CA Paris, 4e ch. A, 22 février 2006, n° 05-02573
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
LPG Systems (SA)
Défendeur :
Métropole Télévision (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carre-Pierrat
Conseillers :
Mmes Magueur, Rosenthal-Rolland
Avoués :
SCP Bommart-Forster, SCP Roblin-Chaix de Lavarene
Avocats :
Mes Marcellin, Bouchenard
Vu l'appel interjeté, le 9 décembre 2004, par la société LPG Systems d'un jugement rendu le 15 septembre 2004 par le Tribunal de grande instance de Paris qui, après différentes constatations d'ordre procédural,
* l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,
* l'a condamnée à verser à la société Métropole Télévision la somme de 7 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens,
* a débouté la société Innodis Distribution de sa demande de dommages-intérêts et de celle ayant trait aux frais irrépétibles ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 9 décembre 2005, aux termes desquelles la société LPG Systems, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour de :
* au visa des articles L. 713-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle, juger que la société Métropole Télévision en utilisant les termes Cellu System et Cellu System Plus seuls ou en combinaison avec les termes M6 ou M6 Boutique pour offrir en vente et vendre des appareils de massage ont porté atteinte à ses droits de marque et ont commis des actes de contrefaçon par reproduction ou à tout le moins par imitation des marques Cellu M6, déposée le 6 novembre 1991 et enregistrée sous le n° 1705125 pour des produits et services des classes 7, 9, 10 et 28 dont les appareils et instruments scientifiques, et médicaux, déposée le 15 juin 1995 et enregistrée sous le n° 95576728 pour des produits et services des classes 8, 10 et 11 dont les appareils de massage médical et/ou esthétique, les trousses et outils pour manucure ou encore les appareils non électriques pour l'épilation et enfin de marque internationale Cellu M6 désignant la France, déposée le 23 janvier 1992 et enregistrée sous le n° 582318 pour des produits et services des classes 10 et 28 dont les appareils médicaux,
* faire défense à la société Métropole Télévision de faire usage sous quelque forme et de quelque manière que ce soit de la dénomination Cellu seule ou de façon combinée ainsi que du terme M6 et ce notamment à titre de marque, de dénomination sociale, de nom commercial ou d'enseigne et ce sous astreinte définitive et comminatoire de 15 000 euro par infraction constatée et par jour de retard, la cour se réservant de liquider ladite astreinte,
* ordonner la destruction de tous les supports publicitaires, notamment films et prospectus, ainsi que tous documents commerciaux, financiers ou administratifs comportant la reproduction incriminée de contrefaçon,
* condamner la société Métropole Télévision à lui payer la somme de 1 000 000 d'euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice qui lui est causé par les actes de contrefaçon de marque, concurrence loyale, par dénigrement, publicité comparative illicite et parasitisme,
* répartir les dommages et intérêts susvisés pour moitié en raison des actes de contrefaçon de marque et pour l'autre moitié pour concurrence déloyale, parasitaire et faits de publicité mensongère,
* condamner la société Métropole Télévision à lui payer une somme complémentaire à titre provisionnel et à dire d'expert de 1 000 000 d'euro pour les actes de contrefaçon des marques Cellu M6 notamment par usage de la dénomination Cellu System et Cellu System Plus sur la chaîne de télévision M6 et sur le site Internet M6 Boutique commis depuis l'exploit introductif de la présente instance,
* désigner un expert avec pour mission de déterminer l'étendue des actes de contrefaçon commis par M6 Boutique sur son site Internet M6 Boutique et le nombre d'appareils Cellu System vendus par le biais de l'émission de télé-achat sur la chaîne M6 et au moyen du site Internet de M6 Boutique,
* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans dix journaux ou périodiques de son choix et aux frais avancés solidaires des sociétés intimées sans que le coût de chaque insertion dépasse 8 000 euro,
* condamner la société Métropole Télévision à lui verser la somme de 30 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens ;
Vu les ultimes conclusions, en date du 22 décembre 2005, par lesquelles la société Métropole Télévision M6, sollicite de la cour de :
