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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. A, 3 février 2004, n° 2000-03076

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Ros (Consorts)

Défendeur :

Fiat Auto France (Sté), Commères, Europ'Auto (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Braud

Présidents :

MM. Costant, Frizon de Lamotte

Conseillers :

MM. Sabron, Ors

Avoués :

SCP Puybaraud, SCP Boyreau Monroux, Me Fournier

Avocats :

Mes Vercelonne, Lagrange, Schrimpf, Montamat

T. com. Tarbes, du 5 déc. 1994

5 décembre 1994

Monsieur Roger Ros qui était garagiste à Tarbes (Hautes-Pyrénées), a exercé son activité tout d'abord en qualité d'agent de la marque Lancia puis en tant que concessionnaire de la dite marque dans le cadre du réseau exploité par une société Distribution Chardonnet SA (non concernée par l'actuel litige).

Cette concession portait sur la zone de Tarbes (Hautes-Pyrénées) ; elle a été accordée tout d'abord dans le cadre d'un contrat d'une durée d'un an qui mentionnait l'existence d'un concurrent en la personne de Monsieur René Commères, concessionnaire Lancia exerçant à l'enseigne Garage moderne dont l'établissement était situé à Tournay (Hautes-Pyrénées), à l'extérieur de Tarbes (Hautes-Pyrénées).

Après le décès de son épouse, survenu le 8 mai 1979, Monsieur Roger Ros a poursuivi son activité sous l'enseigne Garage Ros et fils pour le compte de l'indivision née de la dissolution de la communauté.

Le 1er janvier 1989, il a signé un nouveau contrat de concession pour la commercialisation des véhicules de marque Lancia, directement avec la société Fiat Auto France ; il s'agissait cette fois d'un contrat à durée indéterminée.

Ce contrat qui devait se substituer à toutes autres conventions conclues antérieurement, ne faisait plus mention du garage de Monsieur Commères et son article 1-3 prévoyait l'accord préalable du concessionnaire en cas de modification de la zone ou de nomination de nouveaux concessionnaires dans cette zone.

Courant 1989, Monsieur René Commères a transféré son garage à Séméac, à proximité de l'échangeur Tarbes-Est de l'autoroute de Bayonne à Toulouse, et l'a exploité dans le cadre d'une SARL Europ Auto à laquelle il avait donné son fonds en location-gérance.

Le 28 décembre 1990, la société Fiat Auto France a notifié à Monsieur Roger Ros la résiliation de son contrat de concession avec effet à compter du 29 décembre 1991, conformément aux dispositions de ce contrat qui imposaient en cas de dénonciation le respect d'un préavis d'un an.

A compter du 1er janvier 1992, en exécution de conventions familiales qui devaient être formalisées dans un acte de partage du 21 février 1992, le garage Ros a été exploité par deux fils de Monsieur Roger Ros, Marcel et Joël Ros auxquels ce dernier avait fait donation de ses droits sur le fonds de commerce.

Par acte du 14 décembre 1992, postérieurement au transfert de la propriété du dit fonds de commerce de garage au profit de ses fils, Monsieur Roger Ros a fait assigner la société Fiat Auto France et Monsieur René Commères devant le Tribunal de commerce de Tarbes (Hautes-Pyrénées) en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de concession et concurrence déloyale.

Dans un jugement daté du 5 décembre 1994, le tribunal a rejeté les exceptions d'irrecevabilité invoquées par les défendeurs mais, sur le fond, a débouté Monsieur Roger Ros de l'intégralité de ses demandes.

Sur appel de ce dernier, la Cour d'appel de Pau (Pyrénées-Atlantiques) a par arrêt du 16 janvier 1997 infirmé le jugement du Tribunal de commerce de Tarbes (Hautes-Pyrénées) et dit Monsieur Roger Ros irrecevable en ses demandes au motif qu'ayant perdu la propriété du fonds de commerce le 1er janvier 1992, pratiquement à la même date que la prise d'effet de la rupture du contrat de concession, il n'avait en fait aucune qualité ou intérêt à former une demande portant sur une perte relative à l'exploitation du dit fonds.

Monsieur Ros a formé un pourvoi contre cet arrêt et par un arrêt du 25 janvier 2000, la Cour de cassation a cassé en toutes ses dispositions la décision de la Cour d'appel de Pau (Pyrénées-Atlantiques) au visa de l'article 1382 du Code civil, de l'article 1er de la loi du 17 mars 1909 et de l'article 32 du nouveau Code de procédure civile.

