morales au paiement des amendes prononcées contre leurs dirigeants, a condamné également chacun des prévenus au paiement d'un droit fixe de procédure d'un montant de 90 euro.
Appels
Appel de cette décision a été interjeté par:
Monsieur Y Christophe, le 8 juin 2006
Monsieur Z Jean-Claude, le 8 juin 2006
Monsieur W Stéphane, le 8 juin 2006
SA X, le 8 juin 2006
Monsieur le Procureur de la République, le 8 juin 2006
LA COUR,
En mars et avril 2005, le DGCCRF a procédé au sein de la SAS X exploitant à Limoges un hypermarché à l'enseigne Leclerc, à un contrôle portant sur les conditions de facturation pour l'année 2004 des prestations de services englobés sous le terme générique de "coopération commerciale" et concernant les rayons frais, épicerie et produits d'hygiène;
Sur les factures examinées émises par la SAS X apparaissent :
- la dénomination de la prestation de service rendue,
- la période de réalisation variant de 1 mois et demi à l'année civile,
- l'indication du ou des produits concernés,
Les services rendus sont désignés selon les termes suivants :
- réalisation de mise en avant des produits,
- mise en place de stop rayon spécifique permettant la mise en valeur des produits,
- réalisation de la tête de gondole en magasin,
- lancement d'un nouveau produit du fournisseur assorti d'une action spécifique caractérisée par (tête de gondole, stop rayon, publicité sur le lieu de vente, démonstration sur le lieu de vente, dégustation sur le lieu de vente...).
L'Administration a considéré que ces définitions étaient insuffisantes pour caractériser la prestation réellement rendue d'autant :
- qu'en pratique la mise en avant peut correspondre à des stops rayons, des allées centrales ou saisonnières, des opérations thématiques, des têtes de gondole, des box, des affiches spécifiques,
- que le lancement d'un nouveau produit peut être décliné en plusieurs actions allant de la tête de gondole à une démonstration ou une dégustation sur le lieu de vente,
- que plusieurs prestations peuvent avoir lieu sur une même période pour des produits identiques ou similaires,
- que des contrats ont été signés très postérieurement au début théorique de réalisation de la prestation;
Sur les 186 factures remises, 132 représentant un montant total de 386 202,02 euro, ont été retenues comme non conformes au terme du procès-verbal dressé le 26 juillet 2005 et dont copie a été remise le 27 juillet 2005 à Monsieur Z, Président Directeur Général de la SAS X;
Celui-ci a expliqué:
- que les contrats et les factures de coopération commerciale étaient établis par les responsables de secteurs de vente sans le contrôle du directeur du magasin Monsieur W et du sous-directeur Monsieur Y,
- que la facture était établie en accord avec le fournisseur et après que le service ait été rendu,
- que tous les fournisseurs disposaient de services commerciaux susceptibles de procéder à tout contrôle utile,
Stéphane W a déclaré:
- que les contrats de coopération commerciale pouvaient être établis par les chefs de rayon, le sous-directeur ou lui-même selon la charge de travail, les factures relevant du service comptabilité,
- que les conditions des contrats étaient négociées par les centrales d'achats,
- que les termes utilisés correspondent à un langage technique professionnel que les initiés comprennent forcément,
- que les fournisseurs ont toute faculté pour venir vérifier en magasin si le contrat est respecté,
Monsieur Y a confirmé que lorsque un contrat de coopération commerciale était signé avec un fournisseur celui-ci savait exactement ce qui allait être réalisé et précisé que les fournisseurs effectuaient eux-mêmes des contrôles de linéaire;
Il a indiqué que le service comptabilité ne procédait à aucun contrôle dans le magasin, celui-ci relevant des chefs de rayon et rappelé que les conditions des contrats avaient été prévues par l'accord national A (groupement d'achats des [magasins B])
Il apparaît qu'en 2003, un précédent contrôle avait donné lieu à des remarques verbales sur l'imprécision des factures;
Poursuivis pour avoir établi des factures ne comportant pas la dénomination précise des services rendus en infraction aux dispositions de l'article L. 441-3 du Code de commerce, Messieurs Z, Y et W ainsi que la société X ont été condamnés au terme du jugement dont le dispositif est ci-dessus rapporté rendu le 2 juin 2006 par le Tribunal correctionnel de Limoges et dont les prévenus puis le Ministère public ont relevé appel;
In limine litis les prévenus reprennent devant la cour l'exception de nullité de la citation soulevée en première instance ; Cet incident est joint au fond;
Le Ministère public requiert la confirmation du jugement entrepris;
Les prévenus représentés par leur conseil, en sollicitent au contraire la réformation et demandent à la cour, au terme de conclusions de mettre Monsieur Z hors de cause au vu des délégations de pouvoirs qu'il a données aux deux directeurs du magasin et de relaxer ceux-ci des fins de la poursuite faute de caractérisation de l'infraction;
Sur l'exception de nullité
Selon l'article 551 al. 2 du Code de procédure pénale, la citation doit énoncer le fait poursuivi et viser le texte de loi qui le réprime;
En l'espèce les citations délivrées aux prévenus visent le fait d'avoir à Limoges, durant l'année 2004, étant vendeur de prestations de services, établit des factures ne comportant pas la dénomination précise des services rendus ainsi 132 factures, représentant un montant total de 386 202,02 euro, selon le procès-verbal détaillé de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes en date du 26 juillet 2005, dossier DD87 2005 00049 ; infraction prévue par art. L. 441-3 al. 2, al. 3, al. 4 du Code du commerce et réprimé par les articles L. 441-4, L. 470-2 du Code du commerce.