* constater que les logos M6 et M6 Boutique n'ont pas été reproduits pour désigner un appareil de massage et, plus généralement, constater l'absence de toute association possible entre les dénominations Cellu System et Cellu System Plus et les logos susvisés pour en faire une désignation unique ayant un même et seul objet,
* juger qu'elle n'a pas contrefait la marque Cellu M6, et qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale, de parasitisme, de dénigrement et/ou de publicité trompeuse et comparative au détriment de la société LPG Systems et, en conséquence, débouter cette dernière de l'ensemble de ses demandes,
* à titre reconventionnel, condamner la société LPG Systems à lui payer la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 30 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens
Sur ce, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :
* la société LPG Systems est titulaire des marques Cellu M6,
* déposée le 25 mars 1986 et enregistrée sous le n° 1349008 pour désigner des produits et services des classes 7, 9, 10 et 28, dont les appareils et instruments scientifiques et médicaux,
* déposée le 6 novembre 1991 et enregistrée sous le n° 1705125 pour désigner des produits et services des classes 7, 9, 10 et 28, dont les appareils et instruments scientifiques, et médicaux,
* déposée le 15 juin 1995 et enregistrée sous le n° 95576728 pour désigner des produits et services des classes 8, 10 et 11, dont les appareils de massage médical et/ou esthétique, les trousses et outils pour manucure ou encore les appareils non électriques pour l'épilation,
* et enfin une marque internationale Cellu M6 désignant la France, déposée le 23 janvier 1992 et enregistrée sous le n° 582318 pour désigner des produits et services des classes 10 et 28, dont les appareils médicaux,
* la société LPG Systems a, le 7 juillet 1999, constaté que dans le cadre d'une émission de Télé-achat sur la chaîne de télévision M6 (M6 Boutique), l'animatrice et les intervenants présentaient un appareil grand public Cellu Systems et Cellu System Plus,
* selon la société appelante, l'association de la dénomination Cellu System ou Cellu System Plus avec le logo M6, en haut à droite de l'écran, serait de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du public,
* c'est dans ces circonstances que la société LPG Systems a engagé la présente instance en contrefaçon, concurrence déloyale et parasitaire à l'encontre de la société Métropole Télévision M6 ;
- Sur la contrefaçon :
Considérant, en premier lieu, qu'il convient d'infirmer le jugement déféré en ce que les premiers juges ont, à tort, jugé que la société appelante ne saurait revendiquer un droit privatif sur le terme Cellu au motif qu'elle aurait renoncé à son action contre d'autres sociétés titulaires de marques comportant ce radical ;
Qu'en effet, d'une part, la renonciation à un droit ne se présume pas et, d'autre part, le titulaire d'une marque en dispose librement de sorte qu'il est en droit de l'opposer ou de ne pas l'opposer à une tierce personne ;
Considérant que, en deuxième lieu, il n'est pas contesté qu'il y a identité entre les produits commercialisés sous les dénominations contestées et ceux visées à l'enregistrement des différentes marques dont la société LPG Systems est titulaire ;
Considérant, en troisième lieu, que ces signes n'étant pas identiques, il convient de rechercher, au sens de l'article L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle, s'il existe entre eux un risque de confusion qui doit être apprécié globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce ; que cette appréciation globale doit, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des signes en cause, être fondée sur l'impression d'ensemble produite, en tenant compte de leurs éléments distinctifs dominants ;
Considérant que, s'agissant de la similitude visuelle, d'abord, le signe Cellu M6 est composé de 8 caractères (7 et 1 espace) et le signe Cellu System de 12 caractères (11 lettres et 1 espace situé au même endroit entre Cellu et le terme qui lui est adjoint), ensuite, à l'écran le signe Cellu System est présenté sur 2 lignes alors que le vocable M6 est présenté au même niveau que le radical Cellu de telle sorte que cette représentation à l'écran fait apparaître sur une seule et même ligne le signe Cellu M6, enfin, il convient de comparer non pas le signe Cellu System par rapport au signe Cellu M6 mais seulement le terme Cellu, celui de System devant être ignoré comme étant insusceptible d'effet sur l'appréciation de la contrefaçon ;
Considérant que, en ce qui concerne la similitude phonétique, les différences entre les suffixes, même à supposer que l'on retienne le terme System, ne permettent pas de conclure à une absence d'imitation dès lors que ce terme se prononce 6M de sorte qu'il fait écho à M6 ;