L'arrêt de cassation a relevé que, les créances possédées par un commerçant ne constituant pas des éléments constitutifs du fonds de commerce, la transmission du fonds ne privait pas le cessionnaire du droit d'agir en réparation du préjudice subi antérieurement.

Il a fait grief à la Cour de Pau (Pyrénées-Atlantiques) de ne pas avoir recherché, comme l'y invitaient les conclusions de l'appelant, si les faits de concurrence déloyale reprochés à Monsieur René Commères depuis 1990, à les supposer établis, n'avaient pas pu, en plus de la résiliation critiquée du contrat de concession, générer la perte de clientèle invoquée et constituer un préjudice né avant la transmission du fonds s'ajoutant à celui ayant pu résulter de la fin de la concession.

La Cour de cassation a renvoyé les parties devant la Cour d'appel de Bordeaux (Gironde), laquelle a été saisie par Monsieur Roger Ros le 2 juin 2000.

La Cour d'appel de Bordeaux (Gironde) a rendu le 7 mai 2002 un arrêt de réouverture des débats dans lequel il était demandé à l'appelant de s'expliquer notamment sur sa qualité et son intérêt à agir en réponse à l'exception d'irrecevabilité tirée cette fois de ce que, depuis le 8 mai 1979, il avait exploité le fonds non pas à titre personnel mais pour le compte de l'indivision ayant existé avec ses enfants et de ce que, suivant l'acte de partage du 21 février 1992, cette indivision avait cessé à compter du 24 avril 1989, date à laquelle avait été fixée la jouissance divise.

Au vu de cet arrêt, Monsieur Ros a déposé le 17 juillet 2002 des conclusions dans lesquelles il est nouvellement désigné comme agissant en qualité d'indivisaire et pour le compte de l'indivision Ros.

Dans ces mêmes écritures sont intervenus devant la cour de renvoi les trois enfants de l'appelant, Monsieur Marcel Ros, Monsieur Joël Ros et Monsieur Roger-Jean Ros.

La société Fiat Auto France et Monsieur René Commères, gérant de la SARL Europ Auto ont conclu respectivement le 21 février 2003 et le 7 juillet 2003.

Monsieur Roger Ros relève pour justifier sa qualité et son intérêt à agir, qu'il a continué après le décès de son épouse à exploiter seul le fonds de commerce devenu indivis entre lui même et ses enfants et qu'il était seul inscrit au registre du commerce et des sociétés.

Il invoque les dispositions de l'article 815-3 du Code civil aux termes desquelles un indivisaire ayant pris en main la gestion des biens indivis au su des autres et sans opposition de leur part, est censé avoir reçu un mandat tacite couvrant les actes d'administration.

L'appelant observe que l'indivision subsiste à propos des créances de dommages-intérêts qu'il invoque dans la mesure où celles-ci, indéterminées, ne pouvaient figurer dans le partage.

Il ajoute qu'en tout état de cause, ses enfants qui interviennent à ses côtés devant la cour de renvoi ont confirmé l'action qu'il avait introduite en vertu d'un mandat tacite et il invoque les dispositions de l'article 126 du nouveau Code de procédure civile selon lesquelles, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité est écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.

Enfin Monsieur Ros oppose à l'exception tirée de ce que ses conclusions signifiées devant la cour de renvoi contiendraient des demandes nouvelles, les dispositions de l'article 564 du Code civil et, en ce qui concerne les demandes résultant de l'intervention volontaire de ses enfants, celles de l'article 554 du même Code qui permettent aux personnes n'ayant pas été parties en première instance d'intervenir en cause appel dès lors qu'elles y ont intérêt.

Sur le fond, Monsieur Roger Ros reproche à la société Fiat Auto France d'avoir autorisé sans son accord, en violation de l'exclusivité résultant du nouveau contrat conclu le 1er janvier 1989, l'installation dans le secteur de Tarbes (Hautes-Pyrénées) d'un nouveau concessionnaire en la personne de la société Europ Auto constituée par Monsieur René Commères, auparavant concessionnaire Lancia à Tournay (Hautes-Pyrénées).

Il soutient que l'éviction qui résulterait de cette violation des conventions prive de cause réelle la dénonciation du contrat de concession notifiée le 28 décembre 1990.