Le fait poursuivi est parfaitement identifié et circonscrit à l'établissement de factures ne comportant pas la dénomination précise des services rendus;
La citation précise le nombre de factures considérées comme non conformes et leur montant total et se réfère au procès-verbal établi contradictoirement par la DGCCRF dont un exemplaire a été remis aux prévenus et qui décrit les agissements incriminés et liste de manière exhaustive les factures litigieuses;
Les premiers juges ont ainsi fait une exacte application des principes juridiques aux éléments de la cause en ne retenant par le caractère abstrait de l'acte de poursuite et donc l'atteinte portée aux droits de la défense;
Sur les délégations de pouvoir
Sauf si la loi en dispose autrement, le chef d'entreprise qui n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il rapporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires;
La coopération commerciale ne relevant pas du domaine réservé du dirigeant peut parfaitement être déléguée;
Il est constant que Monsieur Z, président de la SA X a délégué ses pouvoirs dans le domaine de la législation économique et commerciale qui recouvre tant la coopération commerciale que la facturation,
- le 26 avril 1994 à Monsieur Y responsable alimentaire droguerie, parfumerie, hygiène et bénéficiaire du statut de cadre.
- le 3 juin 2002 à Monsieur W, directeur du magasin;
Ces délégations de pouvoir prévoient expressément que toute infraction résultant d'une imprévoyance, négligence ou inobservation des prescriptions existantes engagerait la responsabilité personnelle de délégataire devant la juridiction compétente;
Les délégataires participaient à l'établissement des contrats de coopération commerciale et disposaient des compétences et des moyens nécessaires pour vérifier la facturation;
En considération de ces délégations de pouvoir effectives, la responsabilité pénale de Monsieur Z ne peut être recherchée au regard de la présente prévention;
Sur le fond
La poursuite ne vise que le défaut de dénomination précise des services rendus par le distributeur à ses fournisseurs.
Il convient donc de vérifier la conformité des factures visées à la prévention au regard des dispositions de l'article L. 441-3 du Code de commerce relativement à la forme que doivent présenter ces documents commerciaux et non pas de rechercher si la prestation a été effectivement réalisée ou non.
En l'espèce sur les factures incriminées ont été portées les mentions suivantes relevées par la DGCCRF dans un procès-verbal: "mise en avant des produits" "lancement régional nouveau produit" "location d'espace", "TAC régional", tronc d'assortiment commun régional, "recommandation animation", "partenariat de longue durée".
La loi exige entre autres mentions que soit indiquée sur la facture la dénomination précise des services rendus.
La loi pénale doit être interprétée strictement: elle n'exige pas une description de la nature ou des caractéristiques de la prestation de service ou des produits qui en sont l'objet.
La circulaire d'application du 16 mai 2003 du ministre de l'Economie et des Finances et de l'Industrie publiée au Journal officiel n° 121 du 25 mai 2003 page 8970 relative à la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs a illustré la notion de coopération commerciale en proposant à titre indicatif les dénominations génériques suivantes, notamment : "mise en avant", "publicité sur les lieux de vente", "attribution d'emplacements privilégiés", "promotion publicitaire";
En l'espèce, les dénominations utilisées par la SA X figurant sur les factures litigieuses répondent aux exigences de l'article L. 441-3 du Code de commerce en ce qu'elles comportent la dénomination suffisamment précise de la prestation de service.
L'infraction n'étant pas constituée, il y a lieu de renvoyer les prévenus des fins de la poursuite;
Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Déclare les appels recevables; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité de la citation; Le Reforme pour le surplus et Statuant à nouveau, Relaxe les prévenus des fins de la poursuite.