Considérant, au plan intellectuel, que le consommateur d'attention moyenne sera enclin à penser que l'appareil de massage, proposé à la vente par la société Métropole Télévision M6, est une déclinaison grand public et portable de l'appareil Cellu M6 vendu par la société appelante ;
Considérant que, par ailleurs, la marque Cellu M6 possède en soi un caractère distinctif élevé en raison de sa notoriété, qui n'est pas contesté, sur le marché spécifique des appareils de traitement de la cellulite et des investissements constants réalisés par la société LPG Systems en terme de communication dans la presse et plus particulièrement dans les magazines féminins ;
Or considérant que plus la similitude des produits et services couverts par la marque est grande et plus le caractère distinctif est fort, plus le risque de confusion est élevé ;
Considérant que le moyen de la société Métropole Télévision M6 tiré de la circonstance selon laquelle le terme Cellu serait aujourd'hui consubstantiel au secteur d'activité esthétique est inopérant dès lors que le caractère distinctif de ce terme doit s'apprécier, non pas à la date à laquelle la cour statue, mais à celle de son premier dépôt par la société LPG Systems, c'est-à-dire au 25 mars 1986 ;
Et, considérant qu'il résulte de l'examen des pièces versées aux débats qu'à cette date le signe Cellu était inusité et partant parfaitement distinctif pour désigner des appareils de massage ;
Considérant que, pour contester tout risque de confusion, la société Métropole Télévision M6 fait valoir que l'appareil de traitement de la cellulite dénommé Cellu System ou Cellu System Plus serait, à la différence de celui commercialisé par la société appelante, destiné à un usage purement domestique et non réservé aux professionnels ;
Mais considérant que les différences de clientèle et de prix alléguées ne sauraient être prises en considération au regard de l'appréciation de l'imitation de la marque Cellu M6 par les signes utilisés par la société intimée, d'autant que le consommateur d'attention moyenne sera enclin à penser que l'appareil à usage domestique est une déclinaison de celui utilisé par les professionnels ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Métropole Télévision M6, en utilisant les termes Cellu System et Cellu System Plus, seuls ou en combinaison avec le terme M6 ou M6 Boutique pour offrir à la vente des appareils de massage, a commis des actes de contrefaçon des marques Cellu M6, dont est titulaire la société LPG Systems ;
Qu'il s'ensuit que, sur ce point, le jugement déféré sera infirmé ;
- Sur la concurrence déloyale et parasitaire, le dénigrement et la publicité comparative :
Considérant qu'il est établi, et non contesté, que les appareils vendus par la société Métropole Télévision M6, sous les dénominations Cellu System et Cellu System Plus, se dénommaient lors de leur acquisition par la société intimée Cellulift, signe apposé sur ces appareils qui a été, à l'occasion de la présentation au cours de l'émission de télé-achat, masqué par l'apposition des signes contestés ;
Considérant que, pour s'exonérer de toute responsabilité, la société intimée entend se prévaloir des dispositions de l'article 8-4 du décret n° 92-882 du 1er septembre 1982 qui dispose que lors de la présentation des biens ou services offerts à la vente, les émissions de télé-achat ne peuvent comporter l'indication de la marque, du nom du fabricant, du distributeur ou du prestataire de services, de même que des dispositions de l'article 24 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992, modifié, qui édicte pour l'essentiel des dispositions identiques ;
Mais considérant que la société intimée avait, pour se conformer à ces dispositions réglementaires, la possibilité de recourir, afin de dissiper tout risque de confusion, à des dénominations autres que celles utilisées ;
Qu'à l'évidence le choix des signes Cellu System et Cellu System Plus ne ressort pas du simple concours de circonstances mais traduit la volonté de la société Métropole Télévision M6, d'une part, de créer, pour des produits identiques, une confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne et, d'autre part, de s'inscrire dans le sillage de marques faisant l'objet, ainsi qu'il en est justifié aux débats, de nombreux articles de presse et de multiples opérations publicitaires et de promotion ;
Qu'en effet il n'est pas contesté que plus de 100 millions de séances de massage ont été dispensées par l'utilisation des appareils Cellu M6, au profit de plus de 6,5 millions de personnes ;
