Cass. com., 26 juin 2007, n° 06-12.077
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Sopavia (SA)
Défendeur :
Daimler Chrysler France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Tricot
Rapporteur :
Mme Tric
Avocat général :
M. Jobart
Avocats :
Me Odent, SCP Peignot, Garreau
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt déféré (Versailles, 24 novembre 2005), que par contrat du 25 septembre 1996, la société Daimler Chrysler France (société DCF) a consenti sur les territoires de Pau et Tarbes la concession exclusive à la Sopavia de la commercialisation des voitures particulières fabriquées par la société Mercedes Benz, pour une durée indéterminée; qu'en octobre 1999, elle a informé l'ensemble de ses concessionnaires de sa décision de réorganiser son réseau de distribution Mercedes Benz par " plaques " constituées à partir du regroupement de plusieurs concessions; que par lettre du 16 septembre 2002, elle a notifié à la société Sopavia la résiliation du contrat de concession avec effet au 30 septembre 2003; que la société Sopavia l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour rupture des pourparlers en cours avec la société Slavi en vue de la reprise du fonds, application abusive du délai de préavis abrégé et détournement de clientèle ;
Sur le premier moyen : - Attendu que la société Sopavia reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de condamnation de la société DCF à lui verser des dommages-intérêts pour résiliation abusive du contrat de concession prévoyant un délai normal de préavis de deux ans, alors, selon le moyen : 1°) que selon les articles 5-2 et 5-3 du règlement communautaire n° 1475-95 modifié par le règlement n° 1400-2002, le concédant ne peut réduire le délai de préavis contractuel de résiliation du contrat de concession de deux ans à un an que s'il justifie de la nécessité de réorganisation économique de l'ensemble ou d'une partie substantielle de son réseau; que pour écarter tout caractère abusif à la réduction opérée par la société DCF de deux à un an du délai de préavis de résiliation du contrat de concession la liant à la société Sopavia, la cour d'appel fait état de la nécessité pour la société DCF de réorganiser juridiquement son réseau pour être en conformité avec les dispositions communautaires reprises par l'article 15-5 du contrat de concession; qu'en se fondant dès lors sur une réorganisation juridique du réseau de concessionnaires pour déclarer valide cette réduction du préavis contractuel, hypothèse uniquement admise en cas de réorganisation économique, la cour d'appel a violé les articles susvisés; 2°) qu'en cause d'appel, la société Sopavia avait exposé qu'en toute hypothèse, la société DCF devait établir qu'une réorganisation économique de la totalité ou d'une partie substantielle de son réseau était nécessaire au regard des exigences communautaires pour justifier la décision de résiliation du contrat de concession sans respecter le délai de préavis de deux ans, réduit à un an; qu'en se fondant dès lors uniquement sur la nécessité d'une réorganisation juridique pour la société DCF de ses réseaux de concession, étrangère à toute notion de nécessité d'une réorganisation économique qu'elle n'a donc ni constatée ni recherchée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 5-2 et 5-3 du règlement 1475-95 et 15-5 du contrat de concession; 3°) que la résiliation de contrats de concession pour mise en conformité avec les articles 5-2 et 5-3 du règlement communautaire 1475-95 modifié par le règlement communautaire n° 1400-2002 est subordonnée à la nécessité impérative d'une réorganisation économique du réseau de concession par le concédant qui doit l'établir; qu'en se fondant dès lors sur des considérations inopérantes liées à la mise en œuvre et à la poursuite de la nouvelle politique commerciale de la société DCF étrangère à cette exigence communautaire, pour admettre la réduction à un an du préavis prévu de deux ans, la cour d'appel n'a pas légalement justifié son arrêt au regard des articles 5-2 et 5-3 du règlement communautaire 1475-95 et 15-5 du contrat de concession; 4°) que l'autorité de la chose jugée attachée à une décision judiciaire ne peut être opposée qu'aux seules parties qui ont déjà été parties au litige ayant abouti à cette décision; qu'en opposant dès