Livv
Décisions

CA Pau, 1re ch., 8 septembre 1994, n° 93-1845

PAU

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cerramon

Défendeur :

Morot Monomy

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lacroix (faisant fonction)

Conseillers :

Mlle Massieu, Mme Ville

Avoués :

SCP Rodon, Me Galinon

Avocats :

Mes Garreta, Latrille

TGI Bayonne, 1re ch., du 25 janv. 1993

25 janvier 1993

Attendu que par acte authentique du 21 mai 1990 Madame Morot Monomy a acheté à Madame Cerramon, marchand de biens, le lot n° 1 de la copropriété sise 12, rue d'Ossuna à Biarritz et consistant en un appartement de 3 pièces sur cave ;

Attendu que d'importantes infiltration d'humidité s'étant manifestées dans la cave et ayant été constatées par huissier le 12 décembre 1990, Mme Morot Monomy a d'abord sollicité l'indemnisation des dommages par son assureur (réunion d'expertise amiable le 6 mars 1991, en présence de Mme Cerramon) puis elle a assigné la venderesse le 25 avril 1991 sur le fondement des articles 1641 et suivants du Code civil, devant le Tribunal de grande instance de Bayonne ;

Attendu qu'une expertise judiciaire confiée à M. Chamotte a été ordonnée et après dépôt du rapport le 8 janvier 1992 le tribunal a rendu un jugement le 25 janvier 1993 retenant la garantie de Mme Cerramon et condamnant celle-ci au paiement d'une indemnité de 55 991,06 F à réactualiser pour réparation du préjudice matériel, d'une indemnité de 50 000 F pour trouble de jouissance, outre 2 500 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Que le syndicat des copropriétaires et Mme Errea, autre copropriétaires, également présents à l'instance étaient déboutés ;

Attendu que Mme Cerramon est régulièrement appelante de cette décision uniquement en ses dispositions relatives à la demande de Mme Morot Monomy ;

Qu'elle a successivement invoqué :

- la tardiveté de l'action engagée 4 mois après l'apparition du dommage,

- la clause d'exclusion de garantie et sa bonne foi,

- l'origine inconnue des désordres, de sorte que ceux-ci ne peuvent s'analyser en vices affectant la structure de la chose vendue,

- le rôle causal probable des travaux réalisés par Mme Morot Monomy après l'acquisitio,

- le caractère exceptionnel des désordres apparaissant dans des circonstances atmosphériques particulières (fortes pluies) ;

Qu'elle conclut à l'irrecevabilité et au mal fondé de l'action de Mme Morot Monomy, et subsidiairement elle sollicite une nouvelle expertise car elle estime excessif le coût des travaux de reprise proposé par l'expert ;

Qu'elle réclame 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que Mme Morot Monomy conteste la validité de la clause limitative de garantie par référence à l'article 1643 du Code civil et à la jurisprudence qui condamne de telles clauses entre vendeurs professionnels et acquéreurs occasionnels, et elle rappelle que Mme Cerramon est marchand de biens, ce qui la constitue responsable de plein droit ;

Qu'elle estime que son action a été engagée à bref délai, compte tenu des circonstances ;

Qu'au fond, elle explique que le vice affectant le bien vendu est "caché" dans la mesure où il n'est apparu qu'après la vente et s'est reproduit plusieurs fois depuis lors ; qu'elle fait grief à Mme Cerramon de n'avoir pas soumis à l'expert ses explications relatives aux travaux réalisés après la vente, et que selon elle cet argument n'est que "spéculations tardives" ;

Qu'elle s'oppose à toute nouvelle expertise, conclut à la confirmation de la décision déférée et réclame 10 000 F supplémentaires en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que l'action résultant des vices rédhibitoires doit être, selon l'article 1648 du Code civil, exercée à bref délai, celui-ci s'appréciant selon la nature du vice et les usages ;

Attendu qu'en l'espèce, il est acquis que le "vice" affectant le bien vendu est apparu le 10 décembre 1990, et que l'assignation au fond a été délivrée le 25 avril 1991 ; qu'entretemps, Mme Morot Monomy a fait intervenir son assureur, et ce en accord avec Mme Cerramon qui a assisté aux opérations de l'expert délégué par l'assureur ;

Attendu que ce souci de trouver une solution amiable et moins onéreuse pour le vendeur n'autorise pas ce dernier à opposer ensuite la tardivité de l'action ;

Qu'au contraire, l'action a été engagée dans des délais parfaitement raisonnables et doit être déclarée recevable ;

Attendu que Mme Cerramon a vendu le bien litigieux en qualité de marchand de biens et doit en conséquence être considérée comme un vendeur professionnel ;

Attendu que si l'article 1643 du Code civil autorise les stipulations excluant la garantie du vendeur, ce texte n'est pas applicable au vendeur professionnel qui est présumé connaitre les vices cachés affectant la chose vendue ;

Que dès lors Mme Cerramon n'est fondée ni à invoquer la clause limitant sa garantie, ni sa bonne foi ;

Attendu au fond que le vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil, est nécessairement inhérent à la chose elle-même et antérieur, même à l'état de germe, à la vente ;

Attendu en l'espèce que l'expert a effectué 4 transports sur les lieux pour déterminer l'origine des infiltrations ; qu'il les décrit comme " désordonnées ", exclut qu'elles puissent provenir des écoulements forcés d'eaux pluviales de la maison considérée et des maisons mitoyennes, ou de l'évacuation des appareils sanitaires, et il précise "les entrées d'eau, manifestement en provenance du sol derrière les murs et non décelables en raison de la configuration des constructions, peuvent provenir de fuites sur canalisations enterrées, appartenant ou non à la copropriété" ; et il ajoute " malgré de sérieuses recherches par les moyens habituels non destructifs, la cause des entrées d'eau n'a pu être déterminée avec certitude, la configuration des lieux (maison enclavée entre d'autres et mitoyenne à celles-ci) ne permet pas d'effectuer matériellement des recherches à l'entour de la maison" ;

Que ce rapport d'expertise n'établit ni l'existence d'un vice inhérent au bien vendu, (l'hypothèse d'une cause extérieure étant privilégiée) ni l'antériorité de ce vice, même à l'état de germe, par rapport à la vente ;

Attendu, dans ces conditions, que Mme Morot Monomy ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un vice au sens de l'article 1641 du Code civil et elle doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes ;

Qu'il convient de réformer la décision déférée, et en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile de condamner l'intimée à payer à Mme Cerramon la somme de 3 000 F ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Déclare l'appel recevable et fondé, Infirmant le jugement rendu le 25 janvier 1993 par le Tribunal de grande instance de Bayonne en ses dispositions frappées d'appel, et statuant à nouveau ; Déboute Mme Morot Monomy de ses demandes, fins et conclusions, La condamne à payer à Mme Cerramon une somme de 3 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, La condamne aux dépens. Autorise, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, la SCP Rodon Jean-Yves, avoué, à recouvrer directement contre la partie, condamnée, ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.