En toute hypothèse, selon l'appelant, la résiliation du contrat serait abusive en raison de l'insuffisance manifeste de la durée du préavis, stipulée dans des conditions qu'il estime léonines, de ce que, par ailleurs, elle ne contient aucun motif et ne se réfère à aucune cause objective et, surtout, parce qu'elle aurait été accompagnée, y compris pendant la durée du préavis, de manœuvres destinées à l'évincer au profit d'un concurrent.

A Monsieur René Commères, l'appelant reproche de s'être implanté sur Tarbes (Hautes-Pyrénées) alors qu'il savait que les limites de sa concession ne couvraient pas cette zone et de s'être ainsi rendu responsable d'actes de concurrence déloyale.

Il demande à la cour, à charge pour lui de répartir entre les co-indivisaires les sommes allouées, de condamner la société Fiat Auto France au paiement de dommages-intérêts de 427 619,49 euro incluant l'estimation de la valeur du fonds de commerce et la réparation d'un préjudice moral et de condamner Monsieur Commères in solidum avec la dite société au paiement de dommages-intérêts de 135 751,28 euro représentant les pertes de chiffre d'affaire subies pour les années 1989, 1989 et 1990.

A titre subsidiaire, l'appelant demande que ces sommes soient versées par parts égales à chacun des membres de l'indivision Ros.

Monsieur Ros sollicite enfin une indemnité de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société Fiat Auto France fait valoir au soutien de son exception d'irrecevabilité, que Monsieur Ros n'avait pas qualité à agir dès lors que le fonds de commerce ne lui appartenait plus, que la fin de non-recevoir résultant du défaut de capacité n'est pas susceptible d'être couverte et qu'enfin les dispositions de l'article 815-3 du Code civil ne sont pas applicables, l'indivision ayant cessé à la date à laquelle a été délivrée l'assignation.

Elle ajoute que les demandes formées devant la cour de renvoi dans l'intérêt de personnes qui n'étaient pas partie en première instance sont des demandes nouvelles, irrecevables en appel, et que les interventions des enfants de l'appelant sont tout aussi irrecevables dès lors que ces derniers ne forment pas de demande en leurs noms et que s'ils en formulaient, de telles demandes seraient nouvelles.

Sur le fond, la société intimée objecte à l'argumentation de Monsieur Ros que celui ci n'avait pas l'exclusivité de la zone de Tarbes, ce que ce dernier savait parfaitement dès lors que les contrats de concession conclus avec la société Chardonnet Distribution mentionnaient l'intervention sur ce secteur du garage de Monsieur René Commères, concessionnaire plus ancien que l'appelant.

Dés lors, selon elle, l'installation de ce dernier qui avait parfaitement le droit d'exploiter son fonds en société et de procéder à un déplacement de ce fonds rendu nécessaire par l'ouverture de l'autoroute, n'était soumise à aucune autorisation.

La société intimée conteste la pertinence des faits relevés par Monsieur Roger Ros au soutien de la thèse selon laquelle elle aurait eu une attitude discriminatoire tendant à l'évincer au profit d'un concurrent.

Elle estime enfin qu'elle n'avait pas à justifier du motif de la résiliation du contrat de concession dés lors qu'il s'agissait d'un contrat à durée indéterminée et qu'elle avait respecté le préavis contractuel d'un an, de nature à permettre à l'appelant d'organiser sa reconversion.

Estimant par ailleurs les sommes réclamées injustifiées dans la mesure où le garage de Monsieur Roger Ros n'aurait subi aucune diminution des ventes de voitures de la marque Lancia pendant l'année du préavis, elle conclut au débouté des demandes de l'appelant et sollicite à titre reconventionnel sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile contre Monsieur Roger Ros une indemnité de 10 000 euro et contre ses fils, in solidum, une indemnité de 5 000 euro.

Monsieur René Commères conclut pour les mêmes motifs que ceux développés par la société Fiat Auto France à l'irrecevabilité des demandes formées par Monsieur Ros.

Sur le fond, il estime ces demandes injustifiées dés lors que, selon lui, l'appelant avait parfaitement connaissance de l'antériorité de la concession de son concurrent et de ce que cette concession couvrait comme la sienne les secteurs de Tournay et de Tarbes (Hautes-Pyrénées), fait qu'il aurait expressément reconnu dans une lettre adressée au mois d'avril 1988, avant la conclusion du contrat litigieux, à la société Chardonnet Distribution.

Monsieur René Commères sollicite à titre reconventionnel à l'encontre des consorts Ros le paiement de dommages-intérêts d'un montant de 4 573,47 euro pour procédure abusive.

Sur quoi, LA COUR

Sur la recevabilité des demandes de Monsieur Roger Ros.

Monsieur Roger Ros relève à bon droit que l'indivision subsiste au sujet de tout bien ou droit qui n'a pas pu être compris dans le partage.

L'acte de donation partage qu'il a signé le 21 février 1992 avec ses enfants ne pouvait porter sur l'attribution de la créance de dommages-intérêts qu'il invoque dans l'actuelle procédure dans la mesure où cette créance dont il a poursuivi le paiement postérieurement, par assignation du 14 décembre 1992, n'était à l'époque du partage ni liquide ni certaine.

Il n'en est d'ailleurs pas fait état dans l'acte de donation-partage.

Monsieur Roger Ros, dès lors qu'il pouvait invoquer des droits indivis dans la créance de dommages-intérêts dont il poursuivait le paiement, avait un intérêt à agir.

Il est exact que l'appelant a engagé l'action en dommages-intérêts en son nom personnel, sans faire état d'aucun mandat de ses co-indivisaires ; ce mandat n'a été invoqué par Monsieur Roger Ros qu'après que la cour de renvoi ait rouvert les débats sur la question de sa qualité à agir.

Toutefois, une action en recouvrement d'une créance de dommages-intérêts constitue un acte d'administration qu'un indivisaire ayant, comme en l'espèce, pris en main la gestion des biens indivis au su des autres indivisaires et sans opposition de leur part, peut exécuter seul en vertu d'un mandat tacite, comme il est dit à l'article 815-3 du Code civil.

La situation donnant lieu à la fin de recevoir pour défaut de qualité à agir que la société intimée oppose à Monsieur Roger Ros, consiste dans le fait que celui-ci ne justifierait pas de ce que son action, engagée en son seul nom, aurait en réalité procédé d'un mandat donné par ses coindivisaires.

Il s'agit d'une situation susceptible de régularisation dès lors que seuls ces co-indivisaires pourraient se prévaloir d'une opposition faisant obstacle à la présomption de mandat tacite instituée par l'article 815-3 alinéa 2 du Code civil.

Par ailleurs, la société Fiat Auto France ne peut soutenir que l'intervention des enfants de l'appelant devant la cour de renvoi, consécutive au prononcé de l'arrêt de réouverture des débats précité, serait irrecevable comme constituant une demande nouvelle en appel.

En effet, les dispositions de l'article 554 du nouveau Code de procédure civile permettent expressément aux personnes qui n'étaient ni parties ni représentées en première instance d'intervenir en appel, à la seule condition qu'elles y aient intérêt.

L'intervention des co-indivisaires de l'appelant est par conséquent recevable et, ces derniers ayant expressément déclaré ratifier les actes de procédure effectués par leur père en vertu du mandat qu'ils leur avaient donné, la fin de non-recevoir invoquée par la société Fiat Auto France doit être écartée en application des dispositions de l'article 126 susvisé du nouveau Code de procédure civile puisque, en effet, la cause en a disparu.

Enfin, aux termes de l'article 565 du nouveau Code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge.

Les dispositions de l'article 566 du même Code permettent par ailleurs aux parties d'ajouter à leurs prétentions initiales "toutes les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément".

Les modifications et ajustements apportés par Monsieur Roger Ros à ses prétentions initiales ne peuvent pas, par conséquent, être considérées comme des demandes nouvelles qui seraient irrecevables en appel.

Elles ne sont que le complément ou l'accessoire de la saisine du premier juge qui portait sur l'indemnisation du préjudice causé par la résiliation du contrat de concession notifiée par la société Fiat Auto France, abusivement selon Monsieur Roger Ros, et par les faits de concurrence déloyale qu'aurait commis Monsieur René Commères avec la complicité de la société sus-nommée.

Les moyens d'irrecevabilité invoqués par la société Fiat Auto France doivent être dans leur intégralité rejetés.

Les reproches relatifs à des faits de concurrence déloyale et à la violation de la clause d'exclusivité du contrat de concession.

L'examen des pièces produites par les parties fait apparaître que le garage Ros a conclu à partir de l'année 1967 avec une société Chardonnet Distribution, désignée dans ces contrats comme le concessionnaire, de simples contrats d'agent de marque Lancia ; ces contrats qui ne contenaient aucune clause d'exclusivité au profit de l'agent, ont été conclus pour une durée d'un an et ils ont été renouvelés jusqu'en 1987.

Ce n'est que par contrat du 31 décembre 1987, conclu pour la durée de l'année 1988, que le Garage Ros est devenu concessionnaire de la marque Lancia pour la zone de Tarbes (Hautes-Pyrénées).

Toutefois, de contrat précisait qu'il existait dans la même zone un autre concessionnaire autorisé, le Garage moderne de Monsieur René Commères dont le siège se trouvait à Tournay (Hautes-Pyrénées).

Le 1er janvier 1989 Monsieur Roger Ros a signé avec la société Fiat Auto France le contrat de concession dont la résiliation fait l'objet du présent litige ; il s'agissait d'un contrat à durée indéterminée et, contrairement au précédent, il ne mentionnait pas la présence d'un concurrent dans la zone de Tarbes (Hautes-Pyrénées).

Toutefois les pièces produites démontrent que Monsieur René Commères qui exerçait sous l'enseigne Garage moderne, a toujours bénéficié, sous la forme de contrats d'une durée d'un an qui ont été régulièrement renouvelés, d'une concession de la marque Lancia, ce à compter du 1er janvier 1978 et jusqu'à la fin de l'année 1997, date à laquelle, à sa demande, il a été mis fin à cette concession.

Ces contrats précisaient en toute lettre que, bien que le garage de Monsieur René Commères ait son siège à Tournay (Hautes-Pyrénées), la zone concédée incluait, notamment, Séméac et Tarbes (Hautes-Pyrénées).

Par courrier du 19 mai 1988 la société Chardonnay Distribution a répondu à Monsieur Ros qui s'était inquiété de ce que les secteurs de Tarbes et de Tournay avaient été "mélangés", que, conformément aux contrats qu'il avait signé le 31 décembre 1987, "le garage Ros et le garage Commères à Tournay (Hautes-Pyrénées) disposaient de la même zone de prospection".

Il s'avère au regard de ces éléments de fait, que Monsieur René Commères a le premier, à compter de l'année 1978, bénéficié d'une concession de la marque Lancia, ce non seulement dans la zone de Tournay (Hautes-Pyrénées) où se trouvait à l'origine le siège de son entreprise, mais également dans les zones de Séméac et de Tarbes (Hautes-Pyrénées).

Monsieur Roger Ros n'est devenu concessionnaire qu'à partir de 1988, d'abord dans le cadre d'un contrat d'un an conclu avec la société Chardonnay Distribution puis, la société Fiat Auto France ayant décidé d'exploiter directement la marque, dans le cadre du contrat à durée indéterminée passé le 1er janvier 1989 avec cette société.

L'appelant savait parfaitement que l'exclusivité stipulée dans son contrat s'exerçait sur les zones de Tarbes et de Séméac (Hautes-Pyrénées) concurremment avec celle dont bénéficiait depuis plus longtemps Monsieur René Commères ; son premier contrat souscrit le 31 décembre 1987 le spécifiait en toutes lettres et la lettre sus évoquée de la société Chardonnay Distribution lui a rappelé que les deux concessionnaires disposaient de la même zone de distribution.

Les reproches de concurrence déloyale formés contre Monsieur René Commères à qui les conditions de ses contrats de concession donnaient le droit de prospecter sur la zone de Tarbes (Hautes-Pyrénées), sont par conséquent dénués de fondement.

Par ailleurs la société Fiat Auto France n'avait pas à rechercher l'accord préalable du Garage Ros lorsqu'elle a autorisé Monsieur René Commères à exploiter son fonds de commerce dans le cadre d'une société commerciale dont il devait être le gérant et à transférer le siège de son entreprise de Tournay à Séméac.

En effet la concession dont Monsieur René Commères bénéficiait sur ces zones et sur celle de Tarbes (Hautes-Pyrénées) était antérieure à celle du Garage Ros et les changements qu'il a apportés à son entreprise ne constituaient pas une modification de la zone d'activité de son concurrent ou la création dans cette zone d'une nouvelle concession.

Enfin, il est indifférent que le contrat conclu par le garage Ros le 1er janvier 1989 avec la société Fiat Auto France n'ait pas, contrairement au précédent, mentionné la présence sur la même zone d'un autre concessionnaire autorisé.

La clause selon laquelle les nouvelles conventions se substituaient aux précédentes ne pouvaient naturellement pas priver Monsieur René Commères des droits résultant de son antériorité, parfaitement connue de l'appelant pour les raisons sus exposées.

Les griefs formulés contre la société Fiat Auto France en ce qui concerne la résiliation du contrat de concession du 1er janvier 1989 et le comportement déloyal dont aurait été victime le Garage Ros pendant la durée du préavis.

Le contrat de concession signé par Monsieur Roger Ros le 1er janvier 1989 avait été conclu pour une durée indéterminée et il prévoyait dans son article 6 que chaque partie pourrait y mettre fin à n'importe quel moment, sans indemnité d'aucune sorte, à charge pour celle qui voudrait user de ce droit de prévenir l'autre par lettre recommandée avec accusé de réception.

Une telle clause qui est d'application réciproque et prévoit un préavis d'une durée d'un an conforme aux usages dans l'activité considérée, n'est pas une clause léonine.

Les conventions litigieuses étaient soumises au droit commun qui considère qu'un contrat conclu pour une durée indéterminée peut être rompu unilatéralement par l'un ou l'autre des contractants, de telle sorte que la société intimée n'était pas tenue de motiver sa décision.

Elle n'avait pas d'autre obligation que de respecter le préavis contractuel et la rupture ne peut pas être considérée abusive dès lors qu'elle a satisfait à cette stipulation.

Le Garage Ros qui exerçait en tant qu'agent Lancia depuis 1967 et en tant que concessionnaire de cette marque depuis le début de l'année 1988, a disposé jusqu'au 29 décembre 1991, date d'effet de la résiliation, d'une durée d'activité qui lui a permis d'amortir les investissements réalisés.

La durée du préavis, de douze mois, était suffisante pour permettre au concessionnaire d'organiser sa reconversion contrairement à ce que soutiennent les consorts Ros qui, d'ailleurs, alors que le fonds de commerce de garage est toujours exploité, ne donnent aucune indication sur les modalités de cette reconversion.

C'est par conséquent à bon droit que le premier juge a considéré qu'il n'était pas établi par le concessionnaire que son contrat ait été rompu abusivement.

Par ailleurs les faits que les consorts Ros mettent en exergue au soutien du grief selon lequel la société intimée aurait manqué à l'obligation d'exécuter loyalement les conventions pendant la durée du préavis, ne sont qu'au nombre de trois.

Ils concernent, le premier, une lettre de la société Fiat Auto France invitant un client intéressé par la marque à s'adresser au Garage Commères, le second, un refus de livraison, portant sur un unique véhicule, que la dite société aurait justifié par un dépassement de quota et, le troisième, l'interruption, à quelques jours de l'expiration du préavis, de l'accès direct par le minitel au centre des pièces détachées Lancia, interruption qui n'a été suivie d'aucune réclamation.

Il s'agit de faits isolés dont les circonstances sont obscures et qui ne sont pas significatifs d'une attitude systématique de la société intimée, tendant à porter préjudice à un concessionnaire dont le contrat avait été légalement dénoncé.

Les consorts Ros seront en conséquence déboutés de l'intégralité de leurs demandes.

Monsieur René Commères qui ne démontre pas que les consorts Ros aient usé de leur droit d'agir en justice dans un but autre que celui de faire triompher une position qu'ils croyaient légitime, n'apparaît pas fondé en sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Il n'y a pas lieu, pour des raisons d'équité, de prononcer au profit de la société Fiat Auto France la condamnation prévue par l'article 700 du nouveau Code de procédure civile au titre des frais exposés qui ne sont pas compris dans les dépens.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, Dit recevables l'action exercée par Monsieur Roger Ros et l'intervention, en cause d'appel, de Monsieur Marcel Ros, de Monsieur Roger-Jean Ros et de Monsieur Jean Ros. Confirmant le jugement prononcé le 5 décembre 1994 par le Tribunal de commerce de Tarbes (Hautes-Pyrénées), déboute les consorts Ros de l'intégralité de leurs demandes. Déboute Monsieur René Commères de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive. Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. Condamne Monsieur Roger Ros, Monsieur Marcel Ros, Monsieur Roger-Jean Ros et Monsieur Joël Ros aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés par la SCP Boyreau & Monroux, avoué de la société Fiat Auto France, et par Maître Daniel Fournier, avoué de Monsieur René Commères, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.