lors à la société Sopavia les constatations tirées de la réduction des concessionnaires lors d'une instance ayant opposé la société DCF à une société Garage de Bretagne, à laquelle la société Sopavia n'avait pas été partie, la cour d'appel a violé l'article 1351 du Code civil ; 5°) que la réduction de deux à un an du délai de préavis contractuel pour la résiliation d'un contrat de concession n'est admise qu'en cas de démonstration de la nécessité pour le concédant de procéder à la réorganisation économique effective de son réseau de concession ; que la cour d'appel a affirmé qu'il appartenait à la société Sopavia de démontrer que la société DCF n'avait pas poursuivi ses relations commerciales avec 90 % de ses concessionnaires; qu'en mettant la démonstration de cette preuve négative à la charge de la société Sopavia, tandis qu'il appartenait à la société DCF de rapporter cette preuve pour établir l'effectivité de la réorganisation économique de son réseau de concession qu'elle alléguait pour bénéficier du régime exceptionnel de réduction du délai de préavis, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du Code civil; 6°) que dans ses conclusions d'appel la société Sopavia avait fait valoir en se fondant sur les déclarations de la Commission européenne, qu'une adaptation emportant modification des contrats de concession était suffisante pour se conformer aux dispositions communautaires, sans nécessité de procéder à des résiliations abusives, par voie de conséquence ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé les articles 455 du nouveau Code de procédure civile et 6-1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme;
Mais attendu, en premier lieu, que, loin de se borner à faire état de la seule nécessité pour la société DCF d'une réorganisation juridique de son réseau pour être en conformité avec les nouvelles dispositions communautaires, l'arrêt retient que la société DCF avait mis en œuvre depuis l'année 2000 une nouvelle politique commerciale, dont les juges n'ont pas à apprécier la pertinence, tendant à inciter ses concessionnaires à distribuer non seulement la marque Mercedes mais également les marques Smart et Chrysler et qu'elle devait en tirer les conséquences en concentrant davantage son réseau, de sorte que la poursuite de sa nouvelle politique commerciale, combinée avec l'obligation de mettre en œuvre avant le 1er octobre 2003 de nouveaux contrats de distribution sélective quantitative et qualitative tant pour la vente de véhicules neufs que pour le service après-vente, rendait nécessaire la réorganisation du réseau ; qu'ainsi, la cour d'appel a fait ressortir que la réorganisation substantielle du réseau était nécessaire pour des raisons tant juridiques qu'économiques ;
Attendu, en second lieu, que l'arrêt relève que la Sopavia admet que la société DCF a résilié l'ensemble de ses contrats de distribution automobile en vigueur sur le territoire français, a négocié de nouveaux contrats sur l'ensemble du territoire et a adopté un nouveau système de distribution par plaques régionales, en réduisant d'un tiers le nombre de ses membres entre 2000 et 2003, ainsi que l'établissent des déclarations faites à la presse et les constatations faites par la cour d'appel dans un arrêt du 24 février 2005 ; qu'il en déduit qu'il y a eu réorganisation substantielle du réseau ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas violé le principe de l'autorité de la chose jugée dès lors que l'arrêt du 24 février 2005 avait été versé aux débats à titre de preuve de faits, a, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la cinquième branche, légalement justifié sa décision; d'où il suit qu'irrecevable en ses première, deuxième et cinquième branches, le moyen n'est pas fondé pour le surplus;
Sur le deuxième moyen : - Attendu que la société Sopavia fait encore reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de condamnation de la société DCF à réparer son préjudice né de la rupture abusive de pourparlers imputable à la décision de résiliation du contrat de concession, alors, selon le moyen, que toute faute commise par une partie lors de la tenue de pourparlers précontractuels ou contractuels engage sa responsabilité à l'égard des autres parties concernées; que la cour d'appel s'est fondée sur la longueur des négociations pour imputer à la société Sopavia la responsabilité de la rupture des pourparlers et dégager la société DCF pourtant négociatrice, de toute faute; que, tout en constatant que les parties, la société Sopavia et M. Ripert, avaient repris sous l'égide de la société DCF leurs négociations début 2002, provoquant des échanges de correspondances entre leurs conseils et experts-comptables, la cour d'appel qui n'a pas recherché, ainsi qu'il lui était demandé, si la décision de rupture unilatérale du contrat de concession prise par la société DCF en septembre 2002 n'était pas seule à l'origine de l'arrêt brutal des pourparlers, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil;
Mais attendu qu'après avoir constaté que la société Sopavia avait été informée dès 1999 de la volonté de réorganisation du réseau autour de "plaques" regroupant plusieurs concessions, puis du souhait de confier la nouvelle plaque sur la région à M. Ripert et que, malgré les tentatives de la société Sopavia pour infléchir sa position en sa faveur, la société DCF a dès mars 2001 clairement indiqué que la nouvelle "plaque" serait confiée à M. Ripert, encourageant la société Sopavia à engager des négociations avec lui, l'arrêt retient que l'échec des négociations incombe à la société Sopavia qui a refusé une première réunion en mars 2001, puis a opposé un refus à toute cession de ses affaires à M. Ripert en décembre 2001; qu'il constate que les négociations ayant repris, la société DCF avait proposé de prendre en charge les frais de mission d'évaluation de la Sopavia et que c'est à la suite du refus de cette société de faire procéder à un audit des comptes que M. Ripert a renoncé à faire une proposition chiffrée ; qu'ainsi, la cour d'appel a fait la recherche prétendument omise : que le moyen n'est pas fondé;
Et sur le troisième moyen : - Attendu que la société Sopavia reproche enfin à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de condamnation de la société DCF pour captation déloyale de clientèle, alors, selon le moyen : 1°) que l'inexécution de mauvaise foi du contrat engage la responsabilité contractuelle d'un contractant à l'égard de son cocontractant ; que pour débouter la société Sopavia de son action en responsabilité à l'encontre de la société DCF pour avoir autorisé l'installation d'un tiers nécessairement concurrent à proximité de ses deux concessions, la cour d'appel a retenu que celle-ci n'exploitait pas cette concession et qu'aucun détournement de clientèle au sens des règles gouvernant la concurrence déloyale n'était caractérisé ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses observations induisant une exécution de mauvaises foi du contrat de concession exclusive, indépendamment de toute notion étrangère au litige de concurrence déloyale exercée par un concurrent direct en violation de l'article 1147 du Code civil; 2°) qu'à titre subsidiaire et en toute hypothèse, la faute commise par un contractant en dehors de l'exécution du contrat engage sa responsabilité civile délictuelle à l'égard de son cocontractant; que tout en constatant que la société DCF avait permis à un potentiel concurrent de s'installer près de son concessionnaire, la société Sopavia, la cour d'appel qui a cependant considéré que cette société n'avait commis aucune faute extérieure au contrat n'a pas tiré les conséquences légales de ses observations au regard de l'article 1382 du Code civil;
Mais attendu, d'une part, qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des conclusions que la société Sopavia ait invoqué la responsabilité contractuelle de la société DCF ; que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit;
Attendu, d'autre part, qu'ayant relevé que le fait que la société Sopavia ne soit plus distributeur des véhicules neufs Mercedes Benz ne lui fait pas perdre sa clientèle locale qui est indépendante de la marque concédée, l'arrêt retient que, le détournement de clientèle impliquant l'usage de manœuvres déloyales pour capter la clientèle d'une autre entreprise, le simple fait pour le concédant d'avoir donné son accord pour que M. Ripert s'installe à proximité immédiate de la société Sopavia pour commercialiser des véhicules Mercedes Benz n'est pas, en soi, constitutif de concurrence déloyale; d'où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.