Qu'il s'ensuit que ce comportement fautif qui constitue des faits distincts de la contrefaçon, caractérise des actes de concurrence déloyale et parasitaire, de sorte que le jugement sera, sur ce point, également infirmé ;
Considérant que, s'agissant des faits de dénigrement et de publicité trompeuse, le jugement déféré mérite confirmation en ce que les premiers juges ont par une motivation pertinente que la cour adopte, rejeté les prétentions de la société LPG Systems ;
Que, de surcroît, la société appelante ne formule aucune critique précise à l'encontre de ce jugement et ne produit aux débats aucun document nouveau de nature à corroborer ses allégations ;
- Sur les mesures réparatrices :
Considérant que, pour mettre fin à ces actes illicites, il convient de faire droit aux mesures d'interdiction, de destruction et de publication sollicitées par la société LPG Systems, suivant les modalités retenues au dispositif du présent arrêt ;
Considérant que, s'agissant des prétentions pécuniaires formulées par la société appelante au titre de la réparation des préjudices par elle subis, il résulte suffisamment des éléments du dossier, sans qu'il soit utile de recourir à la mesure d'expertise sollicitée, que l'atteinte portée aux marques Cellu M6 est d'autant plus importante qu'elle a été réalisée par le truchement d'émissions télévisées dont il n'est pas contesté qu'elles réunissent un nombre important de téléspectateurs, en particulier de sexe féminin plus particulièrement sensible aux questions liées au traitement de la cellulite ;
Que les actes illicites sanctionnées ont, dans les conditions ci-dessus rappelées, nécessairement banalisé les marques dont la société LPG Systems est titulaire et, au surplus, ont pu être interprétés par les professionnels utilisant les appareils créés et vendus par cette société comme étant la manifestation de sa volonté de diversifier ses activités, en se positionnant sur le marché individuel du massage, et partant de les priver d'une partie de leur clientèle ;
Qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'intégralité des préjudices subis par la société LPG Systems, y compris pour la période postérieure à l'introduction de la présente procédure, sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts ;
- Sur les autres demandes :
Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société Métropole Télévision M6 sera déboutée de sa demande formée au titre de la procédure abusive et qu'elle ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; que, en revanche, l'équité commande de la condamner, sur ce dernier fondement, à verser à la société LPG Systems une indemnité de 20 000 euro ;
Par ces motifs, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté la société LPG Systems de ses prétentions au titre du dénigrement et de la publicité mensongère, Et statuant à nouveau : Dit que la société Métropole Télévision en utilisant les termes Cellu System et Cellu System Plus seuls ou en combinaison avec les termes M6 ou M6 Boutique pour offrir en vente et vendre des appareils de massage, a commis des actes de contrefaçon par imitation des marques Cellu M6, dont la société LPG Systems est titulaire, Interdit à la société Métropole Télévision de faire usage sous quelque forme et de quelque manière que ce soit de la dénomination Cellu seule ou de façon combinée à titre de marque, de dénomination sociale, de nom commercial ou d'enseigne et ce sous astreinte de 5 000 euro par infraction constatée et par jour de retard, passé le délai de quinzaine après la signification du présent arrêt, la cour se réservant la liquidation de l'astreinte, Ordonne la destruction de tous les supports publicitaires, notamment films et prospectus, ainsi que de tous documents commerciaux, financiers ou administratifs concernant la contrefaçon sanctionnée, Condamne la société Métropole Télévision M6 à payer à la société LPG Systems une indemnité de 150 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de l'intégralité des préjudices subis, Autorise la société LPG Systems à faire publier, en intégralité ou par extraits, le présent arrêt dans cinq journaux ou périodiques de son choix et aux frais de la société Métropole Télévision M6, sans que le coût de chaque insertion dépasse 3 500 euro HT, Condamne la société Métropole Télévision M6 à verser à la société LPG Systems une indemnité de 20 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, Condamne la société Métropole Télévision M6 aux entiers dépens qui, pour ceux d'appel